Du catholicisme traditionalisme au
rationalisme sérieux et érudit.
Beaucoup
de gens traitent des questions religieuses avec un sectarisme bien déplorable.
Nombreux sont les sites athées ou rationalistes qui utilisent les amalgames,
les mensonges, la désinformation pour contrer la religion catholique. Comme
l'a écrit Renan, pour pouvoir bien faire la critique de ces choses et être à
même de comprendre le processus de la croyance, il faut avoir cru soi-même.
Malheur à ceux qui sont nés rationalistes brevetés car une grande partie de la
psychologie humaine leur échappera toujours !
Au long du XIXe et du XXe siècle,
certains prêtres catholiques commencent à douter de la véracité de l’Evangile.
L’exégèse critique biblique se développe, et nous verrons ainsi des prêtres ou
exégètes rompre avec le traditionalisme pour devenir « moderniste »
(Ernest Renan, Alfred Loisy, Charles Guignebert), puis d’autres (Louis Hériot,
Joseph Turmel, Prosper Alfaric) allant plus loin jusqu’au rationalisme le plus
complet.
Ernest Renan est le grand initiateur
du mouvement d’exégèse critique biblique, et Prosper Alfaric représente
l’aboutissement logique de tout ce travail : un rationalisme non
polémique, non haineux, mais sérieux et érudit. Prosper Alfaric est notre
modèle. Ses écrits restent une référence et jamais une critique sérieuse n’a pu
contrer ses écrits.
Ernest Renan avait déjà senti la
morsure du doute, au séminaire Saint-Sulpice, quand il était encore l’abbé
Renan, et c’est pour cela qu’il s’était séparé de ses maîtres.
La critique renanienne parut, en son
temps, très radicale. Pourtant une étude attentive des documents utilisés a
montré depuis lors qu’elle restait timide et fort insuffisante. Par une ironie
singulière du sort, ce fut un homme d’Eglise, l’abbé Alfred Loisy, d’abord
professeur à l’Institut catholique de Paris, qui en fournit la preuve la plus
nette. Après avoir pris la plume pour défendre le point de vue catholique
contre les négations de Renan, il en vint non pas seulement à adopter ses
thèses, mais à les dépasser.
Charles Guignebert, venu comme Loisy
du catholicisme, s’en est détaché de bonne heure. Il a soutenu, à la Sorbonne,
jusqu’à sa mort survenue comme celle de Loisy en 1940, des doctrines à peu près
identiques, mais plus radicales encore.
Prosper Alfaric ne peut cependant
croire ni au moraliste exquis de Renan, ni au prétendant messianique de Loisy,
ni au prophète obscur de Guignebert. De bonne heure, il en est venu à se
demander si Jésus avait vraiment existé. Et il répond par la négative avec des
arguments irréfutables.
Voici une petite présentation de ces auteurs
qui sont partis de la foi catholique, qui ont été élevés par l’Eglise dans le
respect des Evangiles et que leurs études ont amenés à répudier de plus en plus
nettement ces vieux textes dont s’est nourrie pendant dix-huit siècles
l’imagination des croyants :
Historien, philologue, critique,
professeur. Ernest Renan est né le 23 février 1823 à Tréguier (Côtes du Nord). Il
est mort à Paris, le 2 octobre 1892.
Destiné dès l’enfance à la prêtrise,
il fit ses premières études à l’école ecclésiastique de Tréguier (1832-1838).
Il vient ensuite à Paris achever ses « humanités » à Saint Nicolas du
Chardonnet dirigé par le futur Monseigneur Dupanloup (1838-1841). Il commence
ses études de théologie au séminaire d’Issy (1841-1843). En 1843 il entre au
Grand Séminaire de Saint-Sulpice et le quitte deux ans plus tard, à la rentrée
d’octobre 1845.
Au contact de l’enseignement
scolastique et exégétique, il a en effet senti s’évanouir sa vocation
sacerdotale.
Cette révolution religieuse fut, avec
celle de Lamennais, la plus retentissante du XIXe siècle du point de vue de ses
conséquences sur l’attitude en face du christianisme que vont prendre jusqu’à
la guerre de 1914 diverses générations intellectuelles françaises. Cette perte
de la foi est remarquablement contée dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883). En fait, Renan n’a
jamais été profondément croyant. Sa foi découlait d’habitudes familiales et
d’émotions enfantines et surtout d’un idéalisme religieux typiquement celte,
dont le philosophe ne cherchera jamais à se débarrasser. Ce furent la
découverte de la littérature romantique, puis la philologie et surtout la
philosophie allemande, et, plus encore, l’influence de sa soeur Henriette qui
ébranlèrent définitivement ce christianisme superficiel.
Ayant quitté le séminaire, Renan
trouve une place de répétiteur dans une école privée où, de 1845 à 1849, il
mène une vie pauvre, solitaire et ascétique, consacrant tous ses moments de
loisir à la préparation de ses études universitaires et à ses entretiens avec
Lancelin Berthelot
En septembre 1848, il est reçu
premier à l’agrégation de philosophie. Agé seulement de vingt-cinq ans, il
entreprend la rédaction de L’Avenir de la
science qu’il laissa longtemps inédit sur les conseils d’Augustin Thierry
et qui ne paraîtra que quarante ans plus tard en 1890. C’est un livre de
jeunesse où s’affirme la certitude d’un déterminisme universel rejetant tout
surnaturel et un culte lyrique et presque mystique de la science positive.
Il est alors chargé de mission en
Italie en 1849 et 1850 et visite Rome, Florence, Padoue, Venise tout en
préparant sa thèse de doctorat sur Averroès et l’Averroïsme qu’il présente en
1852.
Car dès son départ du séminaire, il a
consacré ses principales recherches aux langues et aux philosophies orientales
Elles obtiennent un premier succès avec la parution en 1855 de L’histoire générale et système comparé des
langues sémitiques. A la même époque Renan donne à la Revue des Deux Mondes et au Journal
des Débats de nombreux articles qui seront collationnés dans Études d’histoire religieuse (1857) et
dans Essais de morale et de critique
(1859).
Il
sera membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1856) ; professeur
de langues sémitiques au Collège de France (1862) ; membre de l'Académie
française (13 juin 1878).
Sa renommée s’affirme à partir de
1862 au retour d’une mission archéologique en Phénicie, Syrie, Galilée
Palestine au cours de laquelle il a la douleur de perdre sa soeur Henriette,
morte à Amschit le 24 septembre 1861.
Renan se voit alors confier la chaire
d’Hébreux au Collège de France. Il a alors 39 ans seulement. Mais, dès son
premier cours, il sera révoqué, ayant prononcé ces mots jugés sacrilèges :
« Jésus, cet homme admirable. »
Il décide de publier La Vie de Jésus en 1863. C’est un des
événements du siècle, dont le succès est considérable en librairie et qui fut
traduite dans toutes les langues du monde. Ainsi, il vulgarise, dans un des
plus beaux style de la littérature française, les travaux de l’exégèse
allemande en reprenant les thèses de David Strauss. Il pose ainsi, devant le
grand public, le problème du Christ Jésus en rejetant toute intervention divine
ou surnaturelle.
Renan a été parfois surnommé
« l’enchanteur ». Il le fut en effet comme Chateaubriand l’avait été
cinquante ans plus tôt. Et cela, en grande partie grâce à la magie de son
style.
Mais il faut bien avouer que sa Vie de Jésus est davantage un ouvrage de
polémique agrémenté d’une poésie certaine et qui tend au romanesque plutôt
qu’au scientifique. Cependant, il aura eu pour résultat d’intéresser une large
partie du public à des problèmes qui, depuis Voltaire, avaient été mis en
sommeil sous l’influence de diverses Églises.
Renan revient ensuite à des travaux
plus sérieux avec son Histoire des
Origines du Christianisme (1863-1883). Restant fidèle à sa méthode
consistant à rejeter, en matière religieuse, toute intervention divine et tout
mystère pour n’accepter que les faits « scientifiquement »
explicables et prouvés, il ne renonce pas cependant à aimer et faire aimer la
beauté.
Si, à Athènes qu’il visite en 1865,
il exalte le « miracle grec » dans un des plus beaux textes de la
littérature française, il garde cependant une sensibilité chrétienne. Bien que
rejetant les dogmes du catholicisme, il n’en continue pas moins d’admirer
l’histoire judéo-chrétienne et le montre bien dans l’Histoire des Origines ou l’Histoire
du peuple d’Israël (1887-1893) au point que le lecteur, en lisant cette
oeuvre, en arrive à ressentir la présence du miracle que rejette pourtant le
scientisme sourcilleux de l’auteur.
Jamais un esprit ne fut moins
sectaire qu’Ernest Renan. Son rêve est de concilier toutes les expressions
philosophiques et religieuses de l’humanité.
Après 1870 et la chute de l'Empire,
il est réintégré dans son poste de professeur au Collège de France.
Grand maître du scepticisme moderne
et « tissu de contradictions », suivant lui-même. Avec « La vie de Jésus
» (1863), s'affirme comme le champion du positivisme historique, encore que,
pour lui, les faits historiques ne soient qu'un matériau que le psychologue
interprète pour mieux comprendre les tendances fondamentales de l'esprit humain.
La grande idée dominatrice de toute son oeuvre - prétendue athée, alors qu'elle
est une recherche de Dieu en dehors de la religion catholique et par la seule
méthode rationnelle, ou mieux, rationaliste - est résumée par sa phrase
favorite : « Le christianisme est un .fait juif. » En politique,
se montra antidémocrate convaincu, de conception aristocratique et même
monarchique. Dans son livre « La Réforme intellectuelle et morale » paru
en 1871, il écrivait : « La France est (...) le résultat de la politique
capétienne continuée avec une admirable suite. (...) Voilà ce que ne comprirent
pas les hommes ignorants et bornés qui prirent en main les destinées de la
France à la fin du siècle dernier. Ils se figurèrent qu'on pouvait se passer de
roi ; ils ne comprirent pas que, le roi une fois supprimé, l'édifice dont le
roi était la clef de voûte croulait. » Et encore : « L'élection
encourage le charlatanisme, détruit d'avance le prestige de l'élu, l'oblige à
s'humilier devant ceux qui doivent lui obéir (...) La fatalité de la République
est de provoquer l'anarchie et de la réprimer très durement (...) La majorité
numérique peut vouloir l'injustice, l'immoralité, elle peut vouloir détruire
son histoire et alors la souveraineté de la majorité n'est plus que la pire
des erreurs. » Ce qui ne l'avait pas empêché de se présenter comme candidat
à la Chambre dans la circonscription de Meaux en 1869, sans succès d'ailleurs.
Principaux ouvrages : « L'histoire des origines du christianisme » (7
vol. comprenant « Vie de Jésus », 1863 ; « Les Apôtres », 1866
; « Saint Paul », 1869, « L'Antéchrist »,1873, « Les Evangiles
», 1877 ; « L'Eglise chrétienne », 1879 ; « Marc-Aurèle », 1881),
« Histoire du peuple d'Israël (5 vol., 1887-1893), « Qu'est-ce qu'une
nation » (1879), « Drames philosophiques » (1888), « Avenir de
la science » (1890).
Né d’une famille de
paysans ; se fait remarquer par ses capacités précoces ; ordonné prêtre avec
dispense d'âge, est nommé curé de campagne.
Auditeur de Renan pour l'hébreu
au Collège de France, il s'initie, à l'Ecole des Hautes
Etudes, à diverses langues orientales (assyrien, égyptien, syriaque,
éthiopien). Perd ses illusions religieuses en 1885 ; prépare cependant un
doctorat en théologie ; soutient sa thèse sur l'histoire du Canon de l'Ancien
Testament (1890). Professeur à l'Institut Catholique de Paris, il traite,
dans un esprit moderniste, de l'Histoire du Canon du Nouveau Testament (1890)
et fait paraître une revue bi-trimestrielle, l'Enseignement biblique (1892).
Suspect à l'autorité épiscopale, il démissionne et devient aumônier
du pensionnat des dominicaines de Neuilly-sur-Seine (1894). Il fonde la Revue
d'Histoire et de Philosophie religieuse (1896) ; mais l'encyclique
de Léon XIII du 8 septembre 1899, hostile à tout libéralisme, le rend
malade ; il se démet de ses fonctions et s'installe, grâce à l'académicien
Thureau-Dangin, à Bellevue où il continue ses travaux sous divers pseudonymes
(Desprès, Firmin, Sharp, etc.). Démasqué et furieux de l'intervention
du cardinal Richard, « ce cadavre intellectuel, ce saint fossile », il
renvoie les 800 francs qu'il tenait de l'archevêché au titre des «
prêtres infirmes ». Paul Desjardins le fait nommer professeur suppléant à
l'Ecole pratique des Hautes Etudes (1900). Mais Loisy ne renonce pas à ses
ambitions ecclésiastiques et laisse poser sa candidature à deux évêchés ; il
est évincé : « Il vaudrait mieux, disait le nonce Lorenzelli, nommer
Hyacinthe Loyson ; lui, au moins, croit en Dieu ». Après la publication
de Autour d'un petit livre (le 4° évangile), le Saint-Office
s'émeut et condamne cinq de ses ouvrages. Sommé de se rétracter,
Loisy finit par se soumettre (1904) ; mais il abandonne son cours et se retire
à Garnay, dans la propriété de Thureau-Dangin (1904), puis près de sa soeur à Ceffonds
(Haute-Marne), en 1907. L'année suivante il publie Les évangiles
synoptiques et Simples réflexions sur le décret du Saint-Office. Menacé
de nouveau, il refuse de céder, et il est frappé d'excommunication majeure
(1908). Peu après, la mort de Jean Réville laisse vacante la chaire d'histoire
des religions du Collège de France, et il y est nommé (1909). Désormais, sa vie
n'est plus que celle de ses cours et de ses écrits, rédigés cette
fois sans équivoque.
Travailleur infatigable, Loisy s'est
tenu au courant, pendant plus de cinquante ans, de tout ce qui paraissait en
trois ou quatre langues sur les origines chrétiennes et l'exégèse
des textes chrétiens. Il a laissé une oeuvre considérable comprenant une
soixantaine de livres, deux cent trois articles et des inédits. Citons : La
religion d'Israël (1901), L'Evangile et l'Eglise (1902),
Essai historique sur le sacrifice (1920), Les Actes des Apôtres (1920),
Les Mystères païens et le Mystère chrétien (1919), La naissance du
christianisme (1933), Le Mandéisme et les origines chrétiennes (1934),
Les origines du Nouveau Testament (1936), Histoire et mythe à propos
de Jésus-Christ (1938 et 1939). Il a écrit aussi trois tomes de Mémoires
parus en 1930-31, une réfutation de Bergson : Y a-t-il deux sources de
la religion et de la morale ? (1933 et 1934), etc.
Nullement encyclopédiste, Loisy n'avait
de curiosité que dans le champ de ses recherches. Même là il manqua de génie
inventif ; ces progrès sont faits surtout d'oppositions et d'emprunts
: à Renan d'abord, aux protestants libéraux ensuite, puis aux
mythologues. Il excelle dans l'art de s'approprier les
idées d'autrui ; à Reitzenstein il prend l'idée que le
christianisme est une religion de mystère analogue à celles du paganisme ; à
Bousset et à Norden leur conception du Paulinisme : à l'Ecole formative ses
principes d'exégèse ; au P. Schmidt et à Couchoud, la notion du
style rythmé ; à Turmel l'idée d'une refonte tardive des épîtres
pauliniennes par des rédacteurs gnostiques puis catholiques. Son seul tort fut
de ne pas rendre suffisamment justice à ses devanciers et, parfois, de les
outrager en les pillant. Leur influence, non moins que son approfondissement
personnel des textes, l'a conduit par degré à une position voisine
de celle des mythologues : les évangiles n'ont aucune valeur historique ;
le christianisme a été fondé non par Jésus, mais par les générations
chrétiennes du second siècle, imbues de la mentalité païenne. Loisy retient
néanmoins la crucifixion de Jésus pour cause d'agitation
messianique, et il lui attribue une prédication humanitaire assez banale. Cette
évolution de la pensée du savant marque un enrichissement continu, un souci
scrupuleux et constant de vérité. Son style est inégal, parfois ondoyant et
obscur, parfois digne d'un grand écrivain ; il excelle dans la
polémique où ses mots à l'emporte-pièce rappellent Voltaire.
Susceptible, impatient, autoritaire, Loisy s'est aliéné des
sympathies nombreuses et dévouées. Ce côté inquiétant de sa nature contraste
avec son érudition profonde, son intelligence vive, nuancée, acérée, ses
talents d'exposition et d'élocution et, malgré ses
louvoiements, sa courageuse ténacité.
Historien français. Professeur à la
Sorbonne à partir de 1906. Historien du christianisme.
Ses principaux ouvrages : Tertullien (1901), Manuel d’histoire ancienne du Christianisme (1907), Modernisme et tradition catholique en France
(1908), La primauté de Pierre et la venue
de Pierre à Rome (1909), Le problème
de Jésus (1914), Le christianisme
antique (1921), La vie cachée de
Jésus (1921), Le christianisme
médiéval et moderne (1927), Jésus
(1933), Le monde juif vers le temps de
Jésus (1935), Le Christ (ouvrage
posthume, 1943).
Guignebert croyait à l’existence
historique de Jésus, mais d’un Jésus qui a été recouvert du mythe du Christ.
Né à Rennes dans une famille
nombreuse, de parents pieux, illettrés et très pauvres, remarqué pour sa vive
intelligence, il poursuivit ses études au grand séminaire de sa ville natale,
puis à la faculté de théologie d'Angers. Ordonné prêtre en 1882, il
fut nommé aussitôt professeur de théologie dogmatique au grand séminaire de
Rennes.
D'une foi
ardente, il travaillait beaucoup pour défendre l'Eglise contre les
incrédules. Mal lui en prit. Cette année même, le commentaire de Gesenius sur
Isaïe fit naître des doutes en son âme candide ; ils s'accrurent
lorsqu'il étudia le Pentateuque. Malgré ses efforts pour se
convaincre d'erreur, il ne pouvait rien contre une évidence incoercible
: le 18 mars 1886 il s'avoua à lui-même qu'il ne croyait
plus. Une rupture avec l'Eglise eût été « un coup de poignard »
pour ceux qu'il aimait ; il vivait dans un milieu étouffant. Alors
il travailla seul, dans le secret, jusqu'au jour où un jeune clerc, à qui il
avait confié sa pensée, mit l'autorité au courant de ses travaux. Il
dut donner sa démission, remettre ses manuscrits : 23 cahiers de 5 000 lignes
furent livrés aux flammes « pour la plus grande gloire de Dieu ».
Aumônier des Petites soeurs des
pauvres de Rennes (1893), il continue ses travaux solitaires sans beaucoup
d'espoir de les publier, Heureusement un prêtre breton fait connaître son Angélologie
à Loisy et à Lejay ; ils enrôlent Turmel dans leur équipe de la Revue d'Histoire
et de Littérature religieuse, et publient sous son nom, outre cette étude
(1897-98), L'eschatologie à la fin du IVe
siècle (1900), L'histoire du péché originel (1900-04)
et des séries d'articles remarquables et remarqués. Mais la qualité
inimitable de ses écrits fut reconnue, malgré ses pseudonymes, lorsqu'il
traita de La Trinité et de La Sainte-Vierge (1906-07). Les
aiguillons de l'orthodoxie se dressèrent. Turmel ne se croyant pas tenu de
renseigner une « École de mensonge », nia avoir rédigé les articles
incriminés (1908). Depuis 1903 il avait résilié son office d'aumônier
pour seconder le curé d'une paroisse. Il avait des loisirs ; il les
employa. Sa personnalité disparut, mais sa pensée fleurit sous une foule de
noms d'emprunt (1909-30) : Louis Coulange, Henri Delafosse, Armand Dulac,
Antoine Dupin, Guillaume Herzog, Edmond Perrin, J. Téherro, Joseph Tromelin,
etc.
Cependant, l'épiscopat
veillait. A la suite de l'identification du faux « Gallerand », et
trompé par le vicaire général Poüt qui lui promettait le secret, le savant, mis
en confiance, déclina ses quatorze pseudonymes et fut frappé d'ex-communication
majeure (1930). Son activité n'en fut pas altérée ; jusqu'à sa mort il publia
d'admirables travaux, dont sa monumentale Histoire des dogmes (6 tomes,
1931-1936).
On connaît de lui 143 articles d'importance,
des comptes-rendus, diverses brochures et près de trente ouvrages. Citons : L.
Coulanges (pseud.) : La Vierge Marie (1925) ; La messe (1927) ; Catéchisme
pour adultes I., II., (1929-30) ; H. Delafosse (pseud.) : Le quatrième
évangile (1925) ; Les écrits de Saint Paul (4 volumes, 1926-28) ; Les
Lettres d'Ignace d'Antioche (1927) ; Turmel : Histoire du
diable (1931) ; Comment j'ai donné congé aux dogmes (1935),
Réfutation du catéchisme, etc.
La valeur de cette oeuvre provient d'un
contact immédiat avec les textes. Une vision neuve, alliée à une érudition
prodigieuse, permit à Turmel d'établir les variations des croyances. Il est le
plus grand historien de la dogmatique chrétienne. Doué d'imagination
scientifique, il a renouvelé l'exégèse du Nouveau Testament en
prouvant que les lettres d'Ignace sont beaucoup plus tardives qu'on
ne le supposait, que la première rédaction est marcionite et date au plus tôt
de 135, que ses remaniements sont de 190-211. Il s'ensuit que les
documents cités par le pseudo-Ignace peuvent être reculés d'au tant,
et que l'existence charnelle de Jésus était ignorée au second siècle
d'une partie de la chrétienté. Turmel a mis aussi en lumière le rôle du
marcionisme dans l'élaboration du IV° Evangile où un
Christ spirituel s'oppose à un Christ charnel. Il a fait des
constatations analogues au sujet de la littérature paulinienne où il distingue
de courts billets attribuables à Paul, des remaniements marcionites et des additions
catholiques. Ses recherches ont ouvert des voies nouvelles où se sont engagés
Loisy, Guignebert, Merlier, et surtout l'Ecole mythologique à
laquelle, d'ailleurs, Turmel n'appartenait pas. Son
style est concret, fort clair, accompagné d'une pointe d'humour
; il démonte avec agrément les rouages de doctrines subtiles.
La vie lamentablement recluse de ce
génie longtemps méconnu ne lui a pas accordé la célébrité d’un Renan
ou d’un Loisy. Pourtant il les dépasse par la puissance de la
découverte et la vigueur de l'argumentation.
Né à Livinhac-le-Haut (Aveyron), le
21 mai 1876, mort à Paris le 28 mars 1955. Reçut l’ordination le 1er
avril 1899. Professeur de philosophie au grand séminaire de Bordeaux puis de
Bayeux, professeur de dogme au séminaire d’Albi.
D’origine modeste, formé par des
prêtres pour la prêtrise et l’enseignement du dogme, il quitta l’Eglise en
1910, pour des raisons purement intellectuelles : ses études d’histoire
religieuse l’avaient amené à des positions inconciliables avec la foi
chrétienne.
Licencié de philosophie, puis docteur
avec une thèse sur l’Evolution
intellectuelle de Saint Augustin, il ne cessa d’étudier les origines
chrétiennes et en particulier le problème du Christ, dont il était arriver à
nier l’existence historique. Il devint Professeur d’histoire des religions à la
Faculté des Lettres de Strasbourg. Il présida le Cercle parisien de la Ligue de l’enseignement et il défendit les
idées laïques en Alsace. En 1932, il publie Le
problème de Jésus et les origines du christianisme, ce qui lui valut
l’excommunication majeure en 1933.
Quand l’Union Rationaliste avait été
fondée en 1930, il y avait eu naturellement sa place. Il devait y tenir un rôle
de plus en plus important, surtout après sa retraite en 1945 (ou il devint
vice-président puis président). Il est également fondateur du Cercle Ernest
Renan.
Outre de nombreux articles dispersés
dans des revues savantes ou modestes, Prosper Alfaric a laissé le récit de son
évolution personnelle, De la foi à la
raison (1955).
Après sa mort, l’Union Rationaliste a
publié un recueil de ses articles, A
l’école de la raison, et tout ce qui a été retrouvé de son grand ouvrage, Les origines sociales du christianisme.
Simple, cordial, prodigieusement
érudit, d’une bienveillance inépuisable, aussi généreux d’esprit que de cœur,
il a laissé à tous ceux qui l’ont connu un souvenir très cher et un précieux
exemple de probité intellectuelle et morale.
Nous invitons tous nos lecteurs qui veulent lire les arguments
bétons contre l’existence de Jésus à acheter cet ouvrage paru en 2005 qui
rassemble de nombreux textes de Prosper Alfaric :
Prosper
Alfaric, Jésus a-t-il existé ?,
Editions coda, 2005. Disponible partout. Préface de Michel Onfray.