L’Anti-Maçonnisme laïque
I] L’anti-maçonnisme
socialiste
1) De la
Révolution à la Commune
2) De la
Commune à la deuxième guerre mondiale.
b) Le
congrès socialiste de 1912 et la mort du socialisme
c) Les
autres courants anti-maçons
e) Le
syndicalisme contre la Franc-Maçonnerie
II]
L’anti-maçonnisme anarchiste
III]
L’anti-maçonnisme communiste
Annexe
1 : Amusons nous avec Proudhon
Annexe 2
: L’anti-maçonnisme dans la littérature
Fourier Charles, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, Leipzig, 1808.
« Antisémite » de gauche.
Chirac Auguste, La Haute banque et les Révolutions, Amyot, 1876. « Antisémite »
de gauche.
Gellion-Danglar Eugène, Les Sémites et le sémitisme au point de vue
ethnographique, religieux et politique, Maisonneuve, 1882. « Antisémite »
de gauche.
Chirac Auguste, Les Rois de la République, histoire des juiveries, P. Arnould, 1883.
« Antisémite » de gauche.
Tridon Gustave, Du molochisme juif - études critiques et philosophiques, Edouard
Maheu, 1884. « Antisémite » de gauche.
Toussenel Alphonse, Les juifs rois de l'époque : histoire de la
féodalité financière (2 tomes), Flammarion, 1886. « Antisémite »
de gauche.
Hamon Augustin, L'Agonie d'une société, histoire d'aujourd'hui, A. Savine, 1889.
« Antisémite » de gauche.
Regnard Albert, Aryens et Sémites. Le bilan du judaïsme et du christianisme, E.
Dentu, 1890. « Antisémite » de gauche.
Picard Edmond, Synthèse de l'antisémitisme, Vve F. Larcier, 1892. « Antisémite »
de gauche.
Picard Charles, Sémites et Aryens, F. Alcan, 1893. « Antisémite » de
gauche, athée.
Picard Edmond, L'Aryano-sémitisme, P. Lacomblez, 1899. « Antisémite » de
gauche.
Vacher de Lapouge Georges, L'Aryen, son rôle social, A. Fontemoing,
1899. « Antisémite » de gauche.
Gohier Urbain, Leur République, chez l’auteur, 1906.
Mittler Eugène, La question des rapports entre le socialisme, le syndicalisme et la
Franc-Maçonnerie, avec des lettres de Gustave Hervé, F. de Pressensé, Bled,
Aubriot Paul, L’Universalia, 1911.
Lebey A., Le socialisme et la Franc-Maçonnerie, Marcel Rivière & Cie,
1912.
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Wellhoff B., Franc-Maçonnerie et socialisme, L’Emancipatrice, 1912.
Lantoine Albert, « La
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Symbolisme, n°67, 1923, pages 229-243 et n° 68, pages 264-277. Franc-maçon.
Colomer André, A nous deux, Patrie !, Edition de l'Insurgé,1925. « Antisémite »
de gauche.
Mercier Pierre, Le Collectivisme, c'est la servitude et l'égalité dans la misère. Le
Socialisme foncier, c'est la liberté et le bien-être pour tous. La
Franc-maçonnerie, c'est le pillage du budget et de l'épargne, Chagny, impr.
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Gerbelin F.-B., Les Trois ennemis publics de la France et des Français. 1 ̊ La franc-maçonnerie
dévoyée. 2 ̊ Les métèques à plusieurs nationalités. 3 ̊
L'indifférence sociale, Albert Messein, 1935. Anti-maçon républicain et
laïque.
Hamon Augustin, Les Maîtres de la France (3 volumes), Éd. sociales internationales,
1936-1938. « Antisémite » de gauche.
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Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820),
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« Le marxisme contre la
franc-maçonnerie », publié dans la Revue
Internationale, Organe du Courant Communiste International (CCI), Octobre
2005.
Par anti-maçonnisme « laïque »,
nous voulons par de l’anti-maçonnisme non religieux, de l’anti-maçonnisme
athée, de l’anti-maçonnisme socialiste, de l’anti-maçonnisme « de
gauche », de l’anti-maçonnisme rationaliste, etc.
Par opposition à l’anti-maçonnisme
catholique, qui ne nous concerne peu, car c’est le combat d’une secte (la
catholique) contre une autre secte (gnostique, franc-maçonne).
On nous parle souvent de cet
anti-maçonnisme « d’extrême droite catholique » - sûrement pour
discréditer à jamais le véritable anti-maçonnisme ? – mais jamais on nous
parle de l’anti-maçonnisme anti-clérical, laïque. Pourtant il existe, et il
devrait être largement diffusé.
Les principaux arguments des
anti-maçons « laïques » sont :
_ La Franc-Maçonnerie est anti-athée,
car imprégné d’ésotérisme, de gnosticisme, de kabbale, d’occultisme. Bref,
c’est comme une religion (gnostique) et de plus pour tout rationaliste qui se
respecte, « les sciences occultes ne sont pas des sciences ». Elle
détourne les gens du combat rationaliste.
_ La Franc-Maçonnerie est une
puissance occulte.
_ La Franc-Maçonnerie est une
organisation bourgeoise et contraire au véritable socialisme.
Etc.
Peut-être on nous objectera que certains
anti-maçons sont également « antisémites ». Cependant, il ne faut pas
oublier que la plupart des socialistes au XIXe siècle étaient majoritairement
« antisémites », jusqu’à l’affaire Dreyfus.
L'antisémitisme populaire, qui se
double d'un anticapitalisme, était en effet regardé par un certain nombre de
socialistes français historiques (Fourier, Proudhon, Lafargue, Rochefort,
Jaurès, entre autres) comme un mouvement sympathique, propre à ébranler le
grand Capital.
Mais nous pourrions citer par
ailleurs de nombreux auteurs « antisémites », pro-maçons et
francs-maçons :
Hébert, franc-maçon, voyait les juifs
« rogner sur nos écus. »[1]
Benoît Malon, zélé franc-maçon,
directeur de la Revue Socialiste, écrivait
de nombreux articles antisémites.[2]
Albert Regnard, zélé franc-maçon,
auteur de cet ouvrage « antisémite » : Aryens et Sémites. Le bilan du judaïsme et du christianisme (E.
Dentu, 1890.)
Etc., etc.
Bref, tout cela pour dire que cette
pseudo objection est nulle et non avenue.
Nous allons nous occuper dans cette
étude uniquement de l’aspect anti-maçonnique.
Avant de commencer, rappelons que dès
avant la Révolution française, il y eut des pamphlets ridiculisant les cotés
ridicules des rituels maçonniques.
Voltaire
(1694-1778), qui
s’était prêté à la comédie de l’initiation maçonnique par vanité, la dernière
année de sa vie, tenait en peu d’estime la Franc-Maçonnerie.
Voici d’abord comment dans l’Essai sur les Mœurs (chap. LXXXII) il
expose l’origine de la Franc-Maçonnerie en la rattachant à l’histoire des
Confréries du Moyen-Age, dont il s’applique à faire ressortir le côté
burlesque, et en particulier à la Fête de l’Ane :
« Il y avait en Normandie, qu’on
appelle le pays de sapience, un abbé des conards, qu’on promenait dans
plusieurs villes sur un char à quatre chevaux, la mitre en tête, la crosse à la
main, donnant des bénédictions et des mandements.
Un roi des ribauds était établi à la
cour par lettres patentes. C’était dans son origine un chef, un juge d’une
petite garde du palais, et ce fut ensuite un fou de cour qui prenait un droit
sur les filous et sur les filles publiques. Point de ville qui n’eût des
confréries d’artisans, de bourgeois, de femmes les plus extravagantes
cérémonies y étaient érigées en mystères sacrés ; et c’est de là que vient la
société des francs-maçons, échappée au temps, qui a détruit toutes les autres.
La plus méprisable de toutes ces confréries fut celle des flagellants, etc.»
Ailleurs, dans son Dictionnaire philosophique, au mot Initiation, il revient sur cette origine
de la Franc-Maçonnerie avec le même sentiment de dédain que lui inspiraient
toutes les congrégations et associations ayant un caractère religieux, même les
mystères de l’antiquité païenne, « dont les secrets sacrés, disait-il avec un
mépris qui doit faire bondir d’indignation tout vrai franc-maçon, ne méritaient
pas au fond plus de curiosité que l’intérieur des couvents de carmes ou de
capucins » :
« L’origine des anciens mystères ne
serait-elle pas dans cette même faiblesse qui fait parmi nous les confréries,
et qui établissait des congrégations sous la direction des jésuites? N’est-ce
pas ce besoin d’association qui forma tant d’assemblées secrètes d’artisans,
dont il ne nous reste presque plus que celle des francs-maçons ? Il n’y
avait pas jusqu’aux gueux qui n’eussent leurs confréries, leurs mystères, leur
jargon particulier, etc.… »
Le secret dont s’enveloppent les
francs-maçons ne lui parait pas plus respectable que celui dont s’entouraient
les initiés des mystères d’Eleusis ou de Samothrace :
« Ce secret sans doute ne méritait
pas d’être connu, puisque l’assemblée n’était pas une société de philosophes,
mais d’ignorants, dirigés par un hiérophante. On faisait serment de se taire ;
et tout serment fut toujours un lien sacré. Aujourd’hui même encore nos pauvres
francs-maçons jurent de ne point parler de leurs mystères. Ces mystères sont
bien plats, mais on ne se parjure presque jamais. »
Voltaire est de l’avis d’Alexandre, «
qui ne faisait pas grand cas de ces facéties révérées ; elles sont fort
sujettes à être méprisées par les héros. »
Tous les mystères, y compris ceux de
ces « pauvres » francs-maçons, sont pour lui autant de parades grotesques, une
espèce d’opéra en pantomimes, « tels que nous en avons vu de très amusants, où
l’on représentait toutes les diableries du docteur Faustus, la naissance du
monde et celle d’Arlequin, qui sortaient tous deux d’un gros oeuf aux rayons du
soleil. »
Comme l’écrit le socialiste et
franc-maçon Denis Lefebvre : « Beaucoup de socialistes et
d’anarchistes du XIXe siècle ont été francs-maçons. Les noms de Pierre-Joseph
Proudhon, Louis Blanc, Pierre Leroux, Eugène Pottier, Benoît Malon, Sébastien
Faure, Jules Vallès, Louise Michel, Elisée Reclus peuvent être avancés,
maillons d’une longue chaîne de révolutionnaires. Mais il s’agit surtout d’engagements individuels.
La Commune de Paris de 1871 marque
une rupture : au moins jusqu’au retour d’exil ou de prison des anciens
communards, au milieu des années 1880, les
socialistes se tiennent à l’écart des loges. »[3]
En ce qui concerne les communards, de
la Commune de Paris, beaucoup ont été francs-maçons aussi. Mais il semble que
les Socialistes, dans les années 1880-1890, se sont détachés de la
franc-maçonnerie. Parce qu'elle n'aurait pas soutenu suffisamment, à leurs
yeux, la Commune de Paris.
Charles
Fourier (1772-1837),
philosophe français, fondateur de l’École sociétaire, considéré par Karl Marx
et Engels comme une figure du « socialisme critico-utopique », déplorait que la
Révolution française ait dégénéré en clubs et complots.
Non-maçon, il déplorait aussi le luxe
de réceptions maçonniques et l’abus des banquets fraternels. Dans une lettre
non datée, il écrit :
« Un franc-maçon me disait un
jour : c’était bien joli hier aux francs-maçons : nous avons resté
six heures à table.
_ Votre société, lui dis-je, ne
connaît pas le plaisir de la table ; elle n’en connaît que l’abus, car au
bout de deux heures, la table comme tout autre plaisir ne peut se soutenir que
par des excès déraisonnables et nuisibles. »[4]
Il écrivait également :
« Le premier sujet [La Franc-Maçonnerie] sera présenté sous le rapport des
moyens de salut qu’il offrait aux sophistes. On verra que cette société leur
offrit un marchepied pour réparer leur défaite de 1793 et s’élever à la
coordination et à la fortune. Ils n’en ont pas su profiter et s’ils se sont
aveuglés sur les moyens d’influence qui s’offraient à leur ambition, seront-ils
plus clairvoyants pour servir le genre humain ? Loin de là ; ils ont
fait tourner, au détriment du genre humain, les chances qui pouvaient ouvrir
les voies d’amélioration sociale. »[5]
Ensuite, c’est surtout dans le
courant athée anticlérical néo-hébertiste[6] et
blanquiste que l’ont retrouvera la plupart des anti-maçons
« laïques » :
Dans le journal néo-hébertiste et
sans-culotte : Le Père Duchesne,
de Vermersch et celui de Bernard, on peut lire de nombreuses lignes
anti-maçonnes. Il faut rejeter « les sornettes des maçons et des
sacristains ». Il « engueulera aussi bien les calotins que les
francs-maçons, etc. »[7]
Arthur Ranc raconte une altercation
lors d’un enterrement civil. Un étudiant peste : trop de maçons, ils
« nous ennuient, ils se fourrent partout. » Son interlocuteur admet
un cérémonial vieillot, mais juge que la franc-maçonnerie incarne la
fraternité. L’étudiant réplique en opposant l’égalité à l’aumône et
ajoute :
« La Fraternité ! Mais
c’est avec ça qu’on amuse le peuple depuis 92. La fraternité, mais c’est du
catholicisme tout pur. Nous avons remplacé ça par la justice mon bonhomme. […]
La maçonnerie, c’est encore une religion ! […] Pourquoi pas tout de suite
l’Etre suprême ?
_ L’Etre suprême, c’est votre bête
noir, Robespierre était un vil réactionnaire, n’est-ce pas ? »[8]
Le jour où l’Egalité cessera d’être
une fiction, nous croirons possibles la Liberté et la Fraternité, qui ne sont
et ne peuvent être que les conséquences de l’Egalité.
L’athéisme doit être la priorité. La
Révolution est plus qu’une guerre de classes : c’est une guerre d’idées.
Ainsi, Blanqui écrivait : « On ne peut pas changer sérieusement une
société dans son ordre politique et social sans détruire l’idée philosophique
qui en est la base. »
L’extrême droite anti-chrétienne
n’existe pas encore sous le second empire parce qu’elle est alors incluse dans
l’extrême gauche athée. L’athéisme ultra-révolutionnaire du second empire a
frayé la voie d’un matérialisme d’extrême-droite.
La patrie ne peut, dans tous les cas,
se constituer que par la fédération des patries et non par leur écrasement.
L’Humanité, sans les patries, serait une nation sans provinces, une province
sans famille, c’est-à-dire un immense grouillement inorganique.
Le patriotisme est parfaitement lié
au socialisme. En avant contre les exploiteurs, les voleurs, les panamistes qui
eux sont les véritables internationalistes, ne connaissant d’autre patrie que
leur coffre-fort.
Le nationalisme met la nation,
constitué en Etat, au premier rang des valeurs politiques et sociales, ce qui
n’est pas obligatoirement le cas dans les diverses expressions du patriotisme.
Souvenons nous de la Commune, la
Commune de 93 surtout, puisque la Commune de 1871 a échoué faute d’avoir su
être aussi énergique et révolutionnaire que celle de 1793, assassinée par la
déiste Robespierre.
La Bastille a été remplacé par le
Veau d’or.
L’organe national des guesdistes
(courant socialiste tirant son nom de son chef historique : Jules
Guesde) : Le Socialiste, combat
la Franc-Maçonnerie. On peut lire dans le numéro du 4 septembre 1886 un article
qui dénombre le nombre présumé de francs-maçons dans le monde et le taux des
cotisations perçues. En conclusion, le rédacteur de ce texte écrit :
« La Fédération maçonnique est une organisation de riches, car les pauvres
sont exclus de cette organisation par la haute cotisation que chaque membre a à
payer. »
Dans la publication de certaines
affiches des guesdistes à l’occasion d’élections municipales à Roubaix en avril
1882, on y parle de cette société « aussi ténébreuse que possible, qui
travaille dans l’ombre et le mystère, et dont les membres seuls sont amenés à
connaître les délibérations ! » Plus loin les guesdistes s’en
prennent au « comité maçonnique, soi-disant démocratique – qui a l’audace
de continuer la lutte, ne voulant accorder aux ouvriers aucun moyen d’être
représenté dans le conseil. »
On trouve dans Le Socialiste daté des 15-18 septembre 1901 un article intitulé
« franc-maçonnerie », écrit par Paul
Lafargue (1842-1911), l’un des gendres de Karl Marx. Ce texte constitue une
charge violente contre la franc-maçonnerie.
On peut lire : « La guerre
pour rire contre le cléricalisme cache un autre but sérieux : celui
d’absorber l’énergie des ouvriers et de les détourner de leurs intérêts de
classe, de la lutte contre le capital à laquelle on veut substituer la lutte
contre Dieu. Le culte des Droits de l’Homme, de la Patrie, de la liberté du
commerce, et toute l’idéologie bourgeoise, tendant au même résultat. Si le
prolétaire, selon les francs-maçons, doit manger du curé pour ne pas manger du
capitalisme, il doit, selon les métaphysiciens de la politique, se contenter
des Droits de l’Homme abstraits, de l’Homme en dehors du Parti socialiste et de
l’espace, et ne pas réclamer les droits du travailleur de la société
capitaliste. La logomachie idéologique de la bourgeoisie constitue tout le
bagage philosophique de la franc-maçonnerie.
La Franc-Maçonnerie […] reste dans
son rôle d’institution bourgeoise. Elle a pour sa bonne part contribué au
triomphe de la bourgeoisie sur l’aristocratie et à l’établissement du
parlementarisme, sa forme gouvernementale ; elle entend consacrer sa
domination sociale contre son nouvel ennemi, le prolétariat. De révolutionnaire
qu’elle était en 1789, elle est devenue réactionnaire. »
Dans son édition du 20 septembre
1901, le journal L'Aurore publie une
motion d'un congrès du Parti ouvrier français rappelant aux travailleurs qu'ils
ne sauraient distinguer entre leurs adversaires de classe et qu'ils doivent les
combattre au même titre qu'ils soient catholiques, protestants, sémites,
antisémites, francs-maçons, libres penseurs.
Le
Travailleur, organe
de la fédération du Nord du POF (Parti Ouvrier Français) publie en octobre 1902
un article intitulé « la franc-maçonnerie et le POF », on y
lit :
« Il est possible que la
franc-maçonnerie a pu être, pendant quelques temps, une simple société internationale
de bienfaisance ; mais elle est aujourd’hui l’association internationale
de la bourgeoisie.
Elle a, du reste, eu l’honneur
d’avoir comme initiés des rois, empereurs, des archevêques et des prêtres, des
nobles et des lords et jusqu’à Catherine II, impératrice de Russie. […]
La Franc-Maçonnerie est prise de la
même démesure que l’Ordre des Jésuites : elle veut dominer le monde.
Ses vénérables font de la politique
militante, politique qui consiste à diviser pour régner, et on peut se rendre
compte que dans l’œuvre de division socialiste internationale, ceux qui sont
les plus actifs ouvriers sont des francs-maçons.
Tous les francs-maçons ne sont pas
évidemment avec ceux qui veulent canaliser le mouvement socialiste pour le
conduire comme les plus influents de la veuve Hiram le veulent : les
exceptions confirment la règle. »
Le chroniqueur évoque enfin les
« momeries » des francs-maçons, l’idiote formule du Grand Architecte
de l’Univers, et cet étalement des « fonds de casseroles sur leur
poitrine. »
Bref, les guesdistes furent
anti-maçons, sauf une toute minorité, comme par exemple ces guesdistes
francs-maçons : Ernest Ferroul, Jean Augé, Charles Brunelière et Lucien
Deslinières.
D’autres guesdistes appartiendront un
temps à la franc-maçonnerie, tels Lucien Roland ou Alexandre Zévaes[9].
Après leur départ, ils se transformèrent très souvent en adversaires acharnés
de la franc-maçonnerie.[10]
On lit dans Le Travailleur du 24 septembre 1905, organe de la fédération
socialiste du Nord un article intitulé : « Le convent
maçonnique » :
« Les loges maçonniques de
France ont eu leur congrès dimanche dernier, ou plutôt leur Convent, où se sont
réunis plus de 400 délégués. Or il parait que les francs-maçons radicaux,
radicaux-socialistes et socialistes de gouvernement, sont très mécontents de ce
que le congrès international d’Amsterdam a été pris au sérieux par presque tous
les socialistes français.
L’unité socialiste va avoir pour
résultat essentiel, aux élections législatives françaises, de porter des
candidats socialistes en les plaçant nettement sur le terrain de la lutte de
classe, aussi bien dans les circonscriptions radicales que dans les
circonscriptions cléricales ou modérés.
Cette unité socialiste, donnant à
tous les socialistes français leur unité d’action et de propagande, partout il
va y avoir une recrudescence formidable d’agitation profitable aux intérêts du
prolétariat.
C’est ce qui gênerait les radicaux
bourgeois, les francs-maçons surtout qui, pour bien montrer aux socialistes
qu’ils ne sont pas du tout content d’eux, ont désigné, dès leur séance
d’ouverture, M. Augagneur, maire de Lyon et socialiste comme le sont Briand et
Millerand.
Les maçons radicaux, les bourgeois
soi-disant socialistes qui font partie du « Temple » ne sont pas
contents et nous déclarent la guerre.
Nous n’en pleurerons pas. »
L’année 1906 voit le début de ce
conflit qui se traduit, au sein du jeune Parti socialiste, par la volonté
d’interdire aux socialistes d’être maçons. Il s’en faut de peu, au vu des
résultats du congrès. L’offensive reprend presque de suite jusqu’au congrès de
1912, qui se prononce d’une façon plus nette, laissant la liberté à chaque
militant d’appartenir aux organisations de son choix.
Florilèges et extraits :
Jules
Guesde (1847-1922)
ne cachait pas ses sentiments anti-maçonniques quand il déclarait au Congrès
socialiste de Limoges (octobre 1906) :
« Il s'agit de savoir s'il y a,
plus d'inconvénients ou d'avantages pour le parti a ce
que quelques-uns de ses membres fassent partie de la Franc-Maçonnerie. Telles sont
les conséquences d'une pareille présence, alors surtout que dans
quantité d'endroits nous avons à lutter contre les Francs-Maçons ; cette
présence apporte le trouble dans les cerveaux, elle désarme l'action
ouvrière. »
L'année suivante, la Fédération socialiste
du Nord votait la motion suivante au Congrès de Loos :
« Considérant que dans maintes
occasions les représentants de la Maçonnerie ont été complètement hostiles aux
choses et aux hommes de notre parti, le Congrès émet le voeu que les
socialistes ne donnent pas plus leur adhésion à la Franc-Maçonnerie qu'à
toute organisation de ce genre : Ligue des Droits de l'Homme et
autres sociétés. »
Au Congrès socialiste de Nancy, la
même année, le citoyen Bès déclara,
au nom de sa fédération : « Je suis venu ici exprès pour déclarer la guerre à
la Maçonnerie ». Mais son intervention fit long feu, car presque tous les
dirigeants des différentes fractions socialistes qui s'étalent unifiées en 1905
étaient maçons : Allemane, fondateur du Parti Ouvrier Socialiste
Révolutionnaire, Arthur Groussier, fondateur de l'Alliance Communiste, Marcel
Sembat, fondateur du Parti Socialiste de France, et Dazet, secrétaire du Parti
Ouvrier.
Alexandre
Bracke (1861-1955) écrit
un violent éditorial contre la franc-maçonnerie dans l’Humanité du 24 septembre 1906 :
« La maçonnerie acquise au
socialisme ? Il ne faut pas aller si vite.
Il y a des francs-maçons de tous
calibres, assurément. Mais en fait nos camarades d’un peu partout trouvent
devant eux la maçonnerie comme un obstacle rude, et leur besogne n’est pas
facilitée du fait qu’ils trouvent dans l’armée des lévites quelques-uns des
militants qu’ils estiment le mieux et dont ils attendraient le plus. »
Gabier, dans Le Socialiste du 20 octobre 1906 écrit une violente charge contre
la Franc-Maçonnerie :
« Bourgeoise par les couches
sociales où elle se recrute presque exclusivement, la maçonnerie l’est
naturellement dans ses tendances et dans ses actes. Sa formule essentielle,
c’est la démocratie panacée, la métaphysique des Droits de l’Homme, de
l’égalité théorique, du possibilisme et du réformisme d’état. Les constatations
du socialisme marxiste – subordination de toutes les idéologies et de toutes
les formes politiques si démocratiques soient-elles, aux réalités économiques,
séparation des hommes en deux classes ennemies, nécessité pour les producteurs
de mener par leurs propres moyens et jusqu’à complète expropriation leur lutte
internationale contre la bourgeoisie – tout cela est la négation et le
bouleversement des conceptions élitistes des loges, de leur patriotisme honteux
qui flotte du chauvin Doumer au pacifiste Viviani, de leurs espoirs benêts de
confusion et de « paix sociale » sous les rameaux de l’acacia […]
Chacun sait à quel point la maçonnerie est devenue machine à distribuer rubans
de toutes couleurs, usine à petits profits, tremplin pour postes et
candidatures. Mais cela est de son essence bourgeoise, un accident, peut-on
dire, secondaire ; et le point essentiel de conflit demeure toujours, que
le personnel et la doctrine traditionnelle de cette Société sont à l’opposé de
la lutte de classe et de tout le mouvement ouvrier, sont, malgré les efforts
généreux de certains, antisocialistes. »
Pendant les débats du congrès
socialiste de 1906, Philippe Raquillet
dira : « Beaucoup de membres du Parti vont dans les loges ; ils
diront qu’ils veulent amener les maçons au Parti. Nous ne croyons pas cet
espoir réalisable […] nous savons en effet comment sont composées les
loges. » Selon lui : des petits bourgeois et des personnes qui
cherchent leur intérêts personnel, des ambitieux et des roublards. Il
continue : « le travailleur, lui, ne peut pas généralement entrer
dans les loges : il n’est pas assez riche pour payer des cotisations
élevées, encore moins pour acheter des grades. »
Le
docteur Riu, dans Le Progrès du Loiret, en janvier 1908, y
stigmatise cette « institution surannée » qui « sert de
marchepied aux ambitions sans borne des fruits secs et véreux de toutes les
carrières », avant de lancer cet appel : « Si les socialistes
francs-maçons veulent que la République ne soit pas une fiction, s’ils veulent
anéantir la misère après avoir détruit le dogme, qu’ils apportent leurs
lumières dans nos groupes et qu’ils ne restent plus terrés dans les
loges. »
Marcel
Deschamps, dans Le Socialisme du 1er octobre
1910, écrit : « La fraction maçonnique de la bourgeoisie vient-elle à
être menacée dans ses appétits ou dans ses privilèges ? Aussitôt, elle
implore le prolétariat, le supplie d’abandonner ses revendications, et de
n’avoir en vue que l’intérêt supérieur de la République. […] Les socialistes
savent qu’il n’y a pas d’association plus hypocrite, plus haineuse, plus
sectaire que la franc-maçonnerie. »
On peut lire dans Le Socialisme, quelques semaines plus
tard, un rapport adopté par la 7e section de la fédération de la
Seine, dans lequel on peut lire :
« La 7e section
considère qu’il est impossible à un citoyen honnête d’appartenir à la fois à un
parti de lutte de classe voulant abattre la Société bourgeoise et à un
groupement qui en constitue le plus ferme soutien […] Donc, de deux choses
l’une : ou un maçon entre dans le Parti socialiste pour enrayer le
mouvement révolutionnaire de ce parti, au profit de la bourgeoisie ; ou un
socialiste entre dans la maçonnerie pour en tirer des avantages personnels. De
toute façon, les titres de franc-maçon et de socialiste sont incompatibles […]
Le Parti socialiste a perdu 20 ans à combattre les Jésuites noirs, abandonnant
ainsi la lutte contre le capital au profit de la bourgeoisie judéo-maçonnique ;
les jésuites rouges sont plus dangereux que les noirs, et il importe de les
démasquer, et de les mettre à la porte du Parti socialiste, sous peine de
suicide pour nous. »
Le 28 novembre 1910 le libraire Paul Delesalle (1870-1948), militant
anarchiste et syndicaliste révolutionnaire écrit : « La
franc-maçonnerie, de par son recrutement, par sa composition, est pour
l’entente des classes, je suis pour une lutte – qui le devient du reste
toujours plus aiguë – entre les classes.
Par la franc-maçonnerie, je crains
que vous ne détourniez le socialisme de son but réel. Votre but est louable,
mais vous serez noyé, et le socialisme doit se suffire à lui-même, vos
arguments ne m’ont pas convaincu que la franc-maçonnerie lui soit nécessaire
pour triompher. Socialiste et surtout révolutionnaire qui croit que le
socialisme doit être en état de lutte permanente dans la société capitaliste,
je ne peux être l’ami, le frère de l’homme que je combats, ou bien je trompe
ces amis et moi-même. »
Pour préparer le congrès socialiste
de 1912, Lucien Roland dépose ce
texte durant le congrès de Saint-Quentin :
« Considérant que la lutte de
classe interdit toute collaboration avec la clase bourgeoise ; il est
interdit aux membres du Parti d’adhérer à aucune société religieuse ou
philosophique telles que catholiques, juives, protestantes, franc-maçonnes,
libres penseuses et autres.
Au lieu d’éparpiller leurs efforts,
les membres du Parti mettront toutes leurs facultés au service de
l’organisation socialiste qui doit se suffire à elle-même. »
Durant le congrès socialiste de 1912,
Pierre Myrens (1861-1940), ancien
franc-maçon, se penche sur le cas de quelques recrues récentes de la
franc-maçonnerie à Paris, un gardien de la paix, un brigadier de gendarmerie,
un inspecteur de la sûreté générale : « Ces policiers sont dangereux
pour les socialistes parce que si, ouvertement, on accepte des policiers
connus, une fois qu’ils sont initiés dans une loge ils peuvent très bien pénétrer
dans d’autres, et là de bons camarades socialistes et syndicalistes peuvent
être victimes de ces mouchards qu’ils ne connaîtront pas. »
Paul
Poncet, durant ce
congrès, dira : « La franc-maçonnerie est avant tout, et surtout, une
organisation politique. Et, d’abord, soutenir le contraire est une plaisanterie
[…] Ah ! Ce n’est pas une association qui poursuit la conquête du pouvoir.
La belle blague ! Puisqu’elle y est, au pouvoir ! Huit ministres sont
francs-maçons ; presque tous les préfets, les sous-préfets, des généraux,
des policiers. Elle est au pouvoir, elle n’a pas à le conquérir ! La
franc-maçonnerie est l’organisation occulte du radicalisme au pouvoir, et dans
toute son action elle travaille à perpétuer la domination politique de la bourgeoisie
sur la classe ouvrière, et ce n’est pas la poignée de francs-maçons
socialistes, qui sont de bonne foi, qui l’empêcheront de poursuivre ce
but !
Non, camarades, nous ne voulons pas
de fraternité maçonnique, puisqu’elle peut s’opposer à la fraternité socialiste !
Nous n’avons pas besoin de lumière maçonnique ! Gardez votre rat de cave,
le soleil socialiste nous suffit ! »
D’autres intervenants de ce congrès
de 1912, reprochent aux socialistes maçons de ne plus disposer de suffisamment
de temps pour la propagande socialiste. Ainsi, Jean Lebas (1878-1944), futur ministre du Travail du Front
populaire : « Le militant qui veut remplir son devoir, qui sait que
son parti a besoin de son temps […] celui-là n’en a jamais de trop à donner à
la propagande et à l’organisation. »
Ainsi, de nombreuses fédérations
exigèrent que les socialistes maçons quittassent les loges, « ces repaires de
bourgeois ». Il fallut tout le talent de Groussier, Uhry, Francis de
Pressensé et Marcel Sembat pour empêcher le congrès de suivre les anti-maçons.
Effectivement, finalement, voici le
résultat du congrès de 1912 : les socialistes laissent la liberté à chacun
de leurs militants d’appartenir aux « organisations d’ordre philosophique,
éducatif ou moral » de leur choix.
Depuis, les éléments marxistes les
plus hostiles à la Franc-Maçonnerie semblent avoir rejoint le Parti communiste.
L’anti-maçon de droite Jean Bidegain verra avec beaucoup de
justesse dans les conclusions de ce congrès la mort programmée du socialisme.
Un vrai visionnaire, il écrit en effet dans la revue La Franc-Maçonnerie démasquée du 10 mars 1912 : « Cela
est un triomphe sans précédent pour la Secte, car la majorité qu’elle a obtenue
implique la renonciation des collectivistes à leur principe fondamental qu’ils
ont préféré sacrifier plutôt que de paraître hostile aux loges.
L’héroïsme doctrinal des marxistes ne
résistera pas à la fréquentation des bourgeois francs-maçons. Les idées et les
doctrines qui nécessitent le moindre effort finiront par conquérir leur âme et,
en très peu de temps, les farouches révolutionnaires de jadis seront
transformés en des solliciteurs de palmes et de bureaux de tabac. »
Le véritable socialisme signait son
arrêt de mort…
Le périodique Terre Libre, pourfend les « Jésuites rouges » et le
« bénitier judéo-maçon. »
Place, dans La Pensée libre, n°22, critique aussi les « jésuites
tricolores. »
Jules
Vallès (1832-1885), ancien
franc-maçon, discutant un jour avec des francs-maçons, leur répondit
textuellement avec sa truculence coutumière :
« Des foutaises, votre religion
à rebours ! J’aime mieux alors celle des bonnes femmes, que pratiquait ma
tante Marion et que prêchait mon oncle le curé. Dieu tout court, le Dieu des
martyrs et des héros… ou pas de Dieu du tout ! Mais le débaptiser, pour le
rebaptiser, pour le rebaptiser laïquement « le Grand Architecte de
l’Univers », qu’est-ce que ça veut dire, à quoi ça rime-t-il ?
D’abord pourquoi favoriser une
corporation au détriment des autres ? Pourquoi « architecte »
plutôt que vétérinaire ou forgeron ? C’est de la faveur, c’est contraire
au principe ! Et ce jargon, ces emblèmes, ces épreuves comiques, ces
cérémonies absurdes ! J’aime mieux dix fois, cent fois, la messe, le bon
Dieu de Noël et des œufs de Pâques ! Comme je préférerais communier le
Vendredi-Saint, si c’est mon idée, pour me faire du bien à l’âme, que d’aller,
selon le rite contraire, m’empiffrer de saucisson qui me détraquerait
l’estomac.
Oui, j’y suis entré dans votre sacrée
Franc-Maçonnerie, juste le temps de voir ce que c’était et de filer au galop.
Signe pour signe, la Croix représente un idéal, un refuge, le souvenir d’un
grand supplice… Votre truelle symbolise la solidarité des fringales, la
coalition des ambitions, le « tout-à-nous » des intérêts. »[11]
Vallès critiquait alors souvent les
« calotins de la démocratie ».
Urbain
Gohier (1862-1951)
écrivait dans l’un de ses perspicaces articles (Leur République, Paris 1906, pages 107-108) : « Le cléricalisme
n’est pas l’attachement fanatique à un dogme donné ou à certaines pratiques,
c’est une forme particulière de la pensée, qui s’exprime surtout par
l’intolérance. La plus grande partie des soi-disant anticléricaux d’aujourd’hui
sont des cléricaux protestants ou des cléricaux juifs, qui combattent la religion
catholique au profit de la leur ; ou bien des sectaires maçonniques encombrés
de vains préjugés, de vaines cérémonies et de bibelots encore plus ridicules
que ceux du clergé. Leurs principaux meneurs sont des ex-prêtres ou des
ex-moines qui ne peuvent pas se débarrasser de leurs habitudes mentales
acquises précédemment et qui rétablissent dans la Libre Pensée des Noëls
païens, des Pâques socialistes, des baptêmes civils, des communions et surtout
des excommunications, et remplacent les jeûnes, les évangiles, les credos, les
catéchismes et les billets de confession par des banquets. »
Gustave
Tery (1870-1928),
républicain radical, franc-maçon, écoeuré du scandaleux régime des fiches
inauguré par le Grand Orient sous le ministère Combes, écrivit un ouvrage
intitulé : « Laïcisons la Franc-Maçonnerie. » (Paris, L'Oeuvre,
1904).
Il met en lumière notamment tout ce
qu’il y a de burlesque dans les mômeries d’une secte qui, tout en raillant et
en combattant le culte catholique, s’applique non seulement à le copier, mais à
exagérer jusqu’à la bouffonnerie les pratiques rituelles.
Vacher
de Lapouge (1854-1936),
dans son ouvrage L’Aryen, page 365,
critique « le christianisme, d’église ou laïque. »[12]
Da
Costa critiquait
« les socialistes dévots. »
Avec l'affaire Stavisky
(décembre 1933), certains radicaux s'émurent à leur tour de
l'emprise des maçons sur la vie publique.
Gerbelin
F.-B., se présentant
dans st ouvrage comme Anti-maçon « républicain et laïque. » : Les Trois ennemis publics de la France et
des Français. 1 ̊ La franc-maçonnerie dévoyée. 2 ̊ Les métèques à
plusieurs nationalités. 3 ̊ L'indifférence sociale, Albert Messein,
1935.
Voici ce que l’on peut lire sous la
plume de Denis Lefebvre, pages 172-173 :[13]
« Nous sommes en avril 1905, à
Béziers, pendant un banquet célébrant la récente unité socialiste, et la
naissance de la SFIO. Jean Sagnes évoque les propos tenus à cette occasion par
l’ancien maçon Marcel Cachin, guesdiste inconditionnel qui, « ne
s’embarrassant pas de figure de rhétorique, attaque la franc-maçonnerie et
Lafferre, député de Béziers, président en exercice du Grand Orient récemment
compromis dans l’affaire des fiches. Cachin va droit au but, et déclare que
Lafferre est un des hommes les plus détestables qu’il connaisse ! Cela
provoque un beau tumulte de la part des francs-maçons présents. » Jaurès
intervient en dernier, et n’hésite pas à déclarer, selon La Dépêche, que « les plus grands ennemis du socialisme sont
ces radicaux et ces radicaux-socialistes sont l’équivoque a été dénoncée toute
la journée. »
Le quotidien radical local, Le Petit Méridional, commente ainsi le
banquet de Béziers : « le but réel de la journée […] une campagne
antiradicale, antimaçonnique », et soupçonne Jaurès de « servir, par
son admirable talent de parole, une entreprise personnelle, mesquine,
malsaine ! »
Certes, Jaurès n’a pas cité la
maçonnerie, mais ses propos peuvent paraître ambigus, et permettent de faire
l’amalgame.
Proche de Jaurès à une certaine
époque, le socialiste maçon André Lebey apportera en 1923 son témoignage sur le
rapport du chef socialiste à la maçonnerie :
« Au congrès de Lyon, où se
débattaient sous les assauts répétés des guesdistes les rapports du socialisme
et de la franc-maçonnerie, après m’avoir longuement interrogé sur celle-ci,
Jaurès décréta sur un ton d’amical reproche : « Je vois ce qu’il en
est ; le Parti est votre femme, la franc-maçonnerie votre maîtresse, et
c’est elle que vous préférez. » Je m’efforçais vainement de lui faire
comprendre que toute la recherche de ma vie sentimentale avait été de ne les
séparer point afin de réunir les deux en une seule et même femme, il refusait
de me croire. »[14]
Voici le
texte intégral d’une conférence d’Emile
Janvion ( ?-1927), anarcho-syndicaliste libertaire, socialiste
révolutionnaire et athée, sur : « La Franc-Maçonnerie et la classe
ouvrière », donnée le 3 avril 1910, à l’Hôtel des Sociétés Savantes :
« Camarades,
Depuis quelques années, j'ai dénoncé
le péril maçonnique dans le syndicalisme. Je dois avouer que mes coups ont
considérablement porté.
Au moment où, désireux, pour mon compte,
de clôturer une propagande sur laquelle je me suis un peu trop attardé, des
amis m'ont prié d'exposer dans un débat contradictoire, devant le grand public,
les arguments qui militent en faveur de ma thèse.
Je suis venu au rendez-vous. J'espère
que mes contradicteurs y seront aussi. Et, dans tous les cas, s'ils n'étaient
pas ici, leurs prétextes de compromis syndicato-maçonnique y seront pour eux,
sous leur signature.
Les meneurs menés du Syndicalisme
Quelques-uns d'entre nous ont cru
pendant longtemps que la solution de la question sociale était simple ; que
l'homme pouvait vivre l'idéal sans l'avilir ; qu'il pouvait tenter de donner un
minimum d'expression désintéressée à ses sentiments de révolte. Nous avions
compté sans les combinaisons souterraines et les manoeuvres occultes.
Supposez quelques centaines de mille
d'exploités. La force de leurs revendications va sans cesse grandissante ; elle
va devenir une menace terrible pour les puissances d'argent. Cette force est
d'autant plus redoutable qu'elle va s'exprimer, brutalement, simplement, sans
détours. Le flot monte ; il peut, devenant inondation, submerger une société de
mensonges, d'hypocrisie, de scandales et de crimes.
Il s'agit d'endiguer le torrent, de
le capter.
La Bourgeoisie trouvera bien un homme
d'Etat, habile, retors, subtil casuiste de .diplomatie sociale, M.
Waldeck-Rousseau, par exemple. Celui-ci comprendra l'utilité d'une loi captieuse, en
apparence bienveillante, disons le mot socialiste, humanitaire — la loi de 1884
sur les syndicats.
Dès lors, on a jeté sur cette masse
d'exploités le réseau légal. Les gens de sac et de corde, camarades exploités,
vont, au nom du sac, vous codifier...
Le syndicalisme est créé. Chaque
travailleur « conscient et organisé » est alors parqué, matriculé, embrigadé en
catégories, par professions.
L'homme de loi a prévu qu'étant donné
l'esprit moutonnier de l'a foule, celle-ci se donnera bien vite des « chefs »,
des « meneurs », des Guillot, bergers de leur troupeau. Cette constatation est
si évidente qu'un journal insurrectionnel n'a d'ailleurs pas craint de
consacrer cyniquement cet état d'esprit avilissant, en proposant récemment aux
salariés de des militariser révolutionnairement.
Voilà donc les salariés soumis aux
meneurs. Supposez maintenant ces meneurs reliés à des puissances occultes, par
des fils mystérieux et invisibles, à une Association secrète, à une Confrérie
laïque de 40 000 mouchards officieux vivant de délation, au détriment de 40
millions de Français et les reliant au Pouvoir. Vous aurez ainsi compris
comment les Dirigeants ont pu forger le paratonnerre qui, placé sur la toiture
du capitalisme, dissipera la foudre.
Les fils occultes
Voilà, en cette courte préface, tout
le sujet que je vais aborder avec détails, ce soir, et qui est précisé par
notre ordre du jour : « La Franc-Maçonnerie et la Classe ouvrière ». Sujet
ardu, hérissé de documents, pour la lecture desquels je solliciterai tout à
l'heure votre bienveillante attention.
Est-ce à dire que la classe ouvrière
soit la proie de la Franc-Maçonnerie, que celle-ci tienne le mouvement ouvrier
à sa merci ? Je me hâte de dire qu'il n'en est rien.
Grâce à nos cris d'alarme, le coeur
du syndicalisme est resté sain et net de toutes compromissions. Et je puis
déclarer ici, sans crainte d'être démenti, que ceux qui ont entrepris la
campagne antimaçonnique ont, avec eux, non seulement la majorité, mais j'affirmerai
— en excluant seulement les profiteurs — l'unanimité du prolétariat français.
C'est que la classe
ouvrière révolutionnaire française, dans sa simplicité, ne comprendra jamais
l'utilité d'une association secrète dont les chefs sont au pouvoir. Elle comprendrait
une association secrète composée de révolutionnaires conspirant pour renverser
un tyran, détrôner un dictateur, renverser une monarchie. Mais que penser de
cette Confrérie de Mardi-Gras, figée dans des rites caducs, réunie
hypocritement sous le secret a. g. d. g. pour le bénéfice jaloux de ses
privilèges exclusifs, au profit des Maîtres de l'heure, dont elle sollicite les
sinécures et favorise la digestion ? Elle ne s'y trompe pas. D'instinct, elle
sent, elle comprend que la Franc-Maçonnerie, maîtresse de la France, ne peut
être qu'une antichambre d'arrivistes domestiqués, de délateurs et de lâches.
Mais est-ce vraiment la faute de
cette centaine de militants influents, qui se sont laissés séduire par les
charmes occultes de la Veuve ? Et pouvons-nous incriminer leur mauvaise
foi et leur trahison ? Ce seraient là de bien gros mots. Leur naïveté,
leur inconscience ? Oui. Leur mauvaise foi ? Non.
Il était temps d'enrayer le mal. Et,
il faut le dire, le mal réside dans le mode d'élection absurde des fonctionnaires
de syndicats, dont la perpétuité des fonctions syndicales semble avoir mis
entre leurs mains les destinées du mouvement ouvrier. Si les syndiqués ne
toléraient pas, par apathie, indifférence ou paresse, la création d'une aristocratie
de fonctionnaires, d'une carapace de permanents formée au-dessus du
syndicalisme et qui empêche toute libre et loyale conversation avec la masse
des syndiqués, ils ne permettraient pas aux forces de corruption de penser que
lorsqu'elles auront les meneurs, elles auront les menés, lorsqu'elles auront
les bergers, elles auront le troupeau.
Et pour avoir les « chefs », la Franc-Maçonnerie
— je vais vous le prouver — a tout mis en oeuvre.
Les séductions de la Pieuvre
Et, certes, les moyens ne lui
manquent pas.
De toutes parts, la Pieuvre
maçonnique étend ses tentacules et présente ses suçoirs pour son recrutement.
Un nombre considérable de groupes, d'amicales, de comités
républicains, de jeunesses socialistes, ne sont que les filiales de la Veuve.
Sachez que les groupes de libre pensée, de patronages laïques, les digues de
droits de l'homme, etc., ne sont que des succursales du Grand-Orient ou du Rite
écossais, où les agents recruteurs opèrent le .tri des adhérents
sur la qualité (d'utilité) et non sur la quantité...
Pour attirer le profane qu'on veut
utiliser, on lui fait entendre que la Franc-Maçonnerie est une association très
puissante et vénérable. On parle d'elle avec des airs graves et respectueux.
Elle est la gardienne du progrès, à l'avant-garde de la démocratie. Lumière !
Vérité ! Justice ! Ses origines se perdent dans la nuit des temps ! Puis, on
lui laisse entendre finalement, ce qu'il comprend au mieux, que cette association
offre à ses adeptes une foule d'avantages matériels et que « ça ne se saura pas
». Tout profit, mystère et discrétion ! Ça vaut mieux qu'un prospectus de
pharmacien !
Pas besoin d'un article de foi, comme
le novice qui entre en religion, puisque le profane ignore tous des mystères
de la secte. Un article d'intérêt. Il sait qu'il va entrer dans une société où
il trouvera d'excellentes relations pour élections, s'il est candidat ; pour
clientèle, s'il est avocat, commerçant ou médecin ; pour l'avancement, s'il est
fonctionnaire.
Notre bon républicain anticlérical,
qui s'éteindra dans les bras de l'Eglise, sait qu'en entrant dans les loges, il
fait une bonne affaire. C'est pourquoi il consent à se soumettre à des
simagrées, dont le ridicule et l'odieux offensent la dignité de l'homme, à des
grimaces rituelles qui feraient rouler d'hystérie tous les singes du jardin
d'acclimatation.
Le Permanent... convoité
Le voilà à son tour, notre bon
militant influent qui s'est fait recruter par l'émissaire des loges. Le voici,
ce bon révolutionnaire « sans Dieu ni Maître », au moment où il pénètre dans
cet ordre laïque.
Cet iconoclaste est d'abord enfermé
dans le cabinet des réflexions, où il doit faire son testament devant une tête
de mort. Il en est extrait pour être introduit dans la salle des réceptions,
les yeux bandés, traînant ses souliers en pantoufles, la pointe du glaive du Frère,
terrible, dirigée sur sa poitrine découverte. Après des questions puériles et
insidieuses, on lui fait faire trois voyages symboliques ; puis il doit prêter
serment de ne rien révéler de ce qui se dira ou se fera sous le temple. On lui indique,
enfin, le signe, le mot de passe, et il est proclamé apprenti. Dès lors, il a
droit à la solidarité maçonnique, au manuel de l'apprenti et à ce que
j'appellerai, révérence parler, le scapulaire du nombril, alias, le
tablier en peau de cochon.
Du premier grade, l'apprenti pourra
passer compagnon en demandant, selon le jargon maçonnique, « une augmentation
de salaire ». La réception du compagnon sera agrémentée de cinq voyages
symboliques, au lieu de trois.
La Maîtrise se confère avec une
solennité sans précédent et d'incroyables macabreries. Outre les têtes de mort,
les draperies funèbres et les tibias, on découvre dans la salle le cercueil
d'Hiram, que le récipiendaire doit enjamber en marquant le pas rituélique.
On brûle, dans une pipe spéciale, un
peu de poudre de lycopode, et le nouveau Maître se déclare suffisamment éclairé
par la lumière du troisième appartement.
Dès lors, le plus glorieux avenir de
décorations, de ferblanteries, cordons et titres lui est ouvert.
Sachez que le nouvel initié, s'il est
bourgeois et « bon maçon », c'est-à-dire pourvu de « la mentalité maçonnique »,
chère au Très Illustre Frère Blatin, pourra devenir : Kadosch, Rose-Croix,
Vénérable, 33°, Grand Inspecteur Commandeur, Grand Maître Expert, voire même
Grand Ecossais de la Voûte sacrée — titres vraiment pharamineux !
Quant à l'ouvrier, il restera dans
les simples ateliers de la Maçonnerie bleue ou inférieure ; il constituera le
bas clergé, le frère convers de cette Congrégation laïque. On lui réservera, en
récompense des services rendus, quelques miettes de sinécures, quelque vague
recette buraliste ; mais jamais il ne connaîtra les secrets de la secte.
Le Permanent et l'hygiène de ses
contacts
Les épreuves physiques, tant de fois
ridiculisées, constituent pour les nouveaux venus, de très utiles exercices
d'assouplissement moral. Justement, parce qu'elles sont ridicules, il faut une
forte dose de soumission pour s'y plier. La petite honte, que plusieurs en
gardent, formera entre eux un lien de sujétion, analogue à celui qui nous
lierait à des personnes connaissant certains traits peu honorables de notre
existence. En tout cas, ce sont de véritables actes d'humilité qui préparent la
bonne pâte d'apprenti qui acquerra
ainsi la mentalité maçonnique.
Etourdi par ce faste de hiérarchie
burlesque, ahuri par cette féerie d'opéra-bouffe, déconcerté par
cette mascarade de mardi-gras, dans laquelle s'agitent, dans une sorte de foire
aux pains d'épices, tabliers et ferrailles, tibias et cordons, insignes à
couleur d'omelette ou de perroquet, notre bon révolutionnaire — s'il
est normalement constitué — plaquera là le tablier ; s'il reste, il sera bien
vite dissous dans le milieu.
Et quel milieu ? Un milieu
d'honorables dans lequel il ne sera pas peu honoré d'être le frère de personnages
les plus huppés. Mazette ! Le voilà au milieu de tout le gratin du patronat, de
la haute et basse police, de la finance, de la magistrature, du parlement et de
l'armée : généraux, procureurs, maîtres du barreau et de la magistrature,
dignitaires de la politique et de l'État.
S'il est secrétaire d'un syndicat du
bâtiment, par exemple, il pourra traiter de « cher frère » le Frère Villemin,
président de la Confédération du Travail patronal ; s'il est syndicaliste
anarchiste, il pourra donner du « cher frère » également aux agents de la
Sûreté, et assister à la préparation de meeting, comme celui de l'anarchiste Frère
Ferrer, qui fut présidé par le Frère général Peigné, dans cette salle même où
le spectacle d'une aussi monstrueuse conjonction fit que les tables et les
chaises partirent toutes seules ; si, comme manifestant, il a subi la brutalité
des agents, il pourra assister à des conférences à l'envers, comme celle du 25
octobre dernier, à la loge Thélème, sur le sujet suivant : « Il n'y a
pas de passage à tabac ! », par le Frère C.., gardien de la paix ; s'il
est socialiste, il comprendra bien vite l'avantage électoral que peuvent
apporter les relations maçonniques du Très Illustre Frère Sembat avec le non
moins Très Illustre Frère Mascuraud, grand électeur de la République française,
etc.
Qu'on n'objecte rien en
faveur des loges dites avancées ; elles doivent se conformer, comme toutes les
autres au Rituel, à la Constitution maçonnique que doit faire appliquer le
Conseil de l'ordre. Et les maçons de toutes loges et de toutes obédiences, ont
le droit et le pouvoir d'être conférencier ou public dans telle loge qu'il leur
convient.
A l'escalade sur le dos des profanes
Ah ! Notre syndicaliste confédéré
d'action directe ne va pas
s'ennuyer dans ces officines ; il ne va pas tarder à être fixé sur
la cuisine électorale qui se prépare dans les loges pour le bonheur de la
France ; il sera, pour cela, c'est le cas de le dire, aux premières loges, car
la Franc-Maçonnerie est l'agence électorale rêvée pour tout candidat.
« Nous
avons organisé dans le sein du Parlement, déclare le Bulletin du Grand Orient (1901) un véritable syndicat de maçons. »
Syndicat phénomène auquel nous devons
la présence au Parlement de près de 500 législateurs maçons (sur 800 parlementaires
des deux Chambres), disposant des places, emplois et faveurs.
Savourez encore cette déclaration de
l'Assemblée générale du Grand-Orient (1902) :
« Nos
institutions publiques sont aujourd'hui, d'une façon toute naturelle, entre les
mains des Franc-Maçonnerie de France. La Franc-Maçonnerie est la République à
couvert, comme la République est la Franc-Maçonnerie à
découvert. »
L'impayable Frère Blatin,
qui possède le titre mirifique de Grand Commandeur du Collège des rites, porte
un toast en ces termes, lors d'un banquet maçonnique (Convent de 1902, page
372) :
« En
buvant à la maçonnerie française, à toutes les maçonneries françaises, je bois
en réalité à la République, puisque la République, c'est la Franc-Maçonnerie
sortie de ses temples, de même que la Franc-Maçonnerie c'est la République à
couvert sous l'égide de nos traditions et de nos symboles. »
Ecoutez ce cri d'arrivisme (poussé
dans le Bulletin maçonnique (1900)
:
« Le
Franc-Maçon doit être citoyen... Mais il doit être franc-maçon d'abord,
candidat, conseiller de la cité, député, sénateur, ministre, président de la
République ensuite. Il doit s'inspirer sans cesse de ses sentiments maçonniques
et plus ses fonctions publiques sont élevées, plus il a le devoir de venir puiser
des inspirations parmi les Frères, non à l'Orient sous le dais, mais à son rang de simple Maçon. »
La Veuve a tout prévu, si les
candidats n'appartiennent pas
tous à la Franc-Maçonnerie, tous peuvent la servir. En conséquence, voici les instructions de la
Circulaire du Conseil de l'Ordre
(17 juillet 1903) :
« Avant
d'accorder votre confiance aux candidats qui sollicitent votre appui, demandez
à ceux qui sont Franc-Maçonnerie
s'ils prennent l'engagement d'honneur,
une fois élus, de ne pas oublier qu'ils sont Maçons ; usez de l'influence que
vous donne votre qualité d'électeur sur les comités électoraux, pour leur
demander à tous, initiés ou non de notre grande famille, s'ils
promettent de défendre la Franc-Maçonnerie. »
Tout pour la Veuve qui doit être
toute-puissante. Cueillez cette perle pour écrin de « liberté d'opinion », dont
les Frères trois-points ont plein la bouche :
« Si
la Maçonnerie veut s'organiser, non pas sur le terrain des idées, mais sur le
terrain pratique, je dis que, dans dix ans, la Maçonnerie aura emporté le morceau
et que personne ne
bougera plus en dehors de nous. » (Bulletin
du Grand Orient, 1890, p. 500.)
Et pour garder le « morceau » qu'elle
a emporté, elle a, de longue date, travaillé à un plan d'envahissement hypocrite
et ténébreux. Elle déclare qu'elle doit s'insinuer partout, dans tous les
groupements, dans toutes les sociétés. Cette tactique remonte à trente années,
au Congrès de Nancy (1882). En voici la preuve fournie par le Congrès des loges
de Nancy :
« Quand,
sous l'inspiration d'une Loge, un noyau de Maçons, aidés de tous les amis
profanes, ont créé une Société
quelconque, ils ne doivent pas en
laisser la direction à des mains profanes. Tout au contraire, il faut qu'ils
s'efforcent de maintenir, dans le Comité directeur de cette Société créée par eux,
un noyau de Maçons qui en restent comme la cheville ouvrière et qui, tenant la direction de la
Société entre leurs mains, continueront
à la pousser dans une voie conforme aux aspirations maçonniques.
Quelle
force n'aura pas la Maçonnerie sur le monde profane quand existera, autour de chaque Loge, comme une couronne de Sociétés dont
les membres, dix ou quinze fois plus nombreux que les Maçons, recevront des
Maçons l'inspiration et le but, uniront leurs efforts aux nôtres pour le grand
oeuvre que nous poursuivons ! » (Congrès des Loges, Nancy, juillet 1882.)
La voilà bien la secte en marche à
travers tous les rouages de la Société. Et vous allez la voir envahir sous le masque des « ligues d'enseignement
», nos Facultés, nos lycées et nos écoles et sous le couvert des
« Amicales » et des « Associations fraternelles », toutes les
administrations, puis, depuis 1900, tous les syndicats.
Tout d'abord, c'est le syndicalisme
du prolétariat administratif qui est l'objet de ses convoitises. Si les
cheminots, les P. T. T., les
instituteurs sont conquis par les sectateurs du Triangle, quelle sécurité et
quelle tranquillité pour la digestion du Capitalisme bourgeois !
Voici ce que déclarait le Congrès des
loges, tenu à Gien en 1894, par
la bouche du Frère Fruit, alors sous-préfet :
« Il
est nécessaire que ceux de nos Frères qui sont au pouvoir placent le plus de Frères maçons possible à leur suite
dans les ministères et à la tête des différentes administrations de l'Etat,
des départements et des communes. »
Méditez bien, ô profanes, ces
mémorables paroles qui méritent d'illustrer toutes les préfaces des Manuels de l'arrivisme fonctionnaire. Et
vous comprendrez, enfin, la raison d'être de la Franc-Maçonnerie, qui
est tout entière dans ce terrible cri de guerre du ventre poussé par 40 000
aigrefins, édifiant leur fortune sur la carcasse de 40 millions de Français,
victimes imbéciles et innocentes.
Les fonctionnaires de l'Etat vont,
immédiatement, pour chauffer leur avancement, se jeter, à triangle perdu, dans
les Loges. Sachez que leur proportion, dans la Caverne, est de 87 0/0 !
Je vous ai dit, tout à l'heure, que
les « Ligues de l'enseignement » n'avaient été que le masque sous lequel la Franc-Maçonnerie
s'était emparée de l'enseignement et de la jeunesse des écoles. Ecoutez ce que
disait, en 1902, le Frère Massé, aujourd'hui ministre, de je ne sais plus quoi
:
« Dans
chaque pays, déclare le Frère Massé, fondez un cercle de la Ligue ; ce cercle,
une fois fondé, on devra avec soin y perpétuer un noyau de jeunes maçons de
manière que la jeunesse des écoles se trouve directement soumise à l'influence
maçonnique. »
L'Enseignement — pierre d'assise de
la République — allait être le grand oeuvre d'accaparement. Le théâtre et la
presse allaient suivre. Mais allons rapidement au fait, en ce qui concerne la classe ouvrière.
Le petit travail de la Veuve
Le syndicalisme est, depuis vingt
ans, devenu une force avec laquelle la Bourgeoisie maçonnique devra compter. Il
faut capter, endiguer cette force ; ce problème a été posé au début de mon exposé.
Accourent aussitôt, sous le couvert
de l'anarchisme ou du socialisme révolutionnaire, les orateurs des loges, qui
vont évangéliser anticléricalement les masses et leur faire perdre ainsi,
écoutez-moi bien, le but économique de l'organisation syndicale.
A l'aide de conférences purement
anticléricales et d'un anticléricalisme spécifique (les preuves de la
non-existence de Dieu, les crimes de Dieu, la faillite du christianisme, etc.),
conférences mitigées de temps en temps de vagues sujets révolutionnaires, on
opérera habilement une diversion perfide dans les préoccupations ouvrières.
Pendant qu'il pense à Dieu,
l'exploité pense moins au patron anticlérical ; pendant qu'on parle de la «
faillite du christianisme », on ne pense plus à l'escroquerie du milliard des
congrégations, rentré dans la poche de nos Seigneurs judéo-maçonniques ; et
comment « les crimes de Dieu » (qui n'existe pas) ne feraient-ils pas pardonner
les crimes de Rothschild (qui existe tant !) ?...
Une voix.
— Vous faites le jeu des
curés !...
Janvion. —
Je ne fais le jeu de
personne. Mais je préfère un curé qui porte franchement sa soutane à un
franc-maçon qui vit de délation et qui cache son tablier...
Cette propagande de diversion
purement anticléricale, date d'au moins l'année 1880.
J'aurais des choses, vraiment
expressives de béatitude splendide et innocente à vous servir sur le cas mental
d'une foule de révoltés qui se croient anarchistes et qui ne sont que des
ouailles très habilement parquées et hallucinées par des billevesées
susceptibles de faire pâlir Homais. Mais arrivons vite au centre de notre
opération.
L'anticléricalisme a préparé le
terrain.
Il fut une excellente distraction
pour les diversions de révolte économique. Il s'agit de réaliser.
Les décisions maçonniques antérieures
cependant ne facilitent pas le recrutement ouvrier.
Au Convent de 1892, les Frères
avaient déclaré :
« Il faut que le candidat au
titre de Franc-Maçon ait des
ressources convenables. » — « Ne
présentez jamais dans les Loges
que des hommes qui puissent vous présenter la main et non vous la tendre. »
Au même Convent, le Très Illustre
Frère Matin avait fait observer que les travailleurs ne pouvaient être appelés
dans les Loges « pour des motifs d'ordre financier. »
Le Frère Bourguet, au Congrès des
Loges du N.-O., déclare :
« L'élévation
des sommes à payer fait que la Franc-Maçonnerie ne peut pas pénétrer dans la
masse du peuple et reste une association bourgeoise. »
Mais l'Affaire Dreyfus survient. Les
groupes de Libre-Pensée, reliés au Comité républicain du Commerce et de l'Industrie,
que préside le Frère Mascuraud, également relié au Comité du parti radical et
radical-socialiste, dirigé par le Frère Lafferre, reliés aussi aux
révolutionnaires par les socialistes et anarchistes des Loges, avaient, dès
mars 1899 (un peu après la mort de Félix Faure), reçu le mot d'ordre du
Grand-Orient, longtemps hésitant. Les syndicats eux-mêmes furent touchés par
les incitations maçonniques des Frères Briat, Craissac, Sembat, Allemane.
Habilement mobilisées par les Loges, les forces ouvrières avaient participé au
mouvement de la rue et au profit de la politique judéo-maçonnique : tous se
rappellent l'équipée de Longchamp et la fête du « triomphe de la
République ». C'est grâce à l'appui du peuple, encadré politiquement et
maçonniquement, que la révolution dreyfusienne a pu s'opérer.
Désormais, les forces ouvrières
étaient classées au tableau des valeurs de gouvernement. II ne s'agissait
plus que de les « militariser » maçonniquement et elles constituaient ainsi
une excellente réserve pour la Confrérie — « qui est la République à couvert »,
ne l'oublions pas.
Le Convent de 1900 décide de baisser
les prix d'adhésion. Pour le grade d'apprenti, ce serait 25 francs ;
compagnon, 10 francs ; maître, 15 francs ; grades capitulaires, 30 fr.; grades
philosophiques, 30 francs.
Pataud et moi pouvons affirmer que,
ces dernières années, des propositions d'adhésion ont été faites, aux membres
de la C. G. T. pour moins cher : pour rien.
Et alors, c'est la chasse
au recrutement. Des équipes de syndicalistes maçons s'y emploient. On choisit,
de préférence, ceux qui, dans l'usine et l'atelier, sont capables d'exercer
une influence dans les milieux ouvriers. Leur affiliation demeurera inconnue et
leur propagande, à leur tour, n'en sera que plus efficace.
Le 22 février 1904, la nouvelle
pénétration ouvrière est consacrée par l'installation solennelle d'une première
loge, destinée à recevoir les ouvriers : les Travailleurs socialistes
de France. Cette inauguration eut lieu sous la présidence de Frère
Lafferre, assisté des Frères Rozier, conseiller municipal ; Brunet, orateur de
l'Etoile polaire ; Heippenheimer, du Conseil supérieur du Travail ;
Bagnol, etc.
C'est de cette loge que partira le
principal mouvement de recrutement ouvrier, réduit et trié selon la qualité ou
l'influence syndicale de l'adepte.
Favoritisme aux Frères
Délation contre les Profanes
En même temps, le prolétariat
administratif est travaillé parallèlement ; le recrutement y sévit avec rage.
Instituteurs, employés de mairie et de préfecture, employés des contributions
directes et indirectes, P. T. T., cheminots, etc., désireux de mettre avec
fruit les audaces arrivistes du Frère Fruit (citées plus haut), s'engouffrent
dans les Loges.
Une fois maçons, les fonctionnaires
qui ont reçu, avec la lumière, la promesse des bonnes sinécures, se hâtent,
selon le mot d'ordre souligné dans mes documents précités, de créer des
« groupes fraternels » qui vont organiser le recrutement mesuré et
savant. Comme dans l'armée, l'administration va dès lors être soumise à une
délation caractérisée.
Voulez-vous des preuves ? En voilà :
Voici une circulaire adressée par le Frère
Saint-Bauzel, président du groupe « amical » des employés des Contributions
indirectes à tous les vénérables des loges de France et des colonies. Dégustez
doucement ce petit chef-d'oeuvre d'offre de service pour délation :
« Ce 20 septembre 1910.
Très Cher Vénérable et Très Chers
Frères,
Le Groupe
fraternel des contributions indirectes, exclusivement composé de Frères en activité,
disséminés dans toute la France, fonctionne depuis huit ans. Tout récemment,
son président allant appris que deux fonctionnaires des indirectes avaient
sollicité leur initiation dans une Loge parisienne s’est procuré des
renseignements complets sur les deux profanes. Ces renseignements étaient si
défavorables que les deux postulants ont dû retirer leur demande.
Désireux
avant tout de n'admettre parmi eux que des profanes absolument sincères et dignes, ainsi que nous le demande la constitution
maçonnique, nous avons pensé que les renseignements, que nous sommes en mesure
de fournir aux ateliers auprès desquels des profanes de noire administration
sont en instance d'initiation, seraient toujours très utiles pour éclairer plus
complètement les Loges sur les mérites des postulants. Dans les grandes villes
surtout, et en particulier à Paris, les renseignements donnés dans les rapports
des enquêteurs ne sont, la plupart du temps, malgré le dévouement de ces
derniers, que des impressions superficielles ou sont fournis par les candidats
eux-mêmes sans aucun contrôle.
Le Groupe
Fraternel des Contributions indirectes se met entièrement à la disposition des
ateliers des deux obédiences pour leur procurer les renseignements les plus
complets sur les candidats
de cette administration.
Attachant
« une importance particulière » à la présente note, nous vous prions de vouloir
bien la faire afficher dans vos parvis ou en faire prendre note spéciale dans
votre registre des procès-verbaux.
Pour le Bureau :
Le
Président, Saint-Bauzel,
Commis
principal des Contributions indirectes,
6, rue du Pont-Colbert, Versailles
(S.-et-O.). »
Voilà donc une note à laquelle « le
groupe amical des C. I. » attache « une importance toute particulière », qu'il
recommande de « faire afficher dans les temples ». Elle signale l'existence
d'un bureau de renseignements qui a
son siège à Versailles et qui pourra moucharder les employés « disséminés » dans tout le pays et aussi se
faire juge (comment ?) de la qualité de sincérité et de dignité des profanes...
Même vilenie et même bassesse dans la
société de recrutement maçonnique pour cheminots, appelée « l'Amicale du Rail ». Ce nom de
groupement « Amicale du Rail » désigne le groupement fraternel des agents de
chemins de fer français, des cheminots. La dernière grève de cette
corporation, son issue lamentable, lui fournit toute sa saveur.
Lisez attentivement ce document qui
dévoile tout le petit travail bas et vil des mouchards de Loges à travers les
travailleurs de la voie ferrée, inconscients de cette police abjecte :
« L'amicale
du rail
Groupement fraternel des agents des
chemins de fer français
Réunions : 3e Vendredi de
chaque mois, 16, rue Cadet
Adresser
la correspondance au Président 40,
rue Saint-Vincent, à Mantes
Paris, le 24 février 1909.
Très Cher
Vénérable,
Soucieux avant tout de la discipline maçonnique, c'est sous les
auspices de la Respectable Loge « Liberté par le travail », Ordre de Mantes,
que nous nous plaçons pour adresser la présente
planche.
Elle a
pour but de porter à la connaissance des Membres de votre Respectable Atelier
la constitution de notre Groupement et de leur faire part de nos intentions
et de nos craintes.
Vous n'ignorez pas qu'actuellement, par suite du rachat de l'Ouest
par l'Etat, les Loges des deux Obédiences
sont assaillies de demandes d'initiation émanant de camarades dont les opinions politiques n'offrent le
plus souvent qu'une garantie relative pour la Maçonnerie.
En
présence de cet état de choses, nous estimons qu'il est de notre devoir
d'élever une digue de
salut à la Maçonnerie et de mettre les
Loges en garde contre cet envahissement.
Notre
groupement, comprenant actuellement un nombre important de Frères sur tous les
réseaux, est à même d'adresser aux Ateliers qui pourraient avoir quelque hésitation
sur la valeur des profanes tous renseignements qu'ils voudraient bien
lui demander. (Voyez délation !)
Nous
espérons que vous voudrez bien accueillir favorablement nos offres et que vous
n’hésiterez pas à vous entourer de toutes les garanties que comporte la
situation actuelle.
Veuillez,
Très Cher Vénérable, agréer l’assurance de nos sentiments fraternels dévoués.
Le
Président : Goust (18e). »
Comprendrez-vous, ô révolutionnaires,
pourquoi « le rachat de l'Ouest par l'Etat » a pu déterminer un afflux de
demandes d'initiation maçonnique ? Et le Frère Goust, au nom de ses camarades
cheminots maçons, accourt pour veiller au grain de la curée que les initiations
doivent accorder, au détriment des profanes, aux seuls chevaliers du triangle.
Le signataire de cette lettre fut
d'ailleurs nommé, fin 1909, membre du Conseil d'administration des chemins de
fer de l'Etat. Le Frère Goust était employé dans les bureaux de traction des
chemins de fer et membre du Conseil d'administration du Syndicat national des Travailleurs
des Chemins de fer, syndicat affilié à la C. G. T. De qui donc le Frère Goust,
favori du ministère, servira-t-il les intérêts contradictoires : de la
maçonnerie, du syndicat ou du ministère ?
Dans les Organisations syndicales
Au moment où ces pièces me tombaient
sous les yeux, j'avais déjà été éclairé, dans ma vie syndicale, par quelques
cas typiques, ne serait-ce que par les cas maçonniques qui illustrèrent la
fondation du Syndicat des Employés municipaux, dont furent témoins avec moi les
regrettés Charles-Louis Philippe et Lucien Jean.
A peine notre syndicat fut-il formé,
qu'au Conseil syndical on entendit, par des lapsus, involontaires
sans doute, régir la discussion en ces termes : « La parole est au frère
Untel. » Total : quelques centaines de démissions brusques.
D'autres incidents qui se
produisirent à l'Union des Syndicats de la Seine et au sujet desquels j'étais
intervenu violemment, me fixèrent sur la gravité de l'invasion du Grand-Orient auquel les
ouvriers offraient, sans le savoir, une hospitalité vraiment écossaise.
Mes déclarations antimaçonniques à la
tribune retentissante du meeting de l'Hippodrome me valurent une pluie de
documents.
Dans les bulletins maçonniques qui me
furent dès lors adressés par d'excellents anonymes, je pouvais, à la même
époque, saluer au passage de nombreuses initiations (cinq ou six par semaine)
de permanents de syndicats.
Bien plus, le jour où était initié un
des secrétaires de l'Union des Syndicats de la Seine, le sujet conférence suivant
était à l'ordre du jour de la Loge la « France socialiste ». (Bulletin des Loges, 5 mars
1910.)
Du rôle des Maçons dans le conflit de
la Chambre syndicale des Employés.
Tous les frères, employés de
commerce, étaient invités à apporter le concours de leurs lumières.
Ainsi donc, voilà une question
intéressant la vitalité essentielle d'une organisation, discutée dans une Loge,
en collaboration de classes, à l'abri de l'indiscrétion des salariés. D'où il
résulte, par cet exemple frappant, que, discussions, solutions, conflits
syndicaux et, par conséquent, élections, propositions, délégations, votes, vie
intérieure du syndicalisme sont quelquefois à la merci des résolutions
secrètes prises en collaboration avec le patronat intéressé et en dehors des
syndiqués intéressés.
Plus encore ! Si vous tenez à
savoir comment on peut créer ou favoriser la création maçonnique d'un syndicat,
oyez la lecture de la petite lettre suivante :
« Très
Cher Vénérable,
Je vous
serais obligé de bien vouloir porter à la connaissance des membres de votre
Royal Assemblée qu'il vient de se former à la Bourse du Travail un syndicat de
sténo-dactylographes (femmes et hommes) dont
vous trouverez sous ce pli les
statuts.
Si parmi nos Frères se trouvent des sténographes et dactylographes, vous
me feriez plaisir en leur demandant de
communiquer leur adresse à M. Ch. Dellion, secrétaire général du
nouveau syndicat, 130, rue de Tolbiac, pour lui permettre de les
convoquer individuellement.
J'espère
bien, du reste, que ces sténographes n'attendront pas que nous les convoquions
et qu'ils se feront un devoir de nous faire parvenir leur adhésion dès qu'ils
apprendront notre existence.
D'avance
je vous en remercie et je vous prie d'agréer, Très Cher Vénérable, mes fraternelles
salutations.
Duffau, de la Royale Loge Les Amis bienfaisants. »
Il y en avait plus qu'il ne fallait
pour éveiller le sens critique d'une tortue. Comme je ne proteste pas à moitié,
dans divers organes, je criai mon étonnement de voir les statuts d'un syndicat
soumis occultement à la Maçonnerie.
De tous les points du syndicalisme
m'arrivèrent documents et approbations.
Le camarade Broutchoux, secrétaire de
l'Union syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, écrivait (juillet 1908) à la Guerre
Sociale, où j'avais engagé la lutte :
« Janvion
a raison de pousser le cri d'alarme contre les Francs-Maçons qui veulent
accaparer le mouvement syndical en s'emparant de la Confédération Générale du
Travail.
En ce qui
concerne la corporation minière, le danger existe. La vieille Fédération, qui
vient de tenir son Congrès à Montceau-les-Mines, est dirigée par les
Francs-Maçons.
Avec ses faux bilans, le syndicat Basly, à lui seul, a la
majorité dans les Congrès nationaux. Or, Basly appartient à la Loge Union et Travail de Lens et la plupart de ses acolytes
appartiennent aux Loges de Béthune, Arras et Lille. Toutes ces Loges sont
clémencistes, c'est dire leur sentiment à l'égard du prolétariat organisé... »
Le camarade Delzant, secrétaire de la
Fédération des Verriers (Aniche), écrivait à la même date :
« La
Franc-Maçonnerie influence de façon néfaste tous les mouvements syndicalistes
du Nord, où elle pèse sur le parti socialiste et sur les syndicats. Delesalle
en est un membre très influent et Desmons est vénérable. C'est dire que le Réveil du Nord est aux Frères.
Dans tout
le Nord de la France et le Pas-de-Calais, les militants ouvriers correspondants
du Réveil, quelque peu influents, ont été
franc-maçonnisés.
Basly et
tous ses valets en sont.
A Douai,
fief de Cogneau, c'est le Réveil
du Nord qui domine. Secrétaires des groupes socialistes,
de syndicats, de coopératives
sont enrégimentées dans la Maçonnerie. A Denain, également.
A
Valenciennes, c'est plus partagé, mais le Réveil
du Nord y tient toujours une large place. Les députés Melin et Dure sont Maçons ; leurs valets qui rédigent leur
régional l'Emancipation, sont les Maçons attachés au Réveil.
Qui
dominent les mineurs du Pas-de-Calais, ceux du Nord, ceux du bassin
d'Anzin ? Le Réveil
du Nord, les Frères les plus tarés.
La
division syndicale et politique de Fresnes est due à l'influence de cette
bande. Le nommé Proer, Frère, fut jeté dans nos jambes pour empêcher notre
mouvement révolutionnaire. Heureusement, nous avons été les plus forts.
Le Groupe
n° 3 de Fresnes a été constitué pour batailler contre les Frères. Ces derniers,
les Francs-Maçons, en étaient bannis, comme apportant l'influence
capitaliste politicienne et patronale pour laquelle ils sont d'ordinaire
délégués.
A
Valenciennes, les militants révolutionnaires sont obligés d'en arriver là aussi.
(Ci-inclus des documents probants.)
Presque
tous les députés socialistes du Nord sont Frères. Cette qualité leur confère
cette grâce maçonnique qui leur assure l'appui du Réveil du Nord, sans lequel ils dégringoleraient tous.
Telle est,
brièvement résumée, la situation lamentable que nous vivons dans les
départements du Nord, grâce à l'influence odieuse, occulte et néfaste que tu
signales aujourd'hui... »
Kart Oegel, membre de l'A. G. des P. T. T., me signalait, à son
tour, les incidents syndicalistes de sa corporation que voici
et qui suffisent à eux-mêmes :
« Le
camarade Janvion a signalé le péril maçonnique dans le syndicalisme en général
et plus particulièrement dans les syndicats ouvriers proprement dits.
Ce péril
n'est pas moins évident dans les organisations des salariés de l'Etat, dans ce
qu'il est convenu d'appeler le
syndicalisme « fonctionnaire ».
Qu'il me
permette d'empiéter un peu sur son domaine en apportant comme contribution à
son étude courageuse, un faisceau de faits significatifs et la preuve
matérielle incontestable de l'ingérence maçonnique dans l'Association
générale des agents des P. T. T.
Il me faut
au préalable apporter les preuves de mes accusations, démontrer l'ingérence
des maçons dans l'A. G., sortir
enfin de mes réserves.
Premier fait. — Il fit l'objet d'un débat mouvementé au Conseil
d'administration, on pourrait donc en trouver les traces dans les archives de
l'A. G. En 1902, le camarade
Méheust, conseiller d'alors, rencontre à la Chambre le député Sembat. Celui-ci
lui fait part qu'il a reçu du Conseil de l'A. G. une demande d'audience au
sujet de la question des remises et qu'il doit recevoir la délégation le jour
même. Surprise de Méheust : aucune décision de ce genre n'a été prise dans
les séances précédentes ; quiproquo entre notre camarade et le député. Au
fait, lui dit ce dernier, venez avec la délégation que je reçois dans quelques
instants. Notre camarade s'y rend. Qu'y voit-il ? Qu'entend-il ? Les camarades
Bousquié, Gabbinel, Camboulines, francs-maçons incontestables et hommes de M.
Joyeux, receveur principal et Franc-Maçon non moins incontestable, demander
à Sembat, au nom du Conseil de combattre la suppression des remises des gros receveurs.
Tableau !
Deuxième fait. — Le Conseil se réunit pour élire son bureau, ses
commissions, ses délégués. Le
même camarade Méheust pose sa candidature à je ne sais plus quelle fonction,
d'importance secondaire d'ailleurs. Méheust est honteusement battu. A sa place est élu un illustre inconnu. Les candidats avaient été désignés
dans une réunion fraternelle préparatoire et nos excellents Francs-Maçons
avaient voté avec ensemble et discipline. Naturellement on avait oublié de convoquer
les profanes à la réunion franc-maçonne.
Troisième fait. — Tous les conseillers Franc-Maçonnerie n'entrent jamais au
Conseil sans saluer maçonniquement en faisant le signe « par équerres, niveau et perpendiculaire » pour parler le langage quelque peu spécial
en honneur dans les temples maçonniques. Si bien que de nombreux camarades
profanes ont déchiffré le geste symbolique et énigmatique !
Quatrième
fait. — Un groupe maçonnique existe à la
Recette principale. Chaque année au premier de l'an, en grande pompe et
maçonniquement, le groupe allait, jusqu'en 1906 tout au
moins, présenter ses voeux Franc-maçonniques aux francs-Maçons Joyeux et Serres
(33°), receveur et directeur.
Ces
relations franc-maçonniques étaient d'ailleurs constantes… Il n'y a vraiment
pas lieu d'en être très surpris !
Cinquième fait. — Un des plus
graves certes, le plus grave peut-être même.
Au
commencement de 1906 à l'ordre du jour d'une Loge, l'Avenir,
figure la question suivante :
« Une
grève dans les Postes »
Orateurs
inscrits : Subra Pinettes.
La grève
échoue ; les causes très complexes et très diverses seraient trop longues
à énumérer, mais fait significatif : le Conseil désavoue la grève. Pinettes,
secrétaire général actuel se fait porter malade et Sabot, membre du Conseil
d'alors et Franc-Maçonnerie engage les camarades de la Recette principale
hésitants à NE PAS FAIRE GREVE.
Sixième fait. — Tous les ans aux
élections sont élus conseillers d'illustres inconnus qu'on n'a jamais vu militer
nulle part, mais ils sont Francs-Maçons de province et les profanes sont
évincés.
Résultats :
le secrétaire général, les deux secrétaires généraux adjoints, le trésorier
général, le trésorier adjoint, quatre secrétaires adjoints, sur six,
l'archiviste sont maçons.
Septième fait.
— Contesteront-ils aussi que le 5 juin 1907, veille du Congrès, ils aient tenu
une réunion préparatoire fraternel ?
Comme je
ne veux pas les mettre dans la cruelle alternative ou d'être
parjures en violant « la loi du silence », ou de se déshonorer en répondant par
un mensonge, je préfère leur mettre tout de suite sous les yeux le document
suivant signé de l'actuel secrétaire général, et tiré à la machine à écrire
(probablement celle de l'A. G.), sur papier à en-tête de l'A. G.
« Paris,
le ler juin 1907.
Très Cher
Frère,
Nous avons
la faveur de porter à votre connaissance que sur la demande des membres du
Conseil de l'A. G. ou délégués des Groupes de Paris, nous avons pris l'initiative
de provoquer une réunion fraternelle avant le Congrès.
Cette
réunion particulièrement nécessaire dans les circonstances actuelles se tiendra
le mercredi 5 juin 1907, veille du Congrès, à 4 heures du soir, chez Vergnolles, cafetier,
21, rue des Ecoles, Paris (5e).
Acceptez
l'expression de mes sentiments fraternels.
A. PINETTES. »
Il est
ajouté au crayon par Berthelot, gérant du Bulletin : « Si connaissez
d'autres frères délégués, prière de les aviser. »
Le bas de
la page de l'exemplaire de la convocation que j'ai en ma possession est
déchiré ; mais sur la partie disparue du document figurait la
recommandation de déchirer la lettre au cas où le destinataire ne serait pas
maçon.
Je livre
sans commentaire cette série de documents précieux à l'examen minutieux de tous
ceux qui croyaient jusqu'à présent que le syndicat était un organisme de lutte,
selon sa définition simple, sans traquenards, tremplins, cachotteries ou
chausse-trappes... »
Etonnez-vous, après la lecture de ce
document, de la lamentable issue de la première grève des P. T. T., dont
l'échec fut négocié maçonniquement auprès de Clemenceau (comme je l'ai démontré
dans mes articles documentés de Terre Libre) par les Frères postiers
Antignac, Subra, Berthelot abouchés auprès du gouvernement par l'intermédiaire
du Frère Dreyfus, député de la Lozère.
Vous connaissez quel fut le sort
identique de la seconde grève, fomentée maçonniquement et brisée dès le début
par les intrigues convenues entre le gouvernement et la maçonnerie.
Ainsi donc, le recrutement maçonnique
des ouvriers et employés syndiqués s'opérait sans vergogne.
Les deux secrétaires de l'Union des
syndicats de la Seine étaient devenus Maçons, les deux secrétaires de la Commission
administrative le devenaient également. Et, à la même époque, en un seul mois
de juin 1908, cinq permanents très connus à la Bourse, recevaient la lumière.
Et quelle obscure clarté, lorsqu'elle
illumine le cerveau des apprentis ouvriers ! Elle les éblouit à ce point qu'ils
croient pouvoir mettre tout le syndicalisme sous leur tablier. Une
cinquantaine de permanents maçons, enhardis par leurs espérances confites dans
le secret, se crurent autorisés de fonder, sous le manteau, un groupe de deuxième
cuvée maçonnique, fonctionnant dans le local même de la Commission
administrative que le Frère Bled, secrétaire de ladite Commission, mettait à
leur disposition. Ce groupe opérait sous le titre aimable de « La Solidarité
syndicaliste ». Quel joli nom pour une solidarité syndicaliste, qui ne
pouvait s'exercer qu'entre frères au détriment des profanes !
La dernière convocation de ce groupe,
porte à l'ordre du jour les questions suivantes :
« Y
a-t-il utilité d'intensifier la propagande en raison des dernières élections de
la C. G. T. ?
Devons-nous
approuver ou blâmer certains membres de la Maçonnerie en raison de leur
attitude dans le récent conflit des P. T. T. ?
Faut-il,
au contraire, dégager la Maçonnerie en général et la Solidarité syndicaliste en
particulier, des agissements de certains parlementaires francs-maçons notoires
dans ces circonstances ? »
Par ce genre de préoccupations,
touchant à la gestion (occulte) de la C. G. T., et de la marche de nos grèves,
de leur contact avec le parlementarisme, vous pouvez juger de l'invasion habile
et tenace de la Pieuvre dans nos organisations.
Une explication des Frères
syndicalistes qui est un bien maladroit aveu
Cependant, j'avais hautement dénoncé
cette extraordinaire infiltration ; j'avais stigmatisé nommément
les frères syndicalistes maçons. Pouvaient-ils expliquer leur présence
révolutionnaire dans une Société conservatrice et gouvernementale et qui fut,
au cours de l'histoire, le pilier occulte de tous les gouvernements, Monarchie,
Dictature, République !
Tout d'abord, ils feignirent le
dédain. Mais les précisions s'accumulant, ils jugèrent, enfin, que le moment
était venu d'expliquer leur cas.
Et quelle cause indéfendable ! Vous allez juger de la valeur
de loyauté et de logique de ce tissu de niaiseries, d'absurdités et de
réticences mentales.
Dégustez, savourez cette mémorable
explication, ô profanes, explication tentée par quelques-uns des principaux militants de la C. G. T. pour défendre
leur tablier.
« Appel aux Francs-Maçons syndiqués confédérés,
Il a été
constitué à Paris, le 17
mars 1908, sous le titre de la « Solidarité
Syndicaliste » un groupe fraternel de Francs-Maçons syndiqués confédérés. Ce groupe est ouvert à nos Frères
de n'importe quelles loges des deux obédiences, sans distinction d'opinion
politique ou philosophique, à condition que, comme l'indique le sous-titre,
ils soient adhérents à des syndicats relevant de la C. G. T.
Il a été
fondé dans le but de :
1° Coordonner et développer la propagande syndicaliste dans la
Franc-Maçonnerie (chacun de nous avise ses collègues des conférences,
initiations, cérémonies quelconques, où la présence de tel ou tel d'entre nous
ou bien l'affluence du plus grand nombre possible de membres de ce groupe peut
être nécessaire pour la défense ou la diffusion du syndicalisme) ;
puis, nous recherchons ensemble quels
sont les thèmes de discussion les plus urgents à introduire dans les Loges,
nous choisissons les ateliers où il nous semble convenir que ces thèmes soient
exposés, et nous désignons ceux des nôtres qui accepteront cette tâche ainsi
que ceux qui les seconderont dans la discussion ; enfin, dans le cas d'un
événement qui intéresse gravement la classe ouvrière, nous nous entendons sur
la tactique à suivre dans nos Loges respectives en vue de déterminer ou de
précipiter tel ou tel mouvement d'opinion.
2°
Organiser la défense commune, d'une part contre ceux des francs-maçons qui
s'efforcent d'entraver la pénétration syndicaliste dans notre Ordre et, d'autre part, contre ceux des profanes qui s'ingénient à répandre des interprétations
erronées du rôle que les syndicalistes jouent ou peuvent jouer dans les Loges.
3°
Rechercher les moyens d'arriver à une
épuration de la Franc-Maçonnerie, où des promiscuités si pénibles nous sont imposées
par la présence de quelques-uns des principaux exploiteurs de la finance, de
l'industrie, du commerce, de l'agriculture, SANS COMPTER LES POLICIERS NOTOIRES OU NON.
4° Travailler à la simplification des formes de notre Ordre jusqu'à ce qu'il ne subsiste plus du rituel
et du vocable que le strict indispensable.
5°
Favoriser l'acclimatation dans nos syndicats respectifs, des caractéristiques
fondamentales de la Franc-Maçonnerie, savoir : la dignité et
l'impersonnalité des débats, la tolérance à l'égard de toutes convictions ou
tendances et la solidarité effective.
Nous
appelons votre attention sur l'intérêt qu'il y a pour vous,
individuellement, comme pour nous et dans le plus bref délai possible.
Dans le
ferme espoir que vous allez être des nôtres, nous vous adressons, cher
camarade, nos salutations fraternelles.
Le
secrétaire, A. Tillier des Pâtissiers,
Le
secrétaire-adjoint Testaud des Peintres,
Le
trésorier A. Chaboseau,
du Syndicat
des Employés. »
Oh ! Les doux aveux !
En lisant ces lignes de réponse oblique
stupide, puérile et embarrassée, vous comprendrez tout de suite leur désarroi
pour expliquer un acte (l’adhésion maçonnique) dont ils viennent de ruiner la
défense.
Voyez-vous ces révolutionnaires «
coordonnant et développant la propagande syndicaliste et révolutionnaire dans
la Maçonnerie », où « d'après leur aveu », ils se trouvent en promiscuité avec « les
principaux exploiteurs de la finance, de l'industrie, du commerce, sans compter
les policiers notoires ou non ».
Autant demander à un demi-setier de
sirop de dessaler l'Océan.
Mais que les salariés profanes
éprouvent un grand accès de joie révolutionnaire en apprenant que leurs
farouches permanents, égarés dans cette galère, vont « travailler à la
simplification de leur Ordre jusqu'à ce qu'il ne reste plus du rituel que le
strict indispensable ».
Car il faut un rituel strict et
indispensable à ces iconoclastes. Et c'est au son du maillet qu'ils nous
mèneront à la Révolution.
.Quel bon travail d'action directe !
Leur modestie !
Voilà donc « le militant influent »
devenu servant de la Veuve, chevalier de l'Acacia.
Et le voilà, c'est lui qui l'avoue
ci-dessus « au milieu des pénibles promiscuités des principaux exploiteurs de
la finance, de l'industrie, du commerce, de l'agriculture, sans compter les
policiers notoires ou non ».
Comment ! Le zèle de ce camarade le
travaillait au point que, le syndicalisme ne lui suffisant plus, il avait
entrepris de nettoyer de policiers une association policière, de patrons une
association patronale, de ses exploiteurs une société créée et constituée (d'après
les extraits cités tout à l'heure) pour garantir contre les bourrasques
révolutionnaires l'exploitation patronale en France.
Et le voilà, ce militant « sans Dieu
ni maître ! » qui s'est donné comme propagande extra-syndicale, d'aller
réformer le rituel (un révolutionnaire, réformiste de rituel !) d'un
clergé laïque et qui a dû vaincre sans douleur son extraordinaire répugnance de
révolutionnaire en donnant du « cher frère », « aux principaux exploiteurs de
la finance, de l'industrie, du commerce, de l'agriculture, sans compter les
policiers notoires ou non » !
Quel zèle vraiment étrange pour la
propagande ! Quel héroïsme dans l'apostolat ! Quelle frénésie dans le prosélytisme
!
Et quelle admirable modestie ! Ils ne
nous l'avaient pas dit !
Mais ces syndicalistes auraient dû,
en trois points, proclamer leur zèle syndicaliste ; ils auraient dû nous
communiquer leur flamme maçonnique ! Aller, sous le secret des temples, tendre
une main « fraternelle » au Frère général Gérard, fusilleur de
Narbonne ; au Frère Hamard, directeur de la Sûreté ; au Frère Bouffandeau
ou au Frère juge d'instruction Albanel est une besogne évidemment méritoire !
Et de quelles acclamations, parties
de toutes parts, auraient été salués de tels accès de dévouement à la bonne
cause ! Ils auraient reçu les applaudissements des enfants, l'admiration des
parents, les ovations des foules, les baisers des femmes !
Hélas non ! Nos confrères
syndicalistes ne nous l'avaient pas dit, parce qu'ils avaient fait
serment de discrétion et de modestie !
Ils avaient juré, ne l'oubliez pas,
d'être modestes. Ces révolutionnaires syndicalistes avaient juré, en entrant en
Logés, qu'ils considéraient désormais deux catégories d’humains : celle
des patrons, magistrats et policiers, auxquels ils pouvaient causer du
syndicalisme en frères et celle des exploités,
qu'ils regardèrent dorénavant en profanes.
Et voilà pourquoi il s'étaient cachés
sous les roseaux où nous avons dû les découvrir avec de précieux télescopes.
Eh bien ! Laissons ces confrères (si peu
frères pour nous !) à la modestie qui convient à leur jésuitisme rouge; ils ne
nous intéressent pas; ils ne nous intéressent plus.
Ce qui nous intéresse : c'est
le sort réservé à la classe ouvrière dans ce compromis.
Un capitalisme ménagé. Le prolétariat
dupé
C'est encore la classe ouvrière qui,
vous le pensez bien, est victime d’une duperie dont elle n'a pas la moindre notion.
En venant se syndiquer, le bon bougre
y va franc jeu bon argent. On lui a dit que le syndicalisme se suffisait à
lui-même, qu'il était constitué en dehors de toute politique, de toute secte,
de toute religion, qu'il vivait de sa propre vie, de sa propre chair, ,de son
propre sang, de ses propres muscles.
Il ignorait qu'il y avait deux
syndicalismes : l'un, « lutte de classes », sous le ciel ouvert de la
Bourse du Travail ; l'autre, « collaboration de classes », sous le secret du
temple ; l'un, sans Dieu ni maître, aux tribunes publiques ; l'autre, à l'ordre
d'un vénérable ; l'un, qui traite d'assassins et de fusilleurs, aux tribunes
syndicales, les généraux Gérard (de Narbonne) et le lieutenant Simon (du pont
de Flandre) ; l'autre, qui traite ces massacreurs de « chers frères » sous les
colonnes du temple.
Le bon bougre, lui, en venant se
syndiquer, ne pensait pas que son syndicalisme pouvait se mettre en rituel et
se gérer sous le maillet en d'étranges chienlits de carnaval.
Il ne pensait pas que si le
syndicalisme, sans Dieu, avait vomi le goupillon, il devait adorer le triangle
des Maîtres du Grand-Orient ou du Rite écossais.
Il ne le savait pas ! Il faudra qu'il
le sache désormais !
Il faudra qu'il sache encore autre
chose ! Ceci : c'est grâce à la Franc-Maçonnerie que le
capitalisme juif a, jusqu'ici été ménagé et jouit, en France, d'un traitement
de faveur.
Car si la Maçonnerie est la
République à couvert, elle est aussi le bouclier international de la Juiverie
capitaliste cosmopolite.
Voyez l'Europe minée par ses
machinations, avec la complicité salariée des meneurs de foule. Avant-hier,
c'était la Turquie ; hier, le Portugal : demain, ce sera
l'Espagne ; après-demain, l'Italie.
Mais aujourd'hui, c'est la
France, toute sa politique financière et intérieure qui, par la complicité
maçonnique, est la proie des grands juifs, depuis le Panama (Cornélius Herz),
en passant par les lois scélérates (Reinach), en terminant par l'escroquerie du
Milliard, opérée au sécateur de M.
Grünebaum…
Entendez-vous ce cri de révolte des
paysans de l'Aube : « République ! Ta devise fout le
camp ! » Oui, ô République, c'est grâce aux manoeuvres d'une Société
secrète aux mains du capitalisme juif que ta belle devise, comme les balustres
de 'l'Hôtel Byron, a foutu le camp chez Rothschild !
Encouragée par le succès de l'Affaire
Dreyfus, qui a consacré politiquement sa suprématie, qui n'avait été
jusqu'alors que financière, la secte s'est proposée de mettre la main sur le
mouvement ouvrier. Et c'est ainsi qu'il y a douze ans, le
prolétariat, égaré par ses orateurs mercenaires, a protégé la fortune
scandaleuse des Grands Juifs, qui, sans le concours du peuple, eût été emportée
comme une feuille dans la bourrasque.
Et voilà les seigneurs Juifs,
encouragés par une inexplicable impunité, qui se sont immiscés déjà dans nos
mouvements de grève.
Regardez-les dans la grève historique
des P. T. T. avec le Frère Dreyfus, élu député de Florac par la grâce de M. Jaurès,
grève dénouée maçonniquement.
Voyez-les avec Rothschild, dans la
grève des cheminots !
Et entendez, derrière la machine
sanglante de Deibler, promise au malheureux Durand, le ricanement sinistre du
Pereire, avec ses faux témoins à charge....
Par l'intermédiaire des
Loges, le mouvement ouvrier se trouve coté comme Valeur de Bourse et de
Gouvernement...
Et c'est ainsi que le syndicalisme,
qui devrait vivre de sa vie propre, au clair soleil de ses audaces, se voit
aujourd'hui arsouillé sous des tabliers et lié par des cordons maçonniques aux
Puissances de gouvernement et d'argent.
O mes frères en humanité, il fallait
que vous sachiez. Vous commencez à savoir maintenant !
Allez-vous, ô profanes, laisser
prostituer votre droit de vivre dans ces cavernes de mardi-gras et attendre qu'on vous serve la Justice à
la lumière de le pipe à lycopode.
Que faire ?
Prononcer le divorce sur ce mariage
incestueux de la Franc-Maçonnerie (puissance occulte de
gouvernement) et du Syndicalisme (force d'action directe).
Le devoir des syndiqués serait de ne
pas laisser entre les mains des mêmes individus la direction des destinées
syndicales ; ils devraient, par voie statutaire, imposer le renouvellement de leurs
fonctionnaires syndicaux, dont la perpétuité aux fonctions est toujours néfaste
pour l’organisation.
Eh quoi ! Les Conseils
d'administration des grandes sociétés imposent chaque année ou chaque deux ans
le renouvellement de leurs administrateurs ! On pourrait remplacer, tous
les sept ans, un Président de la République, tous les mois ou tous les six
mois, tous les ans nos Excellences les Ministres, sans qu'il y ait péril pour
une nation et un régime ; et les Permanents syndicaux se proclameraient indispensables
pour une besogne d'une extrême simplicité !
Si le syndicalisme doit créer
l'impérialisme ouvrier ; s'il doit être un trust livré à la merci d'une poignée
d'intrigants, plus loin de la masse des syndiqués que le député de l'électeur,
il vaudrait mieux que ce syndicalisme disparût.
Il ne peut être qu'un
néo-parlementarisme, caricature du parlementarisme bourgeois !
Et avec quels dangers en plus,
puisqu'il serait livré à une coterie de permanents, moins cultivés et plus
affamés que les bourgeois, proie toute désignée pour les Forces de corruption
ou pour une Puissance de gouvernement, comme est celle de la Franc-Maçonnerie.
En dénonçant le péril maçonnique dans
le syndicalisme, j'ai fait mon devoir, sans souci des calomnies et des
outrages.
Camarades, faites le vôtre.
Novembre 1912. »
La Révolution française n’est pas
blâmable en soi, ce qui est blâmable, c’est son legs libéral. Il convient dans
cette optique de distinguer la Révolution française de ses funestes
conséquences.
Comme l’écrivait Lucien Rebatet (1903-1972) : « Combien je conçois que les
hommes du XVIIIe, en secouant les restes d’un ordre social bâti sur la duperie
catholique, aient aimé d’un tel amour la vérité et la liberté. Mais ils les ont
déifiées […] Et leurs descendants sont devenus aussi bénisseurs et hypocrites
que les prêtres. »
Yann
Moncomble (1954-1990)
Journaliste français, auteur de
nombreux livres détaillant la vie politique sous un angle parfois pamphlétaire.
Il est le fondateur de la maison d'édition Faits & Documents, reprise par
Emmanuel Ratier.
Il est l'auteur notamment de La Maffia des chrétiens de gauche, Les Professionnels de l'anti-racisme, La politique, le sexe et la finance, la Trilatérale et les secrets du mondialisme,
Quand la presse est aux ordres de la
Finance.
Emmanuel
Ratier (1957- ), journaliste
« d’extrême-droite », athée, de tendance païenne,
Il a pu travailler à l’Anti-Defamation
League of B’nai B’rith
Il a été initié à la loge La Nef de
Saint Jean de la Grande Loge Nationale Française, à la Garenne-Colombes. Il
apparaît ainsi en 1989 comme membre du bureau de la loge, qui a été dissoute
par la suite par la GLNF.
Aron
MONUS,
ex-franc-maçon, et d’origine juive. " Les secrets de l'empire nietzschéen"
éditions interseas.
Le
marxisme contre la franc-maçonnerie,
Publié dans la Revue Internationale, Organe du Courant Communiste International (CCI) Octobre 2005
un
des plus toniques poètes du Surréalisme d'après-guerre, Jean-Louis Bédouin, me parla de ses préventions contre la
Franc-maçonnerie, tout en reconnaissant qu'elle demeurait un des grands
vecteurs historiques de la tradition immémoriale. Son syllogisme était des plus
réducteurs mais percutant : " J'ai connu un général franc-maçon qui était
une ordure ; je sais qu'il y a des policiers dans la Franc-maçonnerie, donc je
suis contre une institution qui accepte ces gens-là ". Il renouait bien
ainsi le fil de cette contestation dadaïste puis surréaliste de toute
institution intégrée dans le siècle et capable de compromissions avec les
pouvoirs établis.
Il y a, chez les anarchistes, un
courant anti-maçonnique qui s'est manifesté encore tout récemment dans une
revue peu connue, Noir et Rouge, qui
s'intitule « cahiers d'études anarchistes révolutionnaires ».
http://www.collectif-justice.net/actions_elections.html
La présence plus ou moins avérée de
maçons dans les rouages du pouvoir alimente un antimaçonnisme populaire
récurrent dont la grande presse se fait régulièrement l'écho, voire
la propagandiste. On donne des listes de noms, on dévoile des liens occultes
qui forment «un vaste réseau de financement des partis politiques» (Challenges,
n° 98, octobre 1995), on s'inquiète de l'argent des
francs-maçons, on décrypte «l'histoire secrète» (Le Nouvel
Observateur, n° 1537, 21-27 avril 1994), on s'empare des
conflits inter- ou intra-obédientiels.
A l'étranger, il existe naturellement
des courants anti-maçonniques plus ou moins avoués dans les partis de gauche,
en Belgique, en Suisse, en Angleterre.
La
Heroldo, revue
officielle de la Ligue Internationale des francs-maçons, a signalé dans son
numéro d'octobre 1955 (p. 14) que « le congrès annuel du Parti travailliste
(anglais) s'est prononcé contre la Franc-Maçonnerie, parce qu'il est impossible
d'adhérer en même temps à une fraternité irréelle au socialisme. »
Plus récemment, des travaillistes
anglais exigent avec le soutien du Guardian que les policiers et magistrats
maçons se dévoilent.
Il y a, chez les anarchistes, un
courant anti-maçonnique qui s'est manifesté encore tout récemment dans une
revue peu connue, Noir et Rouge, qui
s'intitule « cahiers d'études anarchistes révolutionnaires ».
On lit dans le n° 23 (février 1963),
ce rappel d'un mot de Bakounine : «La Franc-Maçonnerie est l'internationale de
la Bourgeoisie ». Puis : « Elle n'est pas progressive, dans le sens où
nous considérons le progrès... Elle n'a jamais accepté le prolétariat comme
force, comme facteur ; elle n'accepte que quelques prolétaires plus
soucieux de leurs préoccupations pseudo-philosophiques que de leur conscience
sociale. Sur ce point, nous ne pouvons donc pas être avec elle... (Pages 61, 62).
Nous considérons comme incompatible l'appartenance et l'activité
anarchiste et franc-maçonne » (p. 74).
Mais ce n'est là que l'opinion d'un
petit groupe, sans importance réelle, fort sectaire au demeurant et n'ayant pas
grande influence dans les milieux anarchistes. Le libertaire Lorulot qui, lui,
avait de l'importance — il dirigeait d'ailleurs La Calotte et La Raison,
deux publications anticléricales — considérait que « les hommes de gauche et
d'extrême-gauche ne doivent pas se faire les complices, même passifs, de la
campagne anti-maçonnique ». (Pour ou
contre la Franc-Maçonnerie, p. 82).
En 1880, le Drapeau Rouge, l’Organe de la
ligue collectiviste-anarchiste est nettement anti-maçon. Ainsi, dans le
numéro 1, on peut lire : « Il n’y a que des philanthropes !
Confondons le triangle du franc-maçon avec le tricorne du jésuite ! »
L’anarchiste Roubineau critiquait également les « jésuites rouges. »
Zévaco (1860-1918), romancier anarchiste,
publie en 1892 Le Gueux,
« organe de combat et de révolte », avec le concours de toute la fine
fleur anarchiste (Pouget, Malato, Louise Michel, Cladel). Dans cette revue, Emile Odin se spécialise dans
l’antimaçonnisme :
« Nous
devons prendre à la gorge la bande rouge aussi bien que la bande noire […] Les
maçons ont servilement copié les jésuites en leur plan d’accaparement […] Le
péril maçon existe, aussi sérieux, aussi imminent que le péril clérical. »[15]
L’anarchiste
Victor Méric (1876-1933), auteur de
brochures sur Les Hommes de la Révolution
(Desmoulins, Marat, Hébert) écrivait : « j'ai mangé du curé autrefois je
ne vois pas ce qui peut m'empêcher de bouffer du youpin ? En vertu de quoi les
juifs nous seraient-ils plus sacrés que les protestants par exemple ou les
calotins ou les frères trois points ?
L'antisémitisme n'a rien à voir là dedans [...] qu'on nous laisse donc dire
notre pensée sur la juiverie cosmopolite et exploiteuse et que les prolétaires
juifs protestent et s'insurgent avec nous. »[16]
L’anarchiste italien Camillo Berneri (1897-1937), dans son
écrit : Anarchismo e socialismo du
18 janvier 1936, (en français dans les Œuvres choisies de Camillo Berneri,
parues aux Editions du Monde libertaire en 1988), écrivait contre la
franc-maçonnerie.
Noir
& Rouge n°5 (printemps 1957)
Franc-Maçonnerie
et révolution sociale
http://www.la-presse-anarchiste.net/spip/spip.php?rubrique73
par
Bourgeois (Guy)
« Dans
le monde actuel, la Franc-Maçonnerie, sous des dehors éthiques voisins, se
place, en fait, à l’opposé total de la conception révolutionnaire des
anarchistes. Ainsi, la loge est le laboratoire du régime démocratique bourgeois
et c’est est elle qui le fait évoluer. Nous assistons ici au triomphe total de
l’idéologie réformiste. Il ne fait pas de doute que ce sont les partis
sociaux-démocrates qui sont les meilleurs véhicules de la pensée
maçonnique. […]
La
majorité des syndicats d’aujourd’hui ont abandonné le principe de la «
suppression du patronat et du salariat ». Ils sont devenus des associations
corporatistes tendant à défendre les intérêts ouvriers dans le cadre du régime.
Ce premier principe fut énoncé par les papes. La bourgeoisie, aussi bien
maçonne que cléricale, vise à empêcher que la classe ouvrière soit le moteur de
la Révolution qui détruirait l’exploitation de l’homme par l’homme. Dans
l’offensive contre-révolutionnaire, la Franc-Maçonnerie se rencontre avec
l’Église. […]
On
nous objectera que la Franc-Maçonnerie est laïque et que le Grand Orient de
France admet la liberté totale de pensée depuis 1877. C’est cette conception de
« laïcité » qui fait nommer le Grand Orient, la « Franc-Maçonnerie progressiste
», par ses membres et ceux qui la soutiennent. Nous n’avons cité que des textes
du Grand-Orient et cela a été volontaire. Car, il existe une autre
Franc-Maçonnerie qui admet les dogmes, qui refuse à ses membres la liberté de
pensée, qui se ferme aux athées et qui exige, dans le meilleur des cas une
profession de foi spiritualiste de ses adeptes. Elle est représentée en France
par la GRANDE LOGE DE FRANCE. Il existe en Écosse, en Angleterre et aux
États-Unis, des loges encore plus réactionnaires que la GRANDE LOGE. Il n’est
pas douteux que ces « obédiences » servent de véhicule à la pensée et à la
politique cléricale dans le monde. On annonçait récemment que les loges de
Suisse et de Hollande se laissaient noyauter au point d’obtenir la suppression
du Congrès Mondial de la « Libre-Pensée » qui devait se tenir à Amsterdam en
1956. Le principal objectif de ce noyautage est de faire cesser partout où cela
est possible, la propagande anticléricale. Sur le plan de la loge elle-même,
cela correspond aux méthodes suivantes :
1. Obligation de travailler à la gloire du
Grand Architecte de l’Univers (ce qui signifie à la gloire de Dieu ―
Qu’est-ce à dire ?)
2. Le serment d’admission doit être prêté
sur les Trois Grandes Lumières dont la première est la Bible.
3. Les loges n’accepteront que des hommes et
s’en tiendront aux anciennes et vénérables coutumes et devoirs maçonniques.
Voilà
qui est clair !
Dans
une brochure du GRAND ORIENT intitulée « DIEUX ET RELIGIONS », publiée en 1954,
il est dit des loges spiritualistes :
«
Notre blâme ne saurait jamais se muer en hostilité. Les obédiences les moins
parfaites représentent encore, dans leur pays, un ferment puissant de progrès
en regard des préjugés populaires qui les entourent. Bien que partiellement
émasculées, elles contribuent efficacement, cependant, à l’apostolat de
concorde universelle. Nous respectons ce qu’il a généralement d’humain dans les
religions organisées qui nous combattent ; à plus forte raison, nous respectons
les efforts et les réussites des puissances maçonniques encore insuffisamment
universalisées. En vue de la Concorde générale, nous sommes toujours prêts à
nous associer à toutes les autres puissances maçonniques. Nous ne divisons pas,
nous unissons. »
C’est
on ne peut plus clair ! L’effort du Grand Orient pour lutter contre le
noyautage ne va pas loin, de son propre aveu. Il préférera toujours l’alliance
avec une loge réactionnaire au respect d’un principe. Et cela, au nom de la
TOLÉRANCE et de la fameuse « laïcité ». Il nous faut dire (et une autre étude
de ce numéro le fait abondamment sur un autre plan), combien cette conception
nous paraît fausse. Il est impossible d’être tolérant avec les tenants des
religions, sous peine de se voir très vite battu. Le propre de l’homme
religieux est d’être sûr de posséder la vérité et de vouloir l’imposer.
Partant, toute discussion ou travail en commun sont forcément faussés au
départ. Sur le plan politique, c’est s’exposer à faire le jeu de la religion et
finalement des églises. Car, le Grand Orient va beaucoup plus loin dans la
conclusion de la brochure citée :
«
Vous avez compris que je sais la RELIGION NÉCESSAIRE à certains frères et que
j’ai pour ces frères autant d’estime et d’affection que pour les autres à qui
aucune religion n’est utile. Avant d’entrer à la Franc-Maçonnerie, j’étais
volontiers intolérant. Lentement, obstinément, l’esprit maçonnique m’a pénétré
et m’a fait réfléchir plus profondément. Je sais que la Concorde Universelle ne
peut être bâtie que sur l’union de tous dans le respect de leurs aspirations
profondes, c’est-à-dire sur une tolérance et une laïcité parfaites. »
Ceci
nous amène à parler de la laïcité. Si le Cléricalisme est devenu si puissant
dans notre pays, si la Réaction et le Fascisme relèvent la tête, c’est, avant
tout, parce que l’Église a pu impunément poursuivre son travail politique. Nous
parlions, dans notre étude sur le « Cléricalisme », de l’erreur fondamentale
des partis marxistes qui défendent le principe de la « main tendue » aux
catholiques sous prétexte que, selon leurs dires et leurs illusions, la
religion s’effondrera d’elle-même avec le Capitalisme. Dans cette complicité
objective avec l’Église, il faut placer une certaine conception de la « laïcité
» qui prétend n’être que le synonyme de « neutralité ». « On peut être laïque
et bon chrétien » nous dira-t-on. On donnera la parole aux cléricaux dans les
réunions du syndicat national des instituteurs. On considérera les chrétiens
dits de « gauche » comme révolutionnaires, et l’Église qui joue sur tous les
tableaux y trouvera son compte. C’est ici que la Franc-Maçonnerie a encore joué
un rôle liquéfiant sur les organisations ouvrières. Pour nous, la LAÏCITÉ ne
saurait être qu’un combat qui se situe dans le contexte plus général du combat
de classe contre les exploiteurs. Nous irons plus loin et affirmerons que les
loges entretiendraient dans leur sein le germe de l’esprit d’exploitation et de
résignation pour les exploités, si les révolutionnaires avaient la faiblesse de
ne pas dénoncer leur rôle néfaste qui s’inscrit, on le voit, de plus en plus
dans le jeu réactionnaire et dans le soutien du régime bourgeois. Et nous avons
le droit d’être inquiets lorsque nous apprenons que dans un certain
département, il existe un accord total entre l’évêque du lieu et le Vénérable
de la Loge. Tout s’arrange (paraît-il) en famille ! Et les francs-maçons de
l’endroit ont même saboté une conférence antireligieuse. D’autres faits de ce
genre pourraient sans doute être cités… Le noyautage semble réussir. Au cours
d’assemblées faites sur le plan régional, un orateur du Grand Orient révéla
qu’un Concordat entre la France et le Vatican était imminent. Et certains «
frères » présents eurent la stupeur d’entendre des phrases comme : « Nous
sommes vaincus », « il faut se faire une raison, etc. »
Ces
points nous paraissent suffisants pour estimer que le Grand Orient ne pourra
pas échapper au noyautage clérical. Mieux, dans son action actuelle, il fait
déjà, en fait, le jeu de l’Église.
Nous
avons vu que la Franc-Maçonnerie, même prétendue progressiste est en fait une
organisation qui tend, comme toutes les autres organisations réformistes, à
faire le jeu de la Réaction tout court. La position idéologique de l’Église qui
sait s’adapter étant finalement, la position réformiste la plus cohérente, la Franc-Maçonnerie
ne peut que, volontairement ou involontairement, entrer dans son jeu. Comme
c’est l’Église qui fournit la matière idéologique de la pensée de « droite »,
tout se tient et la Franc-Maçonnerie tend et tendra de plus en plus à devenir
elle-même une organisation de droite.
La
seule question qui reste en suspens est de savoir si on pourrait empêcher la
F.M. de s’embourgeoiser, en un mot, s’il nous était possible de suivre la
démarche du camarade LORULOT qui en 1935 estimait la chose souhaitable. Ce
serait, en fin de compte, une opération dangereuse qui, pour se réaliser
supposerait une refonte des principes organisationnels et même de l’éthique. En
fait, ce serait mettre la Franc-Maçonnerie elle-même en question. C’est
finalement ce que nous faisons dans ce présent numéro. »
Noir & Rouge n°5 (printemps 1957)
Franc-Maçonnerie et mouvement
libertaire
par Bourgeois (Guy)
Quel est donc le principe fondamental
de la Franc-Maçonnerie ? On lit dans la brochure no 2 du Foyer philosophique
(cycle 54—55), sous la plume d’un membre du Grand Collège des Rites : « la
mission essentielle de la Franc-Maçonnerie a été définie avec précision lors de
sa fondation. Son but est d’assurer la concorde entre les hommes ; elle rejette
ce qui divise et veut ce qui unit. Sa méthode est d’assembler en toute
cordialité, afin qu’ils se connaissent, s’estiment et se pénètrent, tous les
hommes de haute valeur morale qui, en raison de leurs divergences spirituelles,
ou de leur état social (c’est nous qui soulignons) se seraient sans elle,
ignorés ou méconnus. »
Il résulte de cette déclaration que
la Franc-Maçonnerie veut ignorer la condition sociale de ses membres. Ce qui
signifie qu’elle veut ignorer l’existence des classes sociales. Un ouvrier peut
être aussi bien franc-maçon qu’un banquier et pourquoi pas, un préfet de
police. Certes, les grands tenants du régime économique sont plutôt cléricaux,
mais, le général Joffre a été franc-maçon et, plus près de nous, M. Baylot,
Préfet de Police de triste mémoire, qui faisait matraquer les ouvriers. Il nous
est permis de sourire quand nous apprenons par la déclaration du Grand Orient
que ces gens : « les plus opposés et aux religions les plus diverses » se
réunissent dans les Loges : « pour y travailler EN COMMUN à l’émancipation de l’esprit
humain, à l’indépendance des peuples, et AU BONHEUR SOCIAL DE L’HUMANITÉ. » !
Imaginons maintenant un militant
anarchiste membre d’une Loge. Il y rencontre par exemple M. Ramadier. Il
l’appelle son « frère » et le combat à l’extérieur dans son action anarchiste
(toujours au nom de la liberté de penser évidemment). Voilà, tout de même, une
curieuse attitude, car nous lisons dans la déclaration de principes : « la
Franc-Maçonnerie recommande à ses adeptes la propagande par l’exemple, la
parole et les écrits. » De quelle propagande s’agit-il ? De quels écrits ?
Mais soyons clairs : « la
Franc-Maçonnerie (nous dit encore le Grand Orient) a pour objet la recherche de
la Vérité, l’étude de la Morale et la pratique de la solidarité. » Quels sont
les résultats pratiques de cette recherche de la Vérité ? Notre
anarchiste-franc-maçon estimera ne pas posséder à lui tout seul la vérité et il
aura raison. Mais il se trouve que lorsqu’il rencontrera les tenants des
idéologies bourgeoises ou des membres de partis réformistes, le résultat de la
discussion qui se traduira en résolution parvenant au Convent des Loges sera
l’expression de la Vérité relative prêchée par la Franc-Maçonnerie. Cette
expression de vérité à laquelle il aura participé sera OBLIGATOIREMENT un compromis.
Il ne pourra à aucun moment mettre le régime en question.
La présence d’un militant
révolutionnaire dans une Loge peut-elle cependant se justifier ? Il existe, en
effet, d’autres organisations qui n’ont pas pour principe premier la
transformation sociale par la Révolution et où les anarchistes révolutionnaires
peuvent aller et faire valoir loyalement leurs idées. Il en est ainsi des
syndicats, des Auberges de Jeunesse, de la Libre Pensée etc. Pourquoi, ne
pourrait-on pas faire de même dans les Loges où la liberté de pensée est
respectée ? Parce que la Loge n’a pas un but défini et que les idées d’un
anarchiste ne sont destinées qu’à une élaboration en vue justement de cette
fameuse Vérité maçonnique. Un mien ami, franc-maçon notoire me disait : « Ce
n’est pas la Franc-Maçonnerie qui t’apportera quelque chose, c’est toi qui peut
lui apporter. » Nous connaissons l’histoire. Vous vous plaigniez que la
Franc-Maçonnerie n’est plus révolutionnaire, venez-y et vous la changerez ! À
ce compte, nous irions aussi au Parti Socialiste et pourquoi pas dans l’Église.
Reste à savoir s’il y a des institutions qu’il est utile de sauver. Il se
trouve que nous avons assez de cette forme de raisonnement où il n’y a pas un
seul exemple de réussite. Ceci ne signifie pas que nous suspectons la bonne foi
de certains camarades anarchistes d’autres tendances que la nôtre qui sont
francs-maçons dans cet esprit.
Quand un individu se rend dans une
assemblée pour y défendre ses idées on peut penser, en bonne logique, surtout
s’il est de bonne foi, qu’il convaincra les autres ou se laissera convaincre
par les autres. Le Grand Orient définit ainsi ce fait : « Chacun apporte dans
les discussions en commun et dans la conduite de sa vie les principes qui lui
sont personnels. Il les modifie s’il le juge bon dans la seule mesure où ils
s’écartent de la Vérité qu’une connaissance plus étendue et les faits plus
nombreux lui présentent. » Du strict point de vue éthique nous n’avons rien à
redire à ce principe. Cependant, étant donné la composition d’une Loge, cela
signifie que l’anarchiste sincère qui en est membre ABANDONNERA tout ou une
partie de ses idées et de sa lutte s’il a été influencé par d’autres, de
tendances réformistes par exemple. Étant donné le devoir premier d’un maçon qui
est « puiser directement à cette source pour les répandre dans le monde », loin
de quitter le mouvement anarchiste dont il devrait reconnaître les principes
opposés à sa nouvelle conception (ce qui serait la véritable honnêteté tant
prônée par les maçons), il transmet tout cela au Mouvement Libertaire. C’est à
notre point de vue, comme cela qu’il faut expliquer les tendances
affaiblissantes que l’on constate dans le Mouvement anarchiste en général et
français en particulier. On se trouve en face de certains camarades qui
professent en lieu et place de la doctrine et des principes révolutionnaires un
vague humanisme qui risque souvent d’être très complaisant aux divers
réformismes qui font le jeu du régime d’exploitation.
Si nous nous trompons : qu’on nous
explique pourquoi des penseurs anarchistes éminents, tels Sébastien Faure,
n’ont jamais consacré leur talent à la lutte sociale RÉELLE et se sont
contentés d’être des tribuns, utiles certes à notre cause, mais nullement
engagés dans la lutte ouvrière et syndicale ! Il est juste de dire que
Sébastien Faure, homme intègre et militant anarchiste authentique, se retira de
la Franc-maçonnerie au cours des dernières années de sa vie. »
GUY
Dans la même revue, cet article de
Jacques :
« Il ne fait aucun doute, bien
que la Franc-Maçonnerie n’exige de ses membres aucune profession de foi, que
l’origine spirituelle de l’alliance maçonnique est de nature chrétienne et plus
spécialement johannite.
À partir de ce johannisme primitif,
une double orientation s’est produite, pour l’Église, déviation vers le
« pétrisme », pour la Franc-Maçonnerie, déviation vers le
Rationalisme. Nous pouvons situer exactement le problème en disant que la
Franc-Maçonnerie - quelque soit les obédiences - représente l’aspect ÉSOTÉRIQUE
DES RELIGIONS, tandis que l’Église représente l’aspect EXOTÉRIQUE. De là, il
est parfaitement compréhensible que la lutte entre Franc-Maçonnerie et Église
ne peut être que formelle ; il s’agit uniquement d’une opposition de
technique religieuse, dont l’une cherche à dominer l’autre. Nous croyons
pouvoir avancer que le jour n’est plus loin ou l’Église et la Franc-Maçonnerie
se seront complètement avalées chacune par leur propre queue humaniste (les
GRANDES LOGES en sont un signe). Processus inévitable quant aux visées
intégratistes syncrétistes de la F.M. Nous sommes au bord terminal, à
l’échelle des civilisations, de celle que nous nommons chrétienne, situation
extrême où la Franc-Maçonnerie parachève l’assimilation des signes du dernier
mythe en cours (mythe christique). Le danger de la Franc-Maçonnerie réside dans
ce mécanisme car sa forme d’action occulte imprégnée de cet esprit christique,
reporte sur l’avenir les notions mêmes de cet esprit. Il est insuffisant
d’éliminer l’aspect formel de la société que nous combattons, il faut en
arracher les racines. À cet égard, il s’agit donc bien d’extirper les notions
qui forment l’Humanisme issu de la collusion Église-Franc-Maçonnerie. Toute
option contraire fausse les rapports de la lutte de laquelle seule doit sortir
notre morale, et détruit tout avenir.
À l’intention des lecteurs qui
pourraient admettre que, précisément, l’orientation rationaliste de certaines
loges (GRAND ORIENT, obédience dont on connaît les protestations
antireligieuses) serait un signe par lequel elles pourraient être favorables à
nos idées, rappelons que la doctrine maçonnique rationaliste n’a rien changé au
fond de ses principes ; qu’elle ait reporté le non du GRAND ARCHITECTE sur
celui de l’Humanité, le fond reste le même. N’importe quel texte maçonnique en
est la preuve renouvelée. »
Bakounine fut, au cours de son séjour
à Florence, dans les années 1864-65, en relation avec des francs-maçons
influents. Il était obnubilé par le projet d’une organisation ouvrière qui
aurait joué pour la révolution sociale le rôle que la Franc-maçonnerie avait
joué pour la Révolution bourgeoise. C’est dans cet esprit qu’il fonda en 1864
une société secrète appelée « La Fraternité Internationale » ou « Alliance des
Révolutionnaires Socialistes » dont l’existence fut éphémère puisqu’elle fut
dissoute en janvier 1869 (d’après James Guillaumes). Quant à l’Alliance
Internationale de Démocratie socialiste elle fut fondée en septembre 1868 et
constitue la première tentative d’organisation anarchiste révolutionnaire.
Bakounine avait cru, au début, que la Franc-maçonnerie existante pouvait être
réformée, aussi écrivit-il un « Catéchisme de la Franc-maçonnerie Moderne » qui
commençait ainsi : « Pour devenir un corps vivant et utile, la Franc-maçonnerie
doit reprendre sérieusement le service de l’Humanité… » Mais les expériences
malheureuses de l’Alliance secrète au sein de la « Ligue de la Paix et de la
Liberté » lui font perdre toute illusion sur la rentabilité de tout travail
concerté d’anarchistes à l’intérieur d’une organisation bourgeoise.
Il nous a paru utile de livrer à nos
lecteurs la position définitive de Bakounine sur ce problème :
Voici un texte de Michel Bakounine,
publié dans le journal Le Progrès,
N°6 à 9 (1er mars au 1er mai 1869) :
« Aux compagnons de l’Association
Internationale des Travailleurs au Locle et à La Chaux-de-Fonds
Ce 23 février 1869, Neufchâtel
Amis et frères,
Avant de quitter vos montagnes,
j’éprouve le besoin de vous exprimer encore une fois, par écrit, ma gratitude
profonde pour la réception fraternelle que vous m’avez faite. N’est-ce pas une
chose merveilleuse qu’un homme, un Russe, un ci-devant noble, qui jusqu’à cette
dernière heure vous a été parfaitement inconnu, et qui a mis pour la première
fois le pied dans votre pays, à peine arrivé, se trouve entouré de plusieurs
centaines de frères ! Ce miracle ne peut plus être réalisé aujourd’hui que par
l’Association Internationale des Travailleurs, et cela par une simple raison :
elle seule représente aujourd’hui la vie historique, la puissance créatrice de
l’avenir politique et social. Ceux qui sont unis par une pensée vivante, par
une volonté et par une grande passion communes, sont réellement frères, lors
même qu’ils ne se connaissent pas.
Il y eut un temps où la bourgeoisie,
douée de la même puissance de vie et constituant exclusivement la classe
historique, offrait le même spectacle de fraternité et d’union aussi bien dans
les actes que dans la pensée. Ce fut le plus beau temps de cette classe,
toujours respectable sans doute, mais désormais impuissante, stupide et
stérile, à l’époque de son plus énergique développement. Elle fut ainsi avant
la grande révolution de 1793 ; elle le fut encore, quoique à un moindre degré,
avant les révolutions de 1830 et de 1848. Alors, la bourgeoisie avait un monde
à conquérir, une place à prendre dans la société, et organisée pour le combat,
intelligente, audacieuse, se sentant forte du droit de tout le monde, elle
était douée d’une toute-puissance irrésistible : elle seule a fait contre la
monarchie, la noblesse et le clergé réunis les trois révolutions.
A cette époque la bourgeoisie aussi
avait créé une association internationale, universelle, formidable, la
Franc-Maçonnerie.
On se tromperait beaucoup si l’on
jugeait de la Franc-Maçonnerie du siècle passé, ou même de celle du
commencement du siècle présent, d’après ce qu’elle est aujourd’hui. Institution
par excellence bourgeoise, dans son développement, par sa puissance croissante
d’abord et plus tard par sa décadence, la
Franc-Maçonnerie a représenté en quelque sorte le développement, la puissance
et la décadence intellectuelle et morale de la bourgeoisie. Aujourd’hui,
descendue au triste rôle d’une vieille intrigante radoteuse, elle est nulle,
inutile, quelquefois malfaisante et toujours ridicule, tandis qu’avant 1830
et surtout avant 1793, ayant réuni en son sein, à très peu d’exceptions près,
tous les esprits d’élite, les cœurs les plus ardents, les volontés les plus
fières, les caractères les plus audacieux, elle avait constitué une
organisation active, puissante et réellement bienfaisante. C’était
l’incarnation énergique et la mise en pratique de l’idée humanitaire du XVIIIe
siècle. Tous ces grands principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de la
raison et de la justice humaines, élaborés d’abord théoriquement par la
philosophie de ce siècle, étaient devenus au sein de la Franc-Maçonnerie des
dogmes politiques et comme les bases d’une morale et d’une politique nouvelles,
- l’âme d’une entreprise gigantesque de démolition et de reconstruction. La Franc-Maçonnerie
n’a été rien [de] moins, à cette époque, que la conspiration universelle de la
bourgeoisie révolutionnaire contre la tyrannie féodale, monarchique et divine.
- Ce fut l’Internationale de la Bourgeoisie.
On sait que presque tous les acteurs
principaux de la première Révolution ont été des Francs-Maçons, et que lorsque
cette Révolution éclata, elle trouva, grâce à la Franc-Maçonnerie, des amis et
des coopérateurs dévoués et puissants dans tous les autres pays, ce qui
assurément aida beaucoup son triomphe. Mais il est également évident que le
triomphe de la Révolution a tué la
Franc-Maçonnerie, car la Révolution ayant comblé en grande partie les vœux
de la Bourgeoisie en lui ayant fait prendre la place de l’aristocratie
nobiliaire, la Bourgeoisie, après avoir été si longtemps une classe exploitée
et opprimée, est devenue tout naturellement à son tour la classe privilégiée,
exploitante, oppressive, conservatrice et réactionnaire, l’amie et le soutien
le plus ferme de l’État. Après le coup d’État du premier Napoléon, la
Franc-Maçonnerie était devenue, dans une grande partie du continent européen,
une institution impériale.
La Restauration la ressuscita quelque
peu. En se voyant menacée du retour de l’Ancien Régime, forcée de céder à
l’Église et à la noblesse coalisées la place qu’elle avait conquise par la
première révolution, la bourgeoisie était forcément redevenue révolutionnaire.
Mais quelle différence entre ce révolutionnarisme réchauffé et le
révolutionnarisme ardent et puissant qui l’avait inspirée à la fin du siècle
dernier ! Alors la bourgeoisie avait été de bonne foi, elle avait cru
sérieusement et naïvement aux droits de l’homme, elle avait été poussée,
inspirée par le génie de la démolition et de la reconstruction, elle se
trouvait en pleine possession de son intelligence, et dans le plein
développement de sa force ; elle ne se doutait pas encore qu’un abîme la
séparait du peuple ; elle se croyait, se sentait, elle était réellement la
représentante du peuple. La réaction thermidorienne et la conspiration de
Babeuf l’ont à jamais privée de cette illusion. - L’abîme qui sépare le peuple
travailleur de la bourgeoisie exploitante, dominante et jouissante s’est
ouvert, et il ne faut rien [de] moins que le corps de la bourgeoisie tout
entière, toute l’existence privilégiée des bourgeois, pour le combler.
Aussi ne fut-ce plus la bourgeoisie
tout entière, mais seulement une partie de la bourgeoisie qui se remit à
conspirer après la Restauration, contre le régime clérical, nobiliaire et
contre les rois légitimes.
Dans ma prochaine lettre, je vous
développerai, si vous voulez bien me le permettre, mes idées sur cette dernière
phase du libéralisme constitutionnel et du carbonarisme bourgeois.
II.
J’ai dit dans mon article précédent
que les tentatives réactionnaires, légitimistes, féodales et cléricales avaient
fait revivre l’esprit révolutionnaire de la bourgeoisie, mais qu’entre cet
esprit nouveau et celui qui l’avait animée avant 1793, il y avait une
différence énorme. Les bourgeois du siècle passé étaient des géants en
comparaison desquels les plus osants de la bourgeoisie de ce siècle
n’apparaissent que comme des pygmées.
Pour s’en assurer, il n’y a qu’à
comparer leurs programmes. Quel a été celui de la philosophie et de la grande
révolution du XVIIIe siècle ? Ni plus ni moins que l’émancipation intégrale de
l’humanité tout entière ; la réalisation du droit et de la liberté réelle et
complète pour chacun, par l’égalisation politique et sociale de tous ; le
triomphe de l’humain sur les débris du monde divin ; le règne de la justice et
de la fraternité sur la terre. - Le tort de cette philosophie et de cette
révolution, c’était de n’avoir pas compris que la réalisation de l’humaine
fraternité était impossible, tant qu’il existerait des États, et que
l’abolition réelle des classes, l’égalisation politique et sociale des
individus ne deviendra possible que par l’égalisation des moyens économiques,
d’éducation, d’instruction, du travail et de la vie pour tous. On ne peut
reprocher au XVIIIe [siècle] de n’avoir pas compris cela. La science sociale ne
se crée et ne s’étudie pas seulement dans les livres, elle a besoin des grands
enseignements de l’histoire, et il a fallu faire la révolution de 1789 et de
1793, il a fallu encore passer par les expériences de 1830 et de 1848, pour
arriver à cette conclusion désormais irréfragable, que toute révolution
politique qui n’a pas pour but immédiat et direct l’égalité économique n’est,
au point de vue des intérêts et des droits populaires, qu’une réaction hypocrite
et masquée.
Cette vérité si évidente et si simple
était encore inconnue à la fin du XVIIIe siècle, et lorsque Babeuf vint poser
la question économique et sociale, la puissance de la révolution était déjà
épuisée. Mais il ne lui en reste pas moins l’honneur immortel d’avoir posé le
plus grand problème qui ait jamais été posé dans l’histoire, celui de
l’émancipation de l’humanité tout entière.
En comparaison de ce programme
immense, voyons quel fut plus tard le programme du libéralisme révolutionnaire,
à l’époque de la Restauration et de la monarchie de Juillet ? La prétendue
liberté constitutionnelle, une liberté bien sage, bien modeste, bien
réglementée, bien restreinte, toute faite pour le tempérament amoindri d’une
bourgeoisie à demi rassasiée et qui, lasse de combats et impatiente de jouir,
se sentait déjà menacée, non plus d’en haut, mais d’en bas, et voyait [avec]
inquiétude poindre à l’horizon, comme une masse noire, ces innombrables
millions de prolétaires exploités, las de souffrir et se préparant aussi à
réclamer leur droit.
Dès le début du siècle présent, ce
spectre naissant, qu’on a plus tard baptisé du nom de spectre rouge, ce fantôme
terrible du droit de tout le monde opposé aux privilèges d’une classe
d’heureux, cette justice et cette raison populaire, qui, en se développant
davantage, doivent réduire en poussière les sophismes de l’économie, de la
jurisprudence, de la politique et de la métaphysique bourgeoises, devinrent, au
milieu des triomphes modernes de la bourgeoisie, ses trouble-fête incessants,
les amoindrisseurs de sa confiance, de son courage et même de son esprit.
Et pourtant, sous la Restauration, la
question sociale était encore à peu près inconnue, ou pour mieux dire, oubliée.
Il y avait bien quelques grands rêveurs isolés, tels que Saint-Simon, Robert
Owen, Fourier, dont le génie ou le grand cœur avaient deviné la nécessité d’une
transformation radicale de l’organisation économique de la société. Autour de
chacun [d’eux] se groupaient un petit nombre d’adeptes dévoués et ardents,
formant autant de petites églises, mais aussi ignorés que les Maîtres, et
n’exerçant aucune influence au dehors. Il y avait eu en outre encore le
testament communiste de Babeuf, transmis par son illustre compagnon et ami,
Buonarroti, aux prolétaires les plus énergiques, au moyen d’une organisation
populaire et secrète. Mais ce n’était alors qu’un travail souterrain, dont les
manifestations ne se firent sentir que plus tard, sous la monarchie de Juillet,
et qui sous la Restauration ne fut aucunement aperçu par la classe bourgeoise.
- Le peuple, la masse des travailleurs restait tranquille et ne revendiquait
encore rien pour elle-même.
Il est clair que si le spectre de la
justice populaire avait une existence quelconque à cette époque, ce ne pouvait
être que dans la mauvaise conscience des bourgeois. D’où venait-elle, cette
mauvaise conscience ? Les bourgeois qui vivaient sous la Restauration
étaient-ils, comme individus, plus méchants que leurs pères qui avaient fait la
Révolution de 1789 et de 1793 ? Pas le moins du monde. C’étaient à peu près les
mêmes hommes, mais placés dans un autre milieu, dans d’autres conditions
politiques, enrichis d’une nouvelle expérience, et par conséquent ayant une
autre conscience.
Les bourgeois du siècle dernier
avaient sincèrement cru qu’en s’émancipant eux-mêmes du joug monarchique,
clérical et féodal, ils émancipaient avec eux tout le peuple. Et cette naïve et
sincère croyance fut la source de leur audace héroïque et de toute leur
puissance merveilleuse. - Ils se sentaient unis à tout le monde et marchaient à
l’assaut portant en eux la force, le droit [de] tout le monde. Grâce à ce droit
et à cette puissance populaire qui s’étaient pour ainsi dire incarnés dans leur
classe, les bourgeois du siècle dernier purent escalader et soumettre cette
forteresse du pouvoir politique, que leurs pères avaient convoitée pendant tant
de siècles. Mais au moment même où il y plantait leur bannière, une lumière
nouvelle se faisait dans leur esprit. Dès qu’ils eurent conquis le pouvoir, ils
commencèrent à comprendre qu’entre leurs intérêts, ceux de la classe
bourgeoise, et les intérêts des masses populaires, il n’y avait plus rien de
commun, qu’il y avait au contraire opposition radicale et que la puissance et
la prospérité exclusives de la classe des possédants ne pouvaient s’appuyer que
sur la misère et sur la dépendance politique et sociale du prolétariat.
Dès lors, les rapports de la
bourgeoisie et du peuple se transformèrent d’une manière radicale, et avant
même que les travailleurs aient compris que les bourgeois étaient leurs ennemis
naturels, encore plus par nécessité que par mauvaise volonté, les bourgeois
étaient déjà arrivés à la conscience de cet antagonisme fatal. - C’est ce que
j’appelle la mauvaise conscience des bourgeois. »
L’Humanité du 19 décembre 1922 publie la
résolution adoptée à Moscou, au sujet de la franc-maçonnerie.
Il ressort de la résolution que ceux
des militants communistes qui, avant le 1er janvier 1923 n’auraient
pas déclaré au Parti – puis rendue publique dans la presse communiste _ leur
rupture avec la franc-maçonnerie, seront exclus de l’organisation, « sans
droit d’y adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. » Allant plus
loin, ce texte se fait menaçant : « La dissimulation par quiconque de
son appartenance à la franc-maçonnerie sera considérée comme une pénétration
dans le Parti d’un agent de l’ennemi et flétrira l’individu en cause d’une
tache d’ignominie devant le prolétariat. » Ceux qui accepteront de quitter
la franc-maçonnerie ne seront pas pour autant absous de leurs fautes,
puisqu’ils seront privés pendant deux ans de la possibilité d’occuper un poste
important dans le Parti.
Le départ de Frossard et de nombreux
autres du Parti communiste est salué dans l’Humanité
du 8 janvier 1923 : « Le quatrième congrès mondial, en obligeant
notre Parti à rompre des liens secrets et honteux qui le liaient encore à la
bourgeoisie, a porté le bistouri au bon endroit, l’abcès crève et se vide. Le
Parti se débarrasse d’un grand nombre de francs-maçons, d’arrivistes, et de
petits et gros bourgeois qui voulaient s’en servir et non les servir. Les
cadres du Parti s’épurent. »
Cette position d’hostilité à la
franc-maçonnerie restera longtemps la doctrine « officielle » du PCF.
Certes, on peut introduire quelques
correctifs, en fonction des périodes concernées. On peut noter, par exemple
dans les années trente, celles des débuts de la lutte contre le fascisme et le
nazisme, une ouverture du communisme occidental – français y compris – vers la
maçonnerie. Après 1944 aussi, au moins jusqu’à la guerre froide, la
normalisation est de règle, et des lettres sont échangées entre la Grand Orient
de France et le PCF. Certains combats communs de la Résistance ont pu amener
les communistes à regarder autrement les francs-maçons. Mais la philosophie
générale reste la même, et la méfiance est toujours de règle, d’autant que dans
tous les pays sous influence communiste, la franc-maçonnerie ne sera jamais
autorisée, à une seule exception près, celle de Cuba.
Le jeune Karl Marx contribue à
implanter l'idée selon laquelle le socialisme implique une dose d'antisémitisme
en motivant l'amalgame entre judaïsme et bourgeoisie, comme dans Les Luttes de classes en France où il
écrit : “Ayant reçu à la place de son livret de caisse d'épargne des bons
du Trésor, il fut contraint d'aller les vendre à la Bourse et de se livrer
ainsi directement aux mains des juifs de la Bourse contre lesquels il avait
fait la révolution de février”.
Le marxisme contre la franc-maçonnerie,
Publié dans la Revue Internationale, Organe du Courant Communiste International
(CCI) Octobre 2005
http://fr.internationalism.org/rinte87/franc-maconnerie.htm
Extraits :
« C'est suite à l'exclusion d'un
de ses militants que le CCI a été amené à approfondir ce quelles furent les
positions des révolutionnaires face à l'infiltration de la franc-maçonnerie au
sein du mouvement ouvrier. En effet, pour justifier la fondation d’un réseau d'
« initiés » au sein de l’organisation, cet ex-militant distillait l'idée selon
laquelle sa passion pour les idéologies ésotériques et les « connaissances
secrètes » permettait une meilleure compréhension de l'histoire, allant «
au-delà » du marxisme. Il affirmait également que de grands révolutionnaires
comme Marx et Rosa Luxemburg connaissaient l'idéologie franc-maçonne, ce qui
est vrai, mais il laissait entendre qu’eux-mêmes étaient peut-être aussi francs-maçons.
Face à ce type de falsifications éhontées visant à dénaturer le marxisme, il
est nécessaire de rappeler le combat sans merci mené depuis plus d'un siècle
par les révolutionnaires contre la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes
qu'ils considéraient comme des instruments au service de la classe bourgeoise.
[…}
En combattant la bourgeoisie avec sa
fascination du caché et du mystère, Marx et Engels montrèrent que le
prolétariat est l’ennemi de toute politique de secret et de mystification
quelle qu’elle soit. A l’opposé du travailliste britannique Urquhart – dont la
lutte pendant près de 50 ans contre les politiques secrètes de la Russie
dégénéra en une « doctrine ésotérique secrète » d’une diplomatie russe « toute
puissante » comme le « seul facteur actif de l’histoire moderne » (Engels) –,
le travail des fondateurs du marxisme sur cette question fut toujours basé sur
une approche matérialiste, scientifique et historique. Cette méthode démasqua
l’ « ordre jésuite » caché de la Russie et de la diplomatie
occidentale et démontra que les sociétés secrètes des classes dominantes
étaient le produit de l’absolutisme et des « lumières » du 18e siècle, pendant
lequel la royauté imposa une collaboration entre la noblesse déclinante et la
bourgeoisie ascendante.
L’ « internationale artistocratique-bourgeoise
des lumières » à laquelle se référait Engels dans ses articles sur la politique
étrangère tsariste, fournit aussi la base sociale pour la franc-maçonnerie qui
surgit en Grande-Bretagne, le pays classique du compromis entre l’aristocratie
et la bourgeoisie. Alors que l’aspect bourgeois de la franc-maçonnerie attira
beaucoup de révolutionnaires bourgeois au 18e et au début du 19e siècle,
particulièrement en France et aux Etats-Unis, son caractère profondément
réactionnaire en fit très tôt une arme surtout dirigée contre la classe
ouvrière. Ce fut le cas après le soulèvement socialiste de la classe ouvrière
qui poussa rapidement la bourgeoisie à abandonner l’athéisme matérialiste de sa
propre jeunesse révolutionnaire. Dans la seconde moitié du 19e siècle, la
franc-maçonnerie européenne, qui avait été surtout jusque là le divertissement
d’une aristocratie qui s’ennuyait parce qu’elle avait perdu sa fonction
sociale, devint de plus en plus un bastion du nouvel athéisme anti-matérialiste
de la bourgeoisie dirigé essentiellement contre le mouvement ouvrier. Au sein
du mouvement maçonnique, toute une série d’idéologies se développèrent contre
le marxisme, idéologies qui devaient devenir plus tard le dénominateur commun
des mouvements contre-révolutionnaires du 20e siècle.
Selon une de ces idéologies, le
marxisme lui-même était une création de l’aile « illuminée » de la
franc-maçonnerie allemande contre laquelle les « vrais » francs-maçons devaient
se mobiliser. Bakounine, lui-même franc-maçon actif, fut le père d’une autre de
ces allégations que le marxisme était une « conspiration juive » : « Tout ce
monde juif, comprenant une seule secte dominante, une espèce de gens suceurs de
sang, une sorte de parasite collectif, destructif, organique, qui va au-delà
non seulement des frontières des Etats mais aussi des opinions politiques, ce
monde est maintenant, au moins pour sa plus grande partie, à la disposition de
Marx d’un côté, et de Rothschild de l’autre (...) Ceci peut paraître étrange.
Que peut-il y avoir de commun entre le socialisme et une grande banque ? Le
point est que le socialisme autoritaire, le communisme marxiste, exige une
forte centralisation de l’Etat. Et là où il y a centralisation de l’Etat, il
doit nécessairement y avoir une banque centrale, et là où existe une telle
banque on trouvera la nation juive parasite spéculant avec le Travail du
peuple. »[17]
Au contraire de la vigilance des 1re,
2e et 3e Internationales sur ces questions, une partie importante du milieu
révolutionnaire actuel se contente d’ignorer ce danger ou de railler la
prétendue vision « machiavélique » de l’histoire du CCI. Cette sous-estimation,
liée à une ignorance évidente d’une partie importante de l’histoire du
mouvement ouvrier, est le résultat de 50 ans de contre-révolution, qui ont
interrompu la transmission de l’expérience organisationnelle marxiste d’une
génération à l’autre. Cette faiblesse est d’autant plus dangereuse que
l’utilisation au cours de ce siècle des sectes et idéologies mystiques a
atteint des dimensions allant beaucoup plus loin que la simple question de la
franc-maçonnerie posée dans la phase ascendante du capitalisme.
Ainsi, la majorité des sociétés
secrètes anti-communistes, qui furent créées entre 1918 et 1923 contre la
révolution allemande, n’avaient pas toute leur origine dans la franc-maçonnerie
mais furent montées de toutes pièces par l’armée, sous le contrôle d’officiers
démobilisés. En tant qu’instruments directs de l’Etat capitaliste contre la
révolution communiste, elles furent démantelées dès que le prolétariat fut
défait. De même, depuis la fin de la contre-révolution à la fin des années
1960, la franc-maçonnerie classique n’est qu’un aspect de tout un dispositif de
sectes religieuses, ésotériques, racistes, aux idéologies, qui déclarent la guerre
au matérialisme et au concept de progrès historique, avec une influence
considérable dans les pays industrialisés. Ce dispositif constitue une arme
supplémentaire de la bourgeoisie contre la classe ouvrière.
La Première Internationale contre les
sociétés secrètes.
Déjà la Première Internationale a été
la cible d'attaques enragées de la part de l'occultisme. Les adeptes du
mysticisme catholique des carbonaristes et du mazzinisme étaient des
adversaires déclarés de l'Internationale. A New York, les adeptes de
l'occultisme de Virginia Woodhull essayèrent d'introduire le féminisme, l' «
amour libre » et les « expériences parapsychologiques » dans les sections
américaines. En Grande-Bretagne et en France, les loges maçonniques de l'aile
gauche de la bourgeoisie, appuyées par les agents bonapartistes, organisèrent
une série de provocations visant à discréditer l'Internationale et à permettre
l'arrestation de ses membres, ce qui obligea le Conseil Général à exclure Pyat
et ses partisans, et à les dénoncer publiquement. Mais le plus grand danger est
venu de l'Alliance de Bakounine, une organisation secrète dans l'Internationale
qui, avec les différents niveaux d' « initiation » de ses membres «
aux secrets » et avec ses méthodes de manipulation (le Catéchisme révolutionnaire
de Bakounine) reproduisait exactement l'exemple de la franc-maçonnerie. On
connaît bien l'énorme engagement que Marx et Engels ont manifesté pour
repousser ces attaques, pour démasquer Pyat et ses partisans bonapartistes,
pour combattre Mazzini et les actions de Woodhull, et par-dessus tout pour
mettre à nu le complot de l'Alliance de Bakounine contre l'Internationale (voir
la Revue Internationale n °84 et 85). La pleine conscience qu'ils avaient de la
menace que constitue l'occultisme se retrouve dans la résolution proposée par
Marx lui-même, adoptée par le Conseil général, sur la nécessité de combattre
les sociétés secrètes.
A la conférence de Londres de L'AIT,
en septembre 1871, Marx (1818-1883) insistait
sur le fait que « ce type d'organisation se trouve en contradiction avec le
développement du mouvement prolétarien, à partir du moment où ces sociétés, au
lieu d'éduquer les ouvriers, les soumettent à leur lois autoritaires et
mystiques qui entravent leur indépendance et entraînent leur conscience dans
une fausse direction. » (Marx-Engels, Oeuvres)
La bourgeoisie aussi a essayé de
discréditer le prolétariat à travers les allégations des médias suivant
lesquelles l'Internationale et la Commune de Paris auraient toutes deux été
organisées par une direction secrète de type maçonnique. Dans une interview au
journal The New York World, qui
suggérait que les ouvriers étaient les instruments d'un « conclave »
d'audacieux conspirateurs présents au sein de la Commune de Paris, Marx
déclarait :
« Cher monsieur, il n'y a pas de
secret à éclaircir... à moins que ce ne soit le secret de la stupidité humaine
de ceux qui ignorent obstinément le fait que notre Association agit en public,
et que des rapports développés de nos activités sont publiés pour tous ceux qui
veulent les lire. »
La Commune de Paris, selon la logique
du World, « pourrait également avoir été une conspiration des
francs-maçons car leur contribution n'a pas été petite. Je ne serais vraiment
pas étonné si le pape venait à leur attribuer toute la responsabilité de
l'insurrection. Mais envisageons une autre explication. L'insurrection de Paris
a été faite par les ouvriers parisiens. »
Le combat contre le mysticisme dans
la Deuxième Internationale.
Avec la défaite de la Commune de
Paris et la mort de l'Internationale, Marx et Engels ont appuyé le combat pour
soustraire de l'influence de la franc-maçonnerie des organisations ouvrières
dans des pays comme l'Italie, l'Espagne ou les Etats-Unis (les « Chevaliers du
Travail »). La Deuxième Internationale, fondée en 1889, était, au début, moins
vulnérable que la précédente à l'infiltration occultiste, car elle avait exclu
les anarchistes. L'ouverture même du programme de la Première Internationale
avait permis à des « éléments déclassés de s'y faufiler et d'établir, en son
coeur même, une société secrète dont les efforts, au lieu d'être dirigés contre
la bourgeoisie et les gouvernements existants, l'étaient contre
l'Internationale elle-même. » (Rapport sur l'Alliance au congrès de La Haye,
1872) Alors que la Deuxième Internationale était moins perméable sur ce plan,
les attaques ésotériques commencèrent, non pas au moyen d'une infiltration
organisationnelle, mais à travers une offensive idéologique contre le marxisme.
A la fin du 19e siècle, la franc-maçonnerie
allemande et autrichienne se vantait d'avoir réussi à libérer les universités
et les cercles scientifiques du « fléau du matérialisme ». Avec le
développement des illusions réformistes et de l'opportunisme dans le mouvement
ouvrier, au début du siècle, c'est à partir de ces scientifiques d'Europe
centrale que le mouvement bernsteinien adopta « la découverte » du «
dépassement du marxisme » par l'idéalisme et l'agnosticisme néo-kantien. Dans
le contexte de la défaite du mouvement prolétarien en Russie après 1905, la
maladie de la « construction de Dieu » pénétra jusque dans les rangs du
bolchevisme, d'où elle fut néanmoins rapidement éradiquée. Au sein de
l'Internationale comme un tout, la gauche marxiste développa une défense
héroïque et brillante du socialisme scientifique, sans pour autant être capable
de stopper l'avancée de l'idéalisme, si bien que la franc-maçonnerie commença à
gagner des adeptes dans les rangs des partis ouvriers. Jaurès, le fameux leader
ouvrier français, défendait ouvertement l'idéologie de la franc-maçonnerie
contre ce qu'il appelait « l'interprétation économiste pauvre et étroitement
matérialiste de la pensée humaine » du révolutionnaire marxiste Franz Mehring.
Dans le même temps, le développement de l'anarcho-syndicalisme en réaction au
réformisme ouvrit un nouveau champ pour le développement d'idées
réactionnaires, parfois mystiques, basées sur les écrits de philosophes comme
Bergson, Nietzsche (celui-ci s'étant qualifié lui-même de « philosophe de
l'ésotérisme ») ou Sorel. Cela, en retour, affecta des éléments anarchistes au
sein de l'Internationale comme Hervé en France ou Mussolini en Italie qui, à
l'éclatement de la guerre, s'en allèrent rejoindre les organisations de
l'extrême-droite de la bourgeoisie. Les marxistes tentèrent en vain d'imposer
une lutte contre la franc-maçonnerie dans le parti français, ou d'interdire aux
membres du parti en Allemagne une « seconde loyauté » pour ce type
d'organisations.
Mais, dans la période d'avant 1914,
ils ne furent pas assez forts pour imposer des mesures organisationnelles
semblables à celles que Marx et Engels avaient fait adopter dans l'AIT.
La Troisième Internationale contre la
franc-maçonnerie.
Déterminé à surmonter les faiblesses
organisationnelles de la deuxième internationale qui favorisèrent sa faillite
en 1914, le Komintern a lutté pour l'élimination totale des éléments
« ésotériques » de ses rangs. En 1922, face à la l'infiltration au
sein du Parti communiste français d'éléments appartenant à la franc-maçonnerie
et qui ont gangrené le parti dès sa fondation au congrès de Tours, le 4e
congrès de l'Internationale Communiste, dans sa « Résolution sur la question
française » devait réaffirmer les principes de classe dans les termes suivants
: « L'incompatibilité de la franc-maçonnerie et du socialisme était considérée
comme évidente dans la plupart des partis de la Deuxième Internationale (...)
Si le deuxième Congrès de l'Internationale Communiste n'a pas formulé, dans les
conditions d'adhésion à l'Internationale, de point spécial sur
l'incompatibilité du communisme et de la franc-maçonnerie, c'est parce que ce
principe a trouvé sa place dans une résolution séparée votée à l'unanimité du
Congrès. Le fait, qui s'est révélé d'une façon inattendue au 4e Congrès de
l'Internationale Communiste, de l'appartenance d'un nombre considérable de
communistes français aux loges maçonniques est, aux yeux de l'Internationale
Communiste, le témoignage le plus manifeste et en même temps le plus pitoyable
que notre Parti français a conservé, non seulement l'héritage psychologique de
l'époque du réformisme, du parlementarisme et du patriotisme, mais aussi des
liaisons tout à fait concrètes, extrêmement compromettantes pour la tête du
Parti, avec les institutions secrètes, politiques et carriéristes de la
bourgeoisie radicale (...) L'Internationale considère comme indispensable de
mettre fin, une fois pour toutes, à ces liaisons compromettantes et
démoralisatrices de la tête du Parti Communiste avec les organisations
politiques de la bourgeoisie. L'honneur du prolétariat de France exige qu'il
épure toutes ses organisations de classe des éléments qui veulent appartenir à
la fois aux deux camps en lutte. Le Congrès charge le Comité Directeur du Parti
Communiste français de liquider avant le 1er janvier 1923 toutes les liaisons
du Parti, en la personne de certains de ses membres et de ses groupes, avec la
franc-maçonnerie. Celui qui, avant le 1er janvier, n'aura pas déclaré
ouvertement à son organisation et rendu publique par la presse du Parti sa rupture
complète avec la franc-maçonnerie est, par là-même, automatiquement exclu du
Parti communiste sans droit d'y jamais adhérer à nouveau, à quelque moment que
ce soit. La dissimulation par quiconque de son appartenance à la
franc-maçonnerie sera considérée comme pénétration dans le Parti d'un agent de
l'ennemi et flétrira l'individu en cause d'une tache d'ignominie devant tout le
prolétariat. »
Au nom de l'internationale, Trotsky
dénonça l'existence de liens entre la « franc-maçonnerie et les institutions du
parti, le comité de rédaction, le comité central » en France. « La ligue des
droits de l'homme et la franc-maçonnerie sont des instruments de la bourgeoisie
qui font diversion à la conscience des représentants du prolétariat français.
Nous déclarons une guerre sans pitié à ces méthodes car elles constituent une
arme secrète et insidieuse de l'arsenal bourgeois. On doit libérer le parti de
ces éléments. » (Trotsky, La voix de l'Internationale : le mouvement communiste
en France) De façon similaire, le délégué du Parti communiste allemand (KPD) au
3e congrès du Parti Communiste italien à Rome, en se référant aux thèses sur la
tactique communiste soumises par Bordiga et Terracini, affirmait : « Le
caractère irréconciliable évident entre l'appartenance simultanée au Parti
Communiste et à un autre Parti, s'applique, en dehors de la pratique politique,
aussi à ces mouvements qui, en dépit de leur caractère politique, n'ont pas le
nom ni l'organisation d'un parti (...) on trouve ici en particulier la franc-maçonnerie.
» (« Les thèses italiennes », Paul Butcher dans L'Internationale, 1922) Le
développement vertigineux des sociétés secrètes dans la décadence capitaliste.
[…]
Déjà, le deuxième congrès mondial de
l'Internationale communiste, en 1920, avait adopté une motion du parti italien
contre les francs-maçons, motion qui officiellement ne faisait pas partie des «
21 conditions » pour adhérer à l'internationale mais qui officieusement était
connue comme la 22e condition. En fait, les fameuses 21 conditions d'août 1920
obligèrent toutes les sections de l'Internationale à organiser des structures
clandestines pour protéger l'organisation face à l'infiltration, pour faire des
investigations en direction des activités de l'appareil illégal
contre-révolutionnaire de la bourgeoisie. Elles les amenèrent également à
soutenir le travail centralisé internationalement qui était dirigé contre les
actions politiques et répressives du capital. Le troisième congrès en juin 1921
adopta des principes destinés à mieux protéger l'Internationale contre les
informateurs et agents provocateurs, par l'observation systématique des
activités, officielles et secrètes, de la police, de l'appareil paramilitaire,
des francs-maçons, etc. Un comité spécial, l'OMS, fut créé pour coordonner internationalement
ce travail. Le KPD, par exemple, publiait régulièrement des listes d'agents
provocateurs et d'informateurs de la police exclus de ses rangs, avec leur
photo et la description de leurs méthodes. « D'août 1921 à août 1922 le
département d'information démasqua 124 informateurs, agents provocateurs et
escrocs. Soit ils avaient été envoyés dans le KPD par la police ou des
organisations de droite, soit ils avaient espéré exploiter financièrement le
KPD pour leur propre compte. » (4) Des brochures furent préparées sur cette
question. Le KPD découvrit aussi qui avait tué Liebknecht et Luxemburg, publia
les photos des assassins et demanda l'aide de la population pour les
pourchasser. Une organisation spéciale fut créée pour défendre le parti contre les
sociétés secrètes et les organisations paramilitaires de la bourgeoisie. Ce
travail incluait des actions spectaculaires. Ainsi, en 1921, des membres du
KPD, déguisés en policiers, perquisitionnèrent les locaux d'un bureau de
l'armée blanche russe à Berlin et confisquèrent les papiers. Des attaques
surprises furent menées contre les bureaux secrets de la criminelle «
Organisation Consul ». Et surtout, le Kominterm alimentait régulièrement toutes
les organisations ouvrières en avertissements concrets et en informations sur
les experts du bras occulte de la bourgeoisie afin de l'anéantir.
Après 1968 : la renaissance des
manipulations occultes contre le prolétariat.
Avec la défaite de la révolution
communiste après 1923, le réseau secret anti-prolétarien de la bourgeoisie fut
soit dissout soit affecté à d'autres tâches par l'Etat. En Allemagne, beaucoup
de ces éléments furent plus tard intégrés dans le mouvement nazi. Mais quand
les luttes ouvrières massives de 1968 en France mirent fin à 50 ans de contre-révolution
et ouvrirent une nouvelle période de développement de la lutte de classe, la
bourgeoisie commença à réactiver son appareil caché anti-prolétarien. En mai
1968 en France, « le Grand Orient salua avec enthousiasme le magnifique
mouvement des étudiants et des ouvriers et envoya de la nourriture et des
médicaments à la Sorbonne occupée. » ([11]) Ce « salut » n'était qu'hypocrisie.
Dès après 1968, en France, la bourgeoisie va mettre en branle ses sectes «
néo-templières », « rosicruciennes » et « martinistes » dans le but d'infiltrer
les groupes gauchistes et autres, en collaboration avec les structures du SAC
(le Service d'Action Civique, créé par les hommes de main de De Gaulle). Par
exemple, Luc Jouret, le gourou du « Temple solaire », a commencé sa carrière
d'agent d'officines parallèles semi-légales en infiltrant des groupes maoïstes,
avant de se retrouver en 1978 comme médecin parmi les parachutistes belges et
français qui sautèrent sur Kolwesi au Zaïre. En fait, les années suivantes
apparurent des organisations du type de celles utilisées contre la révolution
prolétarienne dans les années 1920. A l'extrême-droite, le Front Européen de
Libération a fait renaître la tradition du National-Bolchevisme. En Allemagne,
le front Ouvrier Social Révolutionnaire, suivant sa devise : « la frontière
n'est pas entre la gauche et la droite, mais entre au-dessus et en dessous »,
se spécialise dans l'infiltration de différentes organisations de gauche. La
Loge de Thulé a également été refondée comme société secrète
contre-révolutionnaire. ([13]) Parmi les services de renseignement privés de la
droite moderne on trouve ceux de la Ligue Mondiale Anticommuniste, ceux du
Comité du Travail ou encore ceux du Parti Européen du Travail dont le leader
Larouche est décrit par un membre du Conseil National de Sécurité des Etats
Unis comme ayant « le meilleur service privé de renseignement du monde. »
([14]) En Europe, certaines sectes rosicruciennes sont d'obédience américaine,
d'autres d'obédience européenne telle que l' « Association Synarchique d'Empire
» dirigée par la famille des Habsbourg qui a régné sur l'Europe à travers
l'empire austro-hongrois. Des versions de gauche de telles organisations
contre-révolutionnaires ne sont pas moins actives. En France, par exemple, des sectes
se sont constituées dans la tradition « martiniste », une variante de la
franc-maçonnerie qui, dans l'histoire, s'est spécialisée dans les missions
secrètes d'agents d'influence complétant le travail des services secrets
officiels ou dans l'infiltration et la destruction des organisations ouvrières.
De tels groupes propagent l'idée que le communisme soit n'explique pas tout et
doit être enrichi, soit qu'il peut être instauré plus sûrement par les
manipulations d'une minorité éclairée. Comme d'autres sectes, ils sont
spécialisés dans l'art de la manipulation des personnes, pas seulement leur
comportement individuel mais surtout leur action politique. Plus généralement,
le développement de sectes occultes et de regroupements ésotériques dans les
dernières années n'est pas seulement l'expression du désespoir et de l'hystérie
de la petite-bourgeoise face à la situation historique mais est encouragé et
organisé par l'Etat. Le rôle de ces sectes dans les rivalités impérialistes est
connu (cf. l'utilisation de l'Eglise de Scientologie par la bourgeoisie
américaine contre l'Allemagne). Mais tout ce mouvement « ésotérique » fait
également partie de l'attaque idéologique de la bourgeoisie contre le marxisme,
particulièrement depuis 1989 avec la prétendue « mort du communisme ».
Historiquement, c'est face au développement du mouvement socialiste que la
bourgeoisie européenne commença à s'identifier avec l'idéologie mystique de la
franc-maçonnerie, particulièrement après la révolution de 1848. Aujourd'hui la
haine profonde de l'ésotérisme envers le matérialisme et le marxisme, aussi
bien qu'envers les masses prolétariennes considérées comme « matérialistes » et
« stupides », n'est rien d'autre que la haine que concentrent la bourgeoisie et
la petite-bourgeoise face au prolétariat non vaincu. Incapable elle-même
d'offrir aucune alternative historique, la bourgeoisie oppose au marxisme le
mensonge selon lequel le stalinisme était du communisme mais aussi la vision
mystique suivant laquelle le monde ne pourra être « sauvé » que lorsque la
conscience et la rationalité auront été remplacées par les rituels, l'intuition
et les supercheries. Aujourd'hui, face au développement du mysticisme et à la
prolifération des sectes occultes dans la société capitaliste en décomposition,
les révolutionnaires doivent tirer les leçons de l'expérience du mouvement
ouvrier contre ce que Lénine appelait « le mysticisme, ce cloaque pour les
modes contre-révolutionnaires. » Ils doivent se réapproprier cette lutte
implacable menée par les marxistes contre l'idéologie franc-maçonne. Ils
doivent « rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité »
(comme le disait Marx) en dénonçant fermement ce type d'idéologie
réactionnaire. Au même titre que la religion, qualifiée par Marx au siècle
dernier, d' « opium du peuple » les thèmes idéologiques de la franc-maçonnerie
moderne sont un poison distillé par l'Etat bourgeois pour détruire la
conscience de classe du prolétariat. Le fait que le mouvement ouvrier du passé
ait dû mener un combat permanent contre l'occultisme est assez peu connu
aujourd'hui. En réalité, l'idéologie et les méthodes d'infiltration secrète de
la franc-maçonnerie ont toujours été un des fers de lance des tentatives de la
bourgeoisie pour détruire, de l'intérieur, les organisations communistes. Si le
CCI, comme beaucoup d'organisations révolutionnaires du passé, a subi la
pénétration en son sein de ce type d'idéologie, il est de son devoir et de sa
responsabilité de communiquer à l'ensemble du milieu politique prolétarien les
leçons du combat qu'il a mené pour la défense du marxisme, de contribuer à la
réappropriation de la vigilance du mouvement ouvrier du passé face à la
politique d'infiltration et de manipulation par l'appareil occulte de la
bourgeoisie. »
En 1922, très certainement inquiet d'une
présence importante de communistes dans les loges du Grand Orient de France
ainsi que des divisions du Parti communiste, le quatrième congrès de l'Internationale
communiste exigea, avec un succès mitigé, du Parti communiste qu'il
rompe tout lien avec la maçonnerie et les maçons, et qu'il exclue de
ses rangs tous ses membres qui demeureraient maçons. Ce ne fut qu'en
1945 que le Parti communiste leva ces mesures.
Nous avons déjà évoqué l'hostilité
du quatrième congrès de l'Internationale communiste à l'égard
des maçons français. La maçonnerie est comptée au nombre des «institutions
secrètes politiques et carriéristes de la bourgeoisie radicale». La Résolution
sur la question française édictait en effet :
« Le
Congrès charge le comité directeur du Parti communiste français de liquider,
avant le 1er janvier 1923, toutes les liaisons du parti, en la
personne de certains de ses membres et de ses groupes, avec la
franc-maçonnerie. Celui qui avant le 1er
janvier n'aura pas déclaré ouvertement
à son organisation et rendu publique par la presse du parti, sa rupture avec la
franc-maçonnerie est, par là même, automatiquement exclu du parti communiste
sans droit d’y jamais adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. La
dissimulation par quiconque de son appartenance à la franc-maçonnerie sera
considérée comme une pénétration dans le parti d'un agent de
l'ennemi et flétrira l'individu en cause d'une tache d'ignominie
devant tout le prolétariat ». (Manifestes, thèses et résolutions des
quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, 1919-1923, Paris,
Librairie du travail, 1934, page 197.)
Certains postes sont interdits aux
anciens maçons pour deux ans.
Quelques jours plus tard, L'Humanité,
commentant cette décision, qualifiait la maçonnerie de «plaie sur le corps
du communisme [et qu'] il faut [...] cautériser au fer
rouge». » (L’Humanité, 24
décembre 1922). Cette «excommunication», qui n'a rien à envier à
celles des papes, ne fut levée qu'en novembre 1945, à la demande du
Grand Orient de France.
Avec la quatrième Internationale, la
maçonnerie disparut de Russie soviétique. Toutefois, ce fut surtout après la
Deuxième Guerre que, jugée réactionnaire, elle fit l'objet d'attaques
répétées qui se renforcèrent par l'accusation de collusion avec le
sionisme. Ainsi, B. Polejaïev, dans la Komsomolkaïa Pravda du 13
septembre 1978, accusait les maçons d'être les instigateurs de la sociologie de
la jeunesse qui appellerait à se libérer de toutes les idéologies. Il
dénonçait l'infiltration des maçons dans les pouvoirs civils et leur
antipatriotisme qui chercherait à saper l'espoir en la disparition des
inégalités. Il voyait dans le club Bildeberg un groupe «créé sur le modèle
maçonnique et entouré d'un halo de mystère38». Il
reprochait enfin à la maçonnerie d'être un agent judaïque de l'anticommunisme
servant de paravent aux sionistes.
Combattue pour son caractère
bourgeois, la franc-maçonnerie connut une éclipse presque totale dans l'aire
soviétique jusqu'à la chute du mur de Berlin. Depuis lors, soutenue
par les obédiences occidentales, elle s'est réinstallée dans tous
ces pays. En revanche, le régime cubain s'est fort bien accommodé
de l'existence des loges, notamment parce que José Marti et Maximo
Gomez, grands artisans de l'émancipation cubaine, furent, ainsi que
de nombreux castristes, des maçons notoires.
Dans les pays dominés par le
marxisme-léninisme, la prohibition antimaçonnique est rapide et totale. Si la
Russie des tsars se montre très réticente à la Maçonnerie, jugée par l'Église
orthodoxe comme un vecteur néfaste de l'occidentalisme, la Russie des soviets
ne compose pas : elle l'interdit dès 1917, lors de son accession au pouvoir, et
extermine ou déporte en camp de travail les quelques milliers de francs-maçons
russes, non pas au nom de leur appartenance à l'Ordre, mais en raison de leur
attitude libérale en politique, dite "petite bourgeoise". Dans les
Izvestia, Trotsky considère la franc-maçonnerie comme la "peste du
communisme" qui doit être "détruite par le fer rouge" et, en
1921, au cours de la IIIe Internationale, il exige que l'adhésion à une loge
soit interdite à tous les membres du parti.
Les arguments qu'il invoque relèvent
de la mythologie léniniste traditionnelle. Les Maçons sont perçus comme les
agents d'infiltration de la petite bourgeoisie dans toutes les couches sociales
et leur solidarité comprise comme un obstacle à l'action prolétaire. La liberté
que revendique les adeptes est dénoncée à titre de "concept
bourgeois", opposé à la "liberté" de la dictature du prolétariat.
Quant aux rites maçonniques, ils rappellent trop clairement les habitudes
religieuses, avilissantes pour le peuple, suivant la terminologie en usage chez
les révolutionnaires bolcheviks. Un an plus tard, la IVe Internationale réunie
à Moscou radicalise encore sa condamnation. L'incompatibilité morale entre une
association pratiquant la tolérance et un parti créé sur un dogmatisme
révolutionnaire est rappelée avec force, ainsi que tous les autres motifs
évoqués précédemment. Mais le grand conclave communiste ajoute une raison
nouvelle et une menace précise à ses prohibitions antérieures : désormais, tout
membre du parti qui dissimulerait son affiliation maçonnique serait jugé comme
un agent ennemi infiltré à l'intérieur du mouvement communiste et passible des
peines les plus sévères.
Ces dispositions n'affectent pas
beaucoup l'Union soviétique, devenue d'emblée un désert maçonnique, mais créent
des remous dans les pays européens. Un peu à la manière dont les catholiques
pratiquants avaient été, dans les premières années du XIXe siècle, contraints
de choisir entre leur fidélité à l'Église et leur appartenance à la Loge, les
membres des partis communistes des pays d'Europe occidentale doivent quitter le
parti ou abandonner la Maçonnerie. De nombreux militants restent fidèles à leur
attachement maçonnique et abjurent leur engagement communiste. D'autres, comme
le Frère Camélinat, qui apporte en dot au parti le journal L'Humanité, fondé
par Jean Jaurès, rompent les ponts avec leur Atelier et se consacrent tout
entiers à l'action politique. La répression d'esprit clérical menée par les
partisans du bolchevisme a donc débordé le cadre étroit de l'État soviétique,
pour toucher des pays où le communisme est toujours resté une tendance très
minoritaire. Avec les années d'ailleurs, la règle interdisant la double
appartenance va s'assouplir dans les pays occidentaux et plusieurs membres du
parti marxiste-léniniste reçoivent l'initiation, sans obtenir la bénédiction
des cadres communistes, mais sans encourir l'exclusion promise par les textes.
La Grande Encyclopédie soviétique, dans sa version de 1954, donne sous la
rubrique massenstovo, une définition de la Maçonnerie qui trahit les préjugés
habituels des milieux communistes à l'égard des loges. Elle souligne que,
héritiers des corporations de constructeurs médiévaux, les francs-maçons
appartiennent aux classes privilégiées de la société. Rappelant que la
fraternité proclamée dans des conditions d'antagonisme des classes ne peut que
renforcer l'exploitation de l'homme par l'homme et éloigner les travailleurs du
combat révolutionnaire, redisant avec force que le symbolisme des Maçons ne
peut que ressusciter le rêve religieux ou favoriser des pratiques magiques, la
bible du marxisme-léninisme concoctée à Moscou laisse aussi percer l'ampleur de
ses déformations idéologiques (inspirées par une phobie antiaméricaine) quand
elle veut considérer l'Ordre comme l'un des "mouvements les plus
réactionnaires", qui reçoit ses consignes des Etats-Unis, où se situe le centre
de son organisation. L'aveuglement de l'antimaçonnisme communiste ne le cède
donc en rien à l'absurdité de l'antimaçonnisme catholique et sait, lui aussi,
trouver des démons à la mesure de ses craintes et de ses chimères.
Dans les pays satellites de l'Union
soviétique, la situation de la franc-maçonnerie est sensiblement la même que
celle vécue dans l'ancienne Russie. Dès que la Pologne, la Hongrie, l'Allemagne
orientale, la Tchécoslovaquie, la Roumanie tombent aux mains de la puissance
soviétique, les loges y sont fermées dans un délai plus ou moins long et les
francs-maçons suspectés d'intelligence avec l'ennemi de classe. Un seul pays
fait exception à cette règle : Cuba, en raison, sans doute, de la participation
de nombreux initiés aux insurrections de 1959 et la chute de Fulgienco Batista.
Trois obédiences et plusieurs dizaines de loges continuent à
"travailler" dans l'île. Toutefois, très surveillés par la police et
noyautés par les services politiques (la Grande Loge se réunit dans un immeuble
dont les deux premiers étages sont occupés par l'administration gouvernementale
!), les francs-maçons cubains se trouvent dans l'impossibilité de pratiquer
l'Art royal de manière satisfaisante : le libéralisme philosophique, la
tolérance, la défense des valeurs démocratiques, le symbolisme initiatique ne
peuvent y être vécus avec toute la sérénité souhaitée. Quant au secret lié à
l'identité des adeptes, il ne peut exister dans un pays où la délation et le
contrôle policier sont élevés au rang d'usages politiques essentiels.
La vingt-deuxième condition de
Moscou, réservée aux dirigeants de l’Internationale communiste, interdisait la
double appartenance à la franc-maçonnerie.
Pour Léon Trotski, les temples
maçonniques favorisent la collaboration de classe, qu'il juge nécessairement
contre-révolutionnaire : « La franc-maçonnerie est une plaie sur le corps du
communisme français, qu'il faut brûler au fer rouge »[19]. La direction du
Parti communiste français donne donc l'ordre à ses adhérents maçons de quitter
leurs loges : « La dissimulation par quiconque de son appartenance à la
franc-maçonnerie sera considérée comme une pénétration dans le parti d'un agent
de l'ennemi et flétrira l'individu en cause d'une tache d'ignominie devant le
prolétariat »[20]. C’est ainsi que Marcel Cachin et André Marty quittent le
Grand Orient en 1922[21].
La Franc-maçonnerie la Ligue des
droits de l'Homme et la presse bourgeoise
L'incompatibilité de la
franc-maçonnerie et du socialisme était considérée comme évidente dans la
plupart des partis de la IIe Internationale. Le Parti Socialiste
italien a exclu les francs-maçons en 1914, et cette mesure a été, sans aucun
doute, une des raisons qui ont permis à ce parti de suivre, pendant la guerre,
une politique d'opposition, puisque les francs-maçons, en qualité d'instruments
de l'Entente, agissaient en faveur de l'intervention.
Si le deuxième Congrès de
l'Internationale Communiste n'a pas formulé, dans les conditions d'adhésion à
l'Internationale, de point spécial sur l'incompatibilité du communisme et de la
franc-maçonnerie, c'est parce que ce principe a trouvé sa place dans une
résolution séparée votée à l'unanimité du Congrès.
Le fait, qui s'est révélé d'une façon
inattendue au 4e Congrès de l'Internationale Communiste, de
l'appartenance d'un nombre considérable de communistes français aux loges
maçonniques est, aux yeux de l'Internationale Communiste le témoignage le plus
manifeste et en même temps le plus pitoyable que notre Parti français a
conservé, non seulement l'héritage psychologique de l'époque du réformisme, du
parlementarisme et du patriotisme, mais aussi des liaisons tout à fait
concrètes, extrêmement compromettantes pour la tête du Parti, avec les
institutions secrètes, politiques et carriéristes de la bourgeoisie radicale.
Tandis que l'avant-garde communiste
du prolétariat recueille toutes ses forces pour une lutte sans merci contre
tous les groupements et organisations de la société bourgeoise au nom de la
dictature prolétarienne, de nombreux militants responsables du Parti, députés, journalistes,
et jusqu'à des membres du Comité Directeur, conservent une liaison étroite avec
les organisations secrètes de l'ennemi.
Un fait particulièrement déplorable
est celui que tout le Parti dans toutes ses tendances, n'a pas soulevé cette
question après Tours, malgré sa clarté évidente pour toute l'Internationale et
qu'il ait fallu la lutte des fractions à l'intérieur du Parti pour la faire
surgir devant l'Internationale dans toute son importance menaçante.
L'Internationale considère comme
indispensable de mettre fin, une fois pour toutes, à ces liaisons
compromettantes et démoralisatrices de la tête du Parti Communiste avec les
organisations politiques de la bourgeoisie. L'honneur du prolétariat de France
exige qu'il épure toutes ses organisations de classe des éléments qui veulent
appartenir à la fois aux deux camps en lutte.
Le Congrès charge le Comité Directeur
du Parti Communiste français de liquider avant le 1er janvier 1923
toutes les liaisons du Parti, en la personne de certains de ses membres et de
ses groupes, avec la franc-maçonnerie. Celui qui, avant le 1er
janvier n'aura pas déclaré ouvertement à son organisation et rendu publique par
la presse du Parti sa rupture complète avec la franc-maçonnerie est, par
là-même, automatiquement exclu du Parti communiste sans droit d'y jamais
adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. La dissimulation par quiconque
de son appartenance à la franc-maçonnerie sera considérée comme pénétration
dans le Parti d'un agent de l'ennemi et flétrira l'individu en cause d'une
tâche d'ignominie devant tout le prolétariat.
Considérant que le seul fait
d'appartenir à la Franc-Maçonnerie, qu'on ait poursuivi ou non, ce faisant, un
but matériel, carriériste ou tout autre but flétrissant, témoigne d'un
développement extrêmement insuffisant de la conscience communiste et de la
dignité de classe, le IVe Congrès reconnaît indispensable que les
camarades qui ont appartenu jusqu'à présent à la Franc-Maçonnerie et qui
rompront maintenant avec elle soient privés durant deux ans du droit d'occuper
des postes importants dans le Parti. Ce n'est que par un travail intense pour
la cause de la révolution en qualité de simples militants que ces camarades
peuvent reconquérir la confiance complète et le droit d'occuper dans le Parti
des postes importants.
Considérant que la ligue pour la défense des Droits de
l'homme et du Citoyen est, dans son essence, une organisation du
radicalisme bourgeois, qu'elle utilise ses actes isolés contre telle ou telle
injustice pour semer les illusions et les préjugés de la démocratie bourgeoise
et surtout que, dans les cas les plus décisifs et les plus graves, comme par
exemple pendant la guerre, elle prête tout son appui au capital organisé sous
forme d'Etat, le IVe. Congrès de l'Internationale Communiste estime absolument
incompatible avec le titre de communiste et contraire aux conceptions
élémentaires du communisme le fait d'appartenir à la Ligue des Droits de
l'Homme et du Citoyen et invite tous les membres du Parti adhérant à cette
Ligue à en sortir avant le 1er janvier 1923, en le portant à la
connaissance de leur organisation et en le publiant dans la Presse ;
Le Congrès invite le Comité Directeur
du Parti Communiste français :
a) A publier immédiatement son
appel à tout le Parti, éclaircissant le sens et la portée de la présente
résolution.
b) A prendre toutes les mesures
découlant de la résolution pour que l'épuration du Parti de la Franc-Maçonnerie
et la rupture de toutes les relations avec la Ligue des Droits de l'Homme et du
Citoyen soit effectuée sans faiblesse et sans omission avant le 1er
janvier 1923. Le Congrès exprime son assurance que, dans son travail
d'épuration et d'assainissement, le Comité Directeur sera soutenu par l'immense
majorité des membres du Parti, à quelque fractions qu'ils appartiennent.
Le Comité Directeur doit dresser les
listes de tous les camarades qui, à Paris et en province, tout en faisant
partie du Parti Communiste et en assumant des postes divers, même de confiance,
collaborent en même temps à la presse bourgeoise et inviter ces éléments à
faire, avant le 1er janvier 1923, un choix complet et définitif
entre les organes bourgeois de corruption des masses populaires et le Parti
révolutionnaire de la dictature du prolétariat.
Les fonctionnaires du Parti qui ont
violé la prescription établie et réitérée maintes fois dans des décisions
visant le Parti français doivent être privés du droit d'occuper des postes de
confiance pendant un an.
On ne peut associer le communisme à
la franc-maçonnerie si on connait un tant soit peu l’histoire. Ainsi, la
politique antimaçonnique imposée dès 1917 en Union Soviétique s’étendit à
partir de 1921 à tous les partis communistes occidentaux en vertu de la
décision adoptée par la 3e Internationale lors de son Congrès de Moscou.
Les deux premiers Congrès de
l’Internationale Communiste (1919-1920) avaient laissé de côté le sujet de la
Maçonnerie. Cependant, lors du troisième Congrès (1921) organisé par Lénine et
Trotsky, ce dernier demanda que l’adhésion à la Maçonnerie fût interdite à tous
les membres du parti, "puisque la Maçonnerie ne représente rien d’autre
qu’un processus d’infiltration de la petite bourgeoisie dans toutes les couches
sociales." Et il ajouta que la solidarité, principe fondamental de la
Maçonnerie, constituait un obstacle sérieux à l’action prolétaire et que la
liberté revendiquée par la Maçonnerie était un concept bourgeois opposé à la
liberté de la dictature du prolétariat." Il précisa en outre :
"La Maçonnerie, par ses rites, rappelle les coutumes religieuses, et il
est bien connu que la religion domine, avilit le peuple. Son dernier argument
fut que la Maçonnerie représentait une grande force sociale et par suite du
secret de ses séances et de la discrétion absolue de ses membres, elle
constituait un Etat dans l’Etat." Ce point de vue de Trotsky fut approuvé
par le Congrès et la Troisième Internationale interdit à ses membres de faire
partie de Loges maçonniques. Cependant il fallut attendre le quatrième Congrès
(Moscou 11-20 novembre 1922) pour que - à la suite des problèmes surgis dans le
parti communiste français soit ajoutée une condition supplémentaire aux 20
indispensables pour être admis au sein du parti communiste :
l’incompatibilité du communisme et de la Franc-maçonnerie
L'Encyclopédie soviétique
Il suffit de lire ce que la Grande
Encyclopédie Soviétique (Moscou, éd. Socialiste de L'Etat, 1954, 2ème éd.
Vol. 26, p.442), affirme sous le mot Massenstvo (Maçonnerie ou
Franc-Maçonnerie): La Franc-Maçonnerie est définie comme un "courant de
morale religieuse, héritière des constructeurs des cathédrales du Moyen
Age." Il faut souligner l'insistance avec laquelle cette encyclopédie
précise que dans les Loges - qui gardaient jalousement leurs secrets – se
réunissaient principalement des personnes qui appartenaient à des milieux
privilégiés de la haute société; que les grades supérieurs étaient l'apanage
des représentants de la haute aristocratie et de la bourgeoisie; que la
Maçonnerie recommandait "l'union de tous les hommes sur la base de l'amour
universel, de l'égalité de la foi, et de la coopération dans le but d'améliorer
la société humaine par la connaissance d'elle-même et de la fraternité."
C'est là que vient s'ajouter un
élément décisif pour comprendre l'interprétation de la Maçonnerie selon le
point de vue de l'Encyclopédie Socialiste : "En proclamant la fraternité
universelle dans des conditions d'antagonisme de classes, elle contribuait à
renforcer l'exploitation des hommes, car elle éloignait les masses laborieuses
du combat révolutionnaire. La Franc-Maçonnerie se proclamait en faveur de
nouvelles formes plus raffinées du rêve religieux, suscitant la mystique,
développant le symbolisme et la magie."
Puis, viennent ensuite une vingtaine
de lignes sur l'histoire de la Maçonnerie en Russie, vue sous le même angle,
pour terminer avec ces mots : "A notre époque la Franc-Maçonnerie est un
des mouvements les plus réactionnaires des pays capitalistes et celui qui est
le plus répandu aux Etats-Unis où se trouve le centre de son
organisation."
Tout l'article se trouve rédigé au
passé, puisque la Maçonnerie était interdite en Russie depuis 1917. D'autre
part, le soin avec lequel a été défini le caractère "réactionnaire"
de la Maçonnerie, du point de vue de la lutte des classes, est quand même très
éloquent. Sur ce point, Trotsky lui-même en était venu à affirmer dans Izvestia
que la Maçonnerie était la peste du communisme : La Maçonnerie est aussi
réactionnaire que l'Eglise et le Catholicisme. Elle camoufle la nécessité de la
lutte des classes sous un manteau de formules moralisantes. Elle doit être
détruite par le feu rouge.
La Maçonnerie qui avait déjà eu de
sérieux problèmes durant les dernières années de l'autocratie tsariste fut
définitivement et totalement supprimée en 1917 par l'installation du régime
soviétique. À nouveau encore, le 3 juin 1960, le journal Izvestia de Moscou,
dans un article intitulé précisément "Jésuites sans soutane",
dénonçait la Maçonnerie comme un "organisme de comploteurs capitalistes au
service de l'impérialisme."
La politique antimaçonnique imposée dès
1917 en Union Soviétique s'étendit à partir de 1921 à tous les partis
communistes occidentaux en vertu de la décision adoptée par la 3e
Internationale lors de son Congrès de Moscou.
La Troisième Internationale
Les deux premiers Congrès de
l'Internationale Communiste (1919-1920) avaient laissé de côté le sujet de la
Maçonnerie. Cependant, lors du troisième Congrès (1921) organisé par Lénine et
Trotsky, ce dernier demanda que l'adhésion à la Maçonnerie fût interdite à tous
les membres du parti, "puisque la Maçonnerie ne représente rien d'autre
qu'un processus d'infiltration de la petite bourgeoisie dans toutes les couches
sociales." Et il ajouta que la solidarité, principe fondamental de la
Maçonnerie, constituait un obstacle sérieux à l'action prolétaire et que la
liberté revendiquée par la Maçonnerie était un concept bourgeois opposé à la
liberté de la dictature du prolétariat." Il précisa en outre : "La
Maçonnerie, par ses rites, rappelle les coutumes religieuses, et il est bien
connu que la religion domine, avilit le peuple. Son dernier argument fut que la
Maçonnerie représentait une grande force sociale et par suite du secret de ses
séances et de la discrétion absolue de ses membres, elle constituait un Etat
dans l'Etat." (Manifestes, thèses, résolutions des quatre premiers Congrès
mondiaux de l'Internationale Communiste, 1919-1923 (textes complets), Paris,
Bibliothèque Communiste, 1934, pp. 197-198). Ce point de vue de Trotsky fut
approuvé par le Congrès et la Troisième Internationale interdit à ses membres
de faire partie de Loges maçonniques. Cependant il fallut attendre le quatrième
Congrès (Moscou 11-20 novembre 1922) pour que - à la suite des problèmes surgis
dans le parti communiste français (note 8, p. 218) - soit ajoutée une condition
supplémentaire aux 20 indispensables pour être admis au sein du parti communiste :
l'incompatibilité du communisme et de la Maçonnerie.
Le Congrès chargea le Comité
directeur du parti communiste français de mettre fin avant le premier mars 1923
à toutes les relations entre le parti et les Maçons. Celui qui, avant le 1er
janvier, n'aurait pas déclaré ouvertement et rendu publique dans la presse du
parti sa rupture définitive avec la Maçonnerie serait exclu automatiquement du
parti. La dissimulation de l'appartenance à la Maçonnerie serait considérée
comme l'infiltration d'un agent ennemi à l'intérieur du parti. Dans ce cas, la
condamnation de la Maçonnerie était fondée sur une incompatibilité morale entre
une association ayant pour base la religion de la tolérance et un parti créé à
partir d'un dogmatisme révolutionnaire. Mais en plus les Francs-Maçons furent
traités d'ambitieux, d'opportunistes et de partisans de la collaboration des
classes.
C'était l'époque où en France le
parti communiste comptait un assez grand nombre de Maçons, parmi lesquels un
bon nombre de dirigeants comme Ludovic-Oscar Frossard et Morizet qui, face à
l'ultimatum du congrès de l'Internationale, décidèrent d'abandonner le parti et
de rester en Maçonnerie. C'est aussi ce que fit Antoine Coen qui, quelques
années plus tard deviendra, Grand Maître de la Grande Loge de France.
À titre de curiosité, signalons qu'à
la même époque, par suite de l'adhésion au parti communiste du Franc-Maçon
Camélinat, le parti communiste devint propriétaire de l'Humanité, le
journal fondé par Jean Jaurès.
La presse de l'époque fait état de
quelques interventions antimaçonniques en Russie, comme celle du 26 juillet
1928 qui publiait une nouvelle en provenance de Leningrad : Le Soviet général
central de Leningrad a procédé pendant la nuit à la fermeture et à la
liquidation de toutes les Loges maçonniques. Les directeurs des deux Loges les
plus importantes, la "Delphis" et la "Fleur d'Acacia" ont
été arrêtés et conduits devant les tribunaux soviétiques. Ils sont accusés de
recevoir des subsides de Loges connues pour être des foyers du capitalisme.
De 1922 à 1945 la consigne
antimaçonnique du P.C. n'a connu aucun changement. Cependant entre 1941 et 1944
la Résistance française parvint à créer des liens entre ceux qui étaient persécutés
par le même ennemi. Il y eut des tentatives de réconciliation en 1945 mais
elles n'aboutirent pas. Le fait que la Franc-Maçonnerie ait continué à être
rigoureusement interdite en Russie et dans les autres pays de l'Est est
suffisamment symptomatique. De même, il faut relever l'intérêt que suscitait
dans les universités de ces pays le sujet de la Maçonnerie en tant que fait
historique.
La publication, en 1982, à Varsovie,
de l'important ouvrage de Ludwik Hass, intitulé Franc-maçonnerie dans l'Europe
centrale et de l'Est aux XVIIIe et XIXe siècles nous livre un des derniers
exemples de cette obsession. Cependant cette attitude d'opposition à la
Maçonnerie n'est pas le propre des pays communistes car - et nul ne l’ignore-
les régimes de caractère fasciste et totalitaire adoptèrent la même position en
interdisant et en persécutant la Maçonnerie.
25 novembre 1922, Moscou, publié dans
«Les Cahiers Communistes»
Communisme et franc-maçonnerie
Le développement du capitalisme a
toujours approfondi et approfondit sans cesse les antagonismes sociaux. Les
efforts de la bourgeoisie ont toujours tendu à émousser ces antagonismes en
politique. L'histoire du siècle dernier nous présente une extrême diversité de
moyens employés par la bourgeoisie à cet effet. La répression pure et simple
est son argument ultime, elle n'entre en scène que dans les moments critiques.
En temps «normal», l'art politique bourgeois consiste à enlever pour ainsi dire
de l'ordre du jour la question même de la dénomination bourgeoise, à la masquer
de toutes sortes de décors politiques, juridiques, moraux, religieux,
esthétiques et à créer de cette façon dans la société l'impression de la
solidité inébranlable du régime existant.
Il est ridicule et naïf, pour ne pas
dire un peu sot, de penser que la politique bourgeoise se fasse tout entière
dans les parlements et dans les articles de tête. Non, cette politique se fait
au théâtre, à l'église, dans les poèmes lyriques et à l'Académie, et à l'école.
La bourgeoisie enveloppe de tous côtés la conscience des couches intermédiaires
et même de catégories importantes de la classe ouvrière, empoisonnant la
pensée, paralysant la volonté.
C'est la bourgeoisie russe, primitive
et mal douée, qui a le moins réussi dans ce domaine, et elle a été cruellement
punie. La poigne tsariste mise à nu, en dehors de tout système compliqué de
camouflage, de mensonge, de duperie, et d'illusions, se trouva insuffisante. La
classe ouvrière russe s'empara du pouvoir.
La bourgeoisie allemande, qui a donné
incomparablement plus dans les sciences et les arts, était politiquement d'un
degré à peine supérieure à la bourgeoisie russe : la principale ressource
politique du capital allemand était le Hohenzollern prussien et le lieutenant
prussien. Et nous voyons actuellement la bourgeoisie allemande occuper une des
premières places dans la course à l'abîme.
Si vous voulez étudier la façon, les
méthodes et les moyens par lesquels la bourgeoisie a grugé le peuple au cours
des siècles, vous n'avez qu'à prendre en mains l'histoire des plus anciens pays
capitalistes : l'Angleterre et la France. Dans ces deux pays, les classes
dirigeantes ont affermi peu à peu leur domination en accumulant sur la route de
la classe ouvrière des obstacles d'autant plus puissants qu'ils étaient moins visibles.
Le trône de la bourgeoisie anglaise
aurait été brisé en mille morceaux s'il n'eût été entouré d'une atmosphère de respectability, de
tartufferie et d'esprit sportif. Le bâton blanc des policemen ne protège que la ligne de repli
de la domination bourgeoise et une fois le combat engagé sur cette ligne — la
bourgeoisie est perdue. Infiniment plus important pour la conservation du
régime britannique est l'imperceptible toile d'araignée de respectability et de
lâcheté devant les commandements bourgeois et les «convenances» bourgeoises qui
enveloppe les cerveaux des trade-unionistes, des chefs du Labour Party et de
nombreux éléments de la classe ouvrière elle-même.
La bourgeoisie française vit,
politiquement, des intérêts du capital hérité de la Grande Révolution. Le
mensonge et la perversion de la démocratie parlementaire sont suffisamment
connus et semble-t-il, ne laissent plus place à aucune illusion. Mais la
bourgeoisie fait de cette perversion même du régime son soutien. Comment
cela ? Par l'entremise de ses socialistes. Ces derniers, par leur critique
et leur opposition, prélèvent sur les masses du peuple l'impôt de la confiance,
et au moment critique transmettent toutes les voix qu'ils ont recueillies à
l'Etat capitalistes. Aussi la critique socialistes est-elle actuellement un des
principaux étais de la domination bourgeoise. De même que la bourgeoisie
française fait servir à ses buts non seulement l'Eglise catholique, mais aussi
le dénigrement du catholicisme, elle se fait servir non seulement par la
majorité parlementaire, mais aussi par les accusateurs socialistes, ou même
souvent anarchistes, de cette majorité. Le meilleur exemple en est fourni par
la dernière guerre, où l'on vit abbés et francs-maçons, royalistes et
anarcho-syndicalistes, se faire les tambours enthousiastes du capital sanglant.
Nous avons prononcé le mot :
franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie joue dans la vie politique française un
rôle qui n'est pas mince. Elle n'est en somme qu'une contrefaçon petite
bourgeoise du catholicisme féodal par ses racines historiques. La République
bourgeoise de France avançant tantôt son aile gauche, tantôt son aile droite,
tantôt les deux à la fois, emploie dans un seul et même but soit le
catholicisme authentique, ecclésiastique, déclaré, soit sa contrefaçon
petite-bourgeoise, la franc-maçonnerie, où le rôle des cardinaux et des abbés
est joué par des avocats, par des tripoteurs parlementaires, par des
journalistes véreux, par des financiers juifs déjà bedonnants ou en passe de le
devenir. La franc-maçonnerie, ayant baptisé le vin fort du catholicisme, et
réduit, par économie petite-bourgeoise, la hiérarchie céleste au seul «Grand
Architecte de l'Univers», a adapté en même temps à ses besoins quotidiens la
terminologie démocratique : Fraternité, Humanité, Vérité, Equité, vertu.
La franc-maçonnerie est une partie non officielle, mais extrêmement importante,
du régime bourgeois. Extérieurement, elle est apolitique, comme l'Eglise ;
au fond, elle est contre-révolutionnaire comme elle. A l'exaspération des
antagonismes de classes, elle oppose des formules mystiques sentimentales et
morales, et les accompagne, comme l'Eglise, d'un rituel de Mi-Carême.
Contrepoison impuissant, de par ses sources petites-bourgeoises contre la lutte
de classe qui divise les hommes, la maçonnerie, comme tous les mouvements et
organisations du même genre, devient elle-même un instrument incomparable de
lutte de classe, entre les mains de la classe dominante contre les opprimés.
Le grand art de la bourgeoisie
anglaise a toujours consisté à entourer d'attention les chefs surgissant de la
classe ouvrière, à flatter leur respectability,
à les séduire politiquement et moralement, à les émasculer. Le premier artifice
de cet apprivoisement et de cette corruption, ce sont les multiples sectes et
communautés religieuses où se rencontrent sur un terrain «neutre» les
représentants des divers partis. Ce n'est pas pour rien que Lloyd George a
appelé l'Eglise «la Centrale électrique de la politique». En France, ce rôle,
en partie du moins, est joué par les loges maçonniques. Pour les socialistes,
et plus tard pour le syndicaliste français, entrer dans une loge signifiait
communier avec les hautes sphères de la politique. Là, à la loge, se lient et
se délient les relations de carrière ; des groupements et des clientèles
se forment, et toute cette cuisine est voilée d'un crêpe de morale, de rites et
de mystique. La franc-maçonnerie ne change rien de cette tactique, qui a fait
ses preuves, à l'égard du Parti Communiste : elle n'exclut pas les communistes
de ses loges, au contraire, elle leur en ouvre les portes toutes grandes. La
maçonnerie cesserait d'être elle-même, si elle agissait autrement. Sa fonction
politique consiste à absorber les représentants de la classe ouvrière pour
contribuer à ramollir leurs volontés et, si possible, leurs cerveaux. Les
«frères» avocats et préfets sont naturellement très curieux et même enclins à
entendre une conférence sur le communisme. Mais est-ce que le frère de gauche,
qui est le frère cadet, peut se permettre d'offrir au frère aîné, qui est le
frère de droite, un communisme sous le grossier aspect d'un bolchevik le
couteau entre les dents ? Oh ! Non. Le communisme qui est servi dans
les loges maçonniques doit être une doctrine très élevée d'un pacifisme
recherché, humanitaire, reliée par un très subtil cordon ombilical de
philosophie à la fraternité maçonnique. La maçonnerie n'est qu'une des formes
de la servilité politique de la petite-bourgeoisie devant la grande. Le fait
que des «communistes» participent à la maçonnerie indique la servilité morale
de certains pseudo-révolutionnaires devant la petite bourgeoisie et, par son
intermédiaire, devant la grande.
Inutile de dire que la Ligue pour la Défense des Droits de
l'homme et du citoyen n'est qu'un des accès de l'édifice universel
de la démocratie capitaliste. Les loges étouffent et souillent les âmes au nom
de la Fraternité ; la Ligue pose toutes les questions sur le terrain du
Droit. Toute la politique de la Ligue, comme l'a démontré avec clarté la
guerre, s'exerce dans les limites indiquées par l'intérêt patriotique et
national des capitalistes français. Dans ce cadre, la Ligue a tout loisir de
faire du bruit autour de telle ou telle injustice, de telle ou telle violation
du droit ; cela attire les carriéristes et abasourdit les simples
d'esprit.
La Ligue des Droits de l'Homme a
toujours été, de même que les loges maçonniques, une arène pour la coalition
politique des socialistes avec les radicaux bourgeois. Dans cette coalition,
les socialistes agissent, bien entendu, non pas comme représentants de la
classe ouvrière, mais individuellement. Toutefois, l'importance prise par tel
ou tel socialiste dans les loges est déterminée non pas le poids de sa vertu
individuelle, mais par l'influence politique qu'il a dans la classe ouvrière.
Autrement dit : dans les loges et autres institutions du même genre, MM.
les socialistes tirent profit pour eux-mêmes du rôle qu'ils jouent dans le
mouvement ouvrier. Et ni vu ni connu, car toutes les machinations sont
couvertes par le rituel idéaliste.
Bassesse, quémandage, écorniflage,
aventurismes, carriérismes, parasitisme, au sens le plus direct et le plus
matériel du mot, ou bien, en un sens plus occulte et «spirituel» — voilà ce que
signifie la franc-maçonnerie pour ceux qui viennent à elle d'en bas. Si les
amis de Léon Blum et de Jouhaux s'embrassent dans les loges avec leurs frères
du bloc des gauches, ils restent, ce faisant, complètement dans le cadre de
leur rôle politique ; ils parachèvent dans les séances secrètes des loges
maçonniques ce qu'il serait incongru de faire ouvertement en séance publique du
Parlement ou dans la presse. Mais nous ne pouvons que rougir de honte en
apprenant que dans les rangs d'un Parti communiste (!!!) il y a des gens qui
complètent l'idée de la dictature du prolétariat par la fraternisation dans les
tenues maçonniques avec les dissidents, les radicaux, les avocats et les
banquiers. Si nous ne savions rien d'autre sur la situation de notre Parti
français, cela nous suffirait pour dire avec Hamlet : «Il y a quelque
chose de pourri dans le royaume de Danemark...» L'Internationale peut-elle
permettre à cet état de choses véritablement honteux de se prolonger et même de
se développer ? Ce serait permettre que la Parti communiste français
occupe dans les systèmes du conservatisme démocratique la place de soutien de
gauche occupée autrefois par le Parti socialiste. Mais cela ne sera pas — nous
avons trop foi en l'instinct révolutionnaire et en la pensée révolutionnaire de
l'avant-garde prolétarienne française. D'une lame impitoyable elle tranchera
une fois pour toutes les liens politiques, philosophiques, moraux et mystiques
qui rattachent encore la tête de son Parti aux organes déclarés ou masqués de
la démocratie bourgeoise, à ses loges, à ses ligues, à sa presse. Si ce coup
d'épée laisse par delà les murs de notre Parti quelques centaines et même
quelques milliers de cadavres politiques, tant pis pour eux. Tant pis pour eux
et tant mieux pour le Parti du prolétariat, car ses forces et son poids ne
dépendent pas du seul nombre de ses membres.
Une organisation de
50.000 membres, mais construite comme il faut, qui sait fermement ce
qu'elle veut et qui suit la voie révolutionnaire sans jamais s'en écarter, peut
et doit conquérir la confiance de la majorité de la classe ouvrière et occuper
dans la révolution la place directrice. Une organisation de
100.000 membres contenant centristes, pacifistes, francs-maçons,
journalistes bourgeois, etc., est condamnée à piétiner sur place, sans
programme, sans idée, sans volonté — et jamais ne pourra conquérir la confiance
de la classe ouvrière.
La franc-maçonnerie est une plaie
mauvaise sur le corps du communisme français. Il faut la brûler au fer rouge.
Léon Trotsky
Proudhon (1809-1865) est reçu franc-maçon le
3 janvier 1847 à la loge La Sincérité, Parfaite-Union et Constante Amitié
Réunies, à Besançon. « Il a déjà 38 ans, il est connu, et il ne fut jamais
qu’un maçon du seuil, peu soucieux de s’élever au-dessus du grade
d’apprenti. »[18]
D’ailleurs, cette loge
« professe un déisme d’inspiration évangélique que Proudhon déteste, mais
il y est parrainé par son oncle, Melchior Proudhon, prêtre constitutionnel
défroqué devenu président local du club des jacobins. »[19]
Ces quelques
citations de Proudhon, le ferait aujourd’hui exclure de la
Franc-Maçonnerie… :
« Ma seule
foi, mon seul amour et espoir se situent dans la liberté et mon pays. C'est
pourquoi je suis systématiquement opposé à tout ce qui est hostile à la liberté
ou étranger à cette terre sacrée de la Gaulle. Je veux voir mon pays retourner
à sa nature originale, libérée une fois pour toutes des croyances et
institutions étrangères. Notre race a pour trop longtemps été sujette à
l'influence des Grecs, des Romains, des barbares, des juifs et des Anglais. Ils
nous ont laissé leur religion, leurs lois, leur système féodal et leur
gouvernement... Ceux d'entre vous qui m'accusent de ne pas être un républicain
n'appartiennent pas vraiment à votre terre. Vous n'avez jamais entendus dès
l'enfance, comme moi, les chênes de nos forêts druidiques pleurer pour leur
pays antique. Vous ne sentez pas vos os moulés avec de la pierre à chaux pure
du Jura, ni n'avez jamais tressaillis à la mémoire de nos héros celtiques ;
Vercingétorix, traîné dans la poussière du triomphe de César, Orgetorix,
Ariovistus, et le vieux Galgacus vaincu par Agricola. Vous n'avez jamais vus la
liberté vous apparaître au bord de nos torrents alpestres sous le couvert de
Velleda le Gaulois... Vous n'êtes pas des enfants de Brennus. Vous ne comprenez
rien au sujet de reconstituer notre nationalité. Ceci disparaît lointain au
delà de la réforme économique et de la transformation d'une société rabaissée,
et apparaît comme le but le plus élevé de la révolution de février. Vous êtes
du côté de l'Étranger. C'est pourquoi vous trouvez la liberté, qui pour nos
ancêtres était la source de toutes les choses, si odieuse. »
Ou bien :
« Le juif
est l'ennemi de la race humaine. Cette race doit être renvoyée de nouveau en
l'Asie, ou être exterminée. H. Heine, A. Weil, et d'autres sont simplement des
agents secrets. Rothschild, Crémieux, Marx, Fould, hommes cholériques, envieux,
amers mauvais etc..., etc.., qui nous
détestent » (grenats, vol. 2, p. 337 : Non VI, 178).
Maupassant avait été pressenti par l'écrivain
Catulle Mendes pour devenir
franc-maçon en 1876. L'auteur de Bel ami
refusa car il méprisait les idéaux quels qu'ils fussent.
Il n'est donc pas étonnant de voir la
franc-maçonnerie mise à mal par Maupassant dans la nouvelle « Mon oncle
Sosthène ».
MON ONCLE SOSTHENE
Mon oncle Sosthène était un
libre-penseur comme il en existe beaucoup, un libre-penseur par bêtise. On est
souvent religieux de la même-façon. La vue d'un prêtre le jetait en des fureurs
inconcevables ; il lui montrait le poing, lui faisait des cornes, et touchait
du fer derrière son dos, ce qui indique déjà une croyance, la croyance du
mauvais oeil. Or, quand il s'agit de croyances irraisonnées, il faut les avoir
toutes ou n'en avoir pas du tout. Moi qui suis aussi libre-penseur,
c'est-à-dire un révolté contre tous les dogmes que fit inventer la peur de la
mort, je n'ai pas de colère contre tous les temples, qu'ils soient catholiques,
apostoliques, romains, protestants, russes, grecs, bouddhistes, juifs,
musulmans. et puis, moi, j'ai une façon de les considérer et de les expliquer.
Un temple, c'est un hommage à l'inconnu. Plus la pensée s'élargit, plus
l'inconnu diminue, plus les temples s'écroulent. Mais, au lieu d'y mettre des
encensoirs, j'y placerais des télescopes et des microscopes et des machines
électriques. Voilà !
Mon oncle et moi nous différions sur
presque tous les points. Il était patriote, moi je ne le suis pas, parce que le
patriotisme, c'est encore une religion. C'est l'oeuf des guerres.
Mon oncle était franc-maçon. Moi, je
déclare les francs-maçons plus bêtes que les vieilles dévotes. C'est mon
opinion et je la soutiens. Tant qu'à avoir une religion, l'ancienne me
suffirait.
Ces nigauds-là ne font qu'imiter les
curés. Ils ont pour symbole un triangle au lieu d'une croix. Ils ont des
églises qu'ils appellent des Loges avec un tas de cultes divers : le rite Ecossais,
le Rite Français, le Grand-Orient, une série de balivernes à crever de rire.
Puis, qu'est-ce qu'ils veulent ? Se
secourir mutuellement en se chatouillant le fond de la main. Je n'y vois pas de
mal. Ils ont mis en pratique le précepte chrétien : « Secourez-vous les uns les
autres. » La seule différence consiste dans le chatouillement. Mais, est-ce la
peine de faire tant de cérémonies pour prêter cent sous à un pauvre diable ?
Les religieux, pour qui l'aumône et le secours sont un devoir et un métier,
tracent en tête de leur épîtres trois lettres : J.M.J. Les francs-maçons posent
trois points en queue de leur nom. Dos à dos, compères.
Mon oncle me répondait : « Justement
nous élevons religion contre religion. Nous faisons de la libre pensée l'arme qui
tuera le cléricalisme. La franc-maçonnerie est la citadelle où sont enrôlés
tous les démolisseurs de divinités. »
Je ripostais : « Mais, mon bon oncle
(au fonds je disais : « vieille moule »), c'est justement ce que je vous
reproche. Au lieu de détruire, vous organisez la concurrence ; ça fait baisser
les prix, voilà tout. Et puis encore, si vous n'admettiez parmi vous que des
libres penseurs, je comprendrais ; mais vous recevez tout le monde. Vous avez
des catholiques en masse, même des chefs du parti. Pie IX fut des vôtres, avant
d'être pape. Si vous appelez une Société ainsi composée une citadelle contre le
cléricalisme, je la trouve faible, votre citadelle. »
Alors, mon oncle, clignant de l'oeil,
ajoutait : « Notre véritable action, notre action la plus formidable a lieu en
politique. Nous sapons, d'une façon continue et sûre, l'esprit monarchique. »
Cette fois j'éclatais. « Ah ! oui,
vous êtes des malins ! Si vous me dites que la Franc-Maçonnerie est une usine à
élections, je vous l'accorde ; qu'elle sert de machine à faire voter pour les
candidats de toutes nuances, je ne le nierai jamais ; qu'elle n'a d'autre
fonction que de berner le bon peuple, de l'enrégimenter pour le faire aller à
l'urne comme on envoie au feu les soldats, je serai de votre avis ; qu'elle est
utile, indispensable même à toutes les ambitions politiques parce qu'elle
change chacun de ses membres en agent électoral, je vous crierai : « C'est
clair comme le soleil ! » Mais si vous me prétendez qu'elle sert à saper
l'esprit monarchique, je vous ris au nez.
« Considérez-moi un peu cette vaste
et mystérieuse association démocratique, qui a eu pour grand-maître, en France,
le prince Napoléon sous l'Empire ; qui a pour grand-maître, en Allemagne, le
prince héritier ; en Russie le frère du czar ; dont font partie le roi Humbert
et le prince de Galles ; et toutes les caboches couronnées du globe ! »
Cette fois mon oncle me glissait dans
l'oreille : « C'est vrai, mais tous ces princes servent nos projets sans s'en
douter.
- Et réciproquement, n'est-ce pas ? »
Et j'ajoutais en moi : « Tas de niais
! »
Et il fallait voir mon oncle Sosthène
offrir à dîner à un franc-maçon.
Ils se rencontraient d'abord et se
touchaient les mains avec un air mystérieux tout à fait drôle, on voyait qu'ils
se livraient à une série de pressions secrètes. Quand je voulais mettre mon
oncle en fureur je n'avais qu'à lui rappeler que les chiens aussi ont une
manière tout franc-maçonnique de se reconnaître.
Puis mon oncle emmenait son ami dans
les coins, comme pour lui confier des choses considérables ; puis, à table,
face à face, ils avaient une façon de se considérer, de croiser leurs regards,
de boire avec un coup d'oeil comme pour se répéter sans cesse : "Nous en
sommes, hein ? "
Et penser qu'ils sont ainsi des
millions sur la terre qui s'amusent à ces simagrées ! J'aimerais encore mieux
être jésuite.
Or, il y avait dans notre ville un
vieux jésuite qui était la bête noire de mon oncle Sosthène. Chaque fois qu'il
le rencontrait, ou seulement s'il l'apercevait de loin, il murmurait : «
Crapule, va ! » Puis me prenant le bras, il me confiait dans l'oreille :
"Tu verras que ce gredin-là me fera du mal un jour ou l'autre. Je le sens.
"
Mon oncle disait vrai. Et voici
comment l'accident se produisit par ma faute.
Nous approchions de la semaine
sainte. Alors, mon oncle eut l'idée d'organiser un dîner gras pour le vendredi,
mais un vrai dîner, avec andouille et cervelas. Je résistai tant que je pus ;
je disais : « Je ferai gras comme toujours ce jour-là, mais tout seul, chez
moi. C'est idiot, votre manifestation. Pourquoi manifester ? En quoi cela vous
gêne-t-il que des gens ne mangent pas de la viande ? »
Mais mon oncle tint bon. Il invita
trois amis dans le premier restaurant de la ville ; et comme c'était lui qui
payait, je ne refusai pas non plus de manifester.
Dès quatre heures, nous occupions une
place en vue au café Pénélope, le mieux fréquenté ; et mon oncle Sosthène,
d'une voix forte, racontait notre menu.
A six heures on se mit à table. A dix
heures, on mangeait encore ; et nous avions bu, à cinq, dix-huit bouteilles de
vin fin, plus quatre de champagne. Alors mon oncle proposa ce qu'il appelait la
« tournée de l'archevêque ». On plaçait en ligne, devant soi, six petits verres
qu'on remplissait avec des liqueurs différentes ; puis il les fallait vider
coup sur coup pendant que des assistants comptaient jusqu'à vingt. C'était
stupide ; mais oncle Sosthène trouvait cela « de circonstance ».
A onze heures, il était gris comme un
chantre. Il le fallut emporter en voiture, et mettre au lit ; et déjà on
pouvait prévoir que sa manifestation anticléricale allait tourner en une
épouvantable indigestion.
Comme je rentrais à mon logis, gris
moi-même, mais d'une ivresse gaie, une idée machiavélique, et qui satisfaisait
tous mes instincts de scepticisme, me traversa la tête.
Je rajustai ma cravate, je pris un
air désespéré, et j'allai sonner comme un furieux à la porte du vieux jésuite.
Il était sourd ; il me fit attendre. Mais comme j'ébranlais toute la maison à
coups de pieds, il parut enfin, en bonnet de coton, à sa fenêtre, et demanda :
"Qu'est-ce qu'on me veut ? "
Je criai : « Vite, vite, mon révérend
Père, ouvrez-moi, c'est un malade désespéré qui réclame votre saint ministère !
»
Le pauvre bonhomme passa tout de
suite un pantalon et descendit sans soutane. Je lui racontai d'une voix
haletante, que mon oncle libre penseur, saisi soudain d'un malaise terrible qui
faisait prévoir une très grave maladie, avait été pris d'une grande peur de la
mort, et qu'il désirait le voir, causer avec lui, écouter ses conseils,
connaître mieux les croyances, se rapprocher de l'Eglise, et, sans doute, se
confesser, puis communier, pour franchir, en paix avec lui-même, le redoutable
pas.
Et j'ajoutai d'un ton frondeur : « Il
le désire, enfin. Si cela ne lui fait pas de bien cela ne lui fera pas de mal.
»
Le vieux jésuite, effaré, ravi, tout
tremblant, me dit : « Attendez-moi une minute, mon enfant, je viens. » Mais
j'ajoutai : « Pardon, mon révérend Père, je ne vous accompagnerai pas, mes
convictions ne me le permettent point. J'ai même refusé de venir vous chercher
; aussi je vous prierai de ne pas avouer que vous m'avez vu, mais de vous dire
prévenu de la maladie de mon oncle par une espèce de révélation. »
Le bonhomme y consentit et s'en alla,
d'un pas rapide, sonner à la porte de mon oncle Sosthène. La servante qui
soignait le malade ouvrit bientôt ; et je vis la soutane noire disparaître dans
cette forteresse de la libre pensée.
Je me cachai sous une porte voisine
pour attendre l'événement. Bien portant, mon oncle eût assommé le jésuite, mais
je le savais incapable de remuer un bras, et je me demandais avec une joie
délirante quelle invraisemblable scène allait se jouer entre ces deux
antagonistes ? Quelle lutte ? Quelle explication ? Quelle stupéfaction ? Quel
brouillamini ? Et quel dénouement à cette situation sans issue, que
l'indignation de mon oncle rendrait plus tragique encore !
Je riais tout seul à me tenir les
côtes ; je me répétais à mi-voix : « Ah ! La bonne farce, la bonne farce ! »
Cependant il faisait froid, et je
m'aperçus que le jésuite restait bien longtemps. Je me disais : « Ils s’expliquent.
»
Une heure passa, puis deux, puis
trois. Le révérend Père ne sortait point. Qu'était-il arrivé ? Mon oncle
était-il mort de saisissement en le voyant ? Ou bien avait-il tué l'homme en
soutane ? Ou bien s'étaient-ils entremangés ? Cette dernière supposition me
sembla peu vraisemblable, mon oncle me paraissant en ce moment incapable
d'absorber un gramme de nourriture de plus. Le jour se leva.
Inquiet, et n'osant pas entrer à mon
tour, je me rappelai qu'un de mes amis demeurait juste en face. J'allai chez
lui ; je lui dis la chose, qui l'étonna et le fit rire, et je m'embusquai à sa
fenêtre.
A neuf heures, il prit ma place, et
je dormis un peu. A deux heures, je le remplaçai à mon tour. Nous étions démesurément
troublés.
A six heures, le jésuite sortit d'un
air pacifique et satisfait, et nous le vîmes s'éloigner d'un pas tranquille.
Alors honteux et timide, je sonnai à
mon tour à la porte de mon oncle. La servante parut. Je n'osai l'interroger, et
je montai, sans rien dire.
Mon oncle Sosthène, pâle, défait,
abattu, l'oeil morne, les bras inertes, gisait dans son lit. Une petite image
de piété était piquée au rideau avec une épingle.
On sentait fortement l'indigestion
dans la chambre.
Je dis : « Eh bien, mon oncle, vous
êtes couché ? Ca ne va donc pas ? »
Il répondit d'une voix accablée : «
Oh ! Mon pauvre enfant, j'ai été bien malade, j'ai failli mourir.
- Comment ça, mon oncle ?
- Je ne sais pas ; c'est bien
étonnant. Mais ce qu'il y a de plus étrange, c'est que le père jésuite qui sort
d'ici, tu sais, ce brave homme que je ne pouvais souffrir, eh bien, il a eu une
révélation de mon état, et il est venu me trouver. »
Je fus pris d'un effroyable besoin de
rire. « Ah ! Vraiment ?
- Oui, il est venu. Il a entendu une
voix qui lui disait de se lever et de venir parce que j'allai mourir. C'est une
révélation. »
Je fis semblant d'éternuer pour ne
pas éclater. J'avais envie de rouler par terre.
Au bout d'une minute, je repris d'un
ton indigné, malgré les fusées de gaieté : « Et vous l'avez reçu, mon oncle,
vous ? un libre penseur ? un franc-maçon ? Vous ne l'avez pas jeté dehors ? »
Il parut confus, et balbutia : «
Ecoute donc, c'était si étonnant, si étonnant, si providentiel ! Et puis il m'a
parlé de mon père. Il a connu mon père autrefois.
- Votre père, mon oncle ?
- Oui, il paraît qu'il a connu mon
père.
- Mais ce n'est pas une raison pour
recevoir un jésuite.
- Je le sais bien, mais j'étais
malade, si malade ! Et il m'a soigné avec un grand dévouement toute la nuit.
Mais vous m'avez dit tout de suite qu'il sortait seulement d'ici.
- Oui, c'est vrai. Comme il s'était
montré excellent à mon égard, je l'ai gardé à déjeuner. Il a mangé là auprès de
mon lit, sur une petite table, pendant que je prenais une tasse de thé.
- Et... il a fait gras ? »
Mon oncle eut un mouvement froissé,
comme si je venais de commettre une grosse inconvenance ; et il ajouta :
« Ne plaisante pas, Gaston, il y a
des railleries déplacées. Cet homme m'a été en cette occasion plus dévoué
qu'aucun parent ; j'entends qu'on respecte ses convictions. »
Cette fois, j'étais atterré ; je
répondis néanmoins : « Très bien, mon oncle. Et après le déjeuner, qu'avez-vous
fait ?
- Nous avons joué une partie de
bésigue, puis il a dit son bréviaire, pendant que je lisais un petit livre
qu'il avait sur lui, et qui n'est pas mal écrit du tout.
- Un livre pieux, mon oncle ?
- Oui et non, ou plutôt non, c'est
l'histoire de leur missions dans l’Afrique centrale. C'est plutôt un livre de
voyages et d'aventures. C'est très beau ce qu'ils ont fait là, ces hommes. »
Je commençais à trouver que ça
tournait mal. Je me levai : « Allons, adieu, mon oncle, je vois que vous
quittez la franc-maçonnerie pour la religion. Vous êtes un renégat. »
Il fut encore un peu confus et
murmura : « Mais la religion est une espèce de franc-maçonnerie. »
Je demandai : « Quand revient-il,
votre jésuite ? « Mon oncle balbutia : « Je... je ne sais pas, peut-être
demain... ce n'est pas sûr. »
Et je sortis, absolument abasourdi.
Elle a mal tourné, ma farce ! Mon
oncle est converti radicalement. Jusque-là, peu m'importait. Clérical ou
franc-maçon, pour moi, c'est bonnet blanc et blanc bonnet ; mais le pis, c'est
qu'il vient de tester, oui, de tester et de me déshériter, monsieur, en faveur
du père Jésuite. »
[1] Mellor A., Histoire de l’anticléricalisme français, Mame, 1966, page 16.
[2] Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire, Editions du Seuil, 1978, page 195.
[3] Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820), Editions Bruno Prince, 2000, page 9.
[4] Riberette Pierre, Charles Fourier à Lyon : ses relations sociales et politiques, Actes du 99e congrès national des sociétés savantes, 1974, II, page 274.
[5] Gourdot Paul, Les sources maçonniques du socialisme français, Monaco, Editions du Rocher, 1998. Franc-maçon et socialiste, page 123.
[6] Bien qu’Hébert fut maçon.
[7] Crapez Marc, La gauche réactionnaire, Paris, Berg, 1997, page 33.
[8] Sous l’Empire, Aux bureaux de l’Eclipse, 1972, pages 47-48.
[9] Zévaes finira sa carrière politique sous l’Occupation en écrivant dans l’œuvre de Marcel Déat, après avoir été l’avocat en 1919 de Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès.
[10] Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820), Editions Bruno Prince, 2000, page 68.
[11] Pemjean Lucien, La Maffia Judéo-Maçonnique, Paris, Editions Baudinière, 1934, page 103-104.
[12] Vacher de Lapouge Georges, L'Aryen, son rôle social, A. Fontemoing, 1899.
[13] Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820), Editions Bruno Prince, 2000.
[14] Lebey André, « Jean Jaurès », Floréal, n°14, 7 avril 1923.
[15] Le Gueux, 26 mars 1892, n°1.
[16] Cité par Fabienne Dumont, Jules Grandjouan créateur de l'affiche politique illustrée en France, Paris, Somogy, 2002. Catalogue de l'exposition Chaumont, 2001, Musée d'Histoire contemporaine, 2002 et Nantes, 2003, sous la dir. de Fabienne Dumont, Marie-Hélène Jouzeau et Joël Moris, p. 29-30.
[17] Bakounine, cité par R. Huch, Bakunin und die Anarchie (Bakounine et l’anarchie).
[18] Gourdot Paul, Les sources maçonniques du socialisme français, Monaco, Editions du Rocher, 1998. Franc-maçon et socialiste, page 275.
[19] Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, (sous la direction d’Eric Saunier), La Pochothèque, 2000, page 684.