Jeanne d’Arc
L’histoire de Jeanne d’Arc nous est parvenue
entourée d’un halo de mystère et de miracles ; il importe de ramener
les faits à leurs justes proportions, comme le fit, avec tant d’érudition,
Anatole France (Vie de Jeanne d’Arc).
Ce n'est pas Jeanne qui a chassé les
Anglais de France : elle est morte en 1431, et ils n'ont quitté le
pays qu'en 1453, vingt-deux ans plus tard. Dès le siège d'Orléans,
leurs troupes, peu nombreuses et mal ravitaillées, étaient dans une situation
difficile. La population leur était hostile, comme à toute armée occupante et
pillarde. Jeanne a contribué à réveiller l'esprit de résistance,
rien de plus. Ses talents militaires, comme ceux de nombreux chefs de ce
temps, se bornaient à « bouter sus », et le courage ne lui manquait pas, celui
de l'inconscience.
L'idée d'utiliser une
« pucelle » pour redresser la situation fâcheuse de Charles VII,
devait être familière à la Cour, car Jeanne ne fut pas la seule : quatre autres
furent employées, et finirent mal. Après l’échec apparent de Jeanne,
l'archevêque de Reims recommanda encore un berger du Gévaudan, naïf
et stigmatisé, dont il disait « qu'il n'en faisait ni
plus ni moins que Jeanne la Pucelle ». Le malheureux périt noyé, cousu dans
un sac : la protection de l'archevêque ne portait pas bonheur. L'époque
était crédule, mais la nôtre aussi, qui retient la réussite et oublie les
autres tentatives avortées.
Jeanne est bien une paysanne
lorraine, non une fille de sang royal : ses marraines, ses compagnes d'enfance
en ont témoigné. Etait-elle normale ? Certainement pas, puisqu'à
dix-huit ans elle ne présentait pas encore le signe de la puberté. Cette
anomalie peut expliquer les hallucinations qu'elle eut depuis l'âge de treize
ans : elle avait surtout des « auditions », ses visions ne furent jamais très
nettes. Ses réponses témoignent d'une alternance de bon sens paysan,
d'obstination et de dérèglement de l'imagination. Peut-on considérer comme
entièrement saine d'esprit la fille qui, dès Vaucouleurs, fait
cette stupéfiante déclaration : « Je me marierai, et j'aurai trois
fils, dont le premier sera pape, le second empereur, le troisième roi... Le
Saint-Esprit y oeuvrera » ?
La mission de Jeanne
était connue d'avance, et bien préparée : des prophéties, apparues ou corrigées
opportunément dès 1428, l’annonçaient, la désignaient clairement. Et
le confesseur du roi, Gérard Machet, docteur en théologie, répandait ces
prophéties. Tout, dans l'histoire de Jeanne, démontre qu'elle fut
orientée, utilisée et adroitement dirigée, sans doute à son insu. Elle récite
des formules dont elle ignore le sens : « Messire (Dieu) veut que le
dauphin ait le royaume en commende », dit-elle à Vaucouleurs, et ce n'est
pas une paysanne illettrée qui a inventé cette formule de droit canonique. Il
est plus difficile de savoir quel fut le meneur de jeu : un prêtre, à coup sûr.
Et le chancelier Regnault de Chartres, premier personnage de la Cour, et
archevêque de Reims, qui désirait fort récupérer son bénéfice et sacrer le roi,
ne manqua pas de pressentir le profit à tirer de cette affaire. Il assistait à
l'entrevue de Chinon, il accompagna Jeanne à Blois... Toute la mission de
Jeanne est orientée vers Reims. Qui a soufflé à cette paysanne de refuser à
Charles VII le titre de roi jusqu'au sacre ? Après Reims, tout
paraît fini, bien que les Anglais soient toujours en France ; privée de ses
conseillers occultes, abandonnée à elle-même, Jeanne ne fait plus rien de bon.
Jeanne avait
connaissance des prophéties écrites à son intention. Il fut donc facile d'enflammer
son imagination. Certains ont été surpris qu'elle entendît les voix
des saintes Catherine et Marguerite, qui n'ont jamais existé que
dans la Légende dorée, et Bossuet lui-même préféra passer ces voix sous
silence. Mais les contemporains croyaient à ces saintes, et cela suffit.
Le procès de Jeanne est
un procès d'Inquisition, où l'on prit des précautions
exceptionnelles. Il dura trois mois. On y convoqua de nombreux prélats et
docteurs. Pour plus de sûreté, on consulta l’Université de Paris,
qui n'hésita pas à déclarer Jeanne « schismatique, errante en la
foi ».
Car, plus qu'un procès
de sorcellerie, c'est un procès d'hérésie qui fut mené par l'évêque Cauchon et
le vice-inquisiteur. Au lendemain du grand schisme d'Occident, il était grave
de nier l’autorité de l'Eglise. Or Jeanne s'attribuait
le droit de juger directement, par inspiration, des choses les plus sacrées,
comme la légitimité du pape (dans sa réponse au comte d'Armagnac),
ou la distinction des vrais anges et des démons qui en prennent l'apparence.
Elle niait les pouvoirs de l'Eglise « militante », et
toute la réforme protestante est en germe dans cette position : les clercs ne s'y
trompèrent pas.
Dans ses efforts pour la
convaincre et la sauver, Cauchon lui offrit un avocat, faveur exceptionnelle,
mais Jeanne déclara n'en avoir pas besoin. Il finit par obtenir, sous la menace
du bûcher, une rétractation de ses erreurs. A la fureur des Anglais, il
suspendit alors l'exécution, et leur fit cette fière réponse : « Juge
en matière de foi, je dois plutôt chercher son salut que sa mort ». On a
bien calomnié ce savant théologien, qui voulut faire un « beau procès » et ne
devina pas l'avenir. Mais la pauvre fille, têtue, n'avait
rien compris, et elle devait retomber dans ses erreurs : dès lors, comme relapse,
elle était perdue.
On s'est
indigné que personne n'ait rien tenté pour la sauver. Mais une
attaque sur Rouen eût été une folie. Et qui, à l'époque, pouvait s'élever
contre une sentence d'hérésie, appuyée de la haute autorité de
l'Université de Paris ?
Elle fut donc brûlée, le
30 mai 1431, en présence de nombreux témoins, victime, entre tant d'autres,
de l’Inquisition et des préjugés du temps.
Le plus étonnant est qu'elle
reparut en 1436, accompagnée de son frère, qu'elle fut reçue en 1439 à Orléans pendant
plusieurs jours, reconnue par de nombreux témoins, et qu'elle se maria avec
Robert des Armoises. Cela résulte de documents authentiques, mais il n'y
a pas là un nouveau miracle. On a supposé avec vraisemblance que la famille,
après avoir tiré quelques profits de la gloire de Jeanne, essaya de perpétuer
le pactole, avec l'aide d'une fausse Jeanne (qui était peut-être sa soeur Catherine
?). Il existe encore des partisans de Jeanne des Armoises, mais aucun n'a
jamais expliqué comment elle aurait échappé au bûcher de Rouen.
Par la suite, il s'avéra
que la légitimité de Charles VII souffrait du discrédit causé par le souvenir
de la sorcière. Les temps avaient changé, et le pape Nicolas V avait besoin de
ménager ce roi, bien assis sur son trône, qui, appliquant les décisions du
concile de Bâle, menaçait d'instaurer une Eglise de France indépendante
par la Pragmatique sanction de Bourges. Sur la demande du roi, le pape
prescrivit, en 1452, une enquête, très orientée, en vue d'aboutir à une
réhabilitation. Cette enquête ne nous apprend rien de nouveau, sinon la naïveté
et la versatilité des témoins : les questionnaires étaient préparés d'avance.
Sur le vu de ces renseignements édifiants, le nouvel archevêque de Reims, au
nom du pape Callixte III, prononça en 1456 la réhabilitation.
Il fallut encore bien
longtemps pour que la paysanne lorraine devînt le symbole du patriotisme. On
sait peu que Bonaparte fut l'un des pionniers de ce nouvel avatar :
« L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de
miracle que le génie français ne puisse produire dans les circonstances où l'indépendance
nationale est menacée », écrivait-il dans le Moniteur du 10 pluviôse
an XI.
Pour achever la légende,
il ne manquait plus que la canonisation : l'Eglise, prudente, la fit attendre
jusqu'en 1920, après une nouvelle victoire française qu'elle
n'avait pas souhaitée.