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Les soi-disant preuves irrécusables de l’existence personnelle de Jésus-Christ

Les soi-disant preuves irrécusables de l’existence personnelle de Jésus-Christ

 

 

 

 

Bibliographie : ouvrages à acheter et lire absolument :

 

 

1) Bourgeois Nicolas, Une invention nommée Jésus. L’existence de Jésus est une affirmation de foi et non d’histoire, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2017, 222 pages.

 

Présentation de l'éditeur :

Jésus a-t-il existé ? La question a été posée il y a plus de deux siècles et le débat s'enlise. Trois tendances principales s'affrontent : les mythistes pour qui la documentation concernant Jésus est un ramassis de fables totalement invraisemblables. Les fondamentalistes pour qui cette documentation est un trésor d'une remarquable exactitude. Les sommités bardées de doctorats d'universités catholiques et protestantes qui estiment avoir une démarche scientifique. Ces trois camps s'écoutent peu et se méprisent mutuellement. L'auteur a donc entrepris d'examiner les approches des uns et des autres. Il en ressort qu'aucun document n'atteste clairement l'existence de Jésus et que ce personnage a toutes les apparences d'une fiction élaborée pour des raisons théologiques. Il en ressort également que certains spécialistes du Jésus historique, forts d'un prestige considérable et d'une absence de contradiction, se permettent de raconter n'importe quoi. La liste de leurs approximations, demi-vérités et vrais mensonges est impressionnante. Basée sur les travaux des spécialistes les plus réputés, cette synthèse sera précieuse à ceux qui veulent se faire une opinion.

 

Avis de Rationalisme : Le meilleur ouvrage sur la question. Clair, net, et précis. S’il ne faudrait en lire qu’un, ca serait celui-là.

Il s'agit de la ré-édition de son ouvrage paru en 2008 chez Adem. Ré-édition revue et corrigée.

Vous pouvez commander son ouvrage sur Amazon :

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Et consultez son site : https://inventionjesus.com/

 

 

 

 

 

 

 

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2) Alfaric Prosper, Jésus a-t-il existé ?, Editions coda, 2005, 322 pages. Préface de Michel Onfray.

 

Présentation de l'éditeur

" De bonne heure j'en suis venu à me demander si Jésus a vraiment existé. La question peut paraître étrange, déraisonnable, extravagante. C'est bien ainsi que moi-même je l'ai jugée d'abord. J'avais à son sujet un fort parti pris. Mais ce n'était pas celui de l'incrédulité. C'était celui de la foi. Nourri dans mon enfance de la tradition catholique, je m'étais habitué à croire qu'il n'y a rien de plus vrai qu'une " parole d'Evangile ". Plus tard j'ai dû reconnaître que là aussi les erreurs abondent et que les textes les plus sacrés sont souvent les plus faux. Mais je m'obstinais à supposer qu'il ne s'agissait, en l'occurrence, que de légendes superficielles et négligeables, telles qu'il s'en présente au cours des meilleures histoires. Il me semblait impossible que des récits tellement vénérables, dont une grande partie de l'humanité a vécu pendant des siècles, ne soient que de purs mythes, c'est-à-dire des fictions dépourvues de toute réalité. Quand j'ai entendu parler, pour la première fois, de gens qui soutenaient que Jésus n'a peut-être vécu que dans l'imagination de ses fidèles, je n'ai vu là qu'une de ces extravagances auxquelles l'abus de la critique peut quelquefois conduire. L'idée me semblait folle. Quand je l'ai étudiée de plus près, j'ai dû peu à peu changer d'avis. Ce n'est pas le Christ qui a fondé le christianisme. C'est plutôt le christianisme qui a élaboré progressivement la figure du Christ. " Prosper Alfaric (1876-1955). L'auteur examine dans cet ouvrage avec érudition l'aspect historique des mythes fondateurs du christianisme. C'est à la suggestion de Michel Onfray, qui pour l'occasion a écrit une préface inédite, que nous avons rassemblé ces textes, qui demeurent, devant la montée des intégrismes de tous poils et le " renouveau " de l'intolérance et du fanatisme religieux, d'une exemplaire actualité.

 

 

 

 

 

 

christjesus3) Ory Georges, Le christ et Jésus. Préface d’Henriette Psichari, Les Editions du Pavillon, 1968, 284 pages.

 

 

A acheter dans des librairies d’occasions. Essayez : www.priceminister.com ; http://used.addall.com/ ; www.chapitre.com

 

 

 

 

 

 

 

 

4) Autres ouvrages :

 

 

_Hallet Marc, Les origines mythiques du christianisme, auto-édition, 2003.

 

_Alfaric Prosper, A l'école de la raison : études sur les origines chrétiennes, Paris, Nouvelles éditions Rationalistes, 1988.

 

_Las Vergnas Georges, Jésus-Christ a-t-il existé ?, Paris, Ed. La Ruche Ouvrière, 1966.

 

_Fau Guy, La fable de Jésus-Christ, Edition de l’Union Rationaliste, 1963, 368 pages.

 

 

 

Sinon, lisez ceci :

 

 

 

Il existe quelques rares textes non chrétiens faisant référence à Jésus. Ces rares textes qui font mention de Jésus ne sont pas à proprement parlé des témoignages puisqu'ils ont tous été écrits plusieurs dizaines (ou centaines) d'années après les événements.

De plus, un témoignage ne compte que si son auteur connaît la vérité et s’il veut bien la dire ; en d’autres termes, s’il n’est ni trompé ni trompeur. Or, l’on ne peut s’en rendre compte que si l’on sait à quelle époque, à quel milieu il appartient, ce qu’il est lui-même et ce qu’il vaut.

Ces règles élémentaires de la critique historique s’imposent en tout domaine, qu’il s’agisse de la grande guerre ou des poèmes homériques, d’Apollon ou du Christ.

Quels sont les textes qui servent à établir que Jésus a vraiment existé ? Ils se répartissent en deux séries. Les uns sont chrétiens, les autres viennent de milieux fermés à l’Evangile.

En principe, les témoignages des incroyants présentent un intérêt particulier, précisément parce qu’ils ne sont pas influencés par la foi. Mais à mesure qu’on les observe de près, on constate qu’ils se réduisent pratiquement à rien.

Nous allons d’abord, pour chaque texte, exposer la position des apologistes catholiques, puis la réponse des rationalistes[1]

 

 

 

I] Les témoins païens.

1° Le témoignage de Pline le Jeune (62-114)

2° Le témoignage de Tacite (55-119)

3° Le témoignage de Suétone (69-128)

4° La Lettre de Mara Bar Serapion.

5° Thallus le Samaritain

6° Lucien de Samosata (125 à 192)

7° Julien l’Apostat

8° Celse

9° Pilate

10° L’inscription de Nazareth

11° Le silence de Sénèque (4-65)

12° Le silence d’Epictète (50-120)

13° Le silence de Martial (40-103)

14° Le silence de Juvénal (55-138)

15° Le silence de Pline l’Ancien (23-79)

16° Le silence de Plutarque (46-127)

17° Le silence de Valérius Maximus (14-37)

18° Le silence de Pétrone ( ?-65)

19° Le silence de Perse (34-62)

20° Le silence de Lucain (39-65)

21° Le silence de Stace (40-96)

22° Le silence de Silius Italicus (25-100)

23° Le silence de Dion Chrysostome (40-117)

24° Le silence de Quintillien (65-95)

25° Le silence de Valerius Flaccus (70-100)

26° Le silence d’Apulée (?-170)

27° Le silence de Pausanias (?-180)

28° Le silence de Dion Cassius ( ?-200)

29° Le silence de Tite (?-120)

II] Les témoins juifs

1° Philon d'Alexandrie (-13, +54)

2° Flavius Josèphe (37-100)

3° Juste de Tibériade (35-105)

4° Les écrits talmudiques

III] Inconsistance des témoignages chrétiens

IV] La formation du mythe chrétien

 

 

I] Les témoins païens.

 

1° Le témoignage de Pline le Jeune (62-114)

 

_ Thèse catholique : « Voici un personnage politique très haut placé, chargé par un empereur romain de faire une enquête sur les chrétiens, et qui rend compte à son maître de cette enquête, entreprise et poursuivie, sinon avec beaucoup d'intelligence, tout au moins d'une manière très consciencieuse. Pouvons-nous désirer quelque chose de plus officiel.

Il s'agit de Plinius Caecilius, plus connu sous le nom de Pline le Jeune, neveu de Mine l'Ancien. Né en 61 pu 62 de notre ère, il était déjà fonctionnaire impérial sous le règne de Domitien, Consul sous Trajan (l'an 100), il eut la bonne fortune de devenir l'ami intime de ce prince, qui l'envoya en Bithynie avec le titre de legatus Caesaris. Il exerça cette importante fonction entre les années 111 et 113. La diffusion du christianisme avait été très rapide en Bithynie, et la religion de Jésus faisait le plus grand tort au culte païen, qui perdait chaque jour des adhérents. Inquiet de cet état de choses, le légat prit des informations sérieuses sur les chrétiens, sur leurs rites religieux, sur leurs mœurs. Le célèbre rapport qu'il adressa ensuite à Trajan et la brève réponse de l'empereur nous fournissent des renseignements officiels très intéressants sur la situation des Eglises chrétiennes en Bithynie, au commencement du II° siècle.

Nous nous bornerons à relever les traits suivants : 1° Les chrétiens étaient si nombreux en Bithynie, que les temples païens commençaient à devenir déserts, et que les solennités célébrées en l'honneur des faux dieux avaient été en partie abandonnées. 2° Quelques-uns d'entre eux appartenaient au christianisme depuis vingt ans et plus. 3° Leur culte était parfaitement organisé ; ils se réunissaient le matin, à jour fixe, pour le célébrer. Le Christ en était le centre, et ils chantaient en son honneur des cantiques qui lui attribuaient la nature divine.

Ce dernier trait est évidemment le plus essentiel de tous, car il prouve qu'a cette époque, comme durant l'âge apostolique, comme aujourd’hui, les chrétiens croyaient à la divinité de Jésus-Christ. Il est vrai qu'un certain nombre de critiques rationalistes ont essayé d'affaiblir le plus possible le sens des mots quasi Deo, qui exprimeraient, d'après eux, non pas le sentiment des chrétiens par rapport à Jésus-Christ, mais celui du gouverneur de Bithynie. Ce dernier n'aurait pas voulu dire que les partisans du Christ lui rendaient les honneurs divins et le regardaient comme un Dieu, mais qu'il lui avait paru à lui-même que leurs chants étaient de ceux qui conviennent à la divinité. On a également proposé de traduire : « Comme à un prétendu Dieu. » Mais ces interprétations ont contre elles non seulement le sens naturel du passage en question, mais aussi le but que Pline se proposait dans sa lettre â Trajan. Avant tout, le légat désirait savoir quelle conduite il devait tenir à l'égard des chrétiens. Pour cela, il était nécessaire qu'il exposât clairement à l'empereur quelles étaient leurs pratiques religieuses et morales, telles qu'il les connaissait par les interrogatoires qu'il leur avait fait subir. Ce sont donc leurs propres sentiments, et non pas les siens, qu'il devait faire connaître â Trajan. Le Christ auquel les chrétiens de Bithynie offraient leurs hommages d'adoration au début du II° siècle, et plus de vingt ans auparavant, ne diffère donc pas de Jésus, que les évangiles nous présentent comme réunissant en lui la nature divine et la nature humaine. »

 

_ Réponse rationaliste : 

 

? « Pline le Jeune qui fut gouverneur de Bythinie a écrit une lettre à l'empereur Trajan vers 106 après J.C. dans laquelle il parle des chrétiens et de leur vénération du Christ. Il mentionne que les chrétiens se réunissent à la tombée de la nuit pour prier et qu'ils sont inoffensifs. Néanmoins il demande à l'empereur quelle attitude il doit prendre envers ce nouveau groupe religieux.

Tout ce que cette lettre nous apprend c'est qu'il existait effectivement des hommes se réclamant de la croyance dans le Christ comme Dieu. Aucun rapprochement n'est mentionné entre ce « Christ » et Jésus condamné à mort par un procurateur romain. En conséquence de quoi on comprend mal que ce document soit si souvent cité comme « preuve » non chrétienne de l'existence de Jésus. Beaucoup de spécialistes considèrent que Pline ne détenait que des informations de seconde main sur les chrétiens et leur croyance. »

 

? « Voici cette lettre de Pline : « Au reste ils assuraient que leur faute ou leur erreur n'avait jamais consisté qu'en ceci: ils s'assemblaient, à jour marqué, avant le lever du soleil; ils chantaient tour à tour des hymnes à la louange du Christ, comme en l'honneur d'un dieu; ils s'engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol, de brigandage, d'adultère, à ne point manquer à leur promesse, à ne point nier un dépôt; après cela, ils avaient coutume de se séparer, et se rassemblaient de nouveau pour manger des mets communs et innocents. Depuis mon édit, ajoutaient-ils, par lequel, suivant vos ordres, j'avais défendu les associations, ils avaient renoncé à toutes ces pratiques. J'ai jugé nécessaire, pour découvrir la vérité, de soumettre à la torture deux femmes esclaves qu'on disait initiées à leur culte. Mais je n'ai rien trouvé qu'une superstition extraordinaire et bizarre. »

En quoi chanter un hymne au Christ est une raison pour croire que le Jésus de Nazareth dépeint dans les évangiles a existé ?

Puisque le 'Christ' était l'objet d'adoration des chrétiens, nous aurions du prévoir que Pline allait en parler comme d'un homme rebelle crucifié en Judée. Ceci aurait été en effet bien inhabituel et de quelque intérêt pour l'empereur.

Mais ce n'est pas le cas, et même assujetti à la torture, aucune information laissant supposer que le Christ se confondait avec une personne historique nommée Jésus de Nazareth ne semble avoir émergé... »

 

? « Pline le Jeune (62-114). Ecrivain latin. Nous avons de cet auteur une lettre qu’il aurait adressée vers 112-113 à l’empereur Trajan, alors qu’il gouvernait la Bithynie, pour lui demander des instructions à l’égard des chrétiens, et la réponse de Trajan. Plusieurs historiens (Havet, Boissier etc.) considèrent cet échange de correspondance comme des faux fabriqués du temps de Tertullien par un chrétien plus zélé que scrupuleux. Je tiens à votre disposition l’énumération des raisons qui pourraient faire tenir ces lettres pour apocryphes. Mais passons et prenons-les pour vraies. Que dit la lettre de Pline ? Elle demande à Trajan quelle est la conduite à tenir face aux chrétiens « qui se réunissent à jour fixe, avant le lever du soleil, pour réciter entre eux alternativement un hymne à CHRISUS comme à un dieu (carmen Christo quasi deo) ». Cette fois il s’agit bien de Christus et non de Chrestus, mais pas de ‘’Jésus’’. La lettre de Pline, toujours en la supposant vraie, ne constitue pas un témoignage sûr à propos de ‘’Jésus’’. Elle établie tout simplement que Pline a connu des chrétiens en Bithynie vers 112-113, qui adoraient un Christ comme dieu, ce qui ne nous renseigne ni sur la nature ou l’identité de ce Christ, ni sur les chrétiens qui le vénéraient et que son témoignage n’est pas indépendant de la tradition chrétienne puisqu’il se fonde sur des interrogatoires de chrétiens, plus de 80 ans après la mort présumée de leur héros qu’il n’a pas connu. Pline est un fonctionnaire timoré mais consciencieux : si ses interrogatoires lui avaient appris que les chrétiens adoraient un condamné de Pilate, il n’aurait pas manqué de le signaler dans son rapport, en indiquant son nom : ‘’Jésus’’. Mais il n’a rien appris de tel. Vous noterez aussi le silence que Pline le Jeune garde dans tout le reste de ses ouvrages sur un sujet qui, dans cette épître, paraît tant le préoccuper. C’est pour le moins étrange. (Ceux des partisans de la thèse mythiste qui acceptent l’authenticité de la lettre de Pline y voient plutôt une confirmation de leur thèse : cette lettre reflète l’état des communautés du début du deuxième siècle, pour lesquelles le ‘’Christ’’ n’est qu’un être céleste, non incarné, pas encore humanisé. Les chrétiens de Bithynie ignoraient encore que leur dieu eût vécu sur terre et fût mort en croix.) »

 

 

? « Le premier texte latin concernant le christianisme daterait, s'il n'est pas apocryphe, de l'année 111 ; c'est la Lettre qui aurait été envoyée par Pline le jeune, alors gouverneur de Bithynie, à l'empereur Trajan pour lui demander quelle conduite il devait tenir à l'égard des Chrétiens « qui se réu­nissaient à jour fixe avant le lever du soleil pour réciter entre eux alternativement un hymne à Christus comme à un dieu » (carmen Christo quasi deo).

L'authenticité de cette lettre de Pline a été mise en cause mais, si elle est réellement de Pline, que nous apprend-elle ? Que des Chrétiens, en Bithynie, auraient déjà été connus des autorités romaines vers 111, peut-être même vingt ans plus tôt et qu'ils récitaient entre eux un hymne au Christ comme à un dieu. L'auteur veut-il insinuer qu'il s'agit d'un homme divinisé ou d'un nouveau dieu qu'il ne connaît pas ? Lui prêter l'idée que des gens puissent adresser des prières à un personnage déifié dont personne jusqu'à lui n'a entendu parler, cela fait difficulté ; s'il en avait été ainsi, Pline n'aurait pas manqué d'en parler à l'empereur. Par contre, s'agissant du dieu inconnu d'une secte de mystère, son silence se comprend.

D'autre part, Pline ne mentionne pas le nom de Jésus ; c'est très important. Il ne connaît pas l'assimilation de ce christ bithynien au Jésus palestinien. Il n'est donc pas un témoin décisif mais est-il même un témoin ? Est-il l'auteur de la lettre ?

On nous dit qu'aucun doute n'est possible à ce sujet parce que Tertullien (vers 200) utilisait cette lettre. Ce serait là évidemment un argument de poids si nous étions sûr que Tertullien avait sous les yeux un texte autographe de Pline et non pas une copie plus ou moins fidèle, voire un apocry­phe. Tertullien a pu connaître un faux Pline comme il a connu un faux Pilate ; il était crédule au point de prétendre que Jupiter et Saturne avaient été des hommes.

De surcroît il nous paraît surprenant :

_ Que Pline et Trajan se soient servis vers 111 du nom de « chrétiens » que nous avons vu utiliser pour la première fois par l'empereur Hadrien vers 131 dans un sens très particulier, et seulement vers 150 par les apologistes dans le sens qui nous est devenu familier.

_ Que Tertullien ne précise pas que Pline gouvernait la Bithynie ; « il administrait une province » écrit-il simplement.

En outre, l'Histoire Auguste ne parle pas de Pline en Bithy­nie et, dans son abrégé de l'Histoire romaine de Dion Cassius, le moine Xiphyllin parle de la Bithynie sans mentionner Pline. De même, Eusèbe appelle Pline le plus illustre des gouverneurs de provinces sans dire les pays où il fut envoyé. Les historiens profanes, enfin, omettent de signaler ce proconsulat de Pline, et cette lettre de Pline est la seule qui fasse mention des Chrétiens.

_ Que Tertullien écrivait quatre-vingt-dix ans après la lettre attribuée à Pline et que ses écrits ne nous sont connus que par des manuscrits du XIe siècle qui offraient des leçons différentes et qui ont été perdus après leur publication au seizième siècle.

Mené par la logique des faits à ce point de scepticisme, on ne peut plus s'étonner de faire la constatation suivante :

La correspondance entre Pline et Trajan constitue le Xe livre de Lettres et ce Xe livre n'est apparu qu'en 1502. Or, vers l'an 470, Sidoine Apollinaire écrivait que Pline avait fixé à neuf le nombre des livres de son recueil épistolaire, à neuf, pas à dix. On conçoit que ce témoignage ait fait réfléchir les érudits du XVI° siècle ; l'un d'eux, J.M. Cataneo, procédant à une nouvelle édition des Lettres de Pline en 1505, précisait : « Ceux qui nient que les lettres de Trajan soient de Pline déclarent qu'ils n'ont pu les lire dans aucun manuscrit original. Nous devons confes­ser que notre intention première fut de ne pas comprendre dans notre édition ces Lettres puisqu'elles n'avaient été publiées que d'après un unique manuscrit extrêmement vieux et dont nous n'avons pu nous servir...»

Comble de malchance, ce manuscrit « unique, extrêmement vieux », fut perdu après avoir servi aux éditions de 1502 et 1508. L'existence de ce manuscrit ne saurait être mise en doute mais on ne sait d'où il venait ni s'il reproduisait un texte authentique de Pline ou s'il n'était pas l'oeuvre d'un faussaire.

Dans ces conditions, on comprendra que notre confiance dans cette fameuse lettre soit assez limitée surtout quand nous nous demandons pourquoi Pline aurait écrit une telle lettre à Trajan.

Essayons de comprendre. Pline était un jurisconsulte de talent, un grand avocat à qui les provinces confiaient leurs revendications devant le Sénat, à qui s'adressaient les pro-consuls mis en cause par les provinces aussi bien que les préteurs pour la préparation de leurs arrêts ; il avait été nommé par Trajan « quaestor principis », conseiller personnel du prince. Peut-on imaginer qu'un tel personnage se soit cru obligé de consulter l'empereur sous prétexte qu'il ne possédait pas de précédent sur le problème chrétien, pas de dossier au point, pas de renseignement sur place ?

Or, la Bithynie n'était pas une inconnue pour Pline ; il avait déjà défendu devant le Sénat Bassus puis Varenus accusés par les Bithyniens d'abus de pouvoir et de prévarica­tion ; il avait procédé à des contre-enquêtes dans cette pro­vince. Avant son départ, il avait eu pour l'informer son ami Maxime qui avait été questeur en Bithynie et il disposait certainement de collaborateurs rompus aux affaires locales, de dossiers et d'informations de police.

Penser qu'il était parti gouverner une province sans savoir qu'il y trouverait des Chrétiens et que la question de leur statut se posait ou se poserait, penser qu'il demanderait (au risque de se faire mal juger) des conseils à l'empereur qu'il était précisément chargé de conseiller et de représenter - et qui était moins bien informé que lui - c'est inima­ginable.

Que lui répond alors l'empereur ? « Mon cher Pline, la marche à suivre était bien celle que tu as suivie ». Car - et ceci mérite considération - Pline demande des instruc­tions quand tout est réglé. Les fidèles païens affluent de nouveau dans les temples jusque-là désertés et les sacri­fices, un moment négligés, sont restaurés ; l'affaire est « classée ».

Attribuée à Pline, la lettre est donc inutile. En revanche, on devine l'intérêt que pouvait avoir un apologiste chrétien de la fin du IIe siècle à montrer l'ignorance et l'incurie des juges romains, l'innocence des Chrétiens, leur condamnation fondée uniquement sur le nom qu'ils portaient, la propagation miraculeuse de leur foi (ce qui nous porte vers l'an 200), enfin une appréciation équitable de leur conduite exprimée par un proconsul.

Pour conclure, nous supposerons qu'il y a, à la base de cette lettre attribuée à Pline, un billet provenant d'un fonc­tionnaire romain de province vers l'année 180, billet auquel le passage pro-chrétien aura été ajouté et qui, mis sous le nom de Pline, se trouva antidaté de soixante-dix ans.

Il semble, en effet que le christianisme n'ait été porté qu'assez tard dans les provinces de Bithynie et du Pont. Selon les Actes (16/7) « alors que Paul et ses compagnons se disposaient à aller en Bithynie, l'esprit de Jésus ne le leur permit pas ». Nous savons d'autre part que, deux siècles après, la ville de Néo-Césarée... capitale du Pont... et fort peuplée... était dans les ténèbres du paganisme et ne comp­tait que dix-sept chrétiens. Entre ces deux époques nous n'avons aucune trace de martyrs de Bithynie, notamment sous Trajan. Les seuls noms de martyrs connus sous cet empereur sont l'évêque de Jérusalem Syméon et Ignace d'An­tioche ; or, le premier est imaginaire et le second antidaté de cinquante ans.

Devant les obstacles qui s'accumulent contre la thèse de l'authenticité de l'épître de Pline, on se demande si Tertullien, notre principal témoin, n'éprouvait pas pour les documents fre­latés une tendresse abusive. Déjà Bruno Bauer a fait allusion aux « archives officielles où Tertullien a découvert une note rela­tant qu'au moment de la mort de Jésus le soleil s'était obscurci en plein midi ». On peut également rappeler la déclaration suivante du grand polémiste chrétien (Apolog. 5) : « Nous avons eu, au contraire, un protecteur dans le sage Marc-Aurèle ; on en aura la preuve si on recherche la lettre par laquelle cet empe­reur... atteste que la soif de l'armée de Germanie fut apaisée par la pluie qu'obtinrent les prières de Chrétiens qui étaient par hasard au nombre de ses soldats ». Or, cette lettre apocryphe ne nous est parvenue qu'en grec et son auteur s'est trahi ; en écrivant « par hasard » il prouve qu'il savait que les Chrétiens de l'époque refusaient le service militaire mais, pour leur attri­buer le bénéfice du miracle, il en glissa exceptionnellement quel­ques-uns dans l'armée de Germanie.

Dans ces perspectives, le moins que l'on puisse assurer, c'est que la lettre de Pline ne constitue pas un témoignage sûr à propos des Chrétiens ou du Christ ; si elle était authen­tique et non interpolée, elle établirait tout simplement que Pline a connu des Chrétiens qui adoraient un Christ comme dieu (ce qui ne nous renseigne ni sur la nature ou l'identité de ce Christ, ni sur les Chrétiens qui le vénéraient) et que son témoignage n'est pas indépendant de la tradition chré­tienne puisqu'il se fonde sur des interrogatoires de chrétiens. »

 

? « Le plus ancien texte latin qui concerne notre sujet est un rapport, sous forme de lettre, que Pline le Jeune, alors gouverneur de Bithynie, écrivit à l'empereur Trajan. Vers 110, ce dernier avait chargé son ami de réorganiser l'administration de la province où il avait été nommé. Pline, manquant peut-être un peu de confiance en lui-même et en ses décisions, avait coutume d'écrire à Trajan pour justifier ses actes et lui demander conseil. La lettre dont il va être question a été contestée un certain temps sous prétexte que le manuscrit dans laquelle elle se trouvait aurait été un faux fabriqué tardivement. Cette opinion n'est plus soutenue actuellement et les spécialistes s'accordent pour estimer que cette lettre est sans doute bien le texte original, non interpolé ou retouché, que Pline écrivit à l'époque. Pline y explique l'attitude qu'il a adoptée à l'égard des chrétiens et sollicite, comme à son habitude, conseils ou approbation de Trajan. Il écrit que des gens lui sont parfois déférés comme chrétiens. Or, le christianisme lui semble être une folie punissable. Dès lors, quand ces gens persistent à se proclamer chrétiens, ils sont torturés. S'ils nient et acceptent de maudire publiquement Christus, ils sont alors relâchés. Voici ce que Pline rapporte que les chrétiens disaient pour assurer leur défense : "Or, ils affirmaient que toute leur faute, ou toute leur erreur, s'était bornée à tenir des réunions à jour fixe, avant le lever du soleil, pour réciter entre eux alternativement un hymne à Christus comme à un dieu (Christo quasi deo), et pour s'engager par serment, non à tel ou tel crime, mais à ne point commettre de vols, de brigandages, d'adultères, à ne pas manquer à la foi jurée, à ne pas nier un dépôt quand il leur était réclamé ; que cela fait ils avaient coutume de se retirer, puis de se réunir de nouveau pour prendre ensemble une nourriture, mais une nourriture tout ordinaire et innocente ; que cela même, ils avaient cessé de le faire depuis l'édit par lequel, conformément à vos instructions, j'avais interdit les hétéries. Ces déclarations m'ont fait regarder comme d'autant plus nécessaire de procéder à la recherche de la vérité, par la torture même, sur deux femmes esclaves, qu'ils appelaient des ministrae. Je n'ai rien trouvé qu'une superstition absurde, extravagante."

Cette lettre ne nous apprend pratiquement rien au sujet de Christus, sinon que Pline le situait un peu à part des autres dieux reconnus comme tels. Il utilisa en effet l'expression quasi deo. Dans ses commentaires, Pline ne nie, ni n'affirme explicitement que ce Christus ait existé, ait été crucifié ou soit ressuscité ; mais il considère néanmoins la croyance des chrétiens comme une superstition absurde et extravagante. Ainsi donc, ce témoignage que des exégètes chrétiens ont souvent cité à l'appui de l'existence historique de Jésus se retourne contre eux puisqu'il semble bien qu'en 110 Pline considérait ce que racontaient les chrétiens comme un tissu d'extravagances. Point question sous sa plume d'une réalité historique du Christ, mais bien d'une superstition, ce qui est tout le contraire. Ce que l'on apprend là des chrétiens n'est guère précis : ils se réunissaient pour chanter et ensuite manger, de façon assez ordinaire. C'est assez cependant pour se rendre compte qu'au début du second siècle, plus de 70 ans après la mort supposée de leur Messie, les chrétiens ne disposaient pas encore d'un appareil cultuel complexe. C'est d'autant plus étrange que si on devait en croire les Actes des Apôtres, la nouvelle religion se serait répandue comme traînée de poudre... »

 

 

2° Le témoignage de Tacite (55-119)

 

_ Thèse catholique : « Quoique postérieur de quelques années à celui de Pline le Jeune, nous fait contempler les chrétiens beaucoup plus tôt, sous le règne même de Néron (54-68 ap. J.-C.). Ce grand et grave historien, qui suit toujours les meilleurs docu­ments et qui fait preuve d'une critique sévère, naquit l'an 55 de notre ère, et mourut en 120, après avoir exercé, lui aussi, des fonctions administratives sous Trajan. Entre les années 115 et 117, il publia le célèbre volume de ses Annales, dans lequel il raconte, avec une concision et une précision remarquables, les principaux événements du règne de quatre empereurs romains : Tibère, Caligula, Claude et Néron (14-68 ap. J.-C.). Aucun ouvrage ancien ne décrit mieux cette sinistre période de l'empire. C'est là que Tacite consacre quelques lignes à Jésus-Christ et au christianisme, à propos du terrible incendie qui consuma une partie considérable de Rome, en 64. Néron était lui-même le véritable auteur de cette ruine, et l'opinion publique ne tarda pas à l'en rendre responsable. Pour se discul­per, il osa accuser les chrétiens d'avoir commis cet odieux forfait.

Après avoir cité ces détails, Tacite ajoute, pour carac­tériser les chrétiens : « Ce nom leur vient du Christ, qui avait été exécuté sous Tibère, par les ordres du procurateur Ponce-Pilate. Cette secte détestable, réprimée d'abord, se répandit de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait pris naissance, mais dans Rome même, où tout ce qu'il y a de criminel et d'infâme afflue de toutes Parts et trouve du crédit. »

Ces lignes sont certainement d'une grande impor­tance. Elles attestent dans les termes les plus clairs l'existence personnelle de Jésus-Christ, sa condamna­tion à mort par Ponce-Pilate, et le fait, donné comme une chose connue de tous, que, à l'époque de Néron, les chrétiens, alors nombreux en Judée, dans tout l'empire, à Rome même, se rattachaient à lui comme au fondateur de leur religion.

L'événe­ment n'était pas bien vieux quand Tacite écrivait. Il avait pu en être le témoin dans sa jeunesse, ou tout au moins le tenir de témoins oculaires... D'autre part, il y a des détails qu'on n'invente point, et ceux que donne l'his­torien sont de ce nombre. Tacite ne confond pas ici les chrétiens et les juifs. Il marque que le christianisme était sorti de Judée ; que son fondateur - il prend le mot Christus pour un nom propre - avait été condamné et mis à mort sous Tibère, par le procurateur Ponce-Pilate ; que... cette nouvelle secte s'était propagée cependant en Palestine et avait gagné jusqu'à Rome.

On a essayé, il est vrai, d'opposer à ce texte de Tacite le passage du livre des Actes où il est dit que le nom de « chrétiens » fut employé pour la première fois à Antioche de Syrie, entre les années 40 et 45, et non pas à Rome, vers 64. Mais Tacite n'affirme pas le moins du monde que les Romains eux-mêmes inven­tèrent cette dénomination ; née en Syrie, elle s'était attachée définitivement aux disciples du Christ, et les suivait partout où ils allaient. »

 

_ Réponse rationaliste : 

 

? « Historien romain et gouverneur en Asie Tacite rapporte les propos suivants dans ses Annales :

"Quelque fût le soulagement apporté par un homme, ou les bontés qu'un prince puisse apporter, ou les sacrifices d'expiation que l'on pourrait présenter aux dieux, rien n'aurait soulagé Néron de l'infamie des rumeurs qui circulaient selon lesquelles il aurait lui-même ordonné cette conflagration, c'est-à-dire, l'incendie de Rome. C'est pourquoi, pour faire cesser ces rumeurs, il accusa les chrétiens qui étaient haïs pour leur énormité, les chargea de cette culpabilité, et les punit par toutes sortes de tortures affreuses. Christus, qui était le nom de leur fondateur, fut mis à mort par Ponce Pilate, procurateur de Judée sous le règne de Tibère : mais la superstition pernicieuse qui fut réprimée pour un temps éclata de nouveau, pas seulement en Judée où le méfait tenait ses origines, mais aussi dans la cité de Rome."

Ce document constitue avec le Testimonium Flavanium la preuve historique la plus souvent citée car émanant d'un historien romain non chrétien qui cite précisément la condamnation de Jésus par Pilate sous le règne de Tibère.

Ce texte écrit vers 117 après J.C. est pourtant bien tardif pour constituer une preuve indépendante de tout témoignage chrétien. En effet vers cette époque comme on l'a déjà remarqué circule « l'histoire du fondateur du christianisme » qui n'a pas manqué d'arriver jusqu'aux oreilles de Tacite. Pour pouvoir affirmer que Tacite écrit à partir d'une source indépendante il faudrait par exemple montrer qu'il avait accès aux archives impériales ce qui donnerait à son témoignage un caractère vraiment incontestable. Cependant ceci demeure douteux car le titre donné à Pilate (procurateur) n'est pas exact (Pilate n'était que préfet) et qui plus est il semble peu probable que Christus ait pu être le nom de Jésus enregistré dans les archives officielles si tant est qu'un tel événement ait pu être enregistré : Il est peu vraisemblable que toutes les exécutions de messie ou de prophètes juifs de l'époque se déroulant dans une lointaine province romaine aient pu être consciencieusement enregistrées dans des archives officielles.

Certains spécialistes s'interrogent par ailleurs sur l'authenticité de ce texte qui n'est pas cité par les pères de l'église : ni Origène, ni Tertullien qui connaît bien Tacite ni Clément d'Alexandrie si prompt à utiliser tout l'arsenal des "preuves" pour convaincre les païens ne font référence à ce texte qui est "retrouvé" en 1468. Eusèbe de Césarée qui a lui aussi "compilé" toutes les sources documentaires sur Jésus ne parle pas de ce passage de Tacite.

Pour toutes ces raisons, le texte de Tacite ne constitue pas à proprement parlé une preuve indiscutable de l'historicité de jésus. »

 

? « L'autre texte invoqué d'ordinaire est de Tacite.

Il est plus circonstancié et paraît plus probant. Il constitue le principal atout des traditionalistes.

Nous lisons dans les Annales (XV, 44), à propos de l'incendie de Rome qui eut lieu sous Néron et dont l'empereur fit retomber la responsabilité sur les chrétiens : « L'auteur de ce nom, Christ, avait été condamné au supplice, sous le règne de Tibère, par le procurateur Ponce Pilate. »

Une réflexion préalable s'impose au sujet de ce texte. Il ne nous est connu, comme tout le contexte, que par un seul manuscrit du XI° siècle découvert en 1429 et entré en 1444 dans la bibliothèque des Médicis. Sans contester, comme on l'a fait, l'authenticité de tout l'ouvrage, on peut se demander si le passage est vraiment de Tacite, car il contient d'étranges invraisemblances, et les détails horrifiques qu'il donne sur les supplices infligés aux chrétiens paraissent avoir été ignorés durant les premiers siècles et tout le Moyen Age.

Mais cela importe assez peu pour la question qui nous occupe. Tenons le texte pour authentique. Peut-il servir à prouver que Jésus a vraiment existé ? En aucune façon. A l'époque où Tacite écrivait ses Annales, c'est-à-dire vers 117, les chrétiens devaient être déjà nombreux à Rome, et la Vie de Jésus s'était déjà fixée pour eux, tout au moins dans l'Évangile selon Marc. C'est d'eux, ou de quelqu'un qui les aura connus, que procèdent tous les renseignements fournis par lui au sujet du Christ. De là vient qu'il ne le désigne pas par son nom propre mais par son surnom rituel. Ce qu'il dit de lui n'ajoute absolument rien à leur témoignage. »

 

? « Tacite (54 à 119), historien latin. Avec Tacite (et Pline le Jeune), nous voici arrivés à la référence classique de la thèse historiciste. Tacite est généralement le premier ‘’témoin’’ cité par les historiens catholiques. Questeur, prêteur (en 88), consul suffert (en 97), proconsul d’Asie (vers 110-113), Racine disait de lui (mais bien à tort !) qu’il était ‘’le plus grand peintre de l’Antiquité’’. Nous avons de lui plusieurs œuvres dont « les Histoires » et « les Annales », en partie perdues. Que dit Tacite ? Dans les Annales (XV 44) on lit : « des bruits infamants attribuaient l’incendie de Rome (en 64) aux ordres de Néron. Pour détourner ces bruits, il chercha des coupables et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d’hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate. Réprimée un instant, cette exécrable superstition débordait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais à Rome même, où tout ce que le monde renferme d’infamies et d’horreurs afflue et trouve des partisans (….) On fit de leur supplice un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par les chiens ; d’autres mouraient sur des croix ou bien l’on enduisait leur corps de résine et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en guise de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s’ouvraient à la compassion en pensant que ce n’était pas au bien public mais à la cruauté d’un seul qu’ils étaient immolés ». Je vous propose une réponse en deux parties :

a/ Le texte de Tacite est-il authentique ? Pour plusieurs historiens (Klausner, Volney, Hochart, etc.), ce texte serait un faux élaboré au XVème siècle par le fameux faussaire-érudit Le Pogge, secrétaire de plusieurs papes. Ce qui est sûr, c’est que le texte, comme tout le contexte, ne nous est connu que par un seul manuscrit découvert en 1429 et entré en 1444 dans la bibliothèque des Médicis. Le Pogge disait l’avoir reçu d’un moine anonyme venu à Rome en pèlerinage et aussitôt disparu. Voici les raisons qui font dire à plusieurs que le texte est un faux : 1. Il contient d’étranges invraisemblances, et les détails horrifiques qu’il donne sur les supplice infligés aux chrétiens paraissent avoir été ignorés durant les premiers siècles et tout le Moyen Âge ; 2. Aucun apologiste ni père de l’Eglise ne cite ce texte ; 3. L’attribution de l’incendie de Rome aux chrétiens et le supplice de ceux-ci sont inconnus des autres historiens, de Suétone (qui n’est cependant pas favorable à Néron et n’aurait pas manqué de signaler ce trait de cruauté), de Pline l’Ancien, de Martial, de Dion Cassius. Ils sont également ignorés de l’historien juif Flavius Josèphe ; 4. Les adversaires des chrétiens accuseront plus tard ceux-ci de quelques incendies (le palais de Dioclétien à Nicomédie, le temple de Daphné sous Julien) : à cette occasion, pas un d’eux ne songera à rappeler l’incendie de Rome ; 5. Les auteurs du IVème siècle, même Eusèbe (le grand faussaire), ne connaissent pas ce texte de Tacite. Augustin évoquera bien, lors du sac d’Alaric, les calamités antérieures qui avaient frappé la ville, mais il oubliera l’incendie sous Néron ; 6. Le Pogge est bien connu pour avoir fabriqué d’autres faux ; 7. Ce faux tombait bien au XVème siècle : les érudits commençaient à s’interroger sur les origines de la papauté. Nous sommes au lendemain du grand schisme d’Occident et le concile de Constance a singulièrement diminué les pouvoirs du pape : il devient important d’établir que celui-ci est le successeur de Pierre, mais aucun texte ne signale la venue de Pierre à Rome et on pouvait se demander comment celui-ci y aurait péri si longtemps avant le début des persécutions. Erudit, Le Pogge sait les crimes dont l’histoire a chargé la mémoire de Néron ; son invention est assez ingénieuse puisqu’elle a trompé tout le monde. Mais la découverte du manuscrit au moment précis où l’on en éprouvait le besoin suffirait à rendre suspect ce petit miracle ; 8. Tacite, mentionnant pour la première fois les chrétiens, n’éprouve pas le besoin d’expliquer à ses lecteurs ce que sont ces sectaires, en quoi consista leur mouvement qui aurait été réprimé entre 14 et 37 sous Tibère, comment cette secte fut tolérée à Rome et pourquoi elle était exécrable ; 9. Le récit de ces cruautés inimaginables est une exception dans toute la littérature. Aucun auteur ne cite des choses semblables ; 10. La brièveté d’un texte aussi important étonne chez un Tacite qui nous a habitués à plus de détails. Par exemple, il consacre tout un paragraphe (Ann. XIII 25) à raconter les polissonneries de Néron dans les rues et les mauvais lieux de Rome ; il ne consacre pas moins de deux alinéas à détailler les accusations de perfidie portées contre les affranchis (XIII 26, 27) ; quand il rapporte une condamnation, il n’omet jamais d’en signaler les causes ou les prétextes. Il n’en paraît que plus étonnant de le voir glisser si légèrement sur les crimes qu’il prête aux chrétiens, sans prendre la peine de les spécifier, pas plus que les motifs de l’exécution de Christus ; 11. Il est très surprenant que l’auteur des Annales se montre ici tant ému par les tortures invraisemblables infligées aux chrétiens, tortures dont la description semble avoir été copiée dans la Légende Dorée, et ne s’attendrisse jamais sur les victimes des atroces boucheries du Cirque. Là, ce n’est pas un auteur unique qui affirme ces abominations dans un seul passage d’une authenticité discutable, c’est une foule d’écrivains contemporains, ce sont vingt monuments presque intacts, ce sont des médailles commémoratives qui en attestent la certitude. On y sacrifiait par milliers, non seulement des ‘’coupables ayant mérité les dernières rigueurs’’, mais aussi des prisonniers de guerre auxquels on ne pouvait adresser d’autre reproche que celui d’avoir défendu héroïquement l’indépendance de leur pays. Ce spectacle, qu’il avait quotidiennement sous les yeux et dans lequel on faisait un ‘’divertissement’’ pour la populace, des ‘’tortures les plus raffinées’’ spécialement inventées contre des innocents, sans que ‘’les cœurs s’ouvrissent à la compassion’’, n’arrache jamais un cri d’horreur à l’impassible Romain ; il n’a pas un mot de pitié pour les 400 esclaves de tout sexe et de tout âge suppliciés à la suite de l’assassinat de leur maître, le préfet de Rome (en 61), bien qu’ils ne fussent même pas soupçonnés de complicité dans ce meurtre. Cette sensibilité si extraordinaire, dont on chercherait vainement un autre exemple chez lui, se révèle justement à l’égard de qui ? ‘’d’hommes détestés pour leurs abominations’’, tandis qu’il reste constamment d’une froideur révoltante devant le massacre des gens les plus inoffensifs, que même les proscriptions de Sylla rencontrent son approbation (Ann. III 27), qu’on le voit manifester une joie sauvage (Germ. 33) au spectacle de 60.000 Germains s’égorgeant entre eux dans une guerre civile. Tout cela soulève des doutes au sujet de l’authenticité du passage où il est parlé des chrétiens. 12. Enfin, fait plus inquiétant si ce texte est authentique, Tacite se met en contradiction avec lui-même : si, après avoir lu les Annales, on ouvre les Histoires, au livre V, section 9, on lit : « Après la mort d’Hérode, sans attendre les ordres de César, un certain Simon avait usurpé le nom de roi. Il fut puni par Quintilius Varus. Sous Tibère, la nation fut tranquille puis, ayant reçu de Caïus César (Caligula) l’ordre de placer son image dans le temple en 40, elle aima mieux prendre les armes ; la mort de César (en + 41) arrêta ce mouvement » La section 10 de ce même livre nous apprend que « les juifs souffrirent néanmoins avec patience jusqu’au procurateur Gessius Florus sous lequel la guerre éclata » (soit en 66). Ainsi, selon le Tacite des Histoires, il n’y eut pas de troubles en Judée sous le règne de Tibère (14-37), il n’y eut pas de répression d’une ‘’abominable superstition’’, il n’y eut pas de Christ crucifié. L’occasion était pourtant belle de parler du Christ roi des juifs après avoir mentionné Simon qui s’était proclamé roi. De plus, Tacite rappelle la révolte de 40 et la guerre de 66-70 ; il n’avait aucune raison de taire les incidents de l’année 30 en Palestine (et, à cet égard, Tacite est plutôt une référence en faveur de la thèse mythiste) et ceux de l’année 64 à Rome s’il les avait connus, et il les aurait connus s’ils avaient eu lieu. Or les Histoires ont été écrites avant les Annales ; d’où vient la documentation ‘’complémentaire’’ des Annales ? Pourquoi Tacite ne déclare-t-il pas, dans ce second ouvrage, qu’il répare sur ce point une omission qu’il a faite dans le premier ? A-t-il voulu s’infliger un démenti sans le souligner ? Ou bien un correcteur n’a-t-il pas noté que Tacite avait ruiné d’avance ce qu’il allait lui faire dire ? Les faussaires ne comptaient pas avec tout et en particulier avec la critique moderne des textes. Moi, personnellement, je penche pour l’inauthenticité du texte. Pas vous ?

b/ Mais supposons le texte authentique. Quelle valeur aurait un tel témoignage ? Ce texte peut-il servir à prouver que ‘’Jésus’’ a vraiment existé ? A l’époque où Tacite écrivait ses Annales, c’est-à-dire vers 117, les chrétiens étaient déjà nombreux à Rome et la « vie de ‘’Jésus’’ » s’était déjà fixée pour eux, tout au moins dans l’évangile dit de Marc ou dans le proto-Marc. C’est d’eux, ou de quelqu’un qui les aura connus, que procèdent tous les renseignements fournis par Tacite au sujet de ‘’Christ’’. De là vient qu’il ne le désigne pas par son nom propre, mais par son surnom rituel. Ce qu’il dit de lui n’ajoute absolument rien à leurs croyances. Tacite a rencontré des chrétiens à Rome ou ailleurs ? Il répète ce qu’ils disent sans vérifier tout comme il prétend, sans vérifier, que les juifs adorent dans le temple l’effigie d’un âne. Il en dit bien d’autres. Tacite fait allusion à la version chrétienne des faits. Il n’a pas eu personnellement connaissance de la crucifixion (il écrit 87 ans après), il ne se réfère à aucun document, il ne rapporte que ce qu’il a entendu dire. Toujours en supposant que ce passage ne soit pas une interpolation, l’historien romain se ferait ici l’écho de simples bruits qui avaient couru dans son entourage, ou de rumeurs populaires sans fondements, reflet affaibli des fables mises en circulation par les premiers chrétiens. En tout cas, l’esprit critique n’existant guère à cette époque, et chez Tacite moins que chez tout autre, nous pouvons facilement croire que notre annaliste n’a pas même eu, un seul instant, la pensée de remonter à l’origine des bruits qui lui étaient rapportés ; la précision et l’impartialité que nous exigeons aujourd’hui de l’histoire lui eussent parus profondément ridicules. Sa véracité est fort suspecte et nous savons que toutes ses allégations sont sujettes à caution, même quand il paraît n’avoir aucun intérêt à altérer la vérité : ses haines mesquines contre les empereurs de la famille d’Auguste, sa crédulité puérile envers les légendes les plus extravagantes, nous invitent à nous en défier grandement. Quand, par exemple, on peut faire quelques vérifications, on s’aperçoit qu’il en prend fort à son aise, même avec les textes officiels ; ainsi en est-il, par exemple, du discours de Claude, tel qu’il nous a été conservé en partie sur une tablette en bronze découverte à Lyon et le même discours tel que Tacite nous le rapporte en Ann. XI 24. Plus convaincante est la comparaison entre les récits de l’Exode et ce qu’ils deviennent sous sa plume dans Hist. V 2, 3, 4 et 5. On y trouve le peu de souci d’exactitude qui caractérisait l’écrivain latin ; nous avons la preuve frappante, dans ce passage de son livre, qu’il ne s’inquiétait guère de se bien renseigner et de vérifier la pureté des sources où il puisait ses information. »

 

? « Nous en venons maintenant au « témoignage » de Tacite qui, s'il est de lui, se place vers les années 116-117. Dans ses Annales (XV 44), cet auteur nous apprend que Néron accusa les Chrétiens d'avoir mis le feu à Rome en l'an 64 et que leur nom viendrait de Christ qui avait été, sous le principat de Tibère (14-37), livré au supplice par Ponce-Pilate. Il ajoute que cette détestable superstition, réprimée à l'épo­que, renaissait non seulement en Judée mais à Rome.

Quand on les lit attentivement et sans préjugé doctrinal, ces déclarations, quoique traditionnellement célèbres, pro­voquent un certain malaise.

Tacite n'est pas un témoin direct de ce qu'il rapporte ; il écrit quatre-vingt-sept ans après la crucifixion de Jésus et cinquante-trois ans après l'incendie de Rome. Parlant de cette catastrophe, il s'interroge lui-même : « eut-elle pour cause le hasard ou la méchanceté du prince, on ne sait et mes sources m'ont transmis les deux versions ». En XV 38, il ignore la troisième version, celle de l'accusation portée contre les chrétiens, que nous apportera le paragraphe XV 44.

Fait également singulier : Tacite, comme Pline, ne connaît pas le nom de Jésus ; il parle seulement du Christ et il prend cette appellation cultuelle pour un nom propre. Mais on n'est même pas sûr que le passage primitif ne parlait pas de Chrestus ; il semble, en effet, que sur l'unique manuscrit Mediceus de Tacite la lettre e de Chrestus ait été grattée puis remplacée par la lettre i, comme dans le mot Chres­tianos.

Tacite, mentionnant pour la première fois les Chrétiens, n'éprouve pas le besoin d'expliquer à ses lecteurs ce que sont ces sectaires, en quoi consista leur mouvement qui aurait été réprimé entre 14 et 37 sous Tibère, comment cette secte fut tolérée à Rome et pourquoi elle était exécrable.

Mais nos soupçons à l'égard de ce texte vont s'aggraver irrémédiablement quand nous allons voir Tacite se mettre en contradiction avec lui-même.

Après avoir lu les Annales, ouvrons ses Histoires au livre V, section 9, et lisons le texte : « Après la mort d'Hérode (en -4) sans attendre les ordres de César, un certain Simon avait usurpé le nom de roi. Il fut puni par Quintilius Varus... SOUS TIBERE LA NATION FUT TRANQUILLE puis, ayant reçu de Caïus César (Caligula) l'ordre de placer son image dans le temple en 40, elle aima mieux prendre les armes ; la mort de César (en 41) arrêta ce mouvement ».

La section 10 de ce même livre V nous apprend que : « les Juifs souffrirent néanmoins avec patience jusqu'au procurateur Gessius Florus sous lequel la guerre éclata » soit en 66, puis Vespasien arriva envoyé par Néron.

Ainsi, selon le Tacite des Histoires, il n'y eut pas de trouble en Judée sous le règne de Tibère (14-37), il n'y eut pas de répression d'une « abominable superstition », il n'y eut pas de Christ crucifié. Cependant, l'occasion était belle de parler du Christ roi des Juifs après avoir mentionné Simon qui s'était proclamé roi. De plus, Tacite rappelle la révolte de 40 et la guerre de 66-70 ; il n'avait aucune raison de taire les incidents de l'année 30 en Palestine et ceux de l'année 64 à Rome s'il les avait connus et il les aurait connus s'ils avaient eu lieu. Or, les Histoires ont été écrites avant les Annales ; d'où vient la documentation complémentaire des Annales ? Pourquoi Tacite ne déclare-t-il pas, dans ce second ouvrage qu'il répare sur ce point une erreur qu'il a faite dans le premier ? A-t-il voulu s'infliger un démenti sans le souligner ? Ou bien un correcteur n'a-t-il pas su que Tacite avait ruiné d'avance ce qu'il allait lui faire dire ?

Certes, malgré cette contradiction, on peut préférer le Tacite « amélioré » des Annales sans lequel la légende de l'horrible persécution à Rome des Chrétiens par Néron n'existerait pas. En ce qui nous concerne, nous avons des raisons sérieuses d'en douter.

L'année 64 a pu, dans l'esprit de l'annaliste, marquer les débuts de l'agitation qui allait aboutir en 66 à la Guerre Juive et, à tort ou à raison, il a supposé que des groupes juifs de Rome avaient en même temps manifesté une certaine turbulence et pu être accusés d'avoir mis le feu à la ville. Toutefois cela n'est pas sûr et cela ne concerne pas les Chré­tiens qui ne reçurent leur nom que vers 130 ou 150.

Nous savons d'autre part que les Chrétiens ne se sont pas rendus à Rome de bonne heure. Le Jésus évangélique s'était réservé exclusivement « aux brebis d'Israël » (Mat. 15/24) et il avait recommandé aux apôtres de s'éloigner des païens (Mat. 10/5-6).

Et si Paul se rendit à Rome c'est parce qu'il y fut con­traint (Act. 25/12, 26/32); c'était un prisonnier que des gardes conduisaient à son juge. Quand il arrive dans la capitale, c'est aux Juifs qu'il s'adresse et ce sont des Juifs qui lui répondent (Act. 28/14-29) : « Nous n'avons reçu aucune lettre de Judée à ton sujet ; aucun de nos frères n'est venu rappor­ter ni dire rien de fâcheux contre toi... mais, à notre connaissance, la secte dont tu fais partie rencontre partout de l'opposition ». Partout ? En tout cas pas à Rome puisque les Juifs de cette ville ne savent rien sur la secte nouvelle ni sur Paul. Le nom de « chrétiens » n'est pas prononcé. Ainsi, le Nouveau Testament témoigne contre la présence de Chrétiens à Rome au temps de l'incendie.

Flavius Josèphe qui était à Rome en 64 ne mentionne pas l'incendie. Si Pline l'Ancien, Suétone, Dion Cassius rappor­tent l'accusation contre Néron sans rien dire d'une persé­cution massive des incendiaires, c'est qu'ils ne la connais­saient pas.

Constatation troublante : entre l'an 68 et l'an 1000, aucun auteur chrétien (à l'exception de Sulpice Sévère) ne fait usage du passage de Tacite sur la persécution des Chrétiens. Or, précisément, le manuscrit le plus ancien des Annales est attribué au XIe siècle et il dut rester longtemps confi­dentiel puisqu'au XIVe siècle Dante et Nicéphore Calliste (auteur d'une Histoire Ecclésiastique) ignoraient le martyre collectif des Chrétiens sous Néron rapporté par ce manuscrit.

On ne peut par conséquent s'étonner que la persécution des Chrétiens sous Néron soit restée inconnue de l'Apocalypse, de Tertullien (qui cependant avait l'oeuvre de Tacite sous les yeux), de Lactance, d'Origène, d'Eusèbe, de saint Augustin ; même quand certains de ces écrivains font allu­sion à un début de persécution sous Néron, ils n'ont aucune idée de l'accusation d'incendiaires lancée contre les Chré­tiens ni d'un « grand nombre » de fidèles livrés aux flammes.

Au IVe siècle, Cyrille d'Alexandrie s'efforce de réfuter l'empereur Julien ; or, quand celui-ci déclare que Jésus a été inconnu des écrivains notables de l'époque, Cyrille ne lui objecte pas le passage des « Annales » de Tacite.

Parallèlement les polémistes anti-chrétiens Fronton, Celse, Lucien, Porphyre n'ont pas relevé ce grief contre Néron. Cette suite impressionnante de silences aurait été troublée un instant par Sulpice Sévère qui, vers 400, écrivit une Histoire sacrée de l'Eglise. Il est, en effet (si son texte est authentique) le premier des auteurs chrétiens à accuser Néron d'avoir considéré comme Chrétiens les incendiaires de Rome et à les avoir transformés en torches vivantes. On a prétendu qu'il avait emprunté à Tacite le fameux passage qui, à son époque et plus tard, ne fut utilisé par personne. Comment ne pas penser que Tacite et Sulpice Sévère ont été complétés ultérieurement ? Ce silence de mille ans sur un sujet aussi grave ne peut pas s'expliquer autrement.

L'idée de ce petit roman — la crémation de Chrétiens en 64 — vient peut-être de la correspondance apocryphe entre Sénèque et saint Paul qui fut « fabriquée » au IVe siècle. La lettre XII envoyée par le premier fait allusion à l'incendie de Rome dans des termes qui s'opposent à ceux de Tacite. On y apprend que l'innocence des partisans de Paul est condamnée à de fréquents supplices ; il ne s'agit donc pas d'un châtiment exceptionnel comme celui dont parlent les Annales. Il y aurait eu à Rome de fréquents incendies et les autorités auraient envoyé sans cesse au supplice des Chré­tiens et des Juifs, les uns et les autres étant qualifiés d’incendiaires.

Or Tacite ne fait aucune allusion aux Juifs tandis que le pseudo-Sénèque ignore les torches vivantes éclairant la nuit. A travers le silence des uns et les contradictions des autres on aperçoit une légende en train de se former, légende qui sera fixée par un « éditeur » du XI° siècle et glissée dans Tacite. »

 

? « Dans l'oeuvre de l'historien latin Tacite qui naquit vers 54 et mourut vers 120, on peut lire ceci au sujet du grand incendie de Rome : "Mais aucun moyen humain, ni les largesses du prince, ni les satisfactions offertes aux dieux ne dissipaient les soupçons et n'empêchaient de croire l'incendie allumé par ordre. Donc, pour faire taire ces rumeurs, Néron présenta des accusés et fit subir les tortures les plus raffinées à des individus détestés pour leurs abominations, que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, avait été livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. Réprimée un instant, cette exécrable superstition débordait de nouveau, non seulement en Judée, berceau de ce fléau, mais dans Rome même, où tout ce que l'on connaît d'horreurs et d'infamies afflue de toutes parts et trouve du crédit..."

George Ory, avec quelques autres, dénie toute valeur à ce texte pour plusieurs raisons. Il constate par exemple qu'il est en totale contradiction avec un autre du même auteur, dans lequel on lit "sous Tibère, la nation fut tranquille". Il s'étonne aussi que Tacite, en d'autres endroits de ses écrits où il aurait été fort à-propos de parler du Christ, n'en a pas dit un seul mot. Il fait remarquer, enfin, que ce texte fut longtemps ignoré par ceux qui, précisément, y auraient trouvé un argument de poids pour leurs démonstrations, comme par exemple Cyrille d'Alexandrie qui défendit la cause du christianisme au IVème siècle.

Malgré le poids certain des arguments ci-dessus résumés, la plupart des spécialistes s'accordent pour admettre que le texte de Tacite que j'ai cité est bien de sa main. Quand bien même il le serait ! Une lecture superficielle pourrait faire croire que Tacite parle du Christ comme d'un personnage dont l'existence ne soulevait chez lui aucun doute. Certains exégètes chrétiens ont même soutenu que Tacite devait s'être bien renseigné et qu'il aurait pu avoir accès à des documents administratifs relatifs à la condamnation de Jésus. Or, non seulement il est peu probable qu'un document de ce genre se soit trouvé à Rome à l'époque et, d'autre part, les archives de l'empereur n'étaient jamais communiquées au public. Mais une lecture plus attentive montre que Tacite était mal informé : il prenait l'expression Christus, qui est un titre, pour un nom propre. Une fois de plus, ce témoignage porte sur l'opinion généralement admise qu'on avait à une époque et non sur la réalité des faits prétendus, sur lesquels cette opinion se serait fondée. Précieux quant aux opinions qui avaient cours de son temps au sujet de "l'exécrable superstition des chrétiens", le témoignage de Tacite ne démontre cependant pas l'existence historique de Jésus. Un autre détail montre que Tacite était mal renseigné et accordait trop de crédit aux rumeurs qui circulaient alors. J'ai montré tout-à-l'heure que Pline le Jeune considérait les croyances des chrétiens comme une superstition extravagante. Mais à aucun moment il ne l'a estimée dangereuse ou horrible. Or, plus loin, Tacite dit des chrétiens qu'ils furent convaincus de haine contre le genre humain. Probablement prenait-il alors en compte des rumeurs malveillantes qui furent propagées par des sectes opposées aux chrétiens. D'ailleurs, ce que le texte attribué à Tacite a rapporté au sujet de la culpabilité de Néron dans l'incendie de Rome n'était également qu'un tissu de rumeurs, lesquelles furent transformées en "faits" bien plus tard. Une analyse objective de tous les documents disponibles actuellement montre qu'en ce qui concerne la responsabilité éventuelle de Néron dans l'incendie de Rome, on se dirige plutôt dans le sens d'un non-lieu qu'on devrait rendre en sa faveur. Quant au rôle que les chrétiens auraient tenu dans cette catastrophe, Georges Ory a fait remarquer que les Actes des Apôtres montrent que lorsque Paul arriva à Rome, postérieurement à l'incendie, il fut accueilli par des gens qui ignoraient tout du Christ et des chrétiens (Actes 28, 14-29). Il ajoute que si Pline l'Ancien, Suétone et Dion Cassus accusèrent indirectement Néron d'être responsable de l'incendie de Rome, ils ne dirent pas un mot d'une éventuelle persécution chrétienne qui aurait suivi. Tout ceci jette un très sérieux doute sur une partie du texte de Tacite sans laquelle ce qu'il faut bien appeler la légende des chrétiens persécutés n'aurait pas existé. Cette légende fut ignorée de Lactance, d'Origène, d'Eusèbe et de saint Augustin et n'a pas davantage trouvé place dans l'Apocalypse. On sait que, depuis toujours, les idéologies nouvelles se sont plus facilement imposées quand elles avaient eu leurs martyrs. Le plus simple, dans le cas présent, n'était-il pas de les inventer ? »

 

 

3° Le témoignage de Suétone (69-128)

 

_ Thèse catholique : « Cet autre historien célèbre, dont la jeunesse coïncida avec le règne de Do­mitien (81-96 ap. JC.), exerça les fonctions de tribun sous Trajan (98-117) et celles de magister epistolarum, c'est-à-dire de secrétaire privé de l'empereur, sous Adrien (117-138). Cette dernière charge lui permit de consulter à son aise les archives impériales, pour composer, entre les affixées 110 et 120, son ouvrage sur la vie des douze premiers empereurs, d'Auguste à Domitien.

Le fait suivant révèle à lui seul le caractère sérieux de ses recherches : Suétone a aussi composé une biogra­phie d'Horace, et il y cite des fragments de la corres­pondance échangée entre son héros, Auguste et Mécène.

Dans un premier passage que renferme la Vie de Claudius, Suétone s'exprime ainsi : « Claude chassa de Rome les Juifs, qui, à l'instigation de Chrestus, excitaient des troubles perpé­tuels. »

Ce trait fait allusion à l'édit impérial de l'an 53, men­tionné également dans les Actes des Apôtres, en vertu duquel les Juifs durent quitter Rome, pour avoir suscité dans la capitale des troubles religieux et politiques, sous l'impulsion d'un certain Chrestus. L'absence de l'adjectif quodam devant le mot Chresto montre que ce « Chrestus », comme l'appelle Suétone, n'était pas un Juif quelconque, mais un personnage alors bien connu. Les historiens et les littérateurs admettent aujourd'hui presque unanimement que ce nom ne peut représenter que Jésus-Christ. Christ était à cette époque une expression incompréhensible pour la plupart des Romains ; on conçoit donc que Suétone lui ait substi­tué par erreur celle de Chrestos, beaucoup plus familière, et dont la prononciation était la même. Ter­tullien, qui mentionne dans son Apologie les textes de Tacite et de Suétone, n'a pas manqué de relever cette inexactitude. II est d'ailleurs incontestable que Suétone a compris assez vaguement les faits, et qu'à ses yeux ce « Chrestus » avait essayé en personne d'exciter les Juifs de Rome à la révolte ; mais il n'y regardait pas de si près, dès qu'il s'agissait des Juifs méprisés. Son renseignement n'en est pas moins très précieux, car il démontre que, sous le règne de Claude (41-54 de notre ère), de dix à vingt ans seulement après la mort de Jésus, le nom du Christ était parvenu de Jérusalem jusqu'à Rome, et qu'il suscitait une effervescence très réelle parmi les Juifs de la métropole impériale, - sans doute parce que ceux d'entre eux qui rejetaient la vérité chrétienne se soulevaient ouvertement contre leurs frères convertis.

Dans son second passage relatif aux chrétiens, Suétone s'exprime en termes plus généraux. Après avoir raconté comment Néron les accusa d'avoir incendié Rome, il ajoute qu'ils furent condamnés à divers sup­plices parce qu'ils s'adonnaient à « une superstition nou­velle et malfaisante ». Quoique moins explicite, ce texte prouvé aussi qu'il y avait à Rome, dès l'époque de Néron, de fervents disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « L'auteur romain a écrit une vie des douze Césars et dans l'une d'elles (Vie de Claude) écrite probablement vers 120 après J.C. il rapporte la phrase suivante : « Claude expulsa les juifs de Rome qui causaient des troubles permanents à l'instigation de Chrestus ».

Le nom de Chrestus serait une référence au Christ (le nom est déformé car le vrai nom devrait être Christus). En fait ce nom peut très bien désigner une autre personne directement responsable des agitations dans Rome, le nom de Chrestus semblant être assez courant à l'époque. Il est peu vraisemblable en effet que l'auteur ait voulu affirmer que Jésus Christ était présent à Rome en 44 (époque où Claude expulsa les juifs de Rome). S'il s'agit malgré tout d'une référence indirecte au Christ celle-ci ne nous apporte aucun éclaircissement quant à l'existence effective d'une personne historique qui aurait fondé le mouvement. En aucun cas ce document comme le précédent ne constitue une confirmation indépendante de l'existence de Jésus. Suétone peut très bien en effet se contenter de citer le nom du responsable du mouvement tel que celui-ci est rapporté par les premiers chrétiens. Il ne faut pas oublier en effet que l'auteur écrit au début du deuxième siècle c'est à dire à un moment où l'influence des premiers chrétiens commence à prendre de l'importance. »

 

? « L'un est de Suétone. Il se lit dans la Vie de Claude Cet empereur, y est-il dit, « chassa de Rome les Juifs qui, sous l'impulsion de Chrestus, s'agitaient constamment ».

Le fait est assez surprenant. Josèphe n'en dit rien. Au contraire, il présente Claude comme particulièrement favorable aux gens de sa race.

Mais tenons-nous en simplement au texte. Il faut que les défenseurs de la tradition soient bien à court d'arguments pour s'appuyer sur lui. Si on le lisait sans idée préconçue, sans le souvenir obsédant de l'Evangile, on verrait simplement dans ce Chrestos un agitateur romain du temps de Claude.

Admettons, ce qui après tout est possible, que ce soit bien un Christ. Ce pourrait être alors un personnage s'offrant comme messie aux Juifs et reconnu comme tel par un certain nombre d'entre eux, puisque dans le contexte il s'agit d'eux.

Supposons que c'est plutôt celui qu'adorent les chrétiens. Il faut avouer alors que Suétone se sera étrangement mépris à son sujet. Il l'aura pris pour un agitateur qui travaillait à Rome, du temps de Claude, au milieu d'une clientèle de Juifs. Que prouve alors la mention qu'il fait de lui ? Simplement que le nom du Christ commençait à tenir en ce temps une place importante dans les milieux romains, non qu'il recouvre vraiment une personnalité historique. »

 

? « Suétone (69-122/128). Historien latin. Suétone aborde une fois (et une seule ce qui est un peu inquiétant) le sujet qui nous intéresse. Dans sa ‘’Vie de Claude’’ (XXV 4), il écrit vers 120 : « Claude chassa de Rome les juifs qui, sous l’impulsion de Chrestus (impulsore Chresto) s’agitaient constamment ». Cette opération policière se situe vers 50. Il faut que les défenseurs de la tradition soient bien à court d’arguments pour s’appuyer sur ce texte. Si on le lisait sans idée préconçue, sans le souvenir obsédant de l’évangile, on verrait simplement dans ce Chrestos (ou Chrestus) un agitateur romain du temps de Claude. Il y a une grande différence entre ‘’CHRISTOS’’ (oint, messie) et ‘’CHRESTOS’’ (le bon ou le meilleur). Suétone ne risquait pas de confondre comme on essayera astucieusement de le faire par la suite. Chrestos était un nom fort commun. Link l’a relevé plus de 80 fois dans les inscriptions latines. En 222, Ulpien, préfet du prétoire, a un adjoint nommé Chrestus. Des évêques ont porté ce nom. Mais admettons quand même que ce soit bien un ‘’Christ’’ ; ce pourrait être alors un personnage s’offrant comme messie aux juifs et reconnu comme tel par un certain nombre d’entre eux puisque dans le contexte il s’agit d’eux. Mais allons plus loin et supposons contre toute évidence qu’il s’agit du ‘’Christ’’ qu’adorent les chrétiens. Il faut avouer alors que Suétone se sera étrangement mépris à son sujet. Il l’aura pris pour un agitateur qui travaillait à Rome du temps de Claude au milieu d’une clientèle de juifs. Que prouve alors la mention qu’il fait de lui ? Simplement que le nom de ‘’Christ’’ commençait à tenir en ce temps une place importante dans les milieux romains, non qu’il recouvre une personnalité historique.
Suétone non plus n’est pas un témoin. »

 

? « Un autre écrivain romain, Suétone, mentionne vers 120 (dans sa Vie de Néron XVI) la persécution des Chrétiens en 64 à Rome mais il ne fait aucune allusion au Christ. Par contre, dans sa Vie de Claude XXV, il parle incidem­ment de l'expulsion des Juifs de Rome qui se livraient à des séditions « sur l'instigation de Chrestos ». Il s'agit donc ici de Juifs, non de Chrétiens, ce qui contredit la première indi­cation, et d'un certain « Chrestos » qui n'est pas nécessairement le Christ.

En effet, pour les Chrétiens, le Christ a été crucifié à Jérusalem en 29-30 tandis que Suétone place l'activité de son Chrestos à Rome sous Claude, c'est-à-dire entre 41 et 54. Il ne s'agit pas non plus du Christ ressuscité car Suétone n'aurait pas laissé passer une apparition aussi stupéfiante sans la commenter. Devrait-on penser à Paul, nouveau Christ, qui serait allé à Rome dès cette époque et qui, selon les Actes (24/5) était accusé de « provoquer des émeutes dans le monde entier » ?

De toute manière, le doute est ici de rigueur car :

—          Flavius Josèphe, historien juif, ignorait cette expulsion de Juifs sous Claude et il parlait avec bienveillance de cet empereur.

—          Dion Cassius écrivait vers 200 (Liv. 55) : « Les Juifs étaient si nombreux à Rome qu'on ne pouvait les chasser sans provoquer de désordre ; Claude ne les renvoya pas mais il n'autorisa pas leurs réunions. »

le texte de Suétone est ambigu. Il ne parle pas de Jésus; son Chrestos est peut-être un agitateur juif inconnu, ou un adversaire qui vient combattre les Juifs, ou même une nou­velle divinité qui les divise.

Mais lisons le texte de la « Vie de Néron » : « On imposa des bornes au luxe ; on réduisit les festins publics à des dis­tributions de vivres ; il fut défendu de vendre dans les caba­rets aucune denrée cuite en dehors des liqueurs et des herbes potagères alors qu'on y servait auparavant toutes sortes de plats ; on livra aux supplices les Chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante ; on interdit les ébats des conducteurs de quadrige, etc. »

L'allusion aux Chrétiens dans un développement qui ne les comportait pas, leur situation entre les herbes potagères et les cochers du cirque ressemble fort à une interpolation. Si on la supprime, la suite des idées est rétablie.

La critique classique ne veut voir dans cette « inconsé­quence » de Suétone que la preuve du peu d'intérêt qu'il attachait à cet épisode ; l'échappatoire est ingénieuse mais nullement convaincante car 1°) les détails de Suétone sont intéressants, 2°) il n'y a aucune inconséquence de sa part s'il ignorait les Chrétiens et si la phrase en question ne figu­rait pas dans son texte, 3°) l'interpolateur s'est trahi en fournissant au lecteur (qui ne connaissait pas les Chrétiens à l'époque de Suétone) une description sommaire de ces « gens-là ». »

 

? « Contrairement à Tacite, Suétone qui lui est postérieur [vers 75 - vers 160], avait accès aux archives de la chancellerie d'Hadrien. Son témoignage doit donc être considéré avec beaucoup d'intérêt. Pour ce qui touche au sujet du présent chapitre, on n'a pas pu découvrir dans ses écrits plus que deux passages assez courts. Le premier se trouve dans une notice qu'il a consacrée à Néron. Je cite : "... on livra au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante." Le second passage apparaît dans un texte consacré à la vie de Claude : "Il chassa de Rome les Juifs qui, à l'instigation de Chrestos, se livraient à de continuelles séditions."

Ce Chrestos-là (= Le Bon) n'est pas un Christos (= Oint) comme d'aucuns on voulu le faire croire. Ce second passage ne mentionne donc pas Jésus mais quelqu'un d'autre. On ne voit d'ailleurs pas comment il pourrait concerner Jésus puisque Suétone place l'activité de ce personnage sous Claude, que ce dernier régna seulement à partir de 41 et que Jésus aurait été crucifié sous Tibère plus de dix ans auparavant. En outre, cette prétendue expulsion des Juifs fut ignorée de Flavius Josèphe et de Dion Cassius.

Le premier passage de Suétone que j'ai cité est encore plus douteux. Pour s'en convaincre, il suffit de le citer en le présentant dans son contexte exact. Voici : "On imposa des bornes au luxe ; on réduisit les festins publics à des distributions de vivres ; il fut défendu de vendre dans les cabarets aucune denrée cuite en dehors des liqueurs et des herbes potagères alors qu'on y servait auparavant toutes sortes de plats ; on livra aux supplices les Chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante

on interdit les ébats des conducteurs de quadrige,..." L'allusion aux chrétiens entre des considérations culinaires et des cochers du cirque rompt le rythme du texte et dénonce l'interpolation. Mais même si on devait accepter cette phrase comme authentique, que nous apprendrait-elle ? Qu'il y avait alors des gens qu'on appelait chrétiens. Sans plus.

Ainsi donc, même en faisant l'effort de retenir pour authentiques les deux courts témoignages de Suétone, il apparaît qu'ils ne nous fournissent aucun renseignement utile sur Jésus et, plus particulièrement, sur son existence terrestre. »

 

? « Il nous faut conclure : nos témoins romains sont en dé­saccord sur le Christ et, par voie de conséquence, sur les Chrétiens.

Pour Pline en 111, le Christ était une sorte de dieu adoré en Bithynie. Pour Tacite vers 116 il s'agissait d'un Juif exé­cuté vers l'année 30 à Jérusalem, mais Tacite affirme également qu'il ne s'est rien passé en Judée sous Tibère. Pour Suétone, vers 120, les Juifs furent expulsés de Rome entre 41 et 54 (ce qui est démenti par Dion Cassius) en raison des agitations provoquées par un personnage du nom de Chrestos sur lequel on ne sait rien.

Nos trois auteurs connaissent un Chrestos mais ils ignorent Jésus. Leurs témoignages contradictoires portent, ou bien sur trois Chrestos différents et ils nous sont inutiles, ou bien sur un seul et ils ne sont pas recevables.

Même s'ils étaient authentiques, ces textes auraient vu le jour trois générations après le Jésus-Christ chrétien ; ils constitueraient des témoignages indirects et tardifs; ils appellent les plus expresses réserves sur le plan historique.

Ces faits sont tellement décevants qu'un écrivain catho­lique comme Daniel-Rops s'est vu obligé d'écrire (dans Jésus en son temps, p. 11) : « A s'en tenir aux documents romains seuls, il n'est pas rigoureusement démontrable que le Christ a bien existé ». »

 

 

4° La Lettre de Mara Bar Serapion.

 

_ Thèse catholique : « Une lettre de Serapion (écrite pour son fils, 73 après J.C.) parle de la mort de Socrate, de Pythagore et de Jésus. « Quel avantage ont tiré les Juifs de l’exécution de leur roi sage ? … Ce roi sage n’est même pas mort pour un quelconque profit ; Il a vécu de l’enseignement qu’Il avait donné. »

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Ce document si souvent cité comme un témoignage de l'historicité de Jésus Christ est une lettre écrite par Mara Bar Serapion alors en prison à son fils à qui il demande de rechercher les voies de la sagesse.

"Quel avantage les athéniens tirèrent-ils en mettant à mort Socrate ? La famine et la peste vinrent sur eux comme jugement pour leur crime. Quel avantage les hommes de Samos tirèrent-ils en brûlant Pythagore ? En un instant, leur pays fut recouvert par le sable. Quel avantage les Juifs gagnèrent-ils en exécutant leur Roi sage ? Leur nation fut abolie peu de temps après cet événement. Dieu vengea justement ces trois hommes : les Athéniens moururent de faim; les Samiens furent engloutis par la mer; et les Juifs, ruinés et arrachés de leur pays, vivent dans la complète dispersion. Mais Socrate ne mourut pas pour toujours; il survécut dans les enseignements de Platon; Pythagore ne mourut pas pour toujours, il survécut dans la statue d'Hera. Le Roi sage ne mourut pas non plus à toujours, il vit dans les enseignements qu'il a donné".

Cette lettre appelle les commentaires suivants :

-     Jésus n'est pas explicitement nommé dans le texte.

-    Le "Roi sage" peut très bien se référer à un roi juif ayant vécu à la même époque que Pythagore ou Socrate (6ème ou 5ème siècle avant J.C.)

-    Le sort réservé aux Juifs fait penser à la déportation qui a suivi la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (exil et dispersion des juifs). Un roi Juif du nom d'Amon fût effectivement assassiné environ cinquante ans avant cet événement.

-    Pythagore n'a pas été brûlé par les siens mais est parti vivre à Crotone en Italie du Sud.

-     Aucune famine ni peste recensée n'est venue s'abattre sur Athènes après la mort de Socrate. En conclusion il semble que cette lettre au contenu si peu historique (en ce qui concerne notamment les personnages de Socrate et Pythagore) ne nous apporte aucun renseignement concernant ce roi des juifs qui pourrait être Jésus ?

Le document serait légèrement postérieur à 73 après J.C. d'après certains spécialistes (F.F. Bruce : "The New testament Documents") soit près de quarante ans au minimum après les événements qui nous préoccupent. Le caractère trop vague du texte ainsi que sa date de rédaction un peu tardive contribuent à ne pas retenir ce document comme une preuve sérieuse de l'historicité de Jésus. »

 

? « Parmi les témoignages rarement cités, on trouve une lettre du syrien Mara bar Sérapion à son fils Sérapion. Compte tenu de certains faits qu'elle mentionne, on sait avec certitude qu'elle est postérieure à 73, mais on ignore quand exactement elle fut écrite. On hésite à ce propos entre le second et le troisième siècle. Cette lettre contient une allusion au "sage roi des Juifs" que ces derniers exécutèrent avant d'être chassés de leur pays et de connaître la dispersion.

En fait, cette lettre ne nous apprend rien de précis puisqu'il ne s'y trouve même pas les mots "Christ" ou "Jésus". L'auteur, qui ne se présente même pas comme un témoin des événements auxquels il fait allusion, considérait simplement que ces derniers s'étaient bien produits comme il l'avait entendu dire. Sans plus. Son témoignage, déjà tardif, ne porte donc que sur une opinion qu'il faisait sienne et n'apporte aucune démonstration quant à la véracité des faits sur lesquels elle paraissait fondée. »

 

5° Thallus le Samaritain

 

 _ Thèse catholique : « (historien Samaritain, 52 après J.C.), il a tenté de donner une explication rationnelle à l’obscurité lors de la crucifixion de Jésus. Remarquons qu’il n’a pas nié l’existence de Jésus, mais il a juste essayé d’expliquer les circonstances étranges entourant sa mort. »

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « On ne sait pas exactement quand cet obscur personnage a vécu. L’Eglise a voulu en faire un affranchi de Tibère en relation avec son intention de montrer que le récit de la passion était connu à Rome dès + 50. Thallus a écrit probablement après 150 puisqu’il parle d’un fait qui ne se trouve que dans nos évangiles, postérieurs à cette date, et avant 221 puisqu’il est cité par Julius Africanus à cette époque. Il n’est pas un contemporain de ‘’Jésus’’ ni des événements dont il parle. Il fait allusion à la tradition synoptique concernant les ténèbres qui auraient régné sur la crucifixion, de midi à trois heures, expliquant l’événement à sa manière dans le troisième livre des ses Histoires (qui ne sont pas parvenues jusqu’à nous).

Julius Africanus, qui croit au miracle, écrit à ce sujet : « Ces ténèbres, Thallus les appelle une éclipse de soleil, mais sans raison à mon avis ». Lorsque Tertullien (Apol. 21) écrit que « ceux qui ignoraient que ce phénomène avait été produit pour la mort du Christ le prirent pour une éclipse », ajoutant que le phénomène est rapporté dans les archives romaines (ce qui reste à vérifier), il ne cite pas Thallus. Même si l’on voulait attacher de l’importance à ce ‘’témoignage’’, il ne porterait au mieux que sur l’explication d’un miracle, ce que nous ne pouvons prendre en considération dans une étude historique. Thallus n’est pas un témoin. Il faut vraiment manquer de témoins probants, tels qu’auraient pu l’être Pline l’Ancien, Flavius Josèphe, Juste de Tibériade, Philon, pour ce retrancher derrière ce ‘’Thallus’’. »

 

? « Thallus est présenté par beaucoup d'apologistes chrétiens modernes comme un personnage contemporain du Christ qui aurait témoigné de l'incroyable obscurité survenue au moment de la crucifixion et relatée dans les évangiles synoptiques. Une analyse assez complète de ce "témoignage" est disponible en anglais [R. Carrier]. Le résumé qui suit s'en inspire largement avec quelques hypothèses supplémentaires pour la discussion :

-     Thallus est un "historien/chroniqueur" de l'Antiquité qui écrivit sur de nombreux événements passés ou contemporains ? Son œuvre comprendrait les "Histoires" et le "Bref Compendum" tel que rapportés par les pères de l'Eglise qui se sont intéressé à ses écrits.

- Les écrits de Thallus, notamment ceux qui se rapportent aux événements qui nous intéressent sont cités par G. Syncellus (9ème siècle) et Eusèbe (4ème siècle) eux mêmes citant Jules l'Africain (3ème siècle). La source de la référence est donc passablement indirecte pour un témoignage ayant vocation à servir de preuve aux récits évangéliques.

- On ne sait pas exactement quand Thallus a écrit ce qu'il aurait écrit ! Les seules références datées sur son œuvre (Le bref Compendum) renvoient à la période allant de 1184 avant J.C. (Chute de Troie) à 109 avant J.C. R. Carrier fait l'hypothèse que Thallus a écrit au 2ème siècle mais confesse que toute période allant de 109 avant J.C. au 2ème siècle est possible.

- Flavius Joseph aurait parlé de Thallus personnage samaritain ayant vécu sous le règne de l'empereur Tibère. Cette référence qui date du 18ème siècle positionnerait Thallus définitivement au 1er siècle de notre ère. En fait le passage de Josèphe ne comprend pas explicitement le nom de Thallus qui aurait été "conjecturé par un dénommé Hudson donnant ainsi toute sa consistance au témoignage en question."

- Le passage rapporté par Jules l'Africain est le suivant :

- « Thallus appelle cette obscurité une éclipse de soleil dans le troisième livre de ses Histoires, cela sans raison apparente. Car comment peut-on croire à une éclipse de soleil lorsque la lune est située à l'opposé de celui-ci. » Ainsi Jules l'Africain semble se moquer de la confusion que Thallus fait entre une éclipse et cette obscurité exceptionnelle qui ne peut être que d'origine divine.

- Plus loin dans le même passage Jules l'Africain cite un autre auteur : Phlégon qui lui aussi aurait remarqué l'obscurité : « Phlégon rapporte qu'aux temps de Tibère une éclipse totale eu lieu pendant la pleine lune et dura de la sixième à la neuvième heure ». La citation de Phlégon ne correspond pas du tout à celle rapportée par Eusèbe de Césarée qui lui aussi cite ce même auteur :

 « Alors, dans la quatrième année de la 202ème olympiade (32 après J.C.) se produisit une magnifique éclipse de soleil à la sixième heure qui surpassa toutes les précédentes et produisit une telle obscurité que l'on pouvait distinguer les étoiles dans le ciel; la terre bougea à Bythynia renversant plusieurs constructions dans la ville de Nicaea ». Il semble que Phlégon est fait mention d'une éclipse accompagnée d'un tremblement de Terre sur la côte de la mer noire sans rapport apparent avec les événements supposés contemporains de Jérusalem. Cette citation plus crédible affaiblit considérablement la référence rapportée par Jules l'Africain sur Phlégon et par la même le passage correspondant sur Thallus. »

 

? « En définitive il semble que le témoignage de Thallus ne pèse pas bien lourd sur la balance de l'histoire eu égard à toutes les questions qu'il soulève. Il semble néanmoins probable (c'est mon hypothèse) que seul le témoignage de Phlégon tel que rapporté par Eusèbe de Césarée soit historiquement valable. Cette éclipse accompagnée d'un tremblement de terre aurait alors inspiré les auteurs des évangiles en quête d'un décor sur mesure pour le tableau de la crucifixion. Car il ne faut pas oublier que si cette "incroyable" obscurité s'était réellement produite comme relatée dans les évangiles celle-ci n'aurait pas manqué d'attirer l'attention des historiens réputés de l'époque qui tel Sénèque ou Pline notait scrupuleusement tout événement naturel un temps soit peu remarquable. La citation de Thallus découle alors sans doute de celle de Phlégon; les deux auraient d'ailleurs pu être confondues par les moines copistes (supposition de R. Carrier). Ou bien Thallus a écrit au deuxième siècle à une époque où le récit évangélique commence à circuler dans les milieux chrétiens. »

 

? « Parmi les auteurs non chrétiens, Thallus le Samaritain est le premier à avoir fait allusion à la tradition synoptique concernant les ténèbres qui régnèrent sur la crucifixion de midi à trois heures; il dépend de cette tradition mais il explique l'événement à sa manière.

Julius Africanus (qui préfère croire à un miracle) écrit à ce sujet :

« Ces ténèbres, Thallus — dans le troisième livre de ses his­toires — les appelle une éclipse de soleil mais sans raison à mon avis ». On ne sait quand a vécu Thallus ; certainement après 150 puisqu'il parle d'un fait qui ne se trouve que dans nos évan­giles, et avant 221 puisqu'il est cité par Julius Africanus à cette époque. On nous dit qu'il était peut-être un affranchi de Tibère mais cette hypothèse nous parait loin d'être probable; elle a surtout pour but de nous faire croire que le récit de la Passion était connu à Rome dès le milieu du premier siècle. Tertullien ne nomme pas Thallus mais il écrit (Apol. 21) «ceux qui igno­raient que ce phénomène avait été prédit pour la mort du Christ le prirent pour une éclipse », et il ajoute que ledit phénomène est rapporté dans les archives romaines, ce qui reste invérifiable. Thallus, cet inconnu, n'est pas un témoin à retenir. »

 

? « Le plus ancien témoignage "profane" serait celui d'un certain Thallus, conservé indirectement par une citation de Jules l'Africain. Selon ce dernier, Thallus aurait parlé d'une éclipse de soleil qui aurait causé une grande obscurité au moment de la Passion. Pour des raisons astronomiques sur lesquelles je reviendrai plus loin, une éclipse était impossible au moment de la Passion, ce qui rend d'emblée ce témoignage suspect. D'autre part, on n'a pu identifier exactement ce Thallus, ni déterminer l'époque précise à laquelle il aurait vécu, mais d'aucuns trouvent commode de considérer qu'il devait être antérieur à l'historien Flavius Josèphe dont je parlerai plus loin.

Peu de critiques se sont penchés sur ce témoignage. Cependant, Richard Carrier en a fait une étude approfondie dont il ressort qu'on a fait dire à Thallus des choses qu'il n'a jamais dites. En fait, il n'associa jamais un quelconque tremblement de terre à la Passion ou à Jésus. Cette association fut faite par Jules l'Africain ou même Eusèbe dont il semble qu'il fut un faussaire en plusieurs occasions.

On peut tenir pour certain que les chrétiens désirèrent ardemment fournir au moins un témoignage profane à l'appui des événements extraordinaires qu'ils disaient avoir entourés la mort de Jésus. S'ils avaient connu le témoignage de Thallus, ils auraient donc tout fait pour le préserver et le propager, ce qui ne fut à l'évidence pas le cas. Dès lors, la conclusion s'impose d'elle-même... »

 

 

6° Lucien de Samosata (125 à 192)

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Lucien de Samosata est un rhétoricien satiriste qui a vécu au 2ème siècle après J.C. à Athènes et à Alexandrie. Il port un jugement critique sur ses contemporains, leurs croyances et surtout leurs superstitions. Dans l'une de ses œuvres il parle du fondateur du christianisme en ces termes :

"... l'homme qui a été crucifié en Palestine parce qu'il avait introduit cette nouvelle secte dans le monde... En plus, celui qui leur avait donné sa loi les persuada qu'ils étaient tous frères les uns des autres après qu'ils aient transgressé une fois pour toutes en reniant les dieux grecs et en adorant ce même sophiste crucifié, et vivant sous ses lois...". Ce "témoignage" on l'aura compris n'en est pas vraiment un l'auteur étant un contemporain de Justin et des pères apologétiques. Il confirme simplement qu'au 2ème siècle la tradition d'un Jésus Christ crucifié en Palestine était déjà répandue un peu partout (ce que nous savions déjà par ailleurs) et qu'il existait des chrétiens dans de nombreuses régions. »

 

? « Lucien de Samosate (125 à 192), philosophe gréco-syrien. Avec cet auteur, on commence à remonter vers les événements qui nous intéressent, mais il ne s’agit pas encore d’un contemporain. Lucien a entendu parler de ‘’Jésus’’ plus de 150 ans après sa prétendue mort. En 190, peu avant sa mort, Lucien a entendu parler d’un homme qui aurait été mis en croix en Palestine pour avoir introduit un nouveau rite : « Ils adorent leur sophiste crucifié » dit-il ; mais pour lui, il ne s’agit que d’un ‘’magicien’’ qui aurait introduit de ‘’nouveaux mystères’’. Si curieux de tous les cultes, qu’il raille avec son esprit pré-voltairien, Lucien, vers la fin du deuxième siècle, n’a pas entendu parler des évangiles. La mention de la crucifixion, à cette date, n’a plus aucune valeur historique. Elle arrive trop tard. »

 

 

7° Julien l’Apostat

 

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Julien l'Apostat (331 à 363), empereur romain. Nous sommes au quatrième siècle. L’existence de ‘’Jésus’’ est largement admise. Le christianisme a déjà été religion d’Etat. Il était normal que Julien, chrétien avant de se convertir au mithraïsme ait cru en l’existence de ‘’Jésus’’ tout comme, devenu mithraïste, il a cru en l’existence de Mithra, homme et dieu. Si les écrits du quatrième siècle ont valeur de témoignage, alors on peut citer tous les pères de l’Eglise. Ce sont des contemporains de ‘’Jésus’’ qu’il faut citer, pas des gens qui ont vécu trois siècles après ! »

 

 

8° Celse

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Celse. Ecrivain latin des 2ème et 3ème siècles. Ses œuvres ne nous sont connues que par la réfutation qu’en a faite Origène (Contra Celsium). Il n’est pas un contemporain de ‘’Jésus’’. Il en parle néanmoins dans son ‘’discours véritable’’ vers 180, soit un siècle et demi après la mort présumée de notre homme. C’est un peu tard pour avoir valeur de témoignage. Quel est le poids de son propos ? Ce qu’il dit de ‘’Jésus’’ offrirait peu d’intérêt (il en fait une sorte de charlatan dont les prétendus miracles ne sont que « des tours d’adresse qu’accomplissent couramment les magiciens ambulants, sans qu’on pense pour cela à les regarder comme fils de Dieu » et qui ne parvient même pas à inspirer à ses disciples « ce dévouement qu’un chef de brigands obtient de sa bande » (‘’Contre les chrétiens’’, traduction de Louis Rougier, éditions Pauvert, 1965, I 12 et I 16)), s’il n’en concluait qu’il s’agit de mythes ! « La vérité est que tous ces prétendus faits ne sont que des mythes, que vous-mêmes et vos maîtres avez fabriqués, sans parvenir seulement à donner à vos mensonges une teinte de vraisemblance, bien qu’il soit de notoriété que plusieurs parmi vous, semblables à des gens pris de vin qui portent la main sur eux-mêmes, ont remanié à leur guise, trois et quatre fois et plus encore, le texte primitif de l’évangile, afin de réfuter ce qu’on vous objecte ». Si c’est un témoignage, il appuierait plutôt la thèse mythique, le mot s’y trouve en toutes lettres ! Cela explique que l’Eglise et les chrétiens font généralement peu usage de cette citation. »

 

? « Il y a même, concernant l'existence historique de Jésus, des témoignages négatifs franchement accablants. Je citerai surtout celui de Celse qui, dès 176, écrivit un ouvrage pour confondre le christianisme. Cet ouvrage a disparu, mais on a pu le reconstituer assez complètement grâce à la réfutation qu'Origène en proposa. Voici, entre autres choses, ce qu'écrivit Celse : "La vérité est que tous ces prétendus faits ne sont que des mythes que vos maîtres et vous-mêmes avez fabriqués, sans parvenir seulement à donner à vos mensonges une teinte de vraisemblance, bien qu'il soit de toute notoriété que plusieurs parmi vous, semblables à des gens pris de vin qui portent la main sur eux-mêmes, ont remanié à leur guise, trois ou quatre fois et plus encore, le texte primitif de l'Evangile, afin de réfuter ce qu'on vous objecte."

Avant Celse, déjà, dans un dialogue que Justin prétendait avoir eu avec le Juif Tryphon [vers 100 - vers 165], ce dernier aurait dit : "Vous suivez un vain on-dit; vous vous êtes façonné à vous-mêmes un Messie". Justin rapporta cette déclaration pour la combattre ; or, chose curieuse, pour ce faire, il ne fit appel à aucun témoignage historique, mais bien à des prophéties de l'Ancien Testament.

Avant Celse encore, le rhéteur africain Fronton, maître de Marc Aurèle, avait écrit un ouvrage pour réfuter le christianisme. On ignore tout de son contenu car on le fit sans doute disparaître promptement. Il ne nous est donc plus connu que par sa mention dans l'Octavius de Minucius Felix et par le plaidoyer que ce dernier fit en faveur des chrétiens pour y répondre. Curieusement, la personne de Jésus n'était même pas mentionnée dans ce plaidoyer.

D'autres ouvrages proposant une critique du christianisme, comme le Coecilius du second siècle ou le Contre les chrétiens, de Porphyre, datant du troisième siècle, furent impitoyablement pourchassés pour être détruits, généralement, par le feu.

Ainsi donc, non seulement certains chrétiens fabriquèrent-ils des faux pour étayer leurs affirmations ; mais d'autres -ou les mêmes- déployèrent aussi un zèle extraordinaire pour détruire tous les ouvrages de leurs contradicteurs. On ne s'étonnera donc pas, compte tenu de cela, que subsistent bien des incertitudes... »

 

 

9° Pilate

 

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Pilate (1er siècle). Procurateur romain. Le témoignage de Pilate aurait dû être de première valeur si ‘’Jésus’’ avait été jugé, dans les circonstances que décrivent les évangiles, par un procurateur. Ce fonctionnaire aurait, régulièrement, adressé à son chef un rapport officiel qui aurait été déposé parmi les archives impériales. Vers le milieu du deuxième siècle, Justin affirme dans sa première ‘’Apologie’’ l’existence d’un tel procès verbal (I 35,9 – XLVIII). Mais il ne l’a certainement pas lu car il ne donne sur lui aucun détail précis. Il a seulement supposé qu’on devait le trouver parmi les papiers d’Etat et que son contenu ne pouvait (bien évidemment !) qu’être conforme à celui des évangiles. Tertullien suit son exemple, en s’inspirant probablement de lui, dans ‘’l’Apologétique’’. Il va jusqu’à dire que Pilate, en écrivant son procès verbal, était « déjà chrétien dans son for intérieur » (Apol. 21, 24). Si jamais il avait eu entre les mains un témoignage officiel d’un converti de cette importance, il ne se serait pas contenté d’y faire vaguement allusion. Il n’aurait pas manqué de le citer et de lui faire une vaste publicité. Un empereur donna la réplique à ces apologistes. Vers le début du quatrième siècle, Maximin Daïa fit éditer des ‘’Actes de Pilate’’ et il prescrivit aux maîtres d’école d’en donner connaissance à leurs élèves. L’historien Eusèbe (le fameux faussaire) qui les a lus un peu plus tard, les dits « pleins de blasphèmes contre le Christ ». Mais il constate que cette œuvre est certainement apocryphe et (en bon connaisseur !) il en donne une preuve que l’on peut regarder comme décisive : le crucifiement de Jésus, dit-il, y est daté de la septième année du règne de Tibère, c’est-à-dire en l’an 21. Or, c’est seulement en 26, d’après l’attestation très précise de Josèphe, que Pilate fut envoyé en Palestine. Dans la suite, les chrétiens éditèrent à leur tour de nouveaux ‘’Actes’’, où le procurateur prenait, contre les juifs, la défense du Christ. Cet écrit tint une grande place dans la littérature du Moyen Âge. Il est arrivé jusqu’à nous dans ‘’l’évangile de Nicodème’’. Mais personne n’oserait aujourd’hui soutenir son authenticité ; tout le monde s’accorde à le regarder comme un roman, y compris, bien sûr, les plus éminents historiens catholiques. »

 

? « Celse n'aurait pas été réduit à de tels arguments s'il en avait trouvé de meilleurs dans son propre milieu. Mais la tradition profane des Grecs et des Romains était plus incertaine encore que celle du monde juif. Elle eût dû être de première valeur si Jésus avait été jugé, dans les circonstances que décrivent les Evangiles, par un procurateur. Ce fonctionnaire eût régulièrement adressé à son chef un rapport officiel, qui eût été déposé parmi les archives impériales.

Vers le milieu du II` siècle, saint Justin affirme dans sa première Apologie l'existence d'un tel procès-verbal. Mais il ne l'a certainement pas lu, car il ne donne sur lui aucun détail précis. Il a seulement supposé qu'on devait le trouver parmi les papiers d'Etat et que son contenu ne pouvait qu'être d'accord avec celui des Évangiles.

Tertullien suit son exemple, en s'inspirant probablement de lui, dans l'Apologétique. Il va jusqu'à dire que Pilate, en écrivant son procès-verbal, était « déjà chrétien dans son for intérieur ». Si jamais il eût eu entre les mains un témoignage officiel d'un converti de cette importance, il ne se fût pas contenté d'y faire vaguement allusion. Il n'eût pas manqué de le citer et de lui assurer une large publicité.

Un empereur donna la réplique à ces apologistes. Vers le début du IV° siècle, Maximin Daïa fit éditer des Actes de Pilate, et il prescrivit aux maîtres d'école d'en donner connaissance à leurs élèves. L'historien Eusèbe, qui les a lus un peu plus tard, les dit « pleins de blasphèmes contre le Christ ». Mais il constate que cette oeuvre est certainement apocryphe et il en donne une preuve qu'on peut regarder comme décisive. Le crucifiement de Jésus, dit-il, y est daté de la 7° année du règne de Tibère, c'est-à-dire de l'an 21. Or, c'est seulement en 26, d'après l'attestation très précise de Josèphe, que Pilate fut envoyé en Palestine.

Dans la suite, les chrétiens éditèrent à leur tour de nouveaux Actes, où le procurateur prenait contre les Juifs la défense du Christ. Cet écrit tint une grande place dans la littérature du Moyen Age. Il est arrivé jusqu'à nous dans l'Evangile de Nicodème. Mais personne n'oserait soutenir aujourd'hui son authenticité. Tout le monde s'accorde à le regarder comme un roman.

Nous ne possédons sur Jésus aucun acte officiel de la Rome païenne. Avons-nous au moins des témoignages précis d'historiens à qui nous puissions nous fier ? On en invoque deux, qui sont, il est vrai, d'importance inégale. »

 

? « LES ACTES DE PILATE. — Tertullien (Apol. 5) a écrit « Tibère (...) rendit compte au Sénat des preuves de la divinité de Jésus-Christ qu'il avait reçues de Palestine et les appuya de son suffrage. Le Sénat les rejeta...» Et plus loin (Apol. 21) « Pilate, chrétien de coeur, rendit compte de tout ce que je viens de dire à l'empereur Tibère... » Il a certainement lu dans l'évan­gile de Marcion ou de Luc le verset célèbre qui place les premiers événements chrétiens en « l'an XV du règne de Tibère ».

Inutile d'insister sur cette conversion véritablement miracu­leuse d'un empereur et d'un procurateur romains à la religion d'un homme exécuté par leurs troupes ; Tertullien n'a jamais eu accès aux archives impériales; il crée ou raconte une légende. D'autre part, il est invraisemblable que des archives officielles du début du premier siècle aient subsisté en Palestine après la ruine de Jérusalem. On a beaucoup parlé d'Actes de Pilate mis en circulation par Maximin Daïa (305-313) pour combattre le christianisme en Asie mineure et en Syrie; on peut douter de leur authenticité, et Goguel raisonne juste quand il demande (R.H. déc. 1929, p. 247) : « Comment supposer que jusqu'au IV' siècle il ne se soit trouvé aucun adversaire de l'Eglise pour utiliser un texte qui aurait produit l'effet d'un coup de ton­nerre ? »

Les Actes de Pilate dont le texte nous est parvenu sont dif­férents des Actes du Sénat que Tertullien prétend avoir connus leur première trace se trouve dans le Panarion d'Epiphane (vers 376) ; ces Actes de Pilate sont mieux connus sous le nom d'Evan­gile de Nicodème; ce sont des textes tardifs et négligeables. »

 

? « D'autres témoignages très anciens, car pratiquement contemporains de Jésus, ont été cités jadis : il s'agissait, d'une part, d'une lettre que le gouverneur de Jérusalem, Lentunus, aurait adressée au Sénat et au peuple romain ; et d'autre part de plusieurs lettres attribuées à Ponce Pilate.

Aujourd'hui, même l'Eglise admet que ces "témoignages" sont des faux grossiers. En effet, il n'y eut jamais de gouverneur à Jérusalem. Mieux : une des lettres adressée par Pilate à Claude n'aurait jamais pu lui parvenir pour la simple raison que Pilate cessa d'assumer ses fonctions en 36 et que Claude ne régna qu'à partir de 41.

On admet aujourd'hui que la lettre du pseudo Lentunus fut forgée durant la période médiévale et que les prétendues lettres de Pilate dont Justin, mort en 165, admettait la véracité, furent citées ou fabriquées par un chrétien probablement dépité de n'avoir jamais pu mettre la main sur une véritable pièce officielle relative à la condamnation et au supplice de Jésus. Ce dernier détail est d'autant plus troublant qu'on sait avec quelle minutie les romains consignaient tous les faits touchant à la justice, aux finances et à la défense du territoire... »

 

10° L’inscription de Nazareth

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Il s'agit du texte d'une ordonnance romaine sur la violation des sépultures, gravé sur une dalle de marbre de 0 m 60 sur 0 m 37, dalle envoyée de Nazareth à Paris en 1878 ; elle ne porte ni la date ni le lieu où fut publié son texte. Malgré cette grave lacune, certains critiques ont pensé qu'elle pouvait avoir un rapport avec le crimen sepulcri violati dont Matthieu parle deux fois (en 27/62-66 et 28/11-15), explication chrétienne rejetée par une grande partie de la critique. L'unité même du document est discutée et rien n'établit une corrélation quelconque entre ce rescrit et la disparition du cadavre de Jésus ou le déplacement de la pierre de son tombeau (à supposer que cette disparition et ce déplacement aient eu lieu). Le texte semble viser le culte des mânes et fut peut-être édicté à l'occasion de quelque violation de sépulture qui aurait eu lieu entre 30 avant et 50 après notre ère en Samarie mais ce n'est là qu'une simple conjecture. Cette inscription est à écarter du dossier chrétien. »

 

 

11° Le silence de Sénèque (4-65)

 

? « Au rang des faux grossiers que plus personne n'admet aujourd'hui, on peut encore citer une correspondance entre Paul et Sénèque. Ce philosophe était si proche des idées chrétiennes que saint Jérôme n'hésita pas à prétendre qu'il était un Père de l'Eglise. Or, Sénèque, contemporain de Jésus [vers 2 - 65], n'a rien dit du Christ ou des chrétiens. C'est pour combler son silence -lourd de conséquence- que fut fabriquée sa correspondance avec Paul. »

 

 

12° Le silence d’Epictète (50-120)

 

 

? « Ce philosophe stoïcien épousa une doctrine de fraternité universelle dont le message ciblait les pauvres et les humbles.

Mais Epictète n'a apparemment jamais entendu parlé de son précurseur juif.

Les vues sur l'éthique d'Epictète sont si proches de celles imputées à Jésus que certains historiens, comme Douglas Sharp en 1914, (Epictetus and the New Testament p.136) se sont sérieusement demandé s'il n'avait pas été chrétien. »

 

? « Epictète fera bien une allusion aux Galiléens mais elle ne concerne pas le christianisme ; elle vise certains Juifs qui, à la suite de Judas le Galiléen en 6-7, constituèrent le parti de la résistance à Rome, c'est-à-dire les Zélotes. »

 

13° Le silence de Martial (40-103)

 

? « Martial décrit à Rome les plus divers et extravagants caractères de son époque.

Mais les chrétiens qui croient à la divinité d'un prêcheur juif crucifié n'en fait pas partie. »

 

14° Le silence de Juvénal (55-138)

 

? « Juvénal, mort en 140, dénonça toutes les superstitions de son temps, toutes les croyances et folies de Rome, mais ne dit pas un mot de Jésus ou des chrétiens. »

 

15° Le silence de Pline l’Ancien (23-79)

 

? « L'oncle de Pline, est un important auteur et naturaliste romain.

Il est notamment l'auteur d'une monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle (37 volumes) ou il rassemble assidûment tout compte rendu de phénomènes naturelles : tremblements de terre, éruptions et toute sorte d'évènements astronomiques. Il parle même d'évènements légendaires (auquel il ne croyait d'ailleurs sans doute pas) comme la comète associée à la naissance de César.

Pourtant, il ne fait aucune allusion aux prodiges associés aux croyances chrétiennes: pas de tremblement de terre ou d'assombrissement du ciel réputés s'être déroulé durant la crucifixion, pas d'étoile de Bethléem qui était supposée avoir marquée sa naissance. (Puisque Néron est supposé avoir exécuté des chrétiens en très grand nombre après l'incendie de +64, Pline l'ancien aurait pourtant du être familier avec les croyances de cette secte). »

 

? « En ce qui concerne plus particulièrement Pline l'Ancien, on remarquera qu'il se trouvait en Palestine au moment de la guerre de Judée et qu'un passage de son Histoire naturelle mentionne les Esséniens; il ne cite ni Jésus ni les Chrétiens. »

 

16° Le silence de Plutarque (46-127)

 

? « Cet historien et biographe grecque écrivit sur :

- les figures romaines importantes, dont plusieurs contemporaines à Jésus,

- les oracles (prophéties),

- la morale,

- le spirituel et la religion.

Il aurait donc été probable qu'il fasse allusion, au moins une fois, à Jésus. »

 

? « Même silence de la part de Plutarque qui arriva à Athènes vers 65-66 où, dix ans auparavant, selon les Actes des Apôtres (17, 16-33) Paul vint prêcher. Envoyé à Corinthe auprès du proconsul romain, Plutarque n'entendit même pas parler de la communauté chrétienne à laquelle Paul aurait adressé ses Epîtres bien auparavant. Enseignant à Rome en 78-79, il n'entendit pas davantage parler des chrétiens, de Paul, du successeur de Pierre et encore moins de Jésus. »

 

17° Le silence de Valérius Maximus (14-37)

 

18° Le silence de Pétrone ( ?-65)

 

19° Le silence de Perse (34-62)

 

20° Le silence de Lucain (39-65)

 

21° Le silence de Stace (40-96)

 

22° Le silence de Silius Italicus (25-100)

 

23° Le silence de Dion Chrysostome (40-117)

 

24° Le silence de Quintillien (65-95)

 

25° Le silence de Valerius Flaccus (70-100)

 

26° Le silence d’Apulée (?-170)

 

27° Le silence de Pausanias (?-180)

 

28° Le silence de Dion Cassius ( ?-200)

 

29° Le silence de Tite (?-120)

 

 

 

II] Les témoins juifs

 

 

1° Philon d'Alexandrie (-13, +54)

 

 _ Thèse catholique : « Les écrivains juifs les plus célèbres du premier siècle de l'ère chrétienne sont le philosophe Philon d'Alexandrie, et l'historien Josèphe. Le plus remarquable et le plus connu des deux est Philon, qui représente le judaïsme alexandrin, tout imprégné de la philosophie grecque. En l'an 40, lorsqu'il se rendit à Rome comme délégué de ses coreligion­naires d'Alexandrie, pour protester auprès de Caligula contre les extorsions et les vexations dont ils étaient l'objet de la part, soit du gouverneur romain, soit des habitants de la ville, il se trouvait, raconte-t-il lui-même, sur le seuil de la vieillesse : ce qui suppose qu'il était, né quinze ou vingt ans avant Jésus-Christ. Il fut donc tout à fait contemporain de Notre-Seigneur ; aussi serait-il doublement intéressant de savoir ce qu'il pensait de lui. Mais il est demeuré entièrement muet à son sujet, dans ses ouvrages pourtant assez nombreux.

On n'a pas manqué de tirer de son silence un argu­ment contre l'existence historique de Jésus. « Philon, écrit le docteur Kalthoff, le savant alexandrin pour qui l'ère de Ponce-Pilate a été l'objet d'une description détaillée, et qui connaissait exactement l'état de la Palestine, ne consacre pas une syllabe de ce qui, d'après les récits bibliques, aurait si profondément ému la contrée et ses habitants. » Mais il faut remarquer que Philon s'intéressait avant tout, comme le montrent ses écrits, au monde juif d'Alexandrie. Il est difficile, croyons-nous, qu'il n'ait pas entendu parler de Jésus ; la connaissance qu'il eut de lui ne fut cependant pas telle, qu'elle l'ait impressionné vivement, d'une manière durable, et porté à le mentionner dans ses livres. Enfin Philon, qui croyait au Messie, mais à un Messie avant tout politique, par lequel les Juifs seraient délivrés du joug romain et recouvreraient une glorieuse indépen­dance, ne pouvait que regarder comme un homme exalté, sans valeur, et par, conséquent laisser dans l'ombre Jésus-Christ, pour lequel l'idée messianique appartenait uniquement au monde religieux et moral. Le silence de Philon par rapport à Notre-Seigneur - et aussi, chose en un sens plus surprenante, par rapport à saint Jean-Baptiste - n'a donc rien de commun avec la conclusion qu'en prétendent tirer Bruno Bauer, M. Kalthoff et leurs adhérents. »

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Philon, philosophe et lettré, vit à Alexandrie mais il se tient très informé de tout ce qui touche le peuple juif. La vie de celui qui aurait été Jésus s’inscrit tout entière dans celle de Philon, né en - 13 et mort en + 54. Dans ce qui nous reste de ses œuvres, qui comportaient 57 titres, pas un mot sur Jésus. »

 

? « Si Jésus avait existé, Philon aurait presque certainement écrit à son sujet.

Philon, contemporain de Jésus et Paul, habitait à Alexandrie et visita la Palestine et Jérusalem. Il écrivit de nombreux livres sur la religion et l'histoire juive dans les années 30s et 40s ou il développa le concept du Logos, intermédiaire avec l'Eternel ressemblant étrangement au 'fils' chrétien.

La plus importante ville d'Egypte (et la seconde de tout l'empire) avait aussi la plus grande communauté juive en dehors de la Palestine. C'était un important centre d'enseignement qui réfléchissait l'absorption de la philosophie hellénique. Philo lui-même adopta le platonisme à la bible juive et créa une image allégorique de l'univers et de son fonctionnement.

La philosophie juive d'Alexandrie était, sinon le père, l'oncle de la pensée chrétienne sur le Christ spirituel (cf. Paul et les Epitres). Philon était un mystique sans orientation apocalyptique, mais la transformation mythologique par laquelle les chrétiens sont présumés avoir assujetti Jésus de Nazareth n'aurait pas pu ne pas toucher son attention durant les 20 années postérieures à la crucifixion qu'il a vécues. Ses écrits montrent un intérêt pour les sectes nouvelles et inhabituelles comme les Therapeutae et les Esséniens. »

 

? « Philon fût aussi un grand historien et philosophe juif et le seul (parmi les plus connus) qui soit vraiment contemporain de Jésus et de Paul. Philon est né vers 25 avant J.C. et est mort aux alentours de 50 après J.C. Son œuvre comprend essentiellement des commentaires sur l'Ancien Testament. Très épris de philosophie grecque (il vit à Alexandrie) il est l'un des premiers à parler du Logos (le Verbe) comme intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il écrit également sur la communauté des Esséniens sur laquelle s'exprimera également Flavius Josèphe.

Historien, philosophe et observateur de son époque Philon ne dit pas un mot sur Jésus de Nazareth ou les premiers chrétiens. Il n'est pas sur qu'il se soir rendu en Palestine mais son œuvre sur les Esséniens montre qu'il s'intéresse de près à tout ce qui touche sa Patrie toute proche.

Si Jésus est le personnage renommé dépeint par les Evangiles il est plus que surprenant que Philon n'en ai jamais entendu parlé. Les nombreux miracles accomplis par Jésus devant des multitudes devaient nécessairement être transmis de bouche à oreille par des juifs se rendant à Alexandrie. On a mentionné plus haut l'incroyable vitesse avec laquelle se seraient répandues les idées ainsi que les premières communautés chrétiennes dans tout le bassin méditerranéen à partir du foyer fondateur représenté par Jésus et les douze apôtres de Jérusalem. Ce phénomène au demeurant si énigmatique ne s'accorde pas vraiment avec l'absence totale d'information dont semble disposer Philon à propos de ce mouvement naissant et surtout de son fondateur.

Encore une fois seule la thèse du mythe donne une explication satisfaisante à ce silence. Pour les partisans du paradigme rationaliste il faut admettre une fois de plus que l'existence de Jésus fût contre tout témoignage évangélique d'une discrétion totale. »

 

? « Ce philosophe si célèbre en son temps, si curieux de tout ce qui touchait à la religion, cet écrivain si fécond (une cinquantaine de traités) ne mentionne nulle part Jésus ou le Christ ou les Chrétiens. Pourtant il aurait dû les connaître puisqu'il est mort en 54 à l'âge de soixante-quatorze ans. Son ignorance ou son indifférence à leur égard est d'autant plus surprenante qu'il s'intéressait aux Esséniens, au Verbe de Dieu et à la prochaine venue du Messie. »

 

? « Le Juif Philon, mort en 54 à l'âge de 74 ans et Juste de Tibériade, né en Galilée au temps de la mort et de la résurrection supposées de Jésus, n'ont pas dit un mot du Maître ni de ses sectateurs. Or, Philon et Juste de Tibériade ont tous deux écrit des ouvrages sur les coutumes religieuses de leur époque. Philon, curieux de tout, ne nous a pas laissé moins de 50 traités dans lesquels il s'intéressa aux Esséniens et à la venue supposée proche du Messie. Au moins aurait-il pu dénoncer Jésus comme un faux prophète. Même pas. Rien. »

 

 

2° Flavius Josèphe (37-100)

 

 

_ Thèse catholique : « L'historien Flavius Josèphe naquit l'an 37 ou 38 de notre ère. Affilié au parti pharisaïque et zélé patriote, il prit d'abord une part ardente à la révolte des Juifs contre les Romains en 66, et se conduisit en brillant capitaine. Fait prisonnier en 67, il fut remis en liberté un peu plus tard par Vespasien, auquel il avait prédit son élévation au trône. La guerre achevée, il accom­pagna Titus à Rome, où il mourut vers l'année 100.

Son écrit principal consiste dans les Antiquités juives, qui racontent l'histoire du pays juif depuis les origines jusqu'à la fin de la guerre avec les Romains. Il date de la treizième année de Domitien (93-94). Il renferme deux passages relatifs à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Le premier, qui est le plus célèbre et le plus impor­tant, est ainsi conçu : « Vers cette époque parut Jésus, homme sage, si toutefois on peut l'appeler un homme, car il faisait des oeuvres étonnantes. Ce fut un maître pour ceux qui reçoivent la vérité avec plaisir. Beaucoup de Juifs et aussi beaucoup de Grecs s'atta­chèrent d lui. C'est lui qui était le Christ. Sur la dénon­ciation des principaux de son peuple, Pilate le fit condamner au supplice de la croix. Mais ceux qui l'avaient aimé auparavant lui demeurèrent fidèles; car il leur apparut vivant de nouveau le troisième jour, comme l'avaient annoncé les divins prophètes, qui avaient dit aussi à son sujet mille choses merveilleuses. Maintenant encore, la race des chrétiens, qui tirent de lui leur nom, n'a pas cessé d'exister. »

Le second passage est plus court, et plus vague aussi. Il se rapporte à la condamnation à mort de saint Jacques le Mineur par le grand prêtre Ananus ; acte cruel, que l'historien juif ne peut s'empêcher de blâmer tacitement dans la suite de son récit : « Il (Ananus) assembla le sanhédrin des juges et fit comparaître devant lui le frère de Jésus, dit le Christ, qui se nommait Jacques, et aussi quelques autres, qu'il accusa d'avoir violé la loi et qu'il fit lapider. »

Une question très grave a été posée au sujet de ces deux textes : sont-ils réellement authentiques ? Jusqu'au XVIIe siècle, personne ne parait en avoir douté ; mais depuis lors, une lutte ardente s'est engagée sur ce point, et elle est loin d'avoir pris fin. Aujourd'hui toutefois, indépendamment de tout esprit de parti, il existe une tendance assez générale à admettre que le second passage est authentique, mais que le premier c'est aussi le plus explicite - a été interpolé, soit complètement, soit au moins d'une manière partielle.

Pour justifier ce second jugement, on s'appuie sur les raisons suivantes, dont il n'est guère possible de contester le caractère sérieux. 1° Le premier texte suppose que Josèphe regardait personnellement Jésus comme le Messie. « Celui-ci était le Christ, » y lisons-nous en propres termes ; puis l'auteur ajoute que les pro­phètes avaient prédit depuis longtemps la résurrection de Jésus. Or, c’est là le langage d'un chrétien, et non celui d'un Juif, même d'un Juif devenu plus ou moins sceptique par rapport au judaïsme. Il ne semble donc pas que Josèphe ait pu parler ainsi. 2° A cet argument intrinsèque s'ajoutent des preuves extrinsèques qui sont loin d'être négligeables. Le texte en litige n'a jamais été allégué par les écrivains ecclésiastiques les plus anciens, notamment par saint Justin, par Clément d'Alexandrie, par Origène; et pourtant il avait une force remarquable au point de vue apologétique. Ce silence est donc de fâcheuse augure. Bien plus, Origène, dans son traité contre Celse, affirme que Josèphe ne croyait pas au caractère messianique de Jésus, assertion qui est en contradiction formelle avec le passage cité. C'est Eusèbe, au Ive siècle, qui a été le premier à faire usage de ce texte, que saint Ambroise, saint Jérôme, Cassiodore et d'autres ont pareillement connu. Il est vrai que tous les manus­crits grecs parvenus jusqu'à nous le contiennent ; mais ils ne lui accordent pas tous la même place, ce qui n'est pas moins fâcheux. En outre, aucun de ces manuscrits ne remonte bien haut.

Ces preuves diverses donnent à réfléchir et autorisent le doute ; c'est pour cela que de nombreux critiques regardent ces lignes comme tout à fait apocryphes. Il est pourtant de graves auteurs qui continuent à en reconnaître l'authenticité. Entre ces deux opinions, il s'en est formé une troisième, à laquelle - et dans le cas présent, ce fait ne nuit pas à son autorité - beaucoup d'écrivains rationalistes ont donné leur adhé­sion. Elle consiste à dire qu'une partie notable du texte, celle qui est soulignée dans notre citation, est authentique, et que l'interpolation porte seulement sur les paroles difficilement conciliables avec les sentiments personnels de Josèphe. Cette opinion mixte nous parait très vraisemblable.

Quoi qu'il en soit du premier texte, à moins, comme on l'a dit, des pousser bien loin l'idée fixe de l'interpo­lation, on n'a aucune raison sérieuse de rejeter l'authenticité du second, qui n'a été niée, du reste, que par un petit nombre d'auteurs aux tendances exagérées. Le trait raconté dans ce passage est spécifiquement juif, sans aucun ornement qui puisse faire supposer une retouche chrétienne. Si l'histoire mentionne Jésus « dit le Christ », ce n'est point en faveur de Jésus lui-même, mais pour déterminer ce qu'était Jacques, si cruellement condamné à mort par le grand prêtre Ananus. Ce détail n'a donc rien qui puisse exciter notre défiance, car il est regardé comme un fait tout objectif, universellement connu en Palestine. Origène, qui est muet sur l'autre texte, ne manque pas de signaler celui-ci.

M. Kalthoff objecte, il est vrai, que cette mention de Jésus par l'historien juif ne signifie absolument rien, et qu'elle ne désigne pas nécessairement le Jésus des évangiles, attendu que de nombreux Juifs portaient alors le même nom. Mais c'est l'objection du pasteur brémois, au contraire, qui est sans aucune valeur ; car il n'y eut, à cette époque, qu'un seul Jésus, celui des évangiles, qui porta le surnom de Christ, et qui fonda la religion chrétienne.

Ajoutons encore, pour achever ce qui regarde le témoignage de Josèphe, que la sobriété des détails qu'il donne sur Jésus-Christ - dans l'hypothèse où son premier texte serait apocryphe ou aurait été remanié dans le sens chrétien - est aisée à expliquer. Devenu l'ami intime des Romains sans cesser de demeurer attaché à son peuple d'origine, il s'efforce très visi­blement, dans son livre des Antiquités comme dans ses autres écrits, de justifier les Juifs de toute tendance politique opposée à l'empire. Il ne pouvait donc que rejeter le plus possible dans l'ombre les espé­rances messianiques d’Israël, qui avaient joué un rôle considérable dans la révolte de ses compatriotes contre Rome ; il ne lui était guère possible non plus de mani­fester un vif intérêt pour Jésus-Christ, qui avait été condamné au supplice ignominieux de la croix par le procurateur romain, comme prétendant au trône, comme ennemi de César, comme roi des Juifs. »

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Enfin, Flavius Josèphe. C’est le grand historien juif auquel nous devons tant de renseignements sur les événements de Palestine à son époque. Josèphe naît en + 37 ou + 38 et meurt entre 94 et 100. Son oeuvre abonde de détails et il évoque en particulier maints personnages secondaires, agitateurs locaux, prétendus Messies. Seul Jésus lui est totalement inconnu. C’est quand même inquiétant ! Lorsque la critique des textes ne prétendait pas aux exigences qu’elle requiert aujourd’hui, c’est-à-dire il y a quelques décennies encore, les exégètes et historiens chrétiens avançaient Flavius Josèphe comme témoin capital de l’existence de Jésus. En effet, on lit dans les ‘’Antiquités Judaïques’’, l’une des deux grandes œuvres de l’auteur, « Vers cette époque paraît Jésus, homme sage si toutefois il faut l’appeler homme, car il accomplissait des choses merveilleuses : il enseignait les hommes qui reçoivent la vérité avec plaisir, et entraîna à sa suite beaucoup de Juifs et beaucoup d’autres venus de l’Hellénisme. Celui-là était le Christ. Lorsque sur la dénonciation des principaux membres de notre nation, Pilate l’eût condamné à la croix, ceux qui l’avaient aimé lui demeurèrent fidèles. Il leur apparut le troisième jour, de nouveau vivant comme l’avaient annoncé les divins prophètes qui avaient aussi prédit à son sujet mille autres merveilles. La race des chrétiens, qui tire de lui son nom, existe encore aujourd’hui ». Si ce texte était authentique, son importance serait capitale et nous ne serions pas ici, en ce moment, pour parler de Jésus. Mais aujourd’hui tout le monde - je dis bien : tout le monde - la critique indépendante bien sûr, mais aussi la critique catholique, a fortiori la protestante libérale, nie l’authenticité de ce texte. C'est un faux grossier. Flavius Josèphe est né juif, il a vécu juif, il est mort juif. Toute son œuvre en témoigne. Jamais un juif n’aurait écrit en parlant de Jésus : « Celui-là était le Christ » (le Messie) et n’aurait affirmé sa résurrection. Les écrits de Flavius Josèphe nous ont été conservés par l’Eglise, laquelle ne s’est pas gênée pour toucher aux textes dont elle était gardienne et les retoucher, jusqu’au quatrième siècle. Etonnée ou scandalisée de ne point voir figurer le nom de son héros dans une œuvre aussi prodigieuse que celle de son contemporain Josèphe, elle se fit un devoir d’y apporter le complément nécessaire, sans même se soucier d’éviter la maladresse. Ou plutôt, les maladresses car, à celle qui ferait de F.J. un chrétien si ce texte était de lui, s’en ajoute une autre : l’additif s’intercale entre les récits de deux calamités. En retranchant le passage interpolé, l’énumération des calamités reprend son cours normal ! Le silence de Josèphe sur Jésus donne sérieusement à réfléchir. Notons entre parenthèses que Josèphe ne parle pas non plus des communautés chrétiennes qui sont censées avoir existé en Palestine de son vivant, ce qui pose le problème de la datation de leur origine, mais ceci est un autre thème que nous ne pouvons aborder aujourd’hui. Aucun autre auteur juif contemporain de celui qui aurait été Jésus ne l’a cité dans ses écrits. »

 

? « Il en est un qu'on invoque souvent, celui de Flavius Josèphe, né à Jérusalem vers l'an 38 de notre ère, qui prit part en 67 à la guerre contre les Romains, passa ensuite dans leur camp, et publia pour eux, vers 77, le récit de cette lutte mémorable, puis, en 93, un long travail sur les Antiquités judaïques. Dans ce dernier ouvrage, à propos du gouvernement de Ponce Pilate, on lit le passage suivant (XVIII, 3,3) :

« Vers le même temps vint Jésus, homme sage, si toutefois il faut l'appeler un homme. Car il était un faiseur de miracles et le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup d'Hellènes. C'était le Christ. Et lorsque, sur la dénonciation de nos premiers citoyens, Pilate l'eut condamné à la crucifixion, ceux qui l'avaient d'abord chéri ne cessèrent pas de le faire, car il leur apparut trois jours après, ressuscité, alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille autres merveilles à son sujet. Et le groupe appelé celui des chrétiens n'a pas encore disparut.

Ce texte serait décisif, s'il était authentique. Mais tout montre qu'on doit le considérer comme apocryphe.

Il ne se lisait pas dans l'édition de Josèphe la plus ancienne que nous puissions atteindre, dans celle que possédait Origène, au début du III° siècle. D'après cet auteur, l'historien juif ne croyait pas que Jésus fût le Christ. Or, nous venons de voir que le passage en question affirme expressément : « C'était le Christ. »

Quand même le témoignage du savant alexandrin ne serait pas là pour attester que Josèphe n'a rien dit de pareil, la critique la plus élémentaire nous empêcherait de lui attribuer un tel propos. Si l'auteur des Antiquités avait dit que Jésus « était le Christ », s'il l'avait appelé le « maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité », s'il l'avait présenté comme ressuscité après trois jours, il eût été chrétien. Or il se montre très attaché au judaïsme pharisaïque, non seulement dans ses écrits antérieurs, mais dans ceux qu'il a rédigés plus tard, dans son autobiographie et dans ses deux livres Contre Apion.

L'on a supposé, il est vrai, que le passage, authentique en substance, aurait été glosé par un auteur chrétien. Mais l'hypothèse est purement gratuite et les reconstitutions qu'elle a inspirées du texte primitif se révèlent aussi divergentes qu'arbitraires.

Une remarque bien simple suffit, d'ailleurs, à trancher le débat. Le paragraphe consacré à Jésus rompt la suite naturelle de l'exposé des Antiquités. Josèphe parlait auparavant des calamités qui frappèrent ses compatriotes sous Pilate. Immédiatement après il reprend ce leitmotiv : « Dans le même temps, dit-il, un autre terrible coup frappait les Juifs. » Les remarques qui concernent le Christ sont d'un autre ordre. Elles ne cadrent ni avec ce qui précède, ni avec ce qui suit. Au contraire, si on les élimine, les deux morceaux qu'elles séparaient se rejoignent d'eux-mêmes et sont très cohérents. C'est dire qu'elles sont certainement interpolées.

On a invoqué aussi un second passage des Antiquités qui se lit vers le début du dernier livre (XX, 9,1). Après la mort du gouverneur Félix, y est-il dit, avant l'arrivée de son successeur Albinus, le grand-prêtre du temps, Ananias, « réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus, dit le Christ, avec certains autres, ...et les fit lapider ».

Ici, encore, l'interpolation apparaît évidente. Un auteur étranger au christianisme n'aurait point dit ainsi de Jésus, sans explication ni réserve, qu'il était appelé « le Christ ».

Origène a connu un autre texte de Josèphe qui était étroitement apparenté à celui-là. On y lisait que la ruine de Jérusalem fut le juste châtiment du meurtre de Jacques, surnommé le Juste. Il est clair que ceci n'a pu être écrit par un Juif. Les deux textes concernant le frère de Jésus ont la même origine. Ils viennent d'une officine chrétienne.

On a fait grand bruit, en ces derniers temps, autour d'un assez long récit qui se lit dans un autre écrit de Josèphe, dans une version slave. Jésus n'y est pas nommé, ni qualifié de Christ. Mais sa vie y est rappelée avec des détails qui tendent à montrer qu'il fut plus qu'un homme, et même plus qu'un ange. Il accomplit, nous dit le narrateur, des oeuvres divines, notamment des cures merveilleuses, par la seule vertu de sa parole. Il eût pu, d'un mot, briser la puissance romaine. Mais il ne le voulut pas. Pilate, à qui les Juifs l'avaient dénoncé, reconnut sa parfaite innocence. Par intérêt, pourtant, il le leur abandonna et eux le crucifièrent.

Ce texte, comme celui des Antiquités, s'il était de Josèphe, aurait assurément la plus grande importance. Mais rien ne permet de croire qu'il provienne de lui. La version slave de la Guerre des juifs dans laquelle il se lit, est fort tardive et dépourvue de garanties sérieuses. Elle a été faite en Lithuanie entre 1250 et 1260. C'est un manuscrit grec qui a servi d'original. Mais aucun de ceux qui sont arrivés jusqu'à nous ne contient ce passage. L'on ne peut dire qu'il a été délibérément omis par des copistes chrétiens. Il ne contient aucun détail offensant pour Jésus qui pourrait justifier cette omission. Il rapporte, au contraire, beaucoup de traits élogieux qui auraient dû imposer son maintien. De plus, il sépare malencontreusement deux épisodes qui se tiennent étroitement dans le texte grec et qui montrent combien Pilate a été provocant à l'égard du monde juif. Lui aussi présente tous les caractères d'une interpolation.

Dans son début, d'ailleurs, il exploite visiblement le premier texte des Antiquités dont nous avons constaté le caractère apocryphe. Le faussaire se trahit en ce qu'il imite un autre faux Josèphe.

Deux passages beaucoup plus courts de la même version slave parlent encore du Christ. L'un mentionne une inscription placée à l'entrée du sanctuaire de Jérusalem : « Jésus, roi, n'a pas régné, mais a été crucifié par les Juifs, parce qu'il a prédit la destruction de la Cité et la dévastation du Temple. » L'autre rappelle la rupture du voile qui se produisit lors du crucifiement, et la résurrection qui suivit. Mais ces deux textes dépendent, sans nul doute, de celui, beaucoup plus important, qui vient d'être étudié. Ils sont donc, comme lui, apocryphes. Comme lui, d'ailleurs, ils manquent aux manuscrits grecs. Comme lui, ils trahissent l'inspiration de l'Evangile.

En somme, dans toute l'oeuvre de Josèphe, nous ne trouvons pas un paragraphe, pas une phrase, pas un mot authentique qui concerne Jésus. Tout ce qu'on peut relever à ce sujet a été interpolé par les chrétiens. Rien n'est plus naturel. C'est par eux que l'historien juif a survécu et que ses manuscrits sont arrivés jusqu'à nous. Considéré comme un renégat et systématiquement ignoré par ses coreligionnaires parce qu'il les avait lâchés en pleine lutte et qu'il avait pris parti pour les vainqueurs, il a trouvé le meilleur accueil parmi les gens d'Eglise, parce qu'il leur fournissait maints détails utiles sur le milieu d'où est sorti le christianisme. Il n'est pas étonnant que tel ou tel d'entre eux, choqué de ne rien trouver chez lui au sujet de Jésus, lui ait fait dire ce qu'il aurait dû, à ses yeux, avoir dit.

Ces additions mêmes font voir combien son silence est anormal au point de vue chrétien. Josèphe se montre merveilleusement renseigné sur tout ce qui concerne les Juifs palestiniens. Il nous donne sur eux une foule d'informations précises et prises sur le vif. Si les récits évangéliques étaient exacts, tout au moins en substance, on ne comprendrait pas qu'un tel homme n'en eût rien su, et que, les connaissant, il n'en eût point parlé.

Sans doute, il n'a pas tout dit et ne pouvait tout dire. On a noté qu'il ne fait aucune mention d'un personnage tel qu'Hillel. On peut aller plus loin et constater qu'il laisse délibérément dans l'ombre tout ce qui se rapporte aux écoles rabbiniques. Mais c'est tout simplement parce qu'il n'écrit point pour des Juifs, qui, seuls, se fussent intéressés à des détails de ce genre. C'est aux lecteurs gréco-romains qu'il s'adresse. Aussi révèle-t-il avec insistance tout ce qui concerne les rapports du judaïsme avec l'hellénisme et avec le pouvoir impérial. Il parle, à plusieurs reprises, de divers agitateurs qui eurent maille à partir avec les représentants des Césars. Il insiste particulièrement sur ceux qui eurent des démêlés avec Pilate. Pourquoi ne parle-t-il point, en l'occurrence, de Jésus ? L'occasion eût été tout à fait naturelle. La tradition chrétienne lui eût permis de présenter le procurateur sous un jour plus favorable et de le montrer en accord foncier avec le Sanhédrin. En ne la mettant pas à profit, il fait voir qu'il ne la connaît point.

On objecte qu'il ne dit rien non plus du christianisme et que, pourtant, il n'a pu l'ignorer. Mais ce dernier point est des plus contestables. Les documents que nous avons sur l'Eglise palestinienne sont tardifs et légendaires. Si Josèphe ne la mentionne pas, c'est apparemment qu'elle ne s'est pas imposée à son attention et que, dans la mesure où elle a paru sur son chemin, elle s'est confondue pour lui avec le groupe des pharisiens ou avec celui des esséniens. »

 

? « Nous arrivons maintenant à la "preuve historique" sur les origines du christianisme la plus souvent citée et considérée par la plupart des apologistes chrétiens modernes comme le témoignage indépendant des évangiles le plus important.

Flavius Joseph est un historien juif de l'antiquité qui a vécu dans la deuxième moitié du premier siècle et a écrit une monumentale histoire du peuple juif dont les deux ouvrages les plus connus sont : Les Antiquités juives et la Guerre des juifs. Travaillant pour le compte des empereurs romains "Flaviens" (Vespasien, Titus et Domitien) il s'est toujours efforcé d'adopter un point de vue plutôt favorable à Rome notamment à propos des révoltes juives qui conduisent à la destruction du Temple de Jérusalem. Joseph s'en prend avec virulence à tous les agitateurs (les plus connus sont les Zélotes) et prétendus magiciens de l'époque qui provoquent le courroux des autorités romaines et par là même la ruine de l'état hébreux.

Parmi la trentaine de volumes rédigés par cet historien hors du commun figurent deux passages de quelques lignes sur Jésus dont l'authenticité est discutée et discutable. L'essentiel du débat porte sur la question de savoir si ces passages ont bien été rédigés par Joseph ou sont l'œuvre d'un copiste chrétien tardif. L'interpolation comme l'appelle les spécialistes consistant à remanier le texte d'un auteur au moment de la recopie du manuscrit (système en vigueur avant l'invention de l'imprimerie).

Le Testimonium Flavianum

Tel est le nom usuellement donné au premier des deux passages des Antiquités juives. Antiquités 18.3.3 :

"Maintenant il y avait, en ce temps-là, un certain Jésus, un homme sage, s'il est permis de l'appeler un homme, parce que c'était un faiseur de miracles, et un enseignant qui enseignait de telle manière que les hommes l'écoutaient avec plaisir. Il s'attirait après lui, à la fois beaucoup de Juifs, et beaucoup de Gentils. C'était le Christ, et lorsque Pilate le condamna à être crucifié, à la suggestion des principales personnalités parmi nous, ceux qui l'aimèrent depuis le début ne l'abandonnèrent pas; parce qu'il leur apparut de nouveau le troisième jour, comme le leur avaient annoncé les prophètes, ainsi que dix mille autres merveilles à son sujet. Et la tribu des Chrétiens, ainsi nommés d'après son nom, n'est pas encore éteinte à ce jour."

Disons tout de suite que la plupart des historiens considèrent que le texte ci dessus qui nous est parvenu n'est pas intégralement de Flavius Josèphe. La raison essentielle en est que Josèphe était juif pratiquant et qu'en tant que tel il n'aurait jamais pu dire de Jésus que c'était le Christ, qu’il était ressuscité et que c'était un faiseur de miracles sans s'être après cela converti au christianisme. D'aucun pense que le texte entier est une interpolation mais l'opinion la plus générale reste cependant d'admettre l'authenticité d'une partie plus restreinte du texte qui aurait été "complété" par la suite par un copiste chrétien. Pour confirmer cette thèse on cite souvent une deuxième version du passage en question transmise par les arabes et dont le contenu est d'apparence plus conforme à ce que Josèphe aurait pu dire : (d'après l'historien juif Shlomo Pines)

Le texte arabe de ce passage apparaît dans un manuscrit du Xème siècle Kitab Al-Unwan .Voici ce texte : « En ce temps-là, vivait un homme sage qui s'appelait Jésus. Il avait une conduite irréprochable, et il était connu comme un homme vertueux. Et beaucoup de gens parmi les Juifs et les autres Nations devinrent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Ceux qui devinrent ses disciples ne cessèrent pas de suivre son enseignement. Ils rapportèrent qu'il leur était apparu le troisième jour après sa crucifixion et qu'il était vivant. A ce propos, il était peut-être le Messie dont les prophètes avaient rapporté les merveilles...".

La Question de l'authenticité reste posée donc à propos de ce passage. Examinons maintenant les points qui font difficultés :

Flavius Josèphe travaillant pour le compte des empereurs romains et toujours prompt dans ses œuvres a critiquer la volonté de rébellion de ses compatriotes aurait-il pu faire une exception notable pour Jésus et suggérer comme c'est le cas que celui-ci aurait été injustement condamné à la crucifixion par un fonctionnaire romain.

Si Flavius Josèphe n'a certainement pas dit que Jésus était le Messie a t -il pu dire néanmoins qu'il était peut-être le Messie prenant par là même fait et cause pour la nouvelle religion chrétienne ?

La référence la plus ancienne concernant ce texte se trouve chez Eusèbe de Césarée (IVème siècle après J.C.).Avant lui aucun des Pères de l'église ne cite le passage. Ni Clément d'Alexandrie, ni Tertullien, ni Cyprien, ni Origène (dans son argumentation avec Celsus) tous si prompts pourtant à utiliser toutes les armes concevables afin de convaincre et de convertir les païens.

Origène dit de Flavius Josèphe que celui-ci n'a pas reconnu que Jésus était le Messie ce qui prouve au minimum que la phrase en question (quelle que soit la version) est une interpolation.

Deuxième passage des Antiquités Juives

"Mais le plus jeune, Anne qui, comme nous l'avons dit, reçut la charge de Souverain Sacrificateur, était aventureux, et d'une défiance exceptionnelle; il suivit le parti des Sadducéens, qui sont très sévères dans leur jugement parmi les Juifs, comme nous l'avons déjà montré. Comme Anne avait de telles dispositions, que Festus était mort, et que Albinus était encore sur le circuit, il pensa que le moment était venu d'assembler le conseil des juges, pour faire comparaître devant lui le frère de Jésus, le soi-disant Christ, qui s'appelait Jacques, en même temps que d'autres. Et après les avoir accusés d'avoir enfreint la loi, ils les condamnèrent à la lapidation.".

Parmi les arguments mis en avant pour soutenir l'authenticité de ce passage le principal concerne le fait que l'accent est mis sur Jacques le frère de Jésus et non sur Jésus lui-même. L'expression Jésus le soi disant Christ ne pourrait également être une interpolation d'un copiste chrétien et enfin le style général du texte est bien celui de Josèphe.

Examinons brièvement chacun des points en question.

Le fait que le texte parle de Jésus et non de Jacques peut tout simplement signifier que seule le complément de phrase "frère de Jésus, le soi disant Christ" a été rajouté ; le texte d'origine pourrait tout simplement parler de Jacques un des fondateurs de l'église de Jérusalem ?

L'expression "le soi-disant Christ" est rendue dans certaines traductions par "Celui qu'on appelle le Christ" et fait écho comme le rappelle E. Doherty au passage dans Matthieu (1.16) : Jésus, qu'on appelle le Christ. Par conséquent on voit bien qu'une telle expression peut tout a fait avoir été rajoutée sans difficulté par un copiste chrétien.

Les copistes n'avaient bien entendu aucun mal à imiter le style de l'auteur après plusieurs centaines de pages recopiées. Comme le précise E. Doherty il pouvait même s'agir chez eux d'une seconde nature.

Pour une analyse plus exhaustive de l'origine probable de ce passage il faut consulter le document de E. Doherty : "Josephus Unbound : Reopening the Josephus Question".

L'auteur y explique qu'il existe un troisième passage concernant de nouveau Jacques le "frère de Jésus" qui ne nous est pas parvenu mais qui est cité par Origène et Eusèbe. Ce passage contiendrait également l'expression : "Jésus qu'on appelle le Christ" et expliquerait que le martyr de Jacques a entraîné la destruction du temple de Jérusalem en guise de punition divine. Pour E. Doherty il pourrait exister un lien entre ce passage disparu et le passage ci-dessus qui aurait ainsi récupéré la même interpolation : "frère de Jésus qu'on appelle le Christ".

En fait les points les plus marquants à l’ encontre de ce passage sont les suivants :

La référence au Christ pour parler de Jésus laisse entendre que précédemment Josèphe a déjà parlé de Jésus en ces termes. Ce pourrait être le passage 18.3 ; mais on a vus plus haut que ce passage ne contient certainement pas une telle indication (Christ ou Messie).

Les Pères de l'église avant Origène et Eusèbe ne mentionnent pas ce passage qui pourtant aurait été fort utile dans les controverses avec les détracteurs du Christianisme.

Si Jésus a existé et vécu les événements décrits dans les Evangiles il est incompréhensible qu'un des plus grands historiens de l'Antiquité ne lui accorde guère plus qu'une dizaine de lignes perdues dans son œuvre par ailleurs gigantesque. Les innombrables miracles accomplis par Jésus ainsi que tous les événement surnaturels qui accompagnent son ministère jusqu'à sa mort et sa résurrection devant plusieurs témoins devaient nécessairement être connus de Josèphe qui aurait dû de ce fait y consacrer plus de quelques lignes.

L'hypothèse rationaliste minimale d'un Jésus très peu connu et plus discret peut bien sur expliquer le peu de place que lui consacre Flavius Josèphe mais comme on a déjà eu l'occasion de le préciser cette hypothèse est presque indiscernable dans ce contexte de l'hypothèse du mythe sans en posséder par ailleurs toute la cohérence. »

 

? « Reste à examiner le cas de Flavius Josèphe, l'historien juif qui devrait être pour nous une source inépuisable de renseignements sur le christianisme puisqu'il a vécu de 37 à 97 environ, qu'il a été personnellement mêlé aux affaires de Palestine, à la Guerre Juive et qu'il a collaboré avec les Romains. Or, dans toute son oeuvre, on n'a trouvé que deux passages qui fassent allusion au Christ mais ces passages sont placés et rédigés de telle manière que la très grande majorité des critiques y voient deux interpolations destinées à faire croire que Flavius Josèphe a parlé du christianisme.

La première question à se poser quand un écrivain juif emploie le mot « christ » est la suivante : veut-il dire « oint », c'est-à-dire grand-prêtre ou roi, ou bien « messie » ?

En ce qui concerne Flavius Josèphe, nous avons une dé­claration d'Origène à ce sujet ; il écrivait vers 250 que Flavius (C. Celse I 47) ne croyait pas à Jésus comme Christ. Et nous savons qu'Origène disait vrai puisque nous lisons dans la Guerre juive (VI, 5) que l'oracle ambigu prédisant la venue de Palestine d'un maître de l'univers désignait l'empereur Vespasien. Aux yeux de Flavius Josèphe, le Messie n'était pas encore venu, on l'attendait mais on pouvait considérer que c'était Vespasien. Jésus-Messie ne faisait pas partie de l'hori­zon de l'historien juif.

Les croyants, chrétiens ou juifs, affirment cependant que Flavius Josèphe aurait parlé de Jésus dans son livre sur les Antiquités juives (terminé vers 93), particulièrement dans les chapitres XVIII et XX. Malheureusement pour cette thèse, lesdits chapitres ne figurent pas dans le Codex Palatinus Gr. 14 (Bibl. du Vatican) qui date du 9e ou du 10e siècle et qui est le plus ancien des manuscrits que nous possédions de cette oeuvre.

Dans deux autres manuscrits, ceux-là du XI° siècle, nous lisons l'étonnant passage que voici (Ant. XVIII 3 3) : « A cette époque parut Jésus, homme sage S'IL FAUT L'APPE­LER HOMME car il accomplit des choses merveilleuses, fut le maître de ceux qui reçoivent avec joie la vérité et il entraîna beaucoup de Juifs et aussi de Grecs. CELUI-LA ETAIT LE CHRIST. Sur la dénonciation des principaux de notre nation, Pilate le condamna à la croix mais ses fidèles ne renoncèrent pas à leur amour pour lui. CAR LE TROISIEME JOUR IL LEUR APPARUT RESSUSCITE COMME L'AVAIENT ANNONCE LES DIVINS PROPHETES, AINSI QUE MILLE AUTRES MERVEILLES A SON SUJET. LE GROUPE DES CHRETIENS QUI TIRE DE LUI SON NOM SUBSISTE ENCORE AUJOURD'HUI ».

La critique presque unanime s'accorde à reconnaître que Josèphe n'a jamais écrit un pareil texte. En effet, s'il avait dit de Jésus : « s'il faut l'appeler un homme » et « c'était le Christ », s'il avait cru à ses miracles et à sa résurrection, il aurait été chrétien et nous aurait sans doute laissé sur la religion nouvelle une plus ample moisson de renseigne­ments. Ce texte émane à coup sûr d'un interpolateur chré­tien. Des auteurs catholiques comme Mgr Battifol et le P. Lagrange sont d'accord avec un incroyant comme Charles Guignebert pour considérer ce fragment tout entier comme une interpolation.

Interpolation d'ailleurs relativement tardive (effectuée entre 250 et 325) puisque c'est seulement vers 325 que ce texte est cité pour la première fois par Eusèbe.

Ce passage est le seul où Flavius aurait parlé des Chré­tiens, ce qui peut paraître étonnant ; cependant il ne parle ni de leur persécution à Rome en 64, ni de saint Paul ou de pierre. Et cet écrivain - qui déclare avoir fait l'expérience de sectes diverses (Pharisiens, Sadducéens, Esséniens) pour les connaître, dit-il, toutes à fond et choisir la meilleure - qui passa même trois ans auprès de l'ermite Banus au désert, cet écrivain ne dit rien de la secte chrétienne et s'abstient de rappeler les motifs de la dénonciation et de la condam­nation de Jésus.

Son interpolateur en a dit trop ou pas assez, trop si Jo­sèphe n'a pas connu Jésus-Christ, pas assez s'il l'a connu. On s'explique mieux le silence complet de l'historien juif qu'une allusion si occasionnelle et si lourde.

On lit également dans les Antiquités juives (XX 9) la déclaration suivante : « Ananos grand sacrificateur assembla un conseil devant lequel il traduisit Jacques frère de Jésus surnommé le christ et quelques autres ; il les accusa d'avoir contrevenu à la Loi et les fit condamner à être lapidés », le contexte plaçant cet événement en 62.

A bien lire cette phrase, quel qu'en soit l'auteur, on peut lui trouver un sens tout différent du sens adopté tradition­nellement. Rien ne permet d'affirmer que cet oint Jésus soit le Jésus-Christ des évangiles ou même le Jésus de la pré­cédente interpolation et qu'il soit déjà mort. Ce Jésus peut désigner un grand prêtre juif contemporain de Josèphe, c'est-à-dire un « oint » n'ayant aucun rapport avec le christia­nisme. Cette allusion furtive à un Jésus sur lequel Josèphe ne dit rien paraît suspecte ; d'autre part, dire que Jacques était le frère de Jésus, c'est supposer que ce dernier était un personnage plus important que Jacques ; or, c'est le contraire que nous constatons, si nous suivons Eusèbe. Celui-ci, dans un passage qu'il attribuait à Josèphe (H E II 23 30) — et que nous ne retrouvons pas dans nos textes actuels — présente la ruine de Jérusalem comme le châtiment du crime commis contre Jacques, ce qui donne à celui-ci une impor­tance autrement grande que celle de son frère Jésus. Et quand Eusèbe, Epiphane, Jérôme rapportent que ce Jacques aurait été le premier « évêque » de Jérusalem (ce que ne dit pas non plus Josèphe), ne prennent-ils pas pour un chrétien un grand-prêtre, c'est-à-dire un oint juif, un christ ?

Enfin, si l'on continue la lecture des Antiquités juives immédiatement après le passage cité plus haut, on apprend que le roi « Agrippa II, irrité contre Ananos, lui retira la grande sacrificature qu'il n'avait exercée que quatre mois et la donna à Jésus, fils de Damnéus; mécontent par la suite de ce dernier, il le remplaça par Jésus fils de Gamaliel (ou de Gamala) ». Ainsi donc, il y aurait eu à Jérusalem, en 62-63, successivement deux Jésus, oints ou christs, grands-prêtres, après Ananos lequel avait fait périr Jacques consi­déré lui-même comme un oint et frère d'un Jésus. Nous voilà loin du Jésus-Messie qui serait mort en 30. »

 

? « Rien ne fait penser au Jésus-Christ évangélique et Josèphe ne vise certainement pas un ancien Jésus crucifié mais il n'est pas impossible qu'un correcteur chrétien, rencontrant un Jésus dans le texte des Antiquités et le prenant pour le sien ait ajouté l'expression « surnommé le Christ » comme cela eut lieu dans l'évangile de Matthieu (I 16), dans celui de Jean (4/25), dans les Actes (2/36, 18/28), afin d'indiquer que Jésus était le Christ. »

 

? « Flavius Josèphe, qui naquit en 37-38 dans une famille noble sacerdotale de Jérusalem, écrivit plusieurs ouvrages aux alentours des années 60-70. Dans ses Antiquités juives, on peut aujourd'hui lire ce passage : "C'est en ce temps que parut Jésus, homme sage, s'il faut l'appeler homme. Car il fut l'artisan d'oeuvres étonnantes, le maître de ceux qui reçoivent avec joie la vérité, et il entraîna beaucoup de Juifs, et beaucoup d'autres venus de chez les Grecs. Il était le Christ. Et Pilate l'ayant condamné à la croix sur la dénonciation des premiers de notre nation, ceux qui l'avaient aimé d'abord ne cessèrent pas pour autant, car il leur apparut derechef vivant, le troisième jour, ainsi que l'avaient dit, entre bien d'autres merveilles à son sujet, les prophètes divins. Et jusqu'à présent subsiste le groupe appelé de son nom les Chrétiens."

Origène [184 - 254] a écrit que Josèphe ne croyait pas à la messianité de Jésus. Par conséquent, il ne connaissait pas encore la petite phrase "Il était le Christ" au sujet de laquelle tous les critiques sérieux s'accordent pour dire qu'elle est une interpolation évidente, à savoir une addition postérieure faite par la main d'un copiste zélé. Ce qui suit cette phrase est également très suspect car Josèphe, s'il avait écrit ces choses sans y apporter la moindre restriction, aurait logiquement dû se convertir, ce qu'il ne fit pas. En bonne logique, donc, la plupart des critiques rejettent également ces phrases qu'ils considèrent interpolées. Il reste le début du texte qui pourrait s'appliquer à n'importe quel thaumaturge ou magicien qui étaient alors nombreux. Flavius Josèphe aurait pu écrire cela sans croire que Jésus fut le véritable Messie. Cependant, ce bout de texte a également été l'objet des plus graves suspicions. En effet, si on examine plus largement le passage des Antiquités dans lequel il se trouve, on remarque qu'il brise non seulement le rythme de l'ensemble, mais également l'agencement de chacun des thèmes abordés et qui concernent des répressions ordonnées par Pilate. Si l'on supprime ces quelques phrases, le texte retrouve son homogénéité et sa cohésion. Une autre hypothèse, destinée à sauver partiellement le témoignage de Josèphe, voit dans son "testimonium" un texte original qui aurait été profondément remanié postérieurement par des changements de termes et des insertions diverses afin d'en renforcer l'impact. Cette hypothèse a cependant été sévèrement critiquée par certains spécialistes qui estiment que son auteur a analysé les textes avec un parti-pris évident bien que certainement inconscient. D'autres arguments viennent à l'appui de la thèse qui fait du "testimonium" une interpolation totale. Au XVIème siècle, par exemple, Vossius possédait encore un vieux manuscrit de Josèphe qui ne contenait rien au sujet de Jésus. Sans doute cet ouvrage avait-il été transcrit par un copiste non chrétien. Avant Eusèbe de Césarée [264 - 340], personne ne cita un texte de Josèphe à l'appui de la divinité ou même de l'existence terrestre de Jésus. L'interpolation daterait donc, au plus tôt, du troisième siècle et l'on a même soutenu qu'Eusèbe en aurait été l'auteur.

D'aucuns ont usé d'une argumentation pour le moins spécieuse. Ayant constaté que Flavius Josèphe n'avait rien dit des chrétiens, qu'il avait très peu parlé du messianisme juif et s'était également tu au sujet de rabbins aussi célèbres que Hillel ou Jochanan ben Sakkai, ils soutinrent que la raison de ces silences et de cette discrétion était simple : à titre strictement personnel, Josèphe voulait par tous les moyens se concilier les faveurs des Romains. Aussi aurait-il toujours cherché à éviter de parler des choses qui auraient pu leur déplaire. Dès lors, il semblait certain que même s'il avait entendu parler de Jésus il n'en aurait pas dit un mot afin de ne pas raviver des souvenirs qui auraient pu excéder les Romains. Cette argumentation ne résiste pas dès lors qu'on rappelle que toute l'histoire hébraïque que raconta Josèphe dans son livre La Guerre des Juifs Contre les Romains ne fut qu'une série de révoltes et de soulèvements d'inspiration messianique. Quant au fait qu'il ne cita même pas les chrétiens, c'est peut-être tout simplement parce qu'il n'existait pas encore de son temps des gens qu'on appelait ainsi...

Compte tenu de tout ceci, il découle que tout le texte de Flavius Josèphe qui a été cité plus haut fut interpolé par une main chrétienne bien longtemps après que l'original fut écrit. On a d'ailleurs soutenu avec beaucoup de succès que la majeure partie de l'oeuvre de Josèphe est apocryphe tant les retouches et les additions y auraient été nombreuses.

Lié au "testimonium" cité plus haut, un autre texte de Josèphe, nettement plus court, est souvent cité : "Jugeant que la mort de Festus et le fait qu'Albinus était encore en route lui procuraient une occasion favorable, il réunit le sanhédrin en conseil judiciaire, et fait comparaître devant lui le frère de Jésus, surnommé le Christ -Jacques était son nom- avec quelques autres. Il les accuse d'avoir violé la loi et les livres pour être lapidés."

Pour la raison majeure citée plus haut, il est douteux que Josèphe aurait pris la peine de préciser que Jacques était frère de Jésus surnommé le Christ (ce qui signifie Oint qui désigne l'envoyé direct de Dieu). On peut donc raisonnablement penser que ce texte fut également "arrangé" par une main pieuse.

Vers 710, saint André, métropolitain de Crête, écrivit ce qui suit : "C'est aussi de cette façon (d'après le type des portraits du Christ attribués à saint Luc) que le Juif Josèphe raconte que Jésus a été vu : avec des sourcils se rejoignant, de beaux yeux, le visage allongé, légèrement courbé, une bonne taille..."

Or, ces précisions ne figurent dans aucune des versions des oeuvres de Josèphe qui soient arrivées jusqu'à nous. Elles étaient de même ignorées des anciens Pères de l'Eglise. Saint André a donc donné là un témoignage isolé qui ne peut être qu'une invention de son cru destinée à alimenter son argumentation polémique contre les iconoclastes.

Les textes de Josèphe que j'ai cités jusqu'à présent appartenaient tous à une version grecque de ses écrits. Or, en 1906, le monde savant fut secoué par la publication de huit fragments de textes appartenant à une version slave de Josèphe qui était connue depuis 1866 mais qui n'avait pas alors retenu l'attention. Chose étonnante, la version slave contenait des précisions sur Jean-Baptiste, le Christ et les débuts de la propagande chrétienne. Je vais citer le plus long passage : "En ce temps-là apparut un homme, si on peut l'appeler ainsi. Sa nature était humaine, mais son apparence plus qu'humaine et ses oeuvres étaient divines. Il faisait des miracles étonnants et puissants. C'est pourquoi il n'est impossible de l'appeler un homme. Pourtant, vu la nature qu'il avait en partage avec tous, je ne l'appellerai pas un ange. Tout ce qu'il réalisait par une puissance cachée, l'était par la parole et par le commandement. Quelqu'un disait : "Notre premier législateur – Moïse - est ressuscité des morts, il a opéré nombre de guérisons et de prodiges ". D'autres disaient qu'il était un envoyé de Dieu. Pourtant, en bien des choses, il désobéissait à la Loi et n'observait pas le sabbat suivant la coutume des ancêtres. D'autre part, il ne faisait rien de honteux et n'agissait pas avec ses mains ; la parole était son seul instrument. Bien des gens du peuple le suivaient et écoutaient son enseignement ; bien des âmes étaient émues dans la pensée que les tribus juives pourraient, par lui, être affranchies du joug romain. Il se tenait d'ordinaire devant la ville, sur le mont des Oliviers, et c'était là qu'il opérait des guérisons. Autour de lui il avait cent cinquante disciples et une multitude de peuple. Ceux-ci, voyant qu'il pouvait accomplir ce qu'il voulait par la parole lui révélèrent leur désir : qu'il entrât dans la ville, tuât les soldats romains et Pilate et régnât sur eux. Mais lui ne nous méprisa pas. Quand les chefs des juifs furent informés de ce qu'il se passait, ils se réunirent avec le Grand-Prêtre. "Nous sommes, dirent-ils, sans puissance et trop, faibles pour résister aux Romains. Mais puisque l'arc est bandé, allons, communiquons à Pilate ce que nous avons appris et nous pourrons être sans souci. Qu'il n'apprenne pas cela par d'autres; car alors nous serions dépouillés de nos biens et nos enfants seraient dispersés". Ils allèrent donc et firent un rapport à Pilate. Celui-ci envoya des soldats et fit tuer nombre de gens. Il fit amener devant lui le thaumaturge et, après enquête, prononça le jugement : " C'est un bienfaiteur et non un malfaiteur ou un rebelle ni un aspirant à la royauté ". Et il le laissa partir car il avait guéri sa femme mourante. Et il revint là où il se tenait d'habitude et fit ses oeuvres accoutumées. Et plus de gens encore s'assemblèrent autour de lui, il se glorifia encore plus par ses actes. Les docteurs de la Loi dévorés d'envie, donnèrent trente talents à Pilate pour qu'il le mit à mort. Il prit l'argent et les laissa libres d'agir comme ils le voulaient. Ils mirent la main sur lui et le crucifièrent contre la loi des Pères."

Ce texte se heurte évidemment à quelques-unes des objections que j'ai formulées pour les précédents. Une première lecture, sommaire, pourrait faire croire qu'il est nettement pro-chrétiens. Cependant, son contenu apparaît beaucoup plus subtil. Il est évident que son auteur connaissait certains détails de la vie supposée de Jésus qui appartenaient au domaine des légendes qui s'étaient développées dans les milieux chrétiens des second et troisième siècles. Or, par certains détails, on sent bien que l'auteur de ces lignes s'écarte aussi résolument de la figure christique qui s'était alors imposée. Son Christ n'est pas un fils de Dieu, n'est pas le Messie, mais bien un thaumaturge strictement humain. Dès lors, on peut penser que ce texte n'est pas de Josèphe mais bien d'un croyant appartenant à une secte où à un groupuscule religieux marginal. Il aurait été écrit à une date indéterminée dans le sillage logique des polémiques qui foisonnèrent dans les temps qui virent s'imposer le christianisme. Ce long texte n'est donc pas un témoignage historique concernant la vie de Jésus; il indique simplement les polémiques que l'existence prétendue de celui-ci souleva dans certains milieux à une époque déjà lointaine par rapport à l'apparition des premiers textes chrétiens.

Les autres passages de la version slave de Josèphe, que je ne citerai pas et qui concernent Jean-Baptiste et les premiers chrétiens, appellent les mêmes remarques que le long passage qui précède.

En 1971, le professeur Shlomo Pinès, de l'Université Hébraïque de Jérusalem, annonça qu'il avait peut-être retrouvé la version originelle du "Testimonium Flavianum" dans un ouvrage arabe du Xème siècle attribué à Agapius, Evêque d'Hiérapolis en Syrie, et intitulé Histoire universelle. Le texte, différent de celui qu'on connaissait jusque-là, était dit originel parce qu'il ne contenait pas la fameuse profession de foi "Celui-là était le Christ". Certes ; mais il se terminait par la phrase tout aussi suspecte que voici : "Sans doute était-il le Messie sur qui les prophètes ont raconté tant de merveilles." S'il avait écrit cela, Josèphe aurait certainement été chrétien. »

 

 

3° Juste de Tibériade (35-105)

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Juste de Tibériade, historien juif, a vécu au premier siècle de notre ère en Palestine. Son ‘’Histoire des Juifs’’, aujourd’hui perdue, n’a pas non plus parlé de Jésus. Nous le savons par Photius, patriarche de Constantinople au IXième siècle, qui possédait encore l’œuvre de Just. Photius s’étonne de ce silence : « Il ne fait pas la moindre mention de la naissance du Christ ni des événements qui le concernent ni des miracles qu’il a accomplis »

 

? « Après tout, le silence gardé par lui à propos de Jésus pourrait être l'effet d'un pur hasard. Seulement, il se trouve qu'un de ses compatriotes, un certain Juste de Tibériade, qui vivait de son temps et qui écrivit peu après lui, afin de le combattre, un nouveau récit de la guerre des Juifs et un nouvel abrégé de leur histoire, restait également muet sur le même sujet. Ses ouvrages ne sont pas arrivés jusqu'à nous. Mais le patriarche Photius les lisait encore au IX° siècle. Il a laissé sur eux quelques brèves remarques dans un recueil de notes bibliographiques. Or nous y lisons, entre autres choses, que Juste ne fait aucune mention de la venue du Christ, des événements de sa vie, ni de ses miracles.

Photius ne trouve pas d'autre explication d'un silence si choquant que celle des préjugés juifs. Il s'en présente une autre beaucoup plus naturelle. Juste se trouve dans la même situation que Josèphe. S'il n'a rien dit de Jésus, c'est parce qu'il ne savait rien de lui. »

 

? « Cet historien juif palestinien a écrit sur l'histoire des Juifs deux ouvrages aujourd'hui perdus et Photios, le patriarche de Constantinople, qui lisait encore le second au IXe siècle a dit : "Cet historien juif ne fait pas la plus petite mention du Christ, de ce qui lui arriva ou de ses actes extraordinaires."

Comment pouvait-il n'avoir aucune connaissance d'un tel faiseur de miracles constamment suivi par la foule et qui aurait passé sa carrière à la porte d'à coté de la sienne ? »

 

? « Cet historien, né en Galilée au temps de la mort de Jésus, a écrit une Histoire de la Guerre d'Indépendance ainsi qu'une Chronique qui allait de Moïse à Agrippa II, c'est-à-dire jusqu'à l'année 100. Or il n'a pas consacré une seule phrase aux Chrétiens ou à leur héros. Si le christianisme était apparu vers l'an 30, s'il était sorti d'une secte juive de Jérusalem, Juste était obligé de le mentionner même brièvement. Il ne l'a pas fait. »

 

? « Juste de Tibériade qui signa une longue chronique s'étendant de Moïse jusqu'à l'année 100 aurait dû dire un mot des chrétiens s'il les avait connus. Selon Photius, qui au IXème siècle put lire de A à Z l'Histoire de la guerre des Juifs de Juste de Tibériade, aujourd'hui perdue, rien ne s'y trouvait concernant la personne de Jésus ou ses actes prétendus. Le néant. Or les Evangiles nous parlent de foules considérables ayant suivi le Christ, de miracles nombreux opérés aux yeux de tous, de résurrections diverses... Comment Juste de Tibériade aurait-il pu ignorer ces choses ? »

 

4° Les écrits talmudiques

 

_ Thèse catholique : « Le témoignage du Talmud est beaucoup plus tardif, car ce fameux recueil de traditions séculaires ne fut mis par écrit qu'à partir du IIe siècle de notre ère. Il a sa valeur pourtant, car il mentionne assez fréquemment Jésus, quoique ce soit, il est vrai, pour laisser un libre cours à la haine la plus fanatique contre le fondateur du christianisme, et pour le calomnier étrangement. Du moins, cela même démontre que les Juifs d'alors croyaient à l'exis­tence individuelle de Jésus et regardaient la religion chrétienne comme son oeuvre propre.

Dans les passages où il est question de lui, Notre-Seigneur est appelé parfois Jéchou, et le plus habituel­lement « l'homme », « l'insensé », « celui qu'on ne doit pas nommer ». A côté des détails ridicules ou odieux qu'on raconte sur lui, on trouve aussi des traits vraiment historiques, tels que le nom de sa mère, son origine royale, son séjour en Egypte, ses miracles, son antagonisme contre les traditions juives, son supplice pendant la fête de Pâque, etc. »

 

_ Réponse rationaliste :

 

? « Parmi les références les plus fréquemment citées comme preuves historiques figurent quelques passages tirés du Talmud Juif. Ce document rappelons le comprend deux parties : Le Mishna (texte) et le Gemara (commentaires); le premier aurait été codifié vers le 2ème siècle et rédigé pour la première fois vers le 5ème siècle, la deuxième partie daterait aussi de cette période. Dans son livre "Evidence that demands a Verdict" McDowell considère que les références incertaines se rapportant à Jésus de Nazareth constituent des preuves indépendantes de l'historicité du fondateur du christianisme. En fait les passages concernés racontent tous « des anecdotes » assez éloignées du récit biblique :

-    Yeshu (Jésus ?) est pendu la veille de Pâques après avoir été lapidé pour cause de sorcellerie ? Il a cinq disciples : Matthai, Nakai, Nezer, Buni, et Todah (Sanhedrin 43a)

-    Ben Strada est pendu la veille de Pâques en Lydie (Sanhedrin 67a)

-    Balaam est mis à mort par décapitation ou strangulation ou lapidation ? à l'age de 33 ans (Sanhédrin 106b)

-     Jesus doit fuir en Egypte sous le règne du roi Janas ? Il pratique la magie (Sanhedrin 107b) Ces quelques références éparses semblent s'inspirer du Nouveau Testament (largement diffusé à l'époque de la rédaction du Talmud) en y ajoutant des passages ou des allusions à d'autres mythes. Il n'existe pas à proprement parler de témoignage indépendant des sources chrétiennes.

Dans le paradigme mythique il est plus que vraisemblable que des variantes du mythe fondateur ont du exister à une époque très reculée dont le Talmud se ferait l'écho ce qui expliquerait les différents récits qui nous sont parvenus et qui demeurent incompréhensibles à la lumière des autres paradigmes. »

 

? « Après cela, que reste-t-il de la tradition juive ? Les seuls témoignages qui aient pu être encore invoqués sont ceux que fournit le Talmud. Mais ceux-là sont trop tardifs et trop inconsistants pour pouvoir être utilisés comme documents historiques. Ils se bornent d'ailleurs à quelques phrases très vagues et très confuses.

Tous les détails qui s'y trouvent apparaissent comme des caricatures de l'Evangile. Ils tendent à montrer que le prétendu fils de Dieu est un homme d'origine impure, né d'une Juive et d'un soldat romain appelé Panthéra, que les miracles qu'on raconte de lui sont dus à la magie, c'est-à-dire à l'intervention des démons, que c'est à juste titre qu'il fut condamné à mort, pour avoir voulu séduire le peuple juif et le pousser à la révolte, enfin que, dans le jugement rendu contre lui, les règles du droit furent strictement observées.

Ces procédés de polémique antichrétienne passèrent des Juifs aux Hellènes. Au début du III° siècle, Celse en faisait un grand usage. Il raillait le fils de Panthéra. Mais Panthéra n'est sans doute qu'une parodie due à quelque rabbin, du grec parthenos, « vierge », appliqué par l'Evangile à la mère du Christ. Nous n'avons là qu'un mauvais et méchant jeu de mots. »

 

? « Bien que le volume des écrits religieux destinés spécialement aux juifs soit important, on y trouve très peu de chose touchant à la personne et à la divinité de Jésus. C'est à tort, par exemple, que les docteurs de Tibériade ont voulu identifier à Jésus un certain Ben Stada dont il est question dans le Talmud. Ce Ben Stada semble avoir été un faux prophète et un trublion local considéré comme dangereux. Le Talmud contient également quelques moqueries tardives, contre Jésus, basées sur des jeux de mots. Cela ne constitue même pas un début de légende (la mère de Jésus aurait alors été considérée comme une coiffeuse). Tout cela est sans aucun intérêt, sauf au point de vue de l'histoire de l'antagonisme qui apparut entre chrétiens et juifs dès les premiers siècles de notre ère. D'autres passages existent encore; mais ils semblent bien, à chaque fois, avoir été écrits pour répondre, en quelque sorte, aux affirmations des premiers chrétiens. En fait, tous les commentaires qui figurent dans les textes religieux juifs concernant Jésus visent à dénigrer les prédications des premiers chrétiens et ne s'intéressent pas réellement à examiner l'historicité réelle ou non du fondateur de ce qui devait alors être regardé comme une "secte concurrente". Ce n'est donc pas dans ces textes, partisans, qu'il faut espérer trouver des informations sûres touchant à la vie terrestre prétendue de Jésus-Christ. Jacques Moreau qui s'est longuement penché sur ces témoignages, a conclu qu'ils établissent tout de même l'existence d'un homme qui accomplit des miracles et qui enseigna en se moquant des docteurs sans toutefois avoir voulu rien changer à la Loi. Cet homme, toujours selon Jacques Moreau, avait cinq disciples et aurait été crucifié à la veille de Pâques. Ensuite, ses disciples auraient opéré des guérisons en son nom. Ces textes, dit Jacques Moreau, ruinent définitivement les thèses des mythologues qui affirment que Jésus n'a pas existé en tant qu'homme. Jacques Moreau n'oublie qu'une chose : c'est le poids écrasant du silence qu'un grand nombre d'auteurs ont gardé au sujet de Jésus et des faits contés par les textes chrétiens dont ils furent contemporains. Avant de citer tous ces "auteurs silencieux", je voudrais dire encore un mot d'un texte juif : le Tol'doth Yeshou (littéralement : La généalogie de Jésus). Sous sa forme hébraïque la plus ancienne, ce texte n'est pas antérieur au Xème siècle. C'est dire que sa valeur, en guise de témoignage historique sur l'existence du Christ est nulle. Si j'en parle, c'est uniquement pour préciser qu'il contient un tissu de fables sur Jésus, lesquelles furent empruntées aux écrits religieux juifs plus anciens pour être ensuite démesurément enflées. Au XVIIIème siècle, on imaginait encore que cet ouvrage était très ancien et l'on était même tout près d'admettre qu'il contenait des choses plus sensées que les Evangiles ! »

 

 

III] Inconsistance des témoignages chrétiens

 

 

(De Prosper Alfaric :) « De toute façon, nous arrivons à conclure que les seuls garants du Christ sont les chrétiens. Que vaut leur garantie ?

Pour nous en rendre compte, il nous faut passer en revue les documents principaux sur lesquels s'appuie leur tradition.

 

Les Évangiles

 

Les plus importants, pour la question qui nous occupe, sont bien les Évangiles. C'est sur eux principalement et presque uniquement que s'est réglée l'idée courante qu'on se fait de Jésus. Il importe donc avant tout de savoir quelle créance il faut leur accorder.

Tout le monde est d'accord pour répudier ceux qui ne font point partie du recueil scripturaire, et que pour ce motif on désigne, bien à tort, sous le nom d'« apocryphes », comme si les autres ne l'étaient point et appartenaient sûrement aux auteurs dont ils portent les noms. Seuls les quatre évangiles qui ont été adoptés par l'Eglise entrent en ligne de compte. Ceux-là passent, aux yeux des croyants, pour n'enfermer aucune erreur. Autant les récits e apocryphes » de l'enfance ou de la vie du Christ sont aisément jetés par-dessus bord, autant ceux qui portent l'estampille canonique bénéficient d'un accueil favorable.

Rien pourtant ne justifie, au regard de la pure critique, ce traitement de faveur. Les évangiles officiels n'offrent pas plus de garantie que les autres.

Leurs auteurs n'écrivent point pour raconter des faits bien constatés, mais pour prouver certaines thèses d'ordre théologique. Chacun veut établir, par une série d'arguments bien choisis, que Jésus n'est pas un homme ordinaire, mais un être divin, qui a paru ici-bas sous une forme humaine pour faire la volonté du Père céleste et pour ramener à lui les âmes pécheresses. Aussi parlent-ils avec insistance des merveilles réalisées par lui.

Les faits qu'ils racontent sont les plus étranges, les plus fantastiques qu'on puisse concevoir. Aveugles qui voient, sourds qui entendent, paralytiques qui se meuvent, possédés de qui les démons sont expulsés, malades qui guérissent soudain, agonisants qui redeviennent pleins de vie, morts qui ressuscitent, tels sont leurs thèmes habituels. Nous sommes là en pleine mythologie.

Sans doute la réalité peut se mêler à la fiction. Mais, pour l'en dégager, il faut user d'une critique minutieuse. Plus le merveilleux abonde dans un récit, plus nous devons nous montrer défiants à l'égard des faits même les plus simples et les plus naturels qui s'y trouvent associés. En pareille occurrence le doute méthodique s'impose.

Pour ajouter foi aux évangélistes, même en ce qui concerne leurs affirmations les moins invraisemblables, il nous faudrait savoir sur quoi se fonde leur témoignage, quels moyens ils ont eus de se renseigner, jusqu'où est allée leur curiosité, dans quelle mesure ils ont été soucieux d'exactitude et de précision. Mais tout cela nous échappe. Nous ne savons sur eux à peu près rien. Nous ne connaissons pas même leurs noms, car ceux de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean, par lesquels on les désigne d'ordinaire, ne sont aucunement garantis et paraissent également fictifs.

En quelle ville, en quel pays ces gens vivaient-ils ? Nous ne pouvons faire, à ce sujet, que des hypothèses assez fragiles. Mais il paraît certain que tous se trouvaient loin du théâtre des événements qu'ils racontent. Tous sont étrangers à la Palestine, dont ils ne possèdent qu'une connaissance fort vague.

A quelle date, du moins, ont-ils écrit ? La question a une importance capitale. Or, il est très difficile d'y répondre d'une façon précise. Aucun indice bien ferme ne peut être tiré des textes évangéliques, et la tradition ne fournit, en l'occurrence, que des renseignements précaires et tendancieux. Mais un fait s'avère incontestable. Les Évangiles ont été rédigés longtemps après l'époque dont ils parlent. Tous sont postérieurs à l'an 70, car tous font allusion à la destruction du Temple de Jérusalem qui s'accomplit cette année-là, au terme de la guerre des Juifs. Ils semblent même avoir été écrits assez longtemps après, car ils supposent un développement considérable de l'Eglise chrétienne.

On a soutenu assez communément qu'ils ont dû paraître avant la fin du premier siècle, parce qu'ils se trouvent cités ou utilisés dans l'Épître aux Corinthiens de Clément de Rome, et dans le recueil des Lettres d'Ignace d'Antioche. Mais ces documents qui passaient pour avoir été composés peu avant ou peu après l'an 100 se révèlent aujourd'hui bien plus tardifs qu'on ne pensait. Ils n'ont pas dû voir le jour avant l'an 150. C'est dans les décades précédentes, dans la première moitié du II` siècle que les Evangiles se seront constitués. Encore est-il fort probable que des modifications sensibles y auront été apportées dans la suite. Quelle confiance peut-on avoir en des narrateurs qui se trouvent si éloignés des temps comme des pays dont ils parlent ?

Encore, s'ils s'accordaient entre eux, la convergence de leurs affirmations pourrait nous en imposer. Mais ils divergent fréquemment sur des points de première importance. Et l'on sent que ces divergences sont voulues, qu'elles répondent à des idées préconçues. Chacun ajoute ou retranche quelque chose au rapport de ses devanciers, chacun le modifie à son gré, pour l'adapter à ses propres vues.

Dans ces conditions, l'on ne peut les accepter en bloc et fondre leurs témoignages ou les ajuster bout à bout. Il faut faire un choix. Pour lequel d'entre eux nous prononcerons-nous ?

Les critiques indépendants sont de plus en plus d'accord pour sacrifier le quatrième Evangile. Beaucoup de ses parties sont des rédactions tardives, qu'un scribe anonyme y a introduites, pour corriger sa tendance première, jugée hétérodoxe. L'exposé primitif présente un caractère trop nettement doctrinal, il se subordonne trop étroitement à la théologie du Verbe divin, il est trop pénétré de symbolisme, jusqu'en ses moindres détails, pour qu'on puisse le considérer comme un témoignage objectif et digne de créance.

Les trois autres évangiles, qu'on est convenu de désigner sous le nom de « synoptiques », forment un groupe à part. Ils représentent, pour mieux dire, une sorte de chaîne, suspendue à un premier anneau. Matthieu dépend de Luc, qu'il arrange et corrige par endroits. Luc lui-même, en sa forme actuelle, reproduit et complète, afin de l'amender, un récit plus ancien, que Marcion utilisait vers 140, et dont M. Couchoud vous a entretenus ici même dans une conférence récente. Le premier Luc, à son tour, comme son continuateur et comme Matthieu, me paraît dépendre directement de Marc. Des trois premiers évangiles, c'est le second dans l'ordre canonique qui est le plus ancien. C'est de lui que les autres procèdent.

Aussi est-ce sur lui que les défenseurs de la tradition s'appuient de préférence. Ils vantent le naturel, le pittoresque, la précision et la variété de son récit. En réalité, il est difficile de trouver une oeuvre plus artificielle, plus dépourvue de valeur historique. Aucun des épisodes rapportés par Marc n'est suffisamment garanti pour inspirer confiance. Aucun ne peut être tenu pour historique.

 

Les Epîtres pauliniennes

 

A mesure que le terrain évangélique se dérobe, les défenseurs de la tradition se rabattent sur le recueil des Epîtres de Paul. L'apôtre est bien plus proche des origines du christianisme qu'aucun de nos évangélistes. Il n'a point tenté d'écrire une vie du Christ. Les renseignements qu'il nous donne sur lui, étant plus indirects, peuvent paraître, pour cela même, plus dignes de créance.

Examinons son témoignage de plus près. Nous constatons, d'abord, que beaucoup des textes qui lui sont attribués ont été écrits longtemps après sa mort.

La plus vieille édition de ses Lettres est celle de l'Apostolikon, qui était utilisée à Rome, vers 140, par Marcion, au cours de ses controverses théologiques, et qui devait donc être d'un usage courant dans les milieux chrétiens. On a pu la reconstituer en substance grâce aux indications fournies à son sujet par les adversaires de l'hérésiarque. Elle différait beaucoup de celle qui a prévalu dans l'Eglise. Les Epîtres à Timothée, à Tite, aux Hébreux ne s'y trouvaient point. Encore celles qui en faisaient partie étaient-elles plus courtes qu'aujourd'hui.

L'étude comparée des textes montre clairement, quoi qu'on en ait dit, que les morceaux qui manquaient n'ont pas été retranchés par Marcion d'une collection plus ancienne, mais qu'ils ont été ajoutés après coup par l'Eglise. Or c'est dans ces fragments additionnels que se présentent les indices les plus nets dont on se sert pour prouver, d'après Paul, que Jésus a réellement existé.

On y voit que le Christ est « né d'une femme et sous la Loi » (Gal., IV, 4), qu'il est « de la semence de David selon la chair » (Rom., I, 3), qu'il « a sous Ponce Pilate attesté la bonne confession » (I Tint. VI, 13), que son « frère » Jacques fut rencontré par Paul à Jérusalem en compagnie de Kephas et de Jean (Gal., I, 19). Rien de pareil ne se lisait dans l'édition utilisée par Marcion.

Ces remarques sont trop tardives pour avoir, une valeur sérieuse. Elles n'ont pu être écrites qu'après l'année 144, où l'Eglise romaine, ayant rejeté l'hérésiarque, se vit amenée par là même à répudier aussi le recueil utilisé par lui et à s'en former un nouveau plus conforme à sa propre doctrine.

Si nous nous en tenons à l'édition ancienne, nous constatons que les renseignements y sont très vagues au sujet de Jésus. Ils se condensent dans cette déclaration de l'Epître aux Philippiens (II, 6-11) :

« Etant en forme de dieu, il ne jugea point de bonne prise de s'égaler à Dieu, niais il se vida lui-même, prenant une forme d'esclave. Etant devenu semblable aux hommes, il s'abaissa lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a exalté et l'a gratifié d'un nom au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse des êtres célestes, terrestres et infernaux, et que toute langue confesse : Seigneur est Jésus-Christ, en l'honneur de Dieu Père. »

Nous sommes ici en plein mythe. L'humanité du Christ n'intervient que comme une apparence factice, un fantôme, dont cet être, divin par nature, a bien voulu se revêtir un jour pour obéir à son père, tandis que tel de ses congénères, dans un sentiment d'ambition révoltée, avait rêvé plutôt de s'égaler au Très-Haut. Pour admettre qu'il s'agit bien là d'un personnage réel, qui s'est montré en chair et en os, il faudrait des faits précis et concluants. L'auteur n'en donne aucun. Il parle de la vie humaine du Christ comme d'un abaissement volontaire, sans dire où et quand elle a commencé, ni comment elle s'est déroulée. Il présente sa mort sur la croix comme un témoignage de sa soumission à la volonté de Dieu et comme le prélude providentiel de son exaltation finale, sans fournir le moindre détail sur les circonstances du drame, qui, pourtant, joue un rôle essentiel dans ce système.

Un seul épisode, celui de son dernier repas, est rappelé ailleurs, dans la première Épître aux Corinthiens (XI, 23-25) :

« Moi, j'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis, que le seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit et dit : « Ceci est mon corps qui est (rompu) pour vous ; faites ceci en ma mémoire », de même aussi la coupe, après le repas, disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance, en mon sang, faites ceci, toutes les fois que vous boirez, en ma mémoire. » »

Le début de ce passage suffit à montrer combien nous aurions tort de le considérer comme un témoignage historique. De qui l'auteur déclare-t-il tenir son information ? Non pas d'un homme, mais du « Seigneur », non pas d'une tradition vivante mais d'une révélation. Cela suffit pour inspirer confiance aux croyants, mais aussi pour mettre en défiance les historiens.

Encore a-t-on conjecturé, avec beaucoup de vraisemblance, que ce texte lui-même n'est pas de Paul. Il cadre trop mal avec le contexte, qui traite, avant et après, des agapes chrétiennes, non de l'eucharistie. Il se contredit lui-même en présentant comme « transmis » déjà par Paul aux Corinthiens un enseignement que ces gens ont bien l'air d'ignorer. L'allusion qu'il fait « à la nuit où Jésus fut livré », s'explique pour le mieux s'il est postérieur à l'évangile selon Marc, où se lit un récit de la Cène plus simple et plus conforme aux vues du narrateur. C'est de lui, en ce cas, qu'il dépend pour les faits rapportés. Il se borne à y ajouter une interprétation rituelle, en expliquant, d'après la révélation reçue du Seigneur, que Jésus engagea ses disciples à renouveler son geste en souvenir de lui.

On a même soutenu que tous les passages connexes des Épîtres pauliniennes, qui exposent le mystère du Christ souffrant et mourant pour le salut des hommes, sont également apocryphes. Ils représenteraient l'oeuvre d'un gnostique postérieur à Paul, qui aurait transposé la doctrine de l'apôtre. Un critique aussi réservé et aussi opposé aux « mythologues » que M. Loisy, s'est expressément rallié à cette thèse.

Que reste-t-il, alors, du témoignage de l'apôtre ? Rien de plus, en ce qui concerne la personnalité de Jésus, que la reconnaissance de son caractère messianique, avec la recommandation pressante de s'attacher à lui, par la foi, pour faire partie, avec lui, du royaume de Dieu. Sa figure humaine s'y confond avec celle du Christ prédit par les prophètes. Elle est aussi insaisissable que celle du fils de l'homme entrevu par Daniel au-dessus des nuées.

 

L'Epitre aux Hébreux

 

 

Ouvrons maintenant l'Epître aux Hébreux, qui a été souvent attribuée, quoique faussement, à l'apôtre Paul, et qui présente une doctrine très archaïque. C'est une vision analogue, malgré de notables différences, qui s'y trouve décrite.

Jésus occupe le centre de la scène. Or, il est présenté avant tout comme le fils de Dieu, qui, « étant un reflet de sa gloire et une expression de sa substance, portant tout par sa parole puissante..., est assis à droite de sa grandeur » et se trouve « d'autant supérieur aux anges qu'il a reçu en partage un nom plus excellent » (I, 3-4).

Quelques vagues allusions sont faites à une manifestation terrestre qui a eu lieu « en cette fin des temps » (I, 2), et au cours de laquelle il a souffert pour le salut des hommes. A ce sujet, une seule précision nous est donnée : « Dans les jours de sa chair (il a) présenté, avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort et (il a) été exaucé à cause de sa piété » (V, 7). Seulement ceci ne s'applique ni à l'agonie au Jardin des Oliviers, ni à la crucifixion au Golgotha, dont parlent les Evangiles. C'est une simple transposition de quelques versets du Psaume XXII, où, en réalité, il est plutôt question d'un juste idéal, qui a invoqué Iahvé dans sa détresse et a été sauvé par lui.

C'est d'ailleurs principalement au Psautier que sont empruntées les autres indications concernant la personne du Christ. Détail curieux, à propos d'un verset du Psaume CX, où il est parlé d'un « prêtre selon l'ordre de Melchisedek », il est dit que ce Melchisedek, « sans père, sans mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours, ni fin de vie », est « pareil au fils de Dieu » (VII, 3). Il résulte de cette constatation que ce fils de Dieu, quand il s'est manifesté parmi les hommes, n'a eu ni père, ni mère, ni ancêtres, ni naissance, ni mort véritable. N'est-ce pas convenir qu'il n'a eu de l'humanité, que l'apparence ?

 

L'Apocalypse

 

Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Cette apparence même d'humanité se montre encore plus lointaine en un autre écrit, également archaïque, du Nouveau Testament. Dans un commentaire très pénétrant de l'Apocalypse, M. Couchoud a récemment montré que, si l'on excepte un petit membre de phrases, incontestablement apocryphe, où on lit que « le Seigneur a été crucifié » (XI, 8), on ne trouve pas à travers tout ce livre un seul détail qui concerne son passé humain.

Jésus se tient au premier plan. C'est lui qui parle au prophète par l'intermédiaire d'un ange. Mais c'est au ciel qu'il réside. Il est près de Dieu, au milieu de son trône, sous les traits d'un « agneau immolé avant la fondation du monde » (XIII, 8), et son sang, offert en sacrifice, purifie et rachète les élus de toutes les nations, comme celui du taureau de Mithra, ou mieux encore comme celui du bélier d'Attis.

A un moment, il change d'aspect, il naît d'une femme et revêt une apparence humaine. Mais sa mère est la vierge céleste, qui a le soleil pour habit, la lune pour escabeau, et sur sa tête douze étoiles pour couronne (XII, 1).

En sa forme nouvelle, il doit descendre du ciel sur la nuée qui, chez Daniel, porte le fils de l'homme. Il passera en Palestine comme le moissonneur et le vendangeur annoncé par Joël. Il parcourra le monde sur un cheval blanc, avec un manteau pourpre, pour faire la chasse à la Bête qui continue l'oeuvre du Grand Dragon et la jeter dans le Lac de feu.

Sa tâche terminée, il reprendra sa forme première, il redeviendra l'agneau divin. Cela ne l'empêchera pas de célébrer ses noces mystiques avec la femme céleste, qui sera ainsi à la fois sa mère et son épouse, comme Cybèle l'est pour Attis.

 

Conclusion mythique

 

De cette mythologie échevelée on chercherait vainement à extraire quelque tradition historique. Il est même fort malaisé de concevoir comment une histoire quelconque aurait pu se perdre en des fictions pareilles.

Cette remarque ne convient pas seulement au voyant de Patmos. Elle s'applique aussi à l'auteur anonyme de l'Épître aux Hébreux, à l'apôtre Paul, à nos évangélistes. Aucun d'eux, semble-t-il, n'a dû recueillir des souvenirs vécus au sujet de Jésus. Quelque chose en serait resté dans son oeuvre et lui aurait donné cette sensation du réel qui lui manque toujours.

Il serait pourtant bien étrange qu'un homme au tempérament assez vigoureux pour fonder une nouvelle et grande religion, n'eût laissé dans la mémoire de ses disciples aucune image précise où l'on pût retrouver ses traits, aucun écho où se prolongeât son accent, aucune marque un peu nette de son activité, aucune trace de son passage. Le caractère fictif des informations fournies sur lui par ses premiers témoins, nous invite à penser que sa personnalité n'est qu'un mythe.

 

La grande Objection

 

La conclusion paraîtrait simple et décisive, s'il était question d'Attis ou de Mithra. Comme il s'agit du Christ, les esprits les plus libres ont peine à l'accepter. Ce n'est pas seulement parce qu'un lourd fardeau d'habitudes et de préjugés millénaires continue de peser sur nous tous. C'est aussi parce que, malgré les exemples fournis par les autres religions, l'on a peine à comprendre qu'un mythe de ce genre ait pu se former et prendre consistance jusqu'à en imposer, pendant tant de siècles, à des millions d'adeptes. »

 

 

IV] La formation du mythe chrétien

 

 

(De Prosper Alfaric :) « Les textes chrétiens nous aident, pourtant, à le comprendre. Ils montrent comment le christianisme est né du judaïsme.

Déjà le nom de « Christ », traditionnellement accolé à celui de Jésus, suffit à le faire entrevoir. On sait qu'il vient du grec « Christos », qui veut dire « oint », comme l'hébreu « massiah » ou « messie ». Dans le langage scripturaire, il désigne le « roi », dont le sacre s'opère par une onction.

Quand la royauté eut sombré avec l'indépendance nationale, les Juifs ne purent se résigner à sa disparition, ils gardèrent le ferme espoir de la voir reparaître. S'appuyant sur les oracles de leurs prophètes et sur l'ensemble de la Bible, qu'ils interprétaient au gré de leurs désirs, ils se dirent qu'un messie, un Christ idéal allait venir, qui régnerait sur eux au nom de Dieu et ramènerait avec le triomphe de la Loi celui de la justice. Ce fut cette espérance qui créa l'Evangile.

Les anciens messianistes se représentaient le chef prédestiné sur lequel ils comptaient comme un autre Josué, qui compléterait l'oeuvre de Moïse, qui triompherait de tous ses ennemis et grouperait le peuple élu autour d'une Jérusalem nouvelle. Or, dans la version grecque de la Bible, qui était utilisée au début de notre ère par beaucoup de cercles juifs et qui le fut couramment par les premiers chrétiens, « Josué » est appelé « Jésus ». Les deux noms sont identiques. Le second est une forme précisée de l'hébreu Ieschua, contraction de Ieoschua, qui veut dire « Iahvé sauve », et dont la signification convenait excellemment au messie.

L'attente de ce Jésus idéal, de ce Christ sauveur était plus répandue et plus vive que jamais au 1er siècle de notre ère. Les Juifs s'y raccrochaient d'autant plus que leur sort avait beaucoup empiré. Les derniers vestiges de leur indépendance s'étaient évanouis, après la mort d'Hérode le Grand. Depuis la déposition de son fils Archélaüs, survenue en l'an 6 de notre ère, la Judée se trouvait rattachée à la province romaine de Syrie et gouvernée par un procurateur. La Galilée gardait une certaine autonomie, sous le gouvernement de son autre fils, Hérode Antipas. Mais ce prince finit par être déposé, en l'an 41. Agrippa, beau-frère d'Antipas, recueillit son héritage, avec celui d'Archélaüs. Beaucoup de Juifs mettaient en lui tous leurs espoirs. Trois ans plus tard, il fut prématurément emporté par la mort. La Palestine entière passa définitivement sous l'autorité romaine. En 67, elle se souleva pour recouvrer l'indépendance. Mais après trois ans d'une lutte inégale, ses troupes furent battues, ses forteresses prises d'assaut, Jérusalem détruite, le Temple anéanti.

A mesure que ces événements se succédaient, les pieux messianistes se rappelaient le célèbre oracle de Jacob, qui se lit vers la fin de la Genèse (XLIX, 10) : « Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni le bâton de commandement d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne Schilo, et que les peuples lui obéissent. » Le mot « Schilo » était difficile à comprendre, et les exégètes discutent encore à son sujet. Mais, précisément à cause de son caractère mystérieux, il fut de bonne heure appliqué au messie. L'auteur de la version grecque des Septante semble l'entendre ainsi, car il traduit : « Il ne manquera pas de chef issu de Juda, ni de souverain sorti de ses membres, jusqu'à ce que vienne ce qui lui est réservé, et lui est l'attente des nations. »

Avec une telle interprétation, l'oracle prenait un sens très net et une importance très grande. La souveraineté devait appartenir à Juda jusqu'à la venue du Sauveur attendu ! Puisqu'elle avait disparu, ne fallait-il pas croire que le Sauveur était déjà venu ? Cette conclusion se trouve nettement formulée, comme une vérité courante, dans la seconde moitié du IIe siècle, par l'apologiste Justin et par l'évêque de Lyon Irénée. Elle dut l'être plus encore aux premiers temps du christianisme, car les computs messianiques préoccupaient alors bien davantage les croyants.

Une confirmation précieuse semblait être fournie par une autre prophétie, également célèbre, inscrite au Livre de Daniel (IX, 24) : « Soixante-dix semaines ont été décidées sur ton peuple et sur la ville de Sion, pour terminer le péché et pour réduire l'injustice. »

Au regard des croyants cette disparition du mal et ce triomphe du bien constituaient l'oeuvre propre du messie. Or, ils lisaient, dans la suite du texte, que « depuis la parole concernant la reconstruction de Jérusalem jusqu'au Christ », il y aurait sept semaines, suivies par soixante-deux autres, puis par une dernière, au cours de laquelle la ville et le sanctuaire seraient détruits par un peuple envahisseur, dont le châtiment ne tarderait pas à venir.

Cette annonce dut être particulièrement méditée après l'occupation romaine, et surtout après la ruine de la capitale et du temple.

C'était, en réalité, un faux oracle, rédigé au temps et à l'occasion d'Antiochus Epiphane. Mais il passait pour avoir été écrit bien plus tôt et pour des événements plus lointains.

Son point de départ, la « parole concernant la reconstruction de Jérusalem », pouvait s'entendre d'un édit d'Artaxerxès 1er mentionné dans le livre de Néhémie (II, 1-8). Les soixante-dix semaines dont il parlait ne pouvaient se prendre au sens usuel, car elles n'auraient donné qu'un total de quatre cent quatre-vingt-dix jours et le messie aurait dû paraître depuis des siècles. On expliqua qu'elles étaient de sept années, ce qui donnait un total de quatre cent quatre-vingt-dix ans. La marge se trouvait ainsi bien plus large.

Pourtant elle avait fini par être remplie vers le temps même où sombrait l'indépendance juive.

Les apologistes chrétiens l'ont fait remarquer de bonne heure et avec insistance. Déjà Paul, ou l'auteur quel qu'il soit qui écrit sous son nom, s'inspire apparemment du texte de Daniel, dans un passage de l'Epître aux Galates (IV, 4), où il fait observer que « Dieu envoya son fils... quand fut rempli le temps ». « Le temps est rempli », telle est la première parole qui est mise dans la bouche de Jésus par le plus ancien évangile. Telle doit être aussi la première idée qui est venue à son sujet dans l'esprit des chrétiens, celle qui a provoqué l'éclosion de leur foi. C'est du jour où elle s'est imposée à eux que le Christ idéal a commencé de prendre corps, que le verbe s'est incarné au regard des croyants.

Une difficulté se présentait. Comment le messie a-t-il pu apparaître sans qu'on y ait pris garde ? Pour les gens qui raisonnent, l'objection est insoluble. Elle ne le semble point à ceux qui croient. Leur foi y trouve, au contraire, un stimulant. Elle se nourrit des contradictions qui, en pure logique, devraient causer sa ruine.

Les chrétiens se sont toujours dit, sans doute se dirent-ils dès l'origine que, si le Christ n'a pas été reconnu par ses contemporains, c'est qu'il ne devait pas l'être.

Différents textes de la Bible pouvaient témoigner en ce sens. Un, surtout, s'imposa. Au chapitre LIII du recueil d'Isaïe, écrit à la fin de la captivité, il est parlé d'un « serviteur de Iahvé », ou plutôt, d'après la traduction grecque, d'un « enfant de Dieu », qui a été méconnu des hommes, humilié, méprisé, outragé, persécuté par eux, châtié, quoique innocent, pour les coupables, conduit comme un agneau à la boucherie, enlevé de la terre des vivants et mis au tombeau, mais ensuite exalté par Dieu, dans la mesure même de ses humiliations, et appelé par lui à répandre sa connaissance et à faire triompher la justice.

Le texte est symbolique et figure le peuple juif qui vient de souffrir étrangement et qui a failli disparaître, mais à qui l'édit libérateur de Cyrus fait entrevoir une belle revanche. Comme sa signification première était oubliée, les chrétiens, dès l'origine, l'entendirent du Christ. Ils interprétèrent dans le même sens les textes analogues d'Isaïe et des autres prophètes, comme aussi ceux des Psaumes et du livre de la Sagesse, où l'on voit un juste, ou un sage idéal maltraité, bafoué par les pécheurs et les insensés, livré par eux à une mort ignominieuse et cruelle, mais délivré par le Père céleste en qui il a mis sa confiance. Un recueil de ces témoignages messianiques, ou censés tels, se constitua de bonne heure, pour les besoins de la nouvelle foi. Il groupait sous certaines rubriques, comme les compilations analogues du III° et du IV° siècle qui en sont dérivées, les passages de la Bible où l'on croyait découvrir l'image anticipée du Christ sauveur. Par là se trouva préparée l'esquisse d'une première vie de Jésus. Les évangélistes ne firent que l'adapter aux besoins des générations nouvelles en transposant sur le plan historique ces diverses traditions prophétiques, en racontant comme arrivé ce qui semblait avoir été prédit.

Les oracles autour desquels s'était d'abord cristallisée la foi messianique et qui montraient le libérateur du peuple élu triomphant par l'épée de tous ses ennemis, n'en subsistaient pas moins. On les neutralisa en les spiritualisant, grâce à une interprétation symboliste et en reportant leur échéance à un second avènement du fils de Dieu, qu'on se représenta revenant du ciel en sa gloire pour juger la terre entière. La vision fulgurante de l'Apocalypse johannique s'estompa en une perspective de plus en plus lointaine à travers les récits des évangiles synoptiques.

 

Comment le mythe chrétien a triomphé

 

Ainsi dégagé de ses premières attaches, le Christ ne fut que plus cher aux Juifs pieux, qui attendaient dévotement la « consolation d'Israël », et qui la voyaient dans le triomphe spirituel de leur foi bien plus que dans les combats meurtriers d'un Judas Macchabée. Ces croyants mystiques étaient surtout nombreux hors de la Palestine, dans la « gentilité », où les souvenirs du royaume de David étaient bien moins vivants et où la puissance impériale se faisait mieux sentir et apprécier. C'est chez eux que Jésus trouva ses meilleurs partisans.

Par eux, grâce à des apôtres tels que Paul, il put gagner l'innombrable clientèle des « prosélytes », helléniques ou romains, qui se groupaient un peu partout autour des synagogues, et qui, séduits par la haute moralité des docteurs de la Loi mais rebutés par l'étroitesse de leur nationalisme, pouvaient, avec lui, retenir l'une sans se soucier de l'autre.

Pour atteindre la masse des gens rebelles à l'influence juive, il lui fallait prendre une forme appropriée à leurs aspirations, plus foncièrement humaine. La tradition gnostique l'y aida. Dès le premier siècle, elle enseignait, en des sectes diverses, que l'âme humaine vient de Dieu, que, par suite d'un péché originel qui causa sa chute, elle se trouve enlacée ici-bas par les liens de la chair, qu'elle ne saurait s'en dégager par ses propres moyens, mais qu'un fils de Dieu, prenant une apparence humaine, est venu l'aider à en sortir, en lui montrant d'où elle procède et où elle doit retourner pour trouver le bonheur. Telle est l'idée que les simoniens, par exemple, se faisaient de Simon, en qui leurs adversaires ne virent qu'un « magicien ». Telle fut celle que les chrétiens se formèrent du Christ. C'est d'elle que s'inspire la seconde rédaction des Epitres pauliniennes, celle où l'on a dénoncé l'oeuvre apocryphe d'un gnostique anonyme.

Dès lors, Jésus ne fut plus seulement le juste souffrant du second Isaïe, mais le maître de ceux qui souffrent, le révélateur de la sagesse, la « lumière du monde ». Par là, il ressembla doublement aux dieux sauveurs des autres religions de mystère, qui s'offraient originairement à leurs adeptes comme des compagnons d'infortune, et à qui leurs théologiens avaient progressivement décerné un brevet de haute science. Cette ressemblance même fit qu'il put s'approprier aisément tout ce que chacun lui offrait de meilleur et lui faire ensuite une concurrence sérieuse.

D'autre part, il avait sur eux un avantage considérable. Tandis que Mithra, Osiris, Attis, Adonis et leurs pareils ne se situaient dans aucune époque historique et semblaient remonter aux premiers âges de l'humanité, Jésus se présentait comme un contemporain. Les biographes insistèrent sur ce point et donnèrent des détails précis qui allèrent en se multipliant. Comme sa venue se plaçait, d'après les calculs messianistes, vers la fin de l'indépendance juive, c'est-à-dire dans les derniers temps de la dynastie hérodienne, il fut expliqué, chez Marc et ses imitateurs, qu'elle avait eu lieu sous le gouvernement de Pilate, tandis qu'Hérode Antipas était encore tétrarque de Galilée. Comme le Christ s'identifiait, au regard des croyants, avec le juste idéal des Psaumes, qui parle de ses parents et de ses proches, certains s'enhardirent jusqu'à donner les noms de sa mère, de son père et de ses frères, qu'ils empruntèrent aux livres mosaïques. Les premiers propagandistes de la foi nouvelle, Pierre, Jacques et Jean, qui avaient été rencontrés par Paul à Jérusalem, furent présentés comme des compagnons et disciples de Jésus. Comment se défier de témoignages si proches et si autorisés ?

On y songeait d'autant moins que bien peu de gens étaient alors en mesure d'en faire la critique. Ils n'en éprouvaient pas seulement le besoin. La crédulité générale était sans bornes. Voyez où en étaient les dirigeants de l'opinion. Paul, notre plus ancien témoin du christianisme, parle de ses visions et de ses révélations. Il affirme avoir été ravi jusqu'au troisième ciel et avoir entendu des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de prononcer. Marc, l'auteur de notre plus ancien évangile, raconte gravement qu'une légion de démons fut chassée par Jésus du corps d'un possédé à Gérasa, qu'il alla se jeter dans un troupeau de porcs qui pâturait dans le voisinage et le précipita dans la mer. Les gens qui écrivaient ou qui lisaient cela n'étaient point en mesure de discuter la valeur d'une affirmation, ou l'authenticité d'un texte.

Ils s'en souciaient, d'ailleurs, fort peu. Les chrétiens croyaient simplement au Christ dans la mesure où ils entrevoyaient en ce qui était dit de lui une réponse à leurs préoccupations intimes, un remède à leurs maux. Or, tous les évangiles, qu'ils fussent de Marc, de Luc, de Matthieu ou de Jean, le leur présentaient sous le jour le plus attrayant. Chez tous, Jésus apparaissait comme un dieu très grand et très bon, qui s'était fait semblable aux hommes pour mettre fin à leurs souffrances, qui savait lire au fond des coeurs, et qui, d'un mot, pouvait guérir les pires infirmités. On l'avait vu s'apitoyer sur la foule, et, pour la nourrir, multiplier des pains dans le désert. Il ne demandait à ses disciples qu'à croire en lui. En échange de cette foi il leur assurait une vie éternelle de bonheur. Comment la masse des pauvres gens, accablée de misère et rongée d'inquiétude, n'aurait-elle pas été attirée vers lui et ne lui aurait-elle pas accordé sa confiance ?

Le succès qu'obtinrent les missionnaires de Jésus n'est donc pas plus singulier que celui qu'avaient rencontré les représentants des autres dieux sauveurs. Il est du même ordre et tient aux mêmes causes. Il s'explique fort bien, sans l'apparition soudaine d'un homme suréminent, par l'effort continu d'ouvriers anonymes qui ont donné une forme concrète à l'idéal mystique de la masse croyante.

Ce n'est pas le Christ qui a fondé le christianisme. C'est plutôt le christianisme qui a élaboré progressivement la figure du Christ. »

 



[1] Pour la réponse rationaliste, nous avons emprunté des extraits aux ouvrages suivants :

Georges Ory, Le Christ et Jésus, Les Editions du Pavillon, 1968.

Marc Hallet, Les origines mythiques du christianisme, auto-édition, 2003.

Prosper Alfaric, Jésus a-t-il existé ?, Cahier Rationaliste n°14, mai 1932.

Gaspard Angeleri, Jésus, mythe ou réalité historique ?, conférence Libre Pensée.

Paul-Eric Blanrue, Jésus, info ou intox, Cercle Zététique.

Patrick Dupuis, l’Enigme Jésus.