Saints et Saintes
apocryphes
1) Sainte Catherine d’Alexandrie
On sait que Jeanne d’Arc avait un
« conseil » composé de « Monseigneur saint Michel et de Mesdames
sainte Catherine et sainte Marguerite ». Elle a vu chaque jour ces
puissances célestes, magnifiquement parées. Elle les a touchées, elle a
« embrassé leurs genoux » selon la mode du temps. Elle leur a parlé
et en a reçu des directives. Elle a toujours attribué ses victoires à
l’intervention de ses guides.
Nous ne parlerons pas, et pour cause, de l’existence
de saint Michel, celle de sainte Marguerite est déjà plus suspecte. Rabelais
traite sa vie de « cafarderie ». Mais pour sainte Catherine la cause
est jugée sans appel.
Le premier Jean de Lannoy (1603-1678), docteur en
Sorbonne, le « dénicheur de saints » prouva que sainte Catherine
n’avait jamais existé.
Peu après l’Irlandais Henry Dodwell
dans son « de Paucitate Martyrum »
acheva cette démonstration.
Les travaux modernes n’ont pu que confirmer l’erreur
des premiers siècles. Citons Jean Mielot dans sa
« Vie de sainte Catherine » (1881), les travaux de Mgr Duchesne in
« Origines chrétiennes » et enfin ceux de divers bollandistes.
Aujourd’hui aucun prêtre instruit ne croit à l’existence de sainte Catherine
d’Alexandrie et aux actes de son martyre. Il s’agit d’une pure légende.
Malgré cela Jeanne d’Arc a vu la pseudo sainte des
centaines de fois, qui lui affirmait être bien sainte Catherine et lui parlait
de son existence terrestre. La divinité se serait-elle plu à la
mystifier ? Notons d’ailleurs que cela n’enlève rien à la grandeur de la
tâche de la sainte et à l’admiration que l’on doit avoir pour elle.
Dans tous les cas, on pourrait d’autant plus croire à
une mystification céleste de Jeanne d’Arc qu’elle fut souvent induite en erreur
par ses « voix ». Celles-ci se sont trompées bien des fois. Le fait
est étrange de la part de puissances telles que saint Michel, l’archange
vainqueur du démon, sainte Catherine si renommée à l’époque et sainte
Marguerite vénérée un peu partout.
Ces erreurs flagrantes ont fâcheusement impressionné
les juges ecclésiastiques de la Pucelle, alors qu’ils étaient déjà bien mal
disposés en sa faveur.
Citons quelques exemples. Les voix, au dire de Jeanne,
lui avaient promis qu’elle délivrerait le duc d’Orléans, ce qui ne s’est pas
réalisé. Elles lui avaient dit : « Avant qu’il soit sept années,
les Anglais laisseront un plus grand gage qu’ils n’ont fait devant Orléans. Ils
perdront toute la France. » Cela en mars 1431. Or, le 19 octobre 1453,
soit 22 ans plus tard, Bordeaux tombait et la prophétie était réalisée avec 15
ans de retard.
Les voix lui avaient encore dit dans la tour de Beaurevoir qu’elle serait délivrée mais après avoir vu le
roi d’Angleterre. Elle ne le vit jamais.
Enfin, elles lui annoncèrent qu’elle entrerait à Paris
avec le roi, ce qui n’eut pas lieu. On le constate, les erreurs s’accumulent et
nous ne les connaissons certainement pas toutes.
Une histoire analogue est celle de sainte Philomène.
Le curé d’Ars qui mena une vie ascétique et fut récemment canonisé, était en
rapports constants avec la Vierge, les saints et même le démon. Celui-ci lui
jouait de mauvais tours, tapait violemment à sa porte, l’empêchait de dormir,
l’injuriait grossièrement. Mais il ne pouvait rien contre le vénérable prêtre
qui appelait à son secours les puissances du Ciel et surtout sainte Philomène
pour laquelle il avait une dévotion particulière. Cette sainte lui apparaissait
fréquemment, se nommait, guérissait les malades par son intermédiaire.
Qu’était-ce donc que cette sainte Philomène ?
En 1802 on retira de la catacombe de Priscille à Rome
le corps d’une jeune fille, enfermé dans un loculus
avec cette inscription : LVMENA/PAXTE/CVUMFI
On n’hésita pas à supposer que les trois larges
briques de cette épitaphe avaient été interverties par mégarde et à lire :
PAX TECUM FILVMENA
On avait retrouvé le corps d’une sainte martyre dont
le culte devint vite très populaire.
Or, M. Orazio Marucchi
établit les principes archéologiques en cette matière. On savait déjà que les
« fossores », à court de plaques pour
fermer de nouveaux loculi, s’étaient servi de celles
provenant de tombeaux plus anciens, surtout païens. Ils les retournaient et
inscrivaient le nom du dernier défunt sur la face intacte. La pénurie devenant
plus grande, le renom des défunts moins notoires, ils se bornèrent à placer sur
des tombes différentes, les briques ou plaques de l’épitaphe primitive ou à les
disposer sans suite, comme dans le cas de sainte Philomène.
Les fossores voulaient avertir
les fidèles que le corps renfermé dans la tombe n’était point celui du défunt
dont le nom était encore lisible sur la plaque, mais celui d’un chrétien obscur
qui n’aurait point d’épitaphe.[1]
La conclusion rigoureuse de ces principes est que le
corps découvert en 1802 n’était point celui d’une certaine Filumena,
mais d’une chrétienne ayant vécu au IVe siècle, époque où le mode d’inhumation
ci-dessus fut en usage.
On pouvait déjà s’étonner qu’une épitaphe en trois
mots eut pu donner matière à toute une littérature hagiographique (M. Marchant Fereira a écrit 628 pages sur sainte Philomène, la
thaumaturge du XIX) siècle) : il faudra désormais supprimer même le nom
qui en a été l’occasion.[2]
Et pourtant la sainte continue à avoir de nombreux
dévots et à faire des miracles, ainsi qu’en témoignent les ex-voto que l’on
peut voir dans l’église d’Ars, tapissant sa chapelle. Ceci au grand scandale
des âmes pieuses et renseignées.
Le 13 janvier 1837, le Pape Grégoire XVI avait élevé
la petite Philomène aux honneurs de l'autel, et confirmé le rescrit de la
Congrégation des Rites par un décret solennel. Elle est donc selon l’Eglise
bien Sainte pour l'éternité.
Devant l'incertitude planant sur son existence
historique, en 1961, la Sacrée Congrégation des Rites a rayé cette fête du
calendrier, supprimant ainsi l'Office propre avec Messe décrété le 11 janvier
1855 par le Pape Pie IX.