Réfutation du Catéchisme
Par l’abbé Joseph Turmel, éditions de
l’Idée Libre, 1929.
Mort et Résurrection du Christ.
Celui qui veut porter un jugement
motivé sur le dogme catholique, doit commencer par en acquérir une connaissance
exacte, sous peine de s’exposer à attribuer à l’Eglise romaine des
enseignements qui ne sont pas les siens. Il importe donc d’avoir sous la main
un livre contenant la doctrine imposée d’office aux catholiques par la
hiérarchie romaine.
Ce livre existe. Il s’appelle le
catéchisme. On met ici sous les yeux du lecteur les textes du catéchisme
reproduits en caractères italiques, et on fait suivre chaque texte des
observations qu’il comporte. Ces observations écrites en caractères ordinaires
sont fournies par la raison et par l’histoire.
Je
suis chrétien parce que j’ai reçu le baptême. Et le baptême qui a fait de moi
un chrétien je l’ai reçu par la grâce de Dieu, c’est-à-dire par un don de Dieu,
car c’est un don et le plus grand de tous les dons que d’être chrétien.
Cette grâce du baptême, c’est-à-dire
ce don que le catéchisme déclare si précieux, est possédé par environ 500
millions d’hommes (300 millions de catholiques, 200 millions de protestants et
de grecs). En face de ces 500 millions de chrétiens se trouve au moins un
milliard d’hommes qui ne sont pas chrétiens parce qu’ils n’ont pas été
baptisés. Ceux qui ont reçu le baptême l’ont reçu sans le savoir et sans le
vouloir, car ils ont été baptisés immédiatement ou, en tout cas, peu de temps
après la naissance, alors qu’ils n’avaient pas encore l’usage de la raison. Ils
n’ont donc rien fait pour mériter ce qu’on appelle la grâce ou le don du
baptême. Et les hommes deux fois plus nombreux qui n’ont pas reçu le baptême ne
l’ont pas refusé. Ils ne sont pas baptisés uniquement parce qu’ils n’ont jamais
entendu parler du baptême et que personne ne s’est présenté pour le leur
administrer. Les enfants ne sont pour rien dans la conduite de leurs parents
qui leur ont fait administrer le baptême ou les ont laissés sans baptême. Et
les parents eux-mêmes se sont conformés inconsciemment à la coutume de leur
pays.
Si c’est Dieu qui a procuré aux
chrétiens la grâce du baptême, c’est lui aussi qui a refusé cette grâce aux
non-chrétiens. Le Dieu qui fait les chrétiens a donc des préférences qui ne
sont pas motivées par des mérites. Il accorde ses faveurs à quelques-uns et les
refuse au plus grand nombre, sans que les premiers soient plus dignes que les
autres, mais uniquement parce que cela lui plaît.
Sa règle de conduite est
l’arbitraire, le caprice. Et comme le caprice est une des formes de
l’injustice, le Dieu qui fait les chrétiens n’a pas le sens de la justice, il
est foncièrement injuste. Or la justice est l’une des qualités essentielles que
doit posséder un Etre souverainement parfait. Le Dieu qui fait les chrétiens
manque d’une des perfections essentielles que notre raison réclame chez un Etre
souverainement parfait. Il n’est qu’un faux dieu.
Pour
être chrétien il faut encore croire et pratiquer la doctrine chrétienne qui est
contenue dans l’Ecriture sainte et dans la Tradition.
Ce que le catéchisme appelle Ecriture
sainte, c’est la Bible. Il donne à la Bible le nom d’Ecriture sainte, pour nous
faire croire qu’elle a été écrite sous l’inspiration de Dieu et que ses
enseignements viennent de Dieu. En réalité, la Bible a été, en partie, écrite
par des imposteurs, et là même où elle n’est pas le produit de l’imposture,
elle contient de nombreuses erreurs. La Bible a une grande valeur au point de
vue littéraire ; mais, comme livre historique, elle ne mérite qu’une
confiance très limitée.
Quant à la Tradition, ce qu’on appelle
de ce nom, ce sont les dogmes qui constituent la doctrine chrétienne. Le
catéchisme prétend que la doctrine chrétienne était, au début du christianisme,
ce qu’elle est aujourd’hui. Il se trompe grossièrement. Nous sommes en mesure
de prouver que la croyance des premiers chrétiens n’avait rien de commun avec
celle des chrétiens de nos jours. La croyance chrétienne a varié au cours des
siècles. Cette variation est la preuve décisive que la croyance des chrétiens
de nos jours ne vient point du ciel. Comme la Bible, elle est le produit en
partie de l’imposture, en partie de l’ignorance.
Il
est nécessaire, pour être sauvé, de connaître au moins les enseignements
principaux de la doctrine chrétienne.
Cela serait nécessaire, si la
doctrine chrétienne venait du ciel comme le catéchisme le prétend. Mais nous
avons la preuve que cette doctrine, même considérée dans ses principaux
éléments, est le produit de l’imposture ou de l’ignorance. Nous ne devons donc
avoir pour elle qu’une indifférence absolue.
Le
symbole des apôtres est une profession de foi qui nous vient des apôtres.
Aujourd’hui l’Eglise enseigne que le
Christ, avant de se faire homme, a créé le ciel et la terre au commencement du
monde. Le symbole des apôtres, au contraire, commence par dire que Dieu le Père
tout-puissant a créé le ciel et la terre ; et c’est seulement après avoir
enseigné la création du ciel et de la terre par le Père tout-puissant qu’il
mentionne Jésus-Christ fils unique de Dieu (Je
crois en Dieu le Père tout-puissant créateur du ciel et de la terre ; et
en Jésus-Christ son Fils unique). Il croit donc que le Christ n’a été pour
rien dans l’œuvre de la création, et il attribue cette œuvre exclusivement au
Père tout-puissant. En cela le symbole des apôtres exprime la croyance des
premiers chrétiens, et il se sépare de l’Eglise actuelle qui a abandonné cette
croyance.
Il s’en sépare sur un autre point.
Car il enseigne que le Christ est devenu fils de Dieu seulement à partir du
jour où la sainte Vierge l’a mis au monde par l’opération du Saint-Esprit. Nous
tous, tant que nous sommes, nous n’existions pas avant de faire notre entrée
dans le monde ; Jésus, lui non plus, n’existait pas avant de naître de la
Vierge Marie. Voilà ce que dit le symbole des apôtres. Selon l’enseignement
actuel de l’Eglise, au contraire, le Christ existait d’une manière invisible
avant de se faire homme. Il existait avant l’origine des temps ; et il
devait nécessairement exister puisque c’est par lui que le ciel et la terre ont
été créés.
Troisième contraste. Selon
l’enseignement actuel de l’Eglise, Dieu est l’Etre infiniment grand en qui il
n’existe aucune limite. Au contraire, à en croire le symbole des apôtres, Dieu,
après avoir recueilli Jésus au ciel, l’a placé à sa droite. Dieu a donc une
droite et une gauche, Dieu est un personnage humain assis au ciel dans un
fauteuil et plaçant près de lui Jésus.
Le symbole des apôtres exprime une
croyance archaïque à laquelle l’Eglise a renoncé au cours des siècles. Il
n’exprime pas la croyance des chrétiens de nos jours qui le récitent sans le
comprendre.
Ce symbole, qui est attribué aux
apôtres, c’est-à-dire aux premiers disciples de Jésus, n’est pas leur œuvre. Il
a été composé à Rome un peu avant l’an 150 de notre ère.
Dieu
est un esprit infiniment parfait, créateur du ciel et de la terre et souverain
Seigneur de toutes choses. Il est un esprit parce qu’il n’a point de corps. Il
est infiniment parfait, parce qu’il possède toutes les perfections et que ses
perfections n’ont pas de bornes. Il est éternel, parce qu’il n’a pas eu de
commencement et qu’il n’aura jamais de fin. Dieu est tout-puissant, parce qu’il
a fait toutes choses de rien. Dieu est partout, Dieu voit tout, Dieu est juste,
Dieu est miséricordieux.
Les perfections divines mentionnées
par le catéchisme forment deux séries dont chacune est inscrite sur un tableau
à part. L’un de ces tableaux est le monde qui nous entoure, que nous voyons
quand nous ouvrons les yeux ; l’autre est l’esprit qui est en chacun de nous.
Ce que nous voyons quand nous
regardons le monde, c’est une énergie immense, éternelle, infinie, insondable.
Ce que nous voyons dans notre esprit, c’est une bonté, une justice, une
intelligence qui toutes trois sont parfaites. Donc énergie infinie quand nous
regardons hors de nous ; bonté, justice et intelligence qui toutes trois
sont parfaites. Donnons à la première série le nom de perfections physiques, et
à la seconde le nom de perfections morales. Il s’agit de savoir si les
perfections morales existent en dehors de notre esprit qui les contemple, ou si
elles existent seulement dans notre esprit, comme les rêves que nous formons
pendant le sommeil. Dans le premier cas, la bonté, la justice, l’intelligence
souveraines s’associent à l’énergie infinie de l’univers ; elles
enrichissent l’énergie, et forment avec elles le Dieu auquel tant d’hommes
présentent aujourd’hui encore leurs adorations. Dans l’autre cas, il n’y a à
exister réellement que l’énergie immense, mais inabordable qui se dresse devant
nous, semblable à un océan où nous ne pouvons pénétrer faute de barque et de
rames.
Le catéchisme enseigne que les
perfections morales existent en dehors de notre esprit, et qu’elles sont unies
aux perfections physiques. Selon lui l’énergie du monde est souverainement
bonne, souverainement juste, souverainement prévoyante ; elle est le Dieu
que les chrétiens adorent.
De cette assertion le catéchisme
donne trois preuves qui sont les suivantes :
Dieu gouverne toutes choses par sa
puissance, sa sagesse, sa bonté, et c’est ce qu’on appelle la Providence.
On prouve l’existence de Dieu par ses
œuvres ; car la raison nous dit que, s’il faut un ouvrier pour bâtir une
maison, il a fallu un créateur pour faire le ciel et la terre.
Les peuples les plus sauvages comme
les plus civilisés ont cru qu’il existe un Dieu.
Voici notre réponse !
1. La preuve tirée de la Providence,
c’est-à-dire du soin que Dieu prend du monde, repose sur une illusion absolue.
Depuis que les hommes existent, il y a toujours eu des peuples massacrés ou
réduits en esclavage par d’autres peuples qui se sont installés à leur place et
qui, eux-mêmes, étaient obligés de quitter leur pays pour ne pas périr de faim.
Chaque jour, des catastrophes petites et grandes (accidents de travail,
tempêtes, incendies, inondations, raz de marée, tremblements de terre, etc.)
anéantissement des familles, des maisons, des villages, des villes, parfois
même de vastes régions. La terre n’est qu’un immense champ de carnage où les
animaux se dévorent mutuellement pour ne pas périr d’inanition. Ce spectacle
affreux est la résultante des lois qui régissent l’univers. Or un Dieu
attentionné au monde n’aurait pas pu permettre un pareil état de choses ;
et, aux lois terribles qui nous gouvernent, il aurait substitué (ce qui lui était
infiniment facile) des lois toujours bienfaisantes. L’hypothèse d’une
Providence est démentie par la présence du mal. Et la preuve de l’existence de
Dieu tirée de son gouvernement ne résiste pas à l’examen.
2. La preuve tirée de l’ordre du
monde n’est pas plus sérieuse.
Une maison n’est pas possible sans un
ouvrier, parce que les pierres qui la composent n’ont pas la propriété de se
superposer elles-mêmes les unes aux autres. Une horloge est dans le même cas,
parce que ses rouages n’ont pas la propriété de s’engrener eux-mêmes les uns
dans les autres. Mais la condition du monde est différente. Les astres qui
évoluent au-dessus de nos têtes n’ont pas besoin d’un secours extérieur pour
procéder à cette opération. Ils l’accomplissent en vertu de l’énergie dont sont
doués tous leurs éléments appelés atomes. C’est dans l’énergie essentielle aux
atomes qu’est le principe de leurs mouvements, de leur éclat, de leur chaleur.
De même les harmonieuses arborescences que la gelée imprime sur nos vitres sont
les produits mécaniques de la cristallisation de l’eau.
La matière vivante est, elle aussi,
essentiellement douée de propriétés qui lui permettent de réagir aux influences
extérieures. Ce qui trompe les observateurs superficiels, c’est que, chez les
animaux supérieurs, les réactions vitales (vision, ouïe, marche, respiration,
digestion, etc.) sont accomplies par des organes très compliqués (œil, oreille,
pied, poumon, estomac, etc.) dont les pièces nombreuses semblent n’avoir pu
être rassemblées que par une intelligence puissante. Cela serait vrai si
l’apparition de ces organes avait eu lieu subitement. Mais les choses ne se
sont point passées ainsi. Les réactions de la matière vivante aux influences
extérieures (lumière, chaleur, vibrations de l’air, etc.) n’ont été primitivement
réalisées qu’à l’état d’ébauches très rudimentaires pour lesquelles aucun
appareil déterminé n’existait. C’est au cours de milliers de siècles que les
opérations vitales se sont spécialisées. Cette spécialisation a été rendue
possible par certaines excroissances survenues aux êtres vivants, puis de ces
excroissances développées par l’exercice sont sortis des embryons d’organes
lesquels se sont compliqués progressivement.
Retenons que les opérations vitales,
considérées dans leur partie essentielle, sont des réactions aux influences
extérieures (lumière, chaleur, etc.) et que ces réactions sont des propriétés
de la matière vivante appelée protoplasme. Le reste est accessoire.
3. La preuve tirée du consentement
des peuples a tout juste la valeur d’une facétie. Les peuples anciens prenaient
les objets extérieurs pour des êtres vivants dans lesquels logeaient des génies
invisibles. Ils croyaient à une multitude de petits dieux grotesques ;
mais ils ont ignoré le Dieu souverain dont parle le catéchisme.
On n’a donc pas le droit de prouver
l’existence de ce Dieu par le consentement des peuples.
Il
n’y a qu’un seul Dieu et il ne peut y avoir qu’un seul. Il y a en Dieu trois
personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais ces trois personnes ne
font qu’un seul Dieu, parce qu’elles ont une seule et même nature, une seule et
même divinité. On ne peut pas d’ailleurs comprendre comment trois personnes
distinctes ne font qu’un seul Dieu. C’est un mystère, c’est-à-dire une vérité
que Dieu a révélée et que nous devons croire sans pouvoir la comprendre.
Nombreux sont dans la nature les
faits que nous constatons, dont la réalité s’impose à nous, mais dont
l’explication nous échappe totalement. En d’autres termes il y a dans la nature
des mystères. On ne doit donc pas s’étonner qu’il y en ait dans la religion.
Mais, à coté des mystères qui
dépassent notre raison, il y a des allégations qui la contredisent et la
renversent. Ces allégations, qui sont en réalité des inepties, ne doivent pas
être confondues avec les mystères dont elles ne sont que des caricatures. On
doit les dénoncer, surtout quand elles usurpent le titre de mystères pour
bénéficier du prestige dont nous entourons les mystères constatés par la
science.
Ceci dit, occupons-nous de la Trinité.
Ou bien les trois personnes qui
possèdent la nature divine la possèdent avec des particularités propres à
chaque personne. Ou bien elles la possèdent sans aucune particularité
distinctive. Dans le premier cas, les personnes sont exactement dans la même condition
que trois frères jumeaux qui, tout en possédant la même nature humaine, sont
pourtant trois hommes, parce que chacun possède la nature humaine avec une
particularité que les deux autres n’ont pas. Et de même que les trois frères
jumeaux sont trois hommes, les trois personnes divines sont trois dieux. Dans
le second cas, il n’y a qu’un seul dieu ; mais les trois personnes divines
sont des mots désignant tout au plus des aspects multiples du Dieu unique et
par ailleurs vides de sens. C’est ainsi que Notre-Dame des victoires,
Notre-Dame du salut, Notre-Dame des sept douleurs, etc., sont une seule et même
Notre-Dame considérée sous des aspects divers.
En somme, s’il y a réellement en Dieu
trois personnes divines, il y a trois dieux. Et, s’il n’y a qu’un seul dieu,
les trois personnes divines ne sont que des mots. En toute hypothèse le
prétendu mystère de la Trinité est une allégation insensée, dont l’insanité ne
réussit à se faire accepter qu’en se dissimulant sous une couche épaisse de
galimatias.
Dieu
est appelé créateur du ciel et de la terre, parce qu’il a fait de rien le ciel
et la terre et tout ce qu’ils renferment.
Si Dieu a créé le monde, il est
l’auteur des lois qui régissent le monde. Et s’il a créé la vie, il est
l’auteur de toutes les formes que la vie a revêtues.
Or les lois du monde amènent chaque
jour les catastrophes dont il a déjà été question (par ex. tremblements de
terre qui détruisent des villes entières ; éruptions volcaniques qui les
engloutissent ; raz de marée qui ravagent des régions ; tempêtes où
flottes et équipages vont au fond de la mer ; pluies excessives qui
anéantissent les récoltes ; accidents du travail qui plongent les familles
dans la désolation, etc.).
Et, parmi les formes que revêt la
vie, se trouvent, d’une part, les grands carnassiers (requins, lions, tigres,
serpents) qui mangent les hommes et les animaux ; d’autre part ces
terribles microbes qui produisent la rage, le croup, la pneumonie, la
tuberculose, la choléra, etc.).
Un Dieu créateur de la matière et de
la vie serait responsable de toutes nos souffrances, de toutes nos tortures, de
tout le mal. Sa responsabilité serait d’autant plus grande qu’il aurait pu très
facilement régir le monde par des lois uniquement bienfaisantes et ne faire
sortir du néant que les êtres agréables ou utiles.
Un pareil Dieu serait un monstre.
Notre raison se refuse à l’accepter. Le mal se comprend s’il est produit par
des forces inconscientes et aveugles. Il ne se comprend plus quand on veut voir
en lui l’œuvre d’un Dieu personnel. Le monde, les êtres vivants qui le
composent n’ont pas pu être créés par Dieu. Le Dieu créateur n’existe pas.
Après avoir écarté l’erreur du
catéchisme, il nous reste à établir la vérité. Elle se résume dans les deux
assertions suivantes : 1° Le monde a toujours existé : il est
éternel. 2° Mais il est le théâtre de transformation perpétuelles qui ne
cessent de renouveler ses modalités.
Expliquons ces deux assertions.
Ce qui est éternel, ce qui a toujours
existé, c’est l’énergie. Elle a son siège dans la matière qui est l’atome. Mais
nous ignorons le rapport qui existe entre l’énergie et l’atome où l’énergie
réside. Nous entrevoyons que l’atome est un aspect de l’énergie et qu’il fait
une seule et même chose avec elle. Là s’arrêtent nos conjectures. Nous sommes
totalement incapables d’expliquer comment l’atome dérive de l’énergie.
Ce qui varie, ce sont les
manifestations de l’énergie. Ces manifestations varient au sein de l’atome lui-même
dont le noyau et les électrons sont en perpétuel travail. La variation a réussi
pour cause les affinités mystérieuses qui mettent les atomes en rapport les uns
avec les autres. Engagés par leurs affinités dans des associations passagères,
les atomes y acquièrent une structure qui permet à leur énergie d’obtenir des
résultats nouveaux.
Voici les principales étapes
franchies par l’énergie atomique.
Notre système solaire était, il y a
plusieurs centaines de millions de siècles, une immense sphère gazeuse tournant
sur elle-même.
De cette sphère se détachèrent les
uns après les autres des anneaux semblables à ceux qu’on obtient quand on fait
tourner autour d’un axe une boule d’huile.
Ces anneaux, en se déchirant, se
replièrent sur eux-mêmes et devinrent des planètes.
De ces planètes, celle
qui nous intéresse le plus, la terre, fut d'abord une masse liquide en
ébullition. Sous l'influence du refroidissement une écorce solide faite de
gneiss se forma. Les contractions qu'elle subit donnèrent naissance à des cavités,
lesquelles, remplies d'eau par l'action des pluies, devinrent les mers.
Alors, quand la
température le permit, l'énergie domiciliée dans les atomes prit la forme de la
vie. Les êtres vivants apparurent successivement au sein des mers puis sur la terre.
Réduits à des fonctions très rudimentaires, les premiers dépositaires de la vie
n'étaient ni végétaux ni animaux. Mais, peu à peu, leurs opérations se
précisèrent. En se précisant elles se différencièrent. Et les deux formes de la
vie, la forme végétale, la forme animale, se développèrent parallèlement.
Les anges sont de purs esprits que
Dieu a créés pour l'adorer et pour exécuter ses ordres. - Dieu a donné à chacun un ange qui prend soin de nous et nous garde, et
c'est pour cela qu'on l'appelle ange gardien. - Les démons sont des anges
devenus mauvais qui cherchent à nous porter au mal... Les démons furent, après
leur faute, précipités dans l'enfer où ils souffrent éternellement.
Tous les hommes éprouvent, au cours de leur
vie, des accidents graves où beaucoup trouvent la mort et qui ont des
conséquences douloureuses pour ceux qui survivent.
Tous aussi nous commettons involontairement des erreurs qui pèsent sur le reste
de notre vie. L'ange gardien, dont le catéchisme
nous fait cadeau, devrait nous préserver de ces accidents et de ces erreurs. Il
ne le fait pas. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il remplit bien mal sa
mission.
Quant aux démons qui nous portent au
mal, leur métier soulève deux objections très graves.
Premièrement s'ils nous portent au mal, ils sont à nos côtés et ils ne résident
pas dans l'enfer ; s'ils sont dans l'enfer, ils ne sont pas près de nous et ils
ne peuvent nous porter au mal. Il y a incompatibilité entre le domicile que le catéchisme leur attribue et l'occupation qu'il leur
assigne. Deuxièmement : Pourquoi Dieu laisse-t-il ces êtres pervers nous
porter au mal ? S'il ne peut pas les empêcher, il
est donc bien faible. Et, s'il peut les empêcher, il se fait leur complice en
les laissant réaliser leurs projets. Ou impuissant, ou méchant, voilà le Dieu
qui, au dire du catéchisme, laisse les démons nous porter au mal.
Le catéchisme n'a échappé à une
troisième objection qu'en faisant silence sur les démoniaques. Les démoniaques passaient pour être possédés du démon,
c'est-à-dire pour loger dans leur corps un démon qui les faisait souffrir. Pour les guérir, on les exorcisait ; opération
qui consistait à chasser de leur corps le démon. Au dire des évangiles Jésus a
chassé beaucoup de démons. L'Église, jusqu'à ces derniers temps, en a, elle
aussi, chassé beaucoup. Aujourd'hui, nous savons que
les prétendus démoniaques d'autrefois étaient des
névrosés, c'est-à-dire des gens atteints de maladies nerveuses et que les
démons n'étaient pour rien dans leurs souffrances. On ne peut donc parler de
démoniaques et d'exorcisme sans tomber dans le ridicule. Et c'est pour échapper
au ridicule que le catéchisme se tait si prudemment sur les démoniaques. Mais
le voile, dont il couvre l'illusion des évangiles et de toute l'Eglise jusqu'à
nos jours, n'empêche pas cette illusion d'avoir existé. Les chrétiens éclairés
ont honte de parler des démoniaques et des exorcismes que l'on pratiquait sur
ces malheureux pour les guérir. Mais, pendant de longs siècles, ces chimères
ont été en honneur dans l'Eglise.
Anges et démons datent d'une époque
où des génies bienfaisants s'ingéniaient à faire du bien aux hommes et où
d'autres génies méchants cherchaient à leur nuire. Toutes ces entités
invisibles, les bonnes comme les mauvaises, ont été
supplantées par les lois de la nature avec lesquelles nous avons fait
connaissance. Elles ont disparu par suppression d'emploi.
L'homme est une créature raisonnable
composée d'un corps et d'une âme. - Le premier homme et la première
femme sont Adam et Eve, c'est d'eux que descendent tous
les hommes. - Dieu a formé de terre le corps d'Adam ; quant au corps
d'Eve, Dieu l'a tiré d'une côte d'Adam. - Mais
il a créé, c'est-à-dire fait de rien les âmes de nos premiers parents.
Ce qui fait notre excellence, c'est que notre âme est à l'image
de Dieu. Et elle est à l'image de Dieu parce qu'elle est
un esprit immortel capable de connaître et d'aimer Dieu. - C'est
d'ailleurs pour connaître Dieu, l'aimer, le servir sur la terre, et, par ce
moyen, parvenir au bonheur du ciel, que Dieu nous a créés et mis au monde.
Nous avons certainement
une âme, puisque nous sommes des êtres vivants accomplissant des opérations
vitales (locomotion, vision, ouïe, respiration, etc.), puisque ces opérations
vitales ont nécessairement un principe quel qu'il
soit, et que ce principe est désigné par l'usage sous le nom d'âme. Nous avons
une âme. Mais tous les êtres vivants sont dans notre cas. Et nous appelons vivants tous les êtres qui accomplissent
certaines opérations puis, au bout d'un temps plus ou moins long,
cessent de les accomplir et meurent. Les animaux vivent ;
les plantes vivent, elles aussi, car, après avoir grandi, elles se dessèchent
et meurent. Tous ces êtres vivants ont une âme, puisque tous accomplissent des
opérations vitales qui exigent nécessairement un principe
quel qu'il soit.
C'est ne rien dire, ou
ce qui revient au même, c'est énoncer un truisme que de nous attribuer, à nous
et à tous les êtres vivants, une âme qui est le principe des opérations
vitales. La question, la seule question importante,
est de savoir ce qu'est l'âme. Le catéchisme enseigne
que notre âme est un esprit logé dans notre corps mais totalement distinct du
corps, et que cet esprit est immortel, c'est-à-dire qu'il
continuera de vivre après notre mort. Mais, si notre âme à nous est une petite
personne absolument distincte de notre corps auquel elle survit, il doit en
être de même de l'âme des animaux et des plantes. Le principe des opérations
vitales accomplies par tous ces êtres vivants doit, lui aussi, être logé en eux
sans se confondre avec eux et leur survivre quand ils meurent. Et cette
conclusion s'applique surtout aux animaux supérieurs qui, comme nous, marchent,
entendent, voient ; qui, comme nous, éprouvent de la
joie et de la tristesse, de l'orgueil et de l'envie ; qui forment même des
ébauches de raisonnements. Si notre âme se différencie de notre corps au point
de pouvoir lui survivre, l'âme des animaux supérieurs, surtout de ceux-là, doit
échapper à la destruction de leur organisme. Or, nous savons bien qu'il n'en
est pas ainsi. Nul n'est assez naïf pour s'imaginer que les animaux
supérieurs possèdent un être invisible auquel ils
doivent la vie et qui, au moment de leur mort, déménage de l'organisme où est
son domicile, pour aller vivre quelque part ailleurs. Nous savons que la mort
est pour les animaux le point de départ d'une destruction totale et que tout
meurt en eux quand ils cessent de vivre.
Qu'est-ce donc que l'âme
qui règle l'activité des animaux, qui existe en eux
mais qui disparaît avec eux ? L'âme est une des manifestations de l'énergie.
Renseignement vague qui doit être précisé. L'énergie immense de l'univers revêt
des formes multiples qui varient avec la structure des éléments où elle réside.
Selon la structure de ces éléments elle est attraction, lumière, fluide
électrique, source d'affinités chimiques, etc. Elle est aussi vivante quand
elle rencontre des éléments appropriés à certaines réactions dont l'ensemble
constitue la vie. L'âme exerce son activité dans le domaine de la vie, elle est
une manifestation vitale et elle a pour siège la matière
vivante. Cette matière vivante accomplit des opérations plus ou moins complexes
selon la complexité de son organisation. L'âme est la manifestation de cette
activité. Elle manifeste, elle ne produit pas. L'âme est la résultante de
l'organisation dans un être vivant. Voilà ce qui explique qu'elle s'évanouit
quand l'être vivant où elle réside disparaît.
Si nous entreprenions d'échapper à
cette loi universelle de la matière vivante, nous ne
pourrions lui opposer que des protestations verbales
souverainement impuissantes et donc absolument vaines. Soumettons-nous.
Résignons-nous. Renonçons à la chimère d'une vie immortelle. Reconnaissons que notre
âme disparaîtra en même temps que notre corps. Et, s'il est pénible
de penser que nos aspirations à une meilleure existence ne seront pas
réalisées, rappelons-nous que les animaux supérieurs éprouvent, eux aussi, des
désirs qui ne seront pas assouvis.
2. L'histoire d'Adam et d'Eve a pour
point de départ la croyance à ce qu'on appelle la fixité des espèces. Selon
cette croyance les plantes et les animaux ont été produits par Dieu à l'origine
tels que nous les voyons aujourd'hui. En d'autres
termes Dieu a créé au début des temps des chênes, des pommiers, des poiriers,
des poissons, des oiseaux, des chiens, des chats, des boeufs,
etc. ; sans oublier les microbes du croup, de la rage, du choléra,
de la tuberculose, etc. Il créa aussi nos premiers parents Adam et Eve.
Or la croyance à la
fixité des espèces s'est évanouie devant les données de la science, et elle a
fait place à ce qu'on appelle l'évolution ou le transformisme. La vie a fait sa
première apparition au sein des mers et elle n'a eu à l'origine que
des formes petites, rudimentaires. Sous des influences diverses, prolongées
pendant des milliards d'années, les êtres vivants ont formé des associations organiques qui, elles-mêmes, ont évolué. Le
tout a été le produit de forces aveugles, et notre esprit se refuse absolument
à attribuer à un Dieu sage la formation des
effroyables microbes de la rage, du choléra, de la peste, du croup, etc. Les
espèces végétales et animales n'ont pas été produites par un ouvrier les unes à
côté des autres. Elles dérivent les unes des autres. Du sein de la mer, elles
ont passé sur la terre et elles se sont transmis les propriétés dont elles
s'étaient enrichies.
Un jour - il y a de cela environ cent
mille ans, peut-être moins, peut-être plus - une espèce d'êtres anthropoïdes apparut, dont le cerveau relativement
volumineux et muni de nombreuses circonvolutions, se trouva en mesure
d'ébaucher quelques idées. C'est alors que naquit le genre humain. Ce que le
catéchisme dit d'Adam et d'Eve est un conte enfantin. Les premiers représentants du genre humain n'ont pas été un homme et
une femme, mais plusieurs milliers d'individus soumis aux mêmes conditions
climatériques, menant le même genre de vie et groupés entre eux, bien que
disséminés sur un territoire plus ou moins vaste. Tous ces êtres possédant une
vie sociale arrivèrent à l'humanité à peu près simultanément,
c'est-à-dire au cours de quelques siècles. D'ailleurs les membres arriérés
bénéficièrent des expériences des mieux doués.
Dieu nous a créés et mis au monde
pour le connaître, l'aimer, le servir sur la terre et, par ce moyen, parvenir
au bonheur du ciel.
Pendant des centaines de siècles, les
hommes prirent naïvement les objets extérieurs pour des êtres vivants capables
de leur porter secours ou de leur nuire ; et c'est à ces objets qu'ils
adressèrent leurs hommages, qu'ils firent des cadeaux pour apaiser leur
courroux et gagner leur bienveillance. Ils croyaient aussi qu'après leur mort
ils posséderaient une seconde vie. Mais, cette seconde vie. ils se la représentaient
comme le prolongement de la vie actuelle. C'est ce que prouvent ces quartiers de viande dont on retrouve les restes dans les sépultures des hommes primitifs et qui étaient des secours
de première nécessité, mis à la disposition des morts pour leur donner le temps
d'aménager leur seconde existence.
Voilà comment les choses se passèrent
pendant des centaines de siècles. C'est d'ailleurs encore comme cela
qu'aujourd'hui même elles se passent dans les deux tiers de l'humanité. Si donc
Dieu a créé les hommes pour le servir et les mettre à même d'aller au ciel, il
a bien mal réussi ; car les hommes, ne le connaissant pas, n'ont pas pu le
servir, et ils ne se sont pas préoccupés du bonheur du ciel.
Ajoutons que Dieu ne peut s'en
prendre qu'à lui-même de son insuccès. Les hommes n'étant tombés dans toutes
leurs extravagances religieuses que par suite de leur profonde ignorance, Dieu
n'avait qu'à les éclairer pour les préserver de
leurs malheurs. Il ne les a pas éclairés. Il s'est comporté comme s'il
prenait plaisir aux folies dont l'humanité a donné et donne encore le spectacle.
Dieu créa nos premiers parents dans
un état de sainteté et de bonheur. Il les plaça dans le paradis terrestre. Mais
nos premiers parents perdirent bientôt cet heureux état par leur désobéissance
en mangeant d'un fruit dont Dieu leur avait défendu de manger. - Ils furent
portés à désobéir par le démon sous la forme d'un serpent. - Leur désobéissance les dépouilla de la grâce de Dieu, et ils demeurèrent pécheurs et dignes de l'enfer. Ils furent de
plus chassés du paradis terrestre, condamnés aux
misères de la vie et à la mort.
1. Ici le catéchisme
utilise un récit biblique dont voici les principaux traits : « Dieu plaça
l'homme dans le paradis pour le cultiver et pour le garder. Il lui dit : « Tu
pourras manger de tous les arbres du jardin, sauf de l'arbre de la connaissance
du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » Le serpent
était le plus rusé de tous les animaux des champs. Il expliqua à Eve, la femme
d'Adam, que si elle et Adam mangeaient du fruit défendu, bien loin de mourir
ils seraient comme des dieux. Eve mangea du fruit et en fit manger à Adam. Le
soir venu, Dieu se promena dans le jardin. Puis ayant fait venir Adam, Eve et
le serpent, il infligea une punition à chacun des
coupables. Le serpent fut condamné à ramper sur le ventre et à se nourrir de
poussière. Eve apprit que les femmes enfanteraient dans la douleur. Quant à
l'homme, son sort fut de gagner son pain à la sueur
de son front, puis de mourir. Après quoi Adam et Eve furent chassés du paradis terrestre dont l'accès leur fut interdit par des chérubins
agitant des épées flamboyantes.
2. Le catéchisme
introduit dans le récit biblique qu'il utilise deux déformations.
La première consiste à
faire intervenir le démon. Celui-ci n'est
même pas mentionné dans le récit biblique. Selon la bible, c'est le serpent
seul qui trompe Eve. Il la trompe, parce qu'il est le plus rusé des animaux et
que, d'ailleurs, doué de l'usage de la parole, il a un entretien avec Eve. Le
châtiment qui lui est infligé est une nouvelle
preuve de sa culpabilité. Et, puisque son châtiment
consiste à ramper sur le ventre et à manger de la poussière, nous sommes
autorisés à conclure qu'avant de tromper Eve, le serpent se tenait debout et
avait une alimentation régulière. C'est le catéchisme qui met la tentation sur
le compte du démon et qui réduit le serpent au rôle d'instrument.
Une autre déformation
commise par le catéchisme consiste à introduire l'enfer. Dans la bible, les
punitions infligées aux hommes ne concernent que la vie présente, et il n'est
point question de l'enfer ou d'une peine quelconque après la mort.
Le récit biblique de la
chute de nos premiers parents est un de ces contes enfantins qui abondent dans
la littérature populaire. Les déformations commises
par le catéchisme se proposent de supprimer cette
tare. Et, pour arriver à leur but, elles étendent un vernis philosophique sur
les enfantillages du récit biblique.
3. Pourtant, tout en déformant le
récit biblique, le catéchisme en maintient l’idée fondamentale qui
est d'écarter de Dieu la responsabilité des maux dont nous
souffrons. Tous deux, bible et catéchisme, nous disent avec un accord touchant
: « Votre condition misérable vous inquiète, et vous vous demandez comment un
Dieu bon a pu vous accabler ainsi. Rassurez-vous, Dieu voulait
nous rendre tous heureux. Et ce n'est pas sa faute si tous les maux s'acharnent
sur nous. C'est la faute de nos premiers parents. S'ils étaient restés soumis à
l'ordre divin, ils nous auraient transmis leur bonheur et nous en jouirions
encore aujourd'hui. C'est leur désobéissance qui a obligé Dieu à laisser le mal
fondre sur nous. »
Voilà ce que disent la
bible et le catéchisme. Mais l'hypocrisie de cette
réponse saute aux yeux. Si Dieu voulait vraiment écarter de nous les misères de
la vie actuelle, ce n'est pas la faute de nos premiers parents qui pourrait
l'en empêcher, puisque cette faute a été commise de nombreux siècles avant notre
naissance et que nous n'y avons été pour rien. Le moins que l'on puisse dire,
c'est que Dieu n'a pas voulu nous exempter de la souffrance.
Notre vie est misérable, non pas par la faute de nos premiers parents, mais
parce que Dieu en a disposé ainsi. Et ceux-là se font illusion qui s'imaginent
sauver l'honneur de Dieu en rejetant sur Adam la responsabilité
de nos malheurs.
Non seulement nous
sommes condamnés aux misères de la vie et à la mort, mais nous naissons encore
dans le péché originel, lequel est le péché commis par Adam lui-même.
On vient de voir qu'il y a une
illusion à rendre Adam responsable des malheurs dont nous souffrons. Mais
prétendre que nous apportons en venant au monde le péché lui-même commis par
Adam est le comble de l'audace. Comment aurions-nous pu participer à un péché commis des milliers d'années avant notre existence ? Pour
pécher il faut nécessairement exister, et dire que nous avons péché avant
d'exister est une contradiction dans les termes. L'incohérence est si manifeste
que le cardinal Billot, le théologien catholique le plus réputé de ce siècle, en a lui-même fait l'aveu en ces termes : « Je
serais censé avoir fait ce que je n'ai pas fait, et, de ce chef, rendu
responsable d'un acte posé quand je n'existais pas l Qui pourra admettre une
pareille chose ? Car ici il n'y a pas de mystère qui tienne. Le mystère, c'est
ce qui dépasse notre raison, ce n'est pas ce qui la renverse et la détruit. Et,
à ce propos revient à la mémoire la réponse que le fabuliste met dans la bouche
de l'agneau : « Comment l'aurais-je fait, disait-il,
puisque je n'étais pas né?»
Les théologiens, qui n'ont pas la
probité du cardinal Billot, essaient de dissimuler la contradiction sous divers
sophismes dont le principal consiste à assimiler le péché originel aux malades
héréditaires. Ils disent : « La preuve que le péché originel ne répugne pas, c'est
qu'il existe des maladies héréditaires que l'enfant
apporte en venant au monde ». A quoi nous répondons qu'il existe une différence essentielle entre la maladie héréditaire que
l'on contracte sans l'avoir voulue et le péché originel qui, par définition,
est volontaire. Pour naître avec le péché originel, il faudrait avoir voulu ce
péché. Or, nous n'avons pas pu vouloir une faute qui a été commise à une époque
où nous n'existions pas.
Encore un mot. Avant saint Augustin
(mort en 430) l'Eglise croyait à la chute du genre humain ; en d'autres termes,
elle considérait nos misères actuelles comme la punition du péché d'Adam. Mais
elle ne connaissait pas le péché originel, c'est-à-dire qu'elle n'attribuait
pas à l'enfant qui vient au monde le péché lui-même commis par Adam. C'est
saint Augustin qui a inventé le péché originel. Son invention prit place parmi
les dogmes. Pourtant depuis un peu de temps, quelques théologiens, comprenant
que ce prétendu péché était une ineptie, ont essayé de le supprimer ; mais,
pour ne pas heurter de front le dogme enseigné par l'Eglise, ils ont enveloppé
leur pensée dans des formules incohérentes qui appartiennent
à ce qu'on appelle le style nègre-blanc. Quant au peuple, il continue de croire
au péché originel. Mais pratiquement cette croyance consiste pour lui à dire
que l'enfant mort avant d'avoir reçu le baptême est privé du bonheur du ciel,
parce que le baptême a seul le pouvoir d'effacer ]e péché originel avec lequel
l'enfant vient au monde. On a vu (p. 9) ce que la raison pense de la grâce du
baptême.
La sainte Vierge seule a été
préservée du péché originel. Ce privilège s'appelle l'Immaculée Conception.
Le péché originel étant
un dogme insensé, nous ne voyons aucun inconvénient à dire que la Sainte Vierge
en a été exempte. Du point de vue de la raison l'Immaculée
Conception ne soulève donc aucune difficulté. Elle en soulève une grave du
point de vue de l'histoire. Car, jusqu'aux dernières années du moyen âge, les
plus grands docteurs de l'Eglise latine, aveuglés par l'autorité de saint
Augustin, enseignèrent que la sainte Vierge était née, comme tout le genre
humain, avec le péché originel. Et c'est seulement en 1854 que le pape
Pie IX éleva l'Immaculée Conception au rang des dogmes, c'est-à-dire au rang
des choses qu'un chrétien doit croire sous peine d'être damné. Ce dogme
nouveau, repoussé pendant quatorze cents ans par
l'Eglise, est un exemple palpable de la variation des croyances chrétiennes.
Dieu a aimé les hommes dans l'état du
péché ; car il leur a promis et donné un Sauveur qui est Jésus-Christ.
Jésus est venu au monde
au début de l'ère actuelle, c'est-à-dire à une date où le genre humain existait
depuis plusieurs milliers d'années, et où, selon l'enseignement du catéchisme,
tous les hommes étaient, depuis plusieurs milliers d'années, sous le coup de la
malédiction portée contre leur premier père.
Le catéchisme nous dit que Jésus est
le sauveur, c'est-à-dire le personnage chargé par Dieu de mettre fin à la
malédiction qui pesait sur nous depuis le péché d'Adam. Et, selon lui, Dieu, en
nous envoyant le Sauveur Jésus, nous a donné un témoignage de l'amour qu'il n'a
cessé d'avoir pour nous malgré notre péché.
L'assertion du
catéchisme donne lieu à plusieurs observations.
Premièrement : L'amour
que Dieu nous a témoigné en nous envoyant un Sauveur, ne doit pas nous faire
oublier une vérité capitale qui est celle-ci : Dieu ne nous a certainement pas
aimés quand il a décrété de nous faire porter les conséquences du péché d'Adam.
Son décret était d'autant plus cruel que nous
n'avons été pour rien dans le péché de notre premier père et que nous n'existions
même pas quand ce péché fut commis. L'humanité n'avait
que faire d'un témoignage d'amour de la part de Dieu. Ce qu'il lui fallait,
c'était un acte de justice supprimant l'abominable décret qui pesait
sur elle depuis le commencement du monde. Et cet acte de justice réparatrice ne
réclamait pas l'intervention d'un Sauveur.
Deuxièmement : A en
croire le catéchisme, c'est un Sauveur que Dieu nous a envoyé. Or, ce prétendu Sauveur, qui devait mettre fin à notre misérable
situation, n'y a rien changé. II l'a laissée telle qu'il l'avait trouvée.
Depuis que le Sauveur est venu, nous continuons de naître avec le péché
originel, et ce péché reste en nous tant qu'il n'est pas enlevé par le baptême,
c'est-à-dire par un rite dont les deux tiers de l'humanité sont hors d'état de
bénéficier. Bien plus, notre vie est encore empoisonnée
par toutes ces souffrances dont, au dire du catéchisme, nous aurions été
exemptés si Adam n'avait pas péché. Qu'a donc fait le Sauveur ? Pour
masquer son embarras, l'Eglise se répand en considérations sur la vie future
qui échappent à tout contrôle et qui d'ailleurs sont en dehors de la question.
Tous ces expédients ne changent rien
à la réalité. Nous sommes toujours en proie aux misères dont nous aurions été
exempts si Adam n'avait pas péché. Le Sauveur n'a
obtenu aucun résultat. Il a fait faillite.
On pourrait aussi demander pourquoi
Dieu a attendu plusieurs milliers d'années avant de nous envoyer le sauveur
destiné à réparer le mal commis par Adam. Mais cette question est sans objet
quand on a acquis la preuve que le genre humain reste toujours sous le coup de
la malédiction portée contre notre premier père.
Sans s'embarrasser de tous ces
problèmes insolubles pour lui, le catéchisme est fier de nous apprendre que le
sauveur a été promis par Dieu dès l'origine du monde. Ce que cette assertion
exprime, c'est la croyance suivante enseignée par l'Eglise : Dieu, dans sa
bonté, promit dès l'origine un sauveur aux hommes. Instruit par la promesse
divine le genre humain a attendu le sauveur pendant tous les siècles qui ont
précédé la venue de Jésus. Et cette attente a été pour les hommes un principe de salut.
L'attente du sauveur peut être
considérée en dehors du peuple juif et dans le peuple juif.
En dehors du peuple juif la prétendue
attente est une fable qui repose sur le néant absolu.
Les juifs se nourrirent de rêves
nationalistes qui prirent deux formes différentes. Tant qu'il y eut des
descendants du fondateur de la monarchie, David, le règne de ce grand roi
entouré de l'auréole de la légende fut un idéal dont
le retour était ardemment désiré. Les juifs patriotes rêvèrent donc d'un
royaume qui aurait l'éclat du royaume de David.
Après la disparition de la royauté,
les juifs broyés, persécutés par des peuples puissants, au lieu de s'abandonner à la dépression du désespoir, rêvèrent d'un
avenir où, avec l'aide de Dieu, ils prendraient leur revanche et domineraient
sur tous les peuples. L'espoir de la revanche réalisée avec l'intervention de
Dieu était leur réconfort et leur consolation.
La prétendue attente du sauveur est
la déformation des rêves nationalistes dont se nourrissaient les juifs.
Jésus-Christ est le fils de Dieu fait
homme. - Il est fils unique de Dieu, parce que seul il est fils de Dieu par
nature. - Le Fils de Dieu a pris un corps et une âme par l'opération du
Saint-Esprit dans le chaste sein de la vierge Marie. - Il s'est fait homme pour
nous racheter du péché et de l'enfer et nous mériter la vie éternelle.
- Jésus-Christ est Dieu et homme tout ensemble. - Il y a donc en lui deux
natures, la nature divine et la nature humaine. Mais il n'y a en lui qu'une
seule personne qui est la seconde personne de la sainte Trinité. - La Sainte
Vierge est mère de Dieu, car elle a mis au monde un fils qui est Dieu. - Quant
à saint Joseph, il était seulement le gardien et le nourricier de Jésus.
Selon les évangiles, Jésus avait
quatre frères et au moins deux soeurs ; son père s'appelait
Joseph ; sa mère avait nom Marie. Il était un homme comme nous. Quand il parut
en public, son programme consista à arracher d'abord, avec l'aide de Dieu, la
Palestine au pouvoir des Romains qui en étaient les maîtres, puis à relever
ensuite le trône de David et à régner sur le peuple juif. Les évangiles, dont
on résume ici les données, infligent un démenti absolu au catéchisme.
La raison repousse, elle
aussi, l'enseignement du catéchisme. Car
premièrement, si Jésus est le fils de Dieu, il y a entre lui et Dieu le même
rapport qui existe entre un fils et son père. Or un fils est nécessairement
plus jeune que son père. Donc dire que Jésus est le fils de Dieu, c'est dire
qu'il est plus jeune que Dieu son père, qu'il n'est pas éternel comme son père.
Et puis, si Jésus est le fils de Dieu, il y a donc deux dieux, sans compter le
Saint-Esprit qui, lui aussi, est Dieu. Nous retrouvons
ici les objections que nous avons rencontrées à propos de la Trinité.
Deuxièmement. Si Jésus
est venu pour nous délivrer du péché et de l'enfer, c'est parce que nous
héritons du péché d'Adam et que ce péché nous rend dignes de l'enfer. Or on a
vu que l'histoire du péché d'Adam et de ses suites est une insulte à la raison.
Troisièmement. Si Dieu
voulait, malgré notre péché, nous ouvrir le ciel, qu'avait-il besoin de nous
envoyer son fils ? Il n'avait qu'à nous pardonner. Ce qui lui était d'autant
plus facile que notre prétendu péché commis des milliers d'années avant notre
naissance est une insanité.
Quatrièmement. Si Jésus
a reçu de Dieu la mission d'enseigner aux hommes la vérité, il a vraiment bien
tardé à accomplir cette oeuvre, car les hommes
étaient depuis des centaines de siècles, dupes des plus grossières erreurs. Il
fallait éclairer le genre humain dès l'origine et ne pas laisser
attendre le secours pendant des siècles. D'ailleurs la lumière apportée par le
Christ a été bien insuffisante, puisque, aujourd'hui encore, elle est ignorée
des deux tiers de l'humanité.
Cinquièmement. Jésus était un homme
comme nous. Et le catéchisme nous conte une fable quand il prétend que Jésus
possédait une nature divine cachée, dissimulée et
masquée par sa nature humaine.
Sixièmement. Dire que Dieu,
c'est-à-dire l'Etre éternel, a une mère est énoncer
une absurdité. Le catéchisme se rend coupable de
cette absurdité quand il appelle Marie mère de Dieu. Sans doute il explique que
Marie a mis au monde la nature humaine de Jésus et non sa divinité. Mais
l'expression mère de Dieu n'en reste pas moins malheureuse ; car elle induit
nécessairement en erreur le peuple ignorant qui trouve tout naturel que Dieu se
soit métamorphosé en homme.
La Vierge Marie a mis au monde le
Fils de Dieu sans cesser d'être vierge. - Notre-Seigneur est né le jour de Noël
à minuit. - Il est né à Bethléem dans une pauvre étable. - Il fit connaître sa
naissance d'abord à des bergers qui, avertis par les anges, vinrent le visiter
dans sa crèche. Puis à des mages qui, conduits par une étoile, vinrent l'adorer
et lui offrir des présents. - Il fut présenté au
temple quarante jours après sa naissance. - Puis la Sainte Vierge et saint
Joseph l'emmenèrent en Eg9pte pour échapper à la cruauté d'Hérode qui voulait le faire mourir.
1. Marie était une bonne mère de famille
qui, Jésus compris, avait au moins sept enfants. Ces renseignements fournis par
les évangiles eux-mêmes réduisent à néant l'assertion du catéchisme qui n'est
qu'une fable.
2. Le jour de la naissance du Christ
n'est pas mentionné par les évangiles ; et les
chrétiens l'ont toujours ignoré. Au cours du IIIe siècle la naissance du Christ fut célébrée
à Rome le 25 décembre pour le motif suivant qui ne s'inspira d'aucune
préoccupation historique : A Rome, le 25 décembre était l'objet d'une fête
païenne en l'honneur du soleil qui, arrivé au solstice, remontait au-dessus de
l'horizon (en réalité le solstice a lieu le 21 décembre, mais on ne disposait
pas des instruments nécessaires pour obtenir la date exacte). C'est pour faire
échec à cette fête païenne que l'Eglise décida de fixer la naissance du Christ
à la date du 25 décembre. On voit que le motif de cette décision fut de
combattre le prestige du paganisme, et de présenter Jésus comme le véritable
soleil du monde.
3. Les évangiles racontent que Jésus
est né à Bethléem, bourgade située à deux lieues au
sud de Jérusalem. Mais ils nous disent aussi que les
parents de Jésus avaient leur domicile à Nazareth, ville à vingt lieues au nord
de Jérusalem. Et l'on se demande, non sans surprise, comment, à une époque et
dans un pays où les voyages n'existaient pour ainsi dire pas, faute de moyens
de communication, des parents ont quitté leur domicile habituel juste au moment
où Jésus devait venir au monde. A cette question les évangiles répondent par
une histoire compliquée dont voici les principaux éléments
:
L'empereur Auguste avait
décrété pour tout l'empire romain un recensement qui obligeait les assujettis à
se faire inscrire chacun dans sa ville. Joseph, qui descendait du roi David,
dut, pour faire droit à l'édit impérial, se faire inscrire à Bethléem parce que
cette bourgade était la patrie de son ancêtre David qui y était né mille ans
auparavant. Marie, son épouse, l'accompagna ; et c'est au cours de ce voyage
que Jésus vint au monde.
A ce récit l'histoire
oppose les faits suivants : Premièrement, il n'y a jamais eu de recensement
général sous Auguste, et, de ce chef, l'assertion des évangélistes est fausse.
Deuxièmement, il y a eu un édit de recensement promulgué pour la province de
Judée à laquelle Jérusalem et Bethléem en appartenaient. Mais ce recensement eut lieu dix ans après la naissance de Jésus ;
ce n'est donc pas lui qui a pu amener de Nazareth à Bethléem les parents de
Jésus juste au moment où leur fils devait venir au monde. Troisièmement,
Nazareth ne faisait pas partie de la Judée, mais de la Galilée ; d'où
il suit que ses habitants n'étaient pas assujettis à un recensement
promulgué pour la Judée. Quatrièmement. Si, par impossible, Joseph avait été
soumis à ce recensement, il eût dû se faire inscrire à Nazareth où était son
domicile et non ailleurs. Cinquièmement, l'assertion
qui, pour expliquer que Joseph est allé à Bethléem, le présente comme un
descendant de David, est une pure fantaisie ; car les descendants de David
n'existaient plus depuis la disparition de la royauté, c'est-à-dire depuis plus
de cinq cents ans. D'ailleurs un descendant de David pouvait tout au plus se
rendre à Jérusalem où résidaient les rois tant qu'il y en eut. Il n'avait que
faire d'aller à Bethléem où les descendants de David n'avaient jamais eu leur
domicile, où David lui-même n'avait jamais habité depuis son accession au
trône.
En deux mots la naissance de Jésus à
Bethléem est un expédient destiné à prouver que Jésus était, par son père
Joseph, d'origine royale. Mais c'est un expédient grossier qui se
heurte à de multiples impossibilités.
La naissance de Jésus à Bethléem
étant une fiction, entraîne dans sa chute toutes les histoires greffées sur
elle. Examinons pourtant ces histoires en faisant abstraction
de leur fondement ruineux.
4. L'apparition angélique, qui
annonce la naissance de Jésus aux bergers de Bethléem, eût été un grand
miracle. L'étoile conductrice des mages à la crèche en eût été un autre. De ces
deux prodiges accomplis à la porte de Jérusalem et même, en partie, à Jérusalem
où les mages firent leur entrée, le souvenir n'aurait pu manquer de
se conserver. Or, trente ans plus tard, Jésus, quand il vint à Jérusalem, ne
fit jamais la moindre allusion aux miracles qui avaient marqué sa naissance.
Personne autour de lui n'en parla. A cette date l'apparition angélique aux
bergers de Bethléem et l'étoile miraculeuse n'étaient pas encore
inventées, ce sont des contes fabriqués après la mort du Christ.
5. La fuite en Egypte suppose que le
roi Hérode a ignoré l'apparition angélique annonçant aux bergers de Bethléem la
venue d'un sauveur. Elle suppose même qu'il a ignoré la présentation de Jésus
au temple quarante jours après sa naissance. Car,
s'il avait connu ces événements, il se serait empressé de mettre Jésus à mort.
Or Hérode n'a pu ignorer pendant plus de quarante
jours le prodige dont les bergers de Bethléem avaient été témoins et qu'ils
n'avaient pas pu manquer de divulguer. A plus forte raison la présentation au
temple n'a-t-elle pu lui échapper, puisqu'elle s'est accomplie sous ses yeux.
La fuite en Egypte est inconciliable avec deux des
faits qui, à en croire les évangiles ont accompagné la naissance de Jésus.
Elle a attribué même à ce roi cruel
une incurie inconciliable avec sa cruauté. Car, si
Hérode poursuivait avec acharnement la mort de Jésus, il devait faire suivre
les mages par des émissaires qui, marchant sur les traces de ces augustes
visiteurs, auraient sans peine repéré la crèche et se seraient empressés,
conformément aux ordres de leur maître, de massacrer l'enfant. La fuite en
Egypte est un conte mal venu dont on trouve d'ailleurs l'analogue dans l'enfance
de tous les grands hommes.
Jésus demeura à Nazareth jusqu'à
l'âge d'environ trente ans. - Il choisit ses douze apôtres, prêcha son évangile
pendant un peu plus de trois ans et fit de grands miracles, prouvant ainsi sa
divinité.
Fils d'un charpentier de
Nazareth, Jésus exerça d'abord le métier paternel. Vers l'âge de trente ans, il
abandonna le travail manuel et il adressa aux populations
de la Galilée des prédications dont le fond était : « Le temps est rempli, le
royaume de Dieu est proche. » Ce royaume annoncé était l'ancien royaume de
David restauré par la puissance de Dieu et méritant pour ce motif le titre de
royaume de Dieu. Jésus n'a eu d'autre programme que d'arracher, avec l'aide de
Dieu, son pays à la domination romaine et de relever, toujours avec l'aide de
Dieu, le trône de David. Il a prêché cela, pas autre chose ; et tous les
discours où il est censé émettre d'autres prétentions ont été fabriqués plus
tard ; ils ne sont pas de lui.
Quand Jésus commença ses
prédications, sa mère épouvantée crut qu'il avait perdu l'esprit et, accompagnée de ses autres enfants, elle essaya de
l'arrêter. Mais les populations enthousiastes firent échouer ce projet. Car le
peuple juif, qui exécrait les Romains, accueillit chaleureusement le programme
du libérateur. Séduites par les promesses de Jésus,
les foules lui demandèrent de guérir leurs malades. Elles obtinrent
satisfaction. Jésus fit des guérisons, surtout dans le domaine des maladies
nerveuses qui, à cette époque, étaient attribuées à l'influence des démons et
dont les victimes étaient, pour ce motif, appelées démoniaques. Ces guérisons
passaient pour être des mi-racles. On attribuait à
Jésus le pouvoir de chasser les démons, et Jésus avait lui-même cette
conviction dont, de nos jours seulement, la science nous a montré la vanité.
Pourtant, pour être guéri, il fallait
avoir confiance dans le guérisseur. A Nazareth Jésus ne put faire aucun
miracle, parce que les gens qui l'avaient vu enfant, ne croyaient pas à ses
pouvoirs surnaturels. Nous sommes, aujourd'hui encore, à même de constater cet
état de choses. Le malade est délivré de son mal quand il a la conviction
énergique qu'il va l'être. C'est la foi qui guérit. Les miracles sensationnels
que Jésus est censé avoir accomplis, en dehors de la guérison des maladies
nerveuses, sont des contes fabriqués de toutes pièces. C'est le cas notamment
des prodiges rapportés par l'évangile de saint Jean.
Constatant que le royaume de Dieu,
dont il annonçait la venue très prochaine, tardait à
se réaliser, Jésus pensa que le moyen de faire cesser ce retard était de se
transporter à Jérusalem (vingt lieues environ au sud de la Galilée où il
prêchait). Il prévoyait que la garnison romaine installée dans cette ville
essaierait de l'arrêter. Mais il croyait que Dieu interviendrait au moment décisif, écraserait les Romains et relèverait le trône de
David. Jésus alla donc à Jérusalem pour forcer en quelque sorte Dieu à hâter
les événements et à agir. Sa confiance dans le secours du ciel, sa foi dans le
triomphe était absolue. Elle n'eut qu'une durée éphémère.
« Le roi des Juifs », comme il s'intitulait, fut arrêté et subit le sort que
les Romains infligeaient à leurs ennemis. On l'attacha à une croix où il
mourut.
Le baptême de Jésus par
Jean-Baptiste, dont parle le catéchisme, est douteux. Quant à la tentation mentionnée aussi par le catéchisme, sa place est parmi les
fables.
Notre-Seigneur
condamné à mort par un juge nommé Ponce Pilate a souffert de cruels supplices
et est mort sur une croix. Il est mort le Vendredi saint à trois heures de
l'après-midi. Il est mort pour racheter tous les hommes du péché et de l'enfer.
Il nous a rachetés en souffrant pour nous comme homme et en donnant, comme
Dieu, un prix infini à ses souffrances.
Ici on nous explique pourquoi Jésus
est mort. Cette explication a deux défauts. Premièrement elle travestit l'histoire.
Deuxièmement elle offense les principes de la raison.
Elle travestit l'histoire qui nous
apprend que Jésus a été mis à mort par le fonctionnaire romain Ponce Pilate,
lequel a pris cette décision parce que Jésus ameutait
les Juifs contre la puissance de Rome. Jésus, qui se posait en libérateur du
peuple juif, était, au point de vue des Romains, un révolutionnaire. C'est
comme révolutionnaire qu'il a été mis à mort. Et tout ce que le catéchisme
enseigne est une explication en dehors de l'histoire.
Coupable de déformation
à l'égard de l'histoire, l'explication du catéchisme offense en outre la raison
en prétendant que Jésus est mort pour nous racheter de nos péchés. Elle
l'offense d'abord parce que le bon sens nous dit que nous n'avions commis aucun
péché au moment de la mort du Christ, puisque nous n'existions
pas encore. Elle l'offense aussi parce que la justice exige que les fautes
commises soient châtiées sur les coupables et qu'il y aurait extravagance à
faire retomber le châtiment d'une faute
sur un innocent pour épargner les coupables. Or cette extravagance le catéchisme l'attribue à Dieu qui livre à la mort son fils
innocent à la place des hommes censés coupables.
Ce que le catéchisme
ajoute sur l'amour du Christ, qui aurait pu nous racheter par la moindre de ses
actions, est en dehors de la question qui est celle-ci : Pourquoi Dieu, s'il
exigeait une réparation, l'a-t-il demandée à son Fils innocent au lieu de la
demander aux coupables ; et comment les coupables ont-ils pu devenir innocents
à la suite de la réparation accomplie par le Fils de Dieu ?
Résumons. Jésus a voulu procurer au
peuple juif une rédemption nationale consistant à affranchir les Juifs du joug
romain (à les racheter de ce joug). La rédemption mystique, qui a été
substituée à la rédemption nationale entreprise par
Jésus, est un tissu d'incohérences.
Notre Seigneur est ressuscité le jour
de Pâques, le troisième jour après sa mort. - Après sa résurrection il est
resté sur la terre quarante jours pendant lesquels il est apparu plusieurs fois
à ses disciples.
Le catéchisme, qui enseigne que
Jésus, après sa résurrection, apparut plusieurs fois
à ses disciples, ne donne aucun détail. Ce silence lui permet d'échapper à des
difficultés fort embarrassantes. C'est qu'en effet les récits
des apparitions du Ressuscité se contredisent mutuellement.
D'après l'un Marie-Madeleine fut la première
à voir le maître sorti du tombeau. D'après un autre, cette faveur échut à saint
Pierre. Selon un troisième, le Ressuscité se montra
pour la première fois à tous les disciples en même temps. A en croire deux
évangiles, l'apparition accordée à tous les disciples eut lieu à Jérusalem le
jour même de Pâques. Selon les deux autres évangiles, les disciples, pour jouir
de cette faveur, durent, par ordre d'un ange, se rendre dans la Galilée à une
vingtaine de lieues au nord de Jérusalem. Et, comme ce voyage exigea plusieurs
jours, ils ne purent voir le Ressuscité qu'au cours de la semaine de Pâques.
Enfin, selon certains récits, Jésus, sorti du tombeau, apparut une seule fois à
ses disciples, après quoi il s'éleva immédiatement au ciel. Selon d'autres il
accorda deux apparitions. Selon d'autres enfin il demeura avec ses disciples
quarante jours après sa résurrection. Tout cela est incohérent. L'incohérence
tient à la date des récits. Le premier d'entre eux a été fabriqué de toutes
pièces une trentaine d'années après la mort de Jésus. Les autres ont été
inventés longtemps plus tard, à des dates diverses, et sans tenir compte du
premier.
Avant de connaître la première
apparition du Ressuscité, on croyait que Jésus avait
été recueilli par Dieu au ciel après sa mort, et on était convaincu de sa survivance. Cette conviction, qui ne reposait sur aucune
apparition, était le produit d'un raisonnement. Le voici : « Jésus, disait-on,
a certainement reçu de Dieu la mission de procurer au peuple juif la rédemption
nationale et de relever le trône de David. » Après avoir mis hors de toute
contestation possible la mission divine de Jésus, on ajoutait : « Les hommes ne
peuvent pas remporter la victoire sur Dieu qui est tout-puissant. Or ils
auraient remporté la victoire si, en mettant à mort Jésus, ils avaient réduit à
néant la mission libératrice dont Jésus avait été
investi par Dieu. Nous avons donc la certitude absolue que cette mission n'a
pas été anéantie par la mort de Jésus sur la croix. Elle a seulement subi un
léger retard. Elle sera très prochainement
accomplie. Jésus va revenir pour réaliser son programme qui consiste à
massacrer les Romains maîtres de la Palestine et à relever le trône glorieux de
David. Et puisqu'il va revenir, nous devons donc conclure
qu'il est actuellement au ciel où Dieu l'a recueilli après sa mort.
En bref. On a commencé par croire à
la survivance de Jésus sans l'avoir vu, uniquement parce qu'on avait la
conviction que Jésus mis à mort par les Romains allait revenir pour exécuter la
mission dont Dieu l'avait investi. Plus tard, des récits d'apparitions
du Christ ressuscité ont été fabriqués pour affermir cette croyance.
Notre-Seigneur est monté au ciel le
jour de l'Ascension, quarante jours après sa résurrection. - On dit qu'il
est à la droite de Dieu le Père tout-puissant pour signifier que, égal à son
Père comme Dieu, il est comme homme au-dessus de toutes les créatures.
1. L'évangile de Luc dit que Jésus monta
au ciel le jour même de sa résurrection, c'est-à-dire le jour de Pâques.
L'évangile de Matthieu place l'ascension à une date qu'il ne précise pas, mais
qui a dû venir quatre ou cinq jours après la résurrection. Le catéchisme suit
le récit des Actes, lequel est contredit par les évangiles. La résurrection
du Christ étant une fable, l'Ascension en est nécessairement une
aussi, et le désaccord des prétendus témoins de ce prodige n'a aucune importance.
2.
L'Etre
infiniment grand qu'on appelle Dieu est partout, et il ne peut avoir ni droite
ni gauche. Le symbole des apôtres, dont le catéchisme reproduit le texte, se
représente Dieu comme un homme qui a une droite et une gauche et qui réside au
ciel. En quoi il donne de Dieu une image enfantine. De plus, à l'époque
où le symbole des apôtres a été composé, les chrétiens tenaient Jésus, non pour
un Dieu, mais pour un homme ; et ils pensaient lui faire un grand honneur en
disant que Dieu l'avait fait asseoir à sa droite. Le dogme actuel, qui enseigne
que Jésus est égal à Dieu le Père, fausse la pensée du symbole des apôtres.
3.
Notre Seigneur viendra à la fin du
monde juger les vivants et les morts.
Le retour du Christ à la
fin du monde pour juger les hommes est, selon le point de vue où on se place,
un hors-d'oeuvre dénué de sens ou un travestissement.
Il est un hors-d'oeuvre
quand on le confronte avec le dogme actuel du jugement particulier, aux termes
duquel nos âmes, immédiatement après la mort, sont jugées par Dieu et vont soit
au ciel, soit en enfer, soit dans le séjour provisoire du purgatoire. Si notre
sort est fixé immédiatement après la mort, un jugement général à la fin du
monde ne sert à rien et n'a aucune raison d'être.
Il est un travestissement, si on le
compare à la croyance des premiers chrétiens. Eux, ils pensaient que le Christ
allait revenir incessamment pour exterminer les incroyants et installer les croyants dans le royaume de
la Palestine.
Le Saint-Esprit est
la troisième personne de la sainte Trinité. - Notre-Seigneur a envoyé le
Saint-Esprit à ses apôtres le jour de la Pentecôte, dix jours après son Ascension.
1. Dans l'Ancien Testament le
Saint-Esprit désigne les formes multiples de l'activité de Dieu : il n'est
pas une personne. Dans le Nouveau Testament, il désigne presque toujours soit
les manifestations de l'activité de Dieu, soit les manifestations de l'activité
du Christ, et il n'est pas encore une personne. C'est seulement dans la seconde
édition de l'évangile de saint Jean qu'il devient la troisième personne divine.
Ceci eut lieu vers l'an 165. Ce que le catéchisme ajoute sur l'activité du
Saint-Esprit et sur ses dons n'est qu'un tissu de fantaisies
inconsistantes.
2. L'histoire de la
Pentecôte et du Saint-Esprit envoyé alors aux apôtres est une fable fabriquée
après le milieu du second siècle.
Après avoir reçu le
Saint-Esprit, les apôtres convertirent beaucoup de
juifs et de païens.
La conversion des juifs
et des païens au christianisme a été commencée par
saint Etienne et ses disciples (notamment Philippe
et Barnabé). Mais c'est saint Paul qui a été le grand ouvrier de l'expansion du
christianisme. Son oeuvre fut d'ailleurs continuée
par ses compagnons. Quant aux disciples immédiats de Jésus (ceux qu'on appelle
les Douze) la propagande chrétienne ne leur doit rien. Et c'est par rivalité
contre saint Paul qu'on a fait d'eux les apôtres du christianisme.
La société des chrétiens gouvernée
par les apôtres s'appela l'Eglise. Son premier chef fut saint Pierre institué par Notre-Seigneur prince des apôtres et chef de
toute l'Eglise. L'Eglise existera toujours parce que Notre-Seigneur a promis à
ses apôtres et à leurs successeurs d'être avec eux
jusqu'à la fin du monde.
Jésus, dont le programme était
d'exterminer, avec le secours de Dieu, les Romains maîtres de son pays, et de
relever ensuite le royaume de David, avait une confiance absolue dans le succès
de son entreprise, et l'idée ne lui venait pas qu'il serait mis à mort par les
Romains. Absorbé par la pensée du règne glorieux qu'il allait inaugurer, il ne
pouvait songer à fonder une église, encore moins à lui donner un chef. Et les
textes, qui lui attribuent un pareil projet, ne peuvent être pris au sérieux.
Quand Jésus fut mort, les premiers
chrétiens crurent qu'il avait été recueilli au ciel par Dieu, et ils s'attendaient tous les jours à le voir descendre du ciel
pour achever, avec l'aide de Dieu, l'oeuvre que sa
mort avait interrompue. Comptant sans cesse assister à la venue de leur roi, et
à l'inauguration de son royaume les premiers chrétiens, eux non plus, ne se
préoccupaient ni d'une église ni d'un chef pour cette église.
Après plusieurs dizaines d'années,
tout en continuant d'attendre le retour du Christ qui tardait toujours, on fut
obligé de s'organiser. C'est alors qu'apparurent des églises, c'est-à-dire des
groupements de chrétiens dont chacun avait à sa tête un personnel dirigeant. De
ces églises la plus importante fut celle de Rome. Aux environs
de 140, quelques membres de cette église, très attachés à la mémoire de saint
Paul, enseignèrent que saint Paul avait été chargé par le Christ d'administrer
l'ensemble des églises. Dans un groupe rival on fabriqua alors un oracle aux
termes duquel le Christ avait donné l'investiture de son église à saint Pierre.
C'est sur cette imposture que repose la dignité souveraine de saint Pierre.
L'Eglise est la
société des chrétiens gouvernée par Notre Saint-Père le Pape successeur de
saint Pierre et par les évêques successeurs des apôtres.
Paul et ses compagnons, qui fondèrent
des groupes chrétiens, ne se préoccupèrent pas de les organiser. La chose était
inutile, puisque le Christ allait, d'un moment à l'autre,
revenir du ciel pour inaugurer son royaume de la Palestine et gouverner en
personne les fidèles. Mais, le retour du Christ se faisant toujours attendre,
les groupes, sous peine de tomber dans le chaos, durent pourvoir eux-mêmes à
leur organisation et mettre à leur tête des chefs qu'on appela le plus communément évêques. Les évêques ne succèdent pas aux
apôtres (c'est-à-dire aux disciples immédiats de Jésus qu'on appelle
les Douze) ; l'évêque de Rome ne succède pas à saint Pierre. Tous
sont le produit de la force des choses qui a obligé les groupes chrétiens à se
donner des chefs. Ceci n'aurait pas eu lieu si le Christ était revenu du ciel
comme on le croyait. C'est très lentement que la force des choses
exerça sa pression et obligea les groupes à agir.
Le chef invisible de l'Eglise est
Jésus-Christ ; son chef visible est le pape vicaire de Jésus-Christ sur la
terre.
C'est l'évêque de Rome que l'on
désigne sous le nom de pape. Et on l'appelle ainsi à cause de l'autorité qu'il
exerce sur l'église catholique tout entière. Cette autorité se manifeste sous
nos yeux ; l'unique question est de savoir d'où elle vient.
A en croire les
catholiques, elle vient du Christ qui a confié le gouvernement de son église à
saint Pierre dont l'évêque de Rome actuel est l'héritier. Les catholiques se trompent. Le Christ comptait, après
l'écrasement des Romains installés dans la Palestine, relever le trône glorieux
de David à Jérusalem ; mais il n'a jamais songé à fonder une église, encore
moins à donner à cette église un chef. C'est un empereur romain qui, à la fin
du Ive siècle, obligea, sous des peines graves, tous les évêques à
obéir aux ordres de l'évêque de Rome. Et c'est la décision de cet empereur qui
est la source principale de l'autorité de l'évêque de Rome.
Source principale, mais
non unique, car les évêques de Rome imaginèrent divers expédients destinés à.
affermir et à développer le cadeau impérial. Reste à savoir comment l'empereur
fondateur de la papauté a été amené à cette institution.
Il a agi sur la demande
de l'évêque de Rome. En sorte que la papauté a été fondée par le pouvoir impérial, mais que l'initiative de cette fondation vient
de l'évêque de Rome lui-même.
Comment s'explique cette démarche d'un évêque auprès de
l'empereur ? Deux influences y ont collaboré :
l'éclat du siège épiscopal de Rome et l'ambition. Rome, capitale de l'empire
romain, était la ville la plus riche du monde. Les évêques de Rome, à la tête d'un
troupeau très nombreux, disposaient de ressources abondantes et menaient un
train de vie princier. Leur prééminence matérielle éveilla en eux des
sentiments d'ambition et d'orgueil auxquels ils ne surent pas résister. Il leur sembla que, supérieurs aux autres
évêques par le faste de la vie, ils les surpassaient aussi par la dignité.
Longtemps avant la fin du Ive siècle ils étaient hantés par la
pensée de dominer sur leurs collègues. Mais, laissée à elle seule, cette pensée
était, cela va sans dire, un rêve chimérique. L'innovation obtenue à la fin du
Ive siècle a consisté à faire du rêve une réalité ; et ce résultat a
été atteint par l'intervention du glaive impérial.
Le pape a le pouvoir d'enseigner et
de gouverner l'Eglise.
Cela est vrai
aujourd'hui, puisque les catholiques reconnaissent, en effet, au pape une
autorité absolue sur toute l'église catholique. Mais il y a peu de temps qu'il
en est ainsi. Pendant de longs siècles, malgré la ruse et l'audace qu'ils
déployèrent pour étendre les pouvoirs très limités qu'ils tenaient des
empereurs, les papes furent arrêtés par des obstacles considérables. La France,
notamment, refusa, tantôt complètement, tantôt en partie, de se soumettre à
leurs prétentions. Et, au XVIe siècle, après des abus de toutes
sortes, la papauté perdit une partie de l'Europe qui
passa au protestantisme. Ce qui lui reste
aujourd'hui, ce sont les débris d'un empire écroulé.
Le pape est infaillible et ne peut se
tromper lorsqu'il enseigne à l'Eglise universelle ce qu'il faut croire et ce
qu'il faut pratiquer, parce qu'il est alors assisté par le Saint-Esprit comme
l'Eglise elle-même.
Selon l'enseignement
du catéchisme le pape et l'Eglise, quand leur enseignement réunit certaines
conditions, sont assurés d'une assistance divine qui leur procure
l'infaillibilité. Cette infaillibilité due à l'assistance divine étant la même
peut être considérée indifféremment dans le pape ou dans l'Eglise. C'est ce que
l'on va faire ici.
La prétendue assistance
divine que l'Eglise revendique pour son enseignement
appelle deux observations.
Premièrement cette
assistance est inconciliable avec la variation que les dogmes ont subie au
cours des siècles. Pour ne prendre que quelques exemples, la présence réelle du
Christ dans l'eucharistie, la confession, l'immaculée
conception, le péché originel, qui sont des dogmes, ont été pendant plusieurs
siècles inconnus dans l'Eglise. Sur ces dogmes la foi a varié. Or
cette variation serait impossible si l'Eglise était assistée par Dieu dans son
enseignement.
L'assistance divine est surtout inconciliable
avec certains enseignements de l'Eglise qui ont été des fléaux pour
l'humanité. Cette observation s'applique aux décisions
des papes qui, pendant plusieurs siècles, ont fait brûler plus de cinquante
mille sorciers et sorcières en les accusant de crimes imaginés de toutes pièces
sous l'empire de l'ignorance. La raison se refuse absolument à admettre une
assistance divine qui laisse les papes tomber dans des erreurs aussi néfastes.
Or, si les papes ont été laissés par Dieu dans l'erreur quand ils ordonnaient,
sous les peines les plus graves, de brûler par milliers des innocents, quelle
confiance peut-on avoir dans la prétendue assistance qu'ils revendiquent pour
leurs autres enseignements ?
Deuxièmement. Une assistance divine
empêchant l'Eglise de scandaliser les populations aurait été au moins aussi
nécessaire qu'une assistance dans l'enseignement,
puisque l'Eglise prétend avoir reçu du ciel la mission de conduire les hommes à
la vertu. Or, pendant de longs siècles, le clergé,
les moines, la papauté ont donné au peuple chrétien le spectacle de tous les
débordements. Et le peuple chrétien a été fâcheusement porté à la pratique du
vice par les exemples de corruption que l'Eglise a mis pendant si longtemps
sous ses yeux. Pour concilier avec le privilège de l'assistance divine ce mal
qu'elles avouent, l'Eglise et la papauté expliquent
que c'est seulement leur enseignement qui est assisté par Dieu. Nous, nous
concluons que le Christ n'a vraiment pas su s'y prendre si, comme le prétendent
les catholiques, il a fondé l'Eglise pour conduire les hommes à la vertu et au
ciel.
Les lignes qui précèdent parlent
indifféremment de l'infaillibilité du pape et de l'infaillibilité de l'Eglise
parce que, selon la croyance catholique, l'infaillibilité est la même de part
et d'autre. Ajoutons ceci. C'est au concile du Vatican de 1870 que le pape a
été proclamé infaillible quand il enseigne toute
l'Eglise. Cette proclamation fut faite par une
majorité d'évêques dont beaucoup n'avaient pas la liberté voulue pour se
prononcer en toute sincérité, les uns parce qu'ils étaient sous la
dépendance absolue du pape, les autres parce qu'ils redoutaient les
fidèles fanatisés. La plupart des évêques indépendants
se prononcèrent contre le nouveau dogme. Avant 1870, seul l'enseignement de
l'Eglise était tenu pour infaillible.
Les membres de
l'Eglise sont ceux qui ont été baptisés et que l'Eglise n'a point retranchés.
Le catéchisme explique que les Juifs
et les infidèles n'appartiennent pas à l'Eglise parce qu'ils n'ont pas reçu le
baptême. Il donne ensuite la liste de ceux qui, ayant reçu le baptême, sont
néanmoins retranchés de l'Eglise. Ce sont les hérétiques, les schismatiques,
les apostats, les excommuniés. Il ajoute que les francs-maçons peuvent être comptés
parmi les excommuniés parce qu'ils sont les pires ennemis de l'Eglise. Cette
réponse du catéchisme n'est pas à discuter et on n'a qu'à
en prendre acte, attendu que toute association est maîtresse chez elle et peut,
à son gré, éliminer ceux de ses membres dont elle croit avoir à se plaindre.
Hors de l'Eglise
point de salut. - Mais on peut appartenir à l'âme de
l'Eglise sans appartenir à son corps, et alors on n'est pas hors de l'Eglise.
Il y a ici deux assertions ;
l’une qui envoie en bloc dans l'enfer tous les gens étrangers à l'Eglise et,
par conséquent, hors de l'Eglise ; l'autre qui explique que l'on peut être dans
l'Eglise tout en paraissant être dehors. L'explication consiste à distinguer
dans l'Eglise un corps et une âme. Le corps est l'ensemble des chrétiens que l'autorité ecclésiastique admet à la
réception des sacrements, à la confirmation, à la pénitence, à la communion, à
l'extrême-onction, au mariage et dont elle bénit la sépulture. Ce corps est
visible, car il est facile de savoir si quelqu'un est admis à la réception des
sacrements et, en cas de mort, à la sépulture ecclésiastique.
L'âme de l'Eglise déborde son corps ; elle atteint des personnes que l'autorité
ecclésiastique ne reconnaît pas comme fidèles et auxquelles elle refuse les sacrements ainsi que la sépulture ecclésiastique après
leur mort. Ceci a lieu parce que Dieu tient pour fidèles ceux qui, retranchés
du corps de l'Eglise pour une raison quelconque, sont sincères dans leurs
convictions, honnêtes dans leur conduite, et adhèrent à certains principes fondamentaux du domaine mystique. Ces personnes, que
l'autorité ecclésiastique a retranchées du corps de l'Eglise, mais que Dieu
range parmi ses enfants, appartiennent à l'âme de l'Eglise. Elles lui appartiennent
d'ailleurs sans le savoir, et nul au monde, sauf Dieu, ne le sait. L'âme de
l'Eglise est donc invisible, tandis que son corps est visible.
De ces deux assertions la première
est de beaucoup la plus ancienne et a été longtemps seule en vigueur. La
seconde est relativement moderne. Pendant de longs siècles, on a jeté dans
l'enfer tous ceux qui étaient hors de l'Eglise et on a déclaré hors de l'Eglise
tous ceux qui n'étaient pas admis par les autorités ecclésiastiques à la
réception des sacrements ainsi qu'à la sépulture chrétienne. C'est
plus tard qu'on a distingué dans l'Eglise un corps et une âme, et
qu'on a logé dans l'Eglise ceux qui, sans appartenir au corps, appartenaient à
l'âme.
Cette seconde assertion,
qui se présente comme l'explication de la première,
a en réalité, pour objectif de la renverser sournoisement. Et la distinction d'un
corps et d'une âme dans l'Eglise est l'expédient artificiel imaginé pour
abattre l'ancienne doctrine sans en avoir l'air. L'Eglise vouait jadis à
l'enfer tous ceux qu'elle retranchait de son sein. Telle est la tradition.
Cette tradition, on n'ose pas l'écarter. On la maintient donc soigneusement.
Mais, tout de même, comme elle a un aspect féroce, on lui associe un
complément, qui l'humanisera tout en la maintenant,
et la corrigera sans l'abattre. Il n'est que de trouver des formules habiles
qui masqueront l'impossibilité de l'entreprise. Hors de l'Eglise
point de salut ; mais on peut appartenir à l'Eglise, même quand on est exclu
par l'autorité ecclésiastique de la réception des
sacrements et de la sépulture chrétienne. Du
principe traditionnel il ne reste que la face ; mais la face est sauvée. Bel
exemple de jonglerie de mots.
Notons que ce truc
conciliateur, destiné à abattre la tradition tout en faisant semblant de la
maintenir, n'atteint que très imparfaitement son but. Il n'admet
dans l'âme de l'Eglise que ceux qui connaissent au moins
les principaux enseignements du christianisme, c'est-à-dire les protestants et
les Grecs schismatiques. Mais il écarte de cette âme et envoie dans l'enfer la
masse immense des infidèles.
Il n'y a
qu'une seule vraie Eglise qui est la sainte Eglise catholique,
apostolique et romaine.
L'Eglise romaine prétend être seule
la vraie Eglise fondée par le Christ. Mais toutes les autres sociétés
chrétiennes ont la même prétention. En réalité toutes se font illusion. Car le
Christ, dont le programme était politique, n'a jamais eu l'idée de fonder une
église. On a vu comment les chrétiens, tout en attendant le retour du Christ
qui tardait sans cesse à venir, ont été contraints par la force des choses de
s'organiser.
Il y a des saints dans l'Eglise
romaine. Mais il y en a aussi dans les autres sociétés chrétiennes. Il y en a
dans le monde de la libre pensée ; par exemple Spinoza, Littré, étaient des
saints. L'église romaine s'imagine avoir le monopole de
la sainteté. En cela elle commet une erreur qui a sa racine dans l'orgueil.
Elle est dupe d'une autre erreur encore. Au lieu de placer la
sainteté dans la pratique des vertus morales et dans la poursuite d'un
idéal de justice, l'église romaine a une tendance de plus en plus
marquée à présenter comme modèles des personnes détraquées, en proie à des
visions, ou à des tares analogues. Tels le curé d'Ars, Bernadette Soubirous, Marie Alacoque,
Benoît Labre, etc.
L'église romaine
s'intitule catholique sous prétexte qu'elle est répandue par toute la terre.
C'est là une exagération manifeste. Dans l'Asie il n'y a pas un catholique sur
mille habitants. Et il en est de même en Afrique.
L'église romaine s'intitule
apostolique, pour montrer qu'elle vient des apôtres. En quoi elle se fait
illusion. L'Eglise ne vient pas des apôtres. On a vu plus haut comment s'est
produite son organisation.
L'église romaine s'appelle ainsi
parce qu'elle a pour chef l'évêque de Rome. Cela est vrai maintenant. Mais il
n'en a pas toujours été ainsi. Pendant plusieurs siècles les chrétiens
n'avaient pas l'idée d'avoir avec Rome un lien de dépendance. Aujourd'hui
encore, dans le symbole qu'ils chantent tous les dimanches à la grand' messe,
les catholiques disent : « Je crois que l'Eglise est une, sainte, catholique,
apostolique.» Ils n'ajoutent rien de plus. Cela, parce que, à l'époque où le
symbole a été composé, personne ne songeait à se rattacher à Rome.
L'Eglise ne peut pas
nous tromper puisqu'elle est conduite par le Saint-Esprit.
Pour exterminer les
hérétiques, l'Eglise a mis à feu et à sang d'abord le Midi de la France, puis
plus tard la Bohême, puis plus tard encore l'Allemagne. Elle a fait brûler plus
de cinquante mille sorciers et sorcières en les accusant d'anéantir les
récoltes et les vignobles, c'est-à-dire de crimes imaginaires. Ajoutons à cela
les variations que ses dogmes ont subies au cours des siècles et dont on a parlé
plus haut. Elle a aussi décrété que le mouvement de la terre est une hérésie,
et c'est contrainte par la réprobation universelle qu'elle a supprimé cette hérésie. Voilà comment l'Eglise est
conduite par le Saint-Esprit.
Ce qui fait sa force,
c'est l'ignorance des fidèles. Aussi entretient-elle de tout son pouvoir cette ignorance. Pour l'entretenir, elle interdit partout où
elle le peut la lecture des livres qui enseignent la vérité.
Nous devons croire ce que l'Eglise
enseigne et pratiquer ce qu'elle commande.
Ce devoir existerait, en effet, si les
enseignements de l'Eglise étaient toujours fondés sur la vérité, si ses
commandements étaient toujours fondés sur la justice. Mais, comme par le passé,
l'Eglise a toujours enseigné l'erreur et ordonné souvent l'injustice, nous
avons lieu de craindre qu'il n'en soit encore ainsi à l'avenir. Nous devons
donc nous tenir sur nos gardes et nous réserver le droit de contrôle quand
l'Eglise promulgue un nouvel enseignement ou une nouvelle règle de conduite.
Mais l'Eglise, qui se prétend infaillible, rejette ce contrôle et elle traite
en ennemis ceux qui veulent l'exercer.
Les ennemis de l'Eglise sont ceux qui
calomnient et persécutent la religion. - Nous devons
répondre aux paroles et aux actes des ennemis de l'Eglise en leur opposant la
vérité.
L'Eglise, qui a tant
calomnié et persécuté ses ennemis, ne serait certes pas qualifiée pour se
plaindre si l'on retournait aujourd'hui contre elle les armes dont
elle s'est tant servie. Néanmoins il reste vrai que la calomnie et la persécution sont des procédés absolument
condamnables. On doit donc blâmer énergiquement ceux qui calomnient et
persécutent l'Eglise.
Mais, le plus ordinairement, les
plaintes de l'Eglise ne sont pas fondées et elles reposent sur l'équivoque. En
réalité, l'Eglise veut cacher toutes les erreurs, toutes les fautes commises au
cours des siècles par les papes, par les évêques, par le clergé. Et elle crie à
la calomnie, à la persécution, dès qu'on divulgue ces erreurs et ces fautes.
Son procédé est une rouerie dont nous ne voulons pas être dupes.
Les prétendues calomnies dont
l'Eglise se plaint étant des vérités gênantes qu'elle voudrait tenir cachées,
la vérité qu'elle oppose aux calomnies de ses adversaires consiste dans les
expédients imaginés par les apologistes en réponse aux témoignages de
l'histoire. Ces expédients ne résistent pas à un examen sérieux. Et les
apologistes, obligés de reconnaître leur défaite, abandonnent peu à peu les
positions qui paraissaient les plus solides. Les capitulations, auxquelles les
défenseurs patentés de l'Eglise ont dû se résigner depuis un siècle,
troubleraient les fidèles s'ils les connaissaient. Mais ils ne les connaissent
pas, car l'Eglise a grand soin de les tenir dans l'ignorance.
La lecture des livres
et des journaux qui attaquent la religion et la morale est défendue.
L'Eglise associe systématiquement les
écrits opposés à la religion et les écrits immoraux. Son objectif est de nous
amener à confondre dans le même mépris et dans la même aversion les uns et les
autres. Ne soyons pas dupes de cette ruse. La littérature immorale est abjecte
et elle ne peut que provoquer la répulsion d'une âme élevée. D'ailleurs
l'Eglise est en pratique très indulgente pour cette littérature qu'elle combat
en paroles. Elle réserve toute sa sévérité pour les livres qu'elle appelle
impies. Or ces livres se bornent à rapporter l'histoire telle qu'elle s'est
passée. Si l'Eglise est en fureur contre eux, c'est parce que son enseignement,
dicté par l'ignorance ou même l'imposture, est
contraire à l'histoire. Les condamnations portées par l'Eglise contre les
écrits qu'elle appelle impies sont trop intéressées pour que nous puissions les
prendre au sérieux.
C'est un devoir de
voter et de bien voter aux élections.
L'électeur qui, sans raison, se dispense
de voter, ne remplit pas son devoir social, et il est répréhensible. Est
également répréhensible celui qui ne vote pas bien. Jusqu'ici nous sommes
d'accord avec le catéchisme. L'accord cesse quand il s'agit de préciser ce
qu'on doit entendre par bien voter. Ce que le catéchisme appelle un bon vote,
c'est celui qui favorise les intérêts de l'Eglise. En réalité le bon vote,
c'est celui qui, sans tenir compte des prétentions de l'Eglise et du clergé, a
en vue l'intérêt général.
Tous les membres de l'Eglise, ne
formant qu'un seul corps, participent aux mêmes biens spirituels, et c'est ce
que nous appelons la communion des saints.
Les liens spirituels auxquels, à en
croire le catéchisme, participent tous les membres de l'Eglise, sont du domaine de la chimère. Ce qui est vrai, c'est que les
membres de la société civile, depuis le plus humble ouvrier
jusqu'au fonctionnaire le plus élevé, collaborent au bien général. Chacun de
nous bénéficie du travail des autres et les autres bénéficient de notre travail
personnel. Cette collaboration au bien général est
la véritable communion des hommes parce qu'elle
seule est réelle.
Nous
honorons et nous prions les saints, et les saints intercèdent pour nous.
Les saints, dont parle le catéchisme,
furent parfois des persécuteurs d’autre fois des détraqués et, le plus souvent,
des personnes dont la vie a été travestie par des légendes déraisonnables.
Nous, au contraire, nous réservons notre respect et notre reconnaissance aux
grands bienfaiteurs de l’humanité, à ceux qui l’ont éclairée ou qui ont
contribué à améliorer son sort. Tels Socrate, Galilée, Voltaire, Lavoisier,
Ampère, Pasteur, et quelques rares saints comme saint Vincent de Paul. Nous
avons de la reconnaissance à ces hommes qui continuent, aujourd’hui encore, de
répandre sur nous leurs bienfaits. Nous les prenons pour modèles. Et les
efforts que nous faisons pour nous approcher d'eux relèvent notre dignité, nous
rendent meilleurs.
Jésus-Christ a donné
à son Eglise le pouvoir de remettre les péchés.
Le moyen de réparer nos fautes, c'est
de nous corriger pour n'y pas retomber. Les prétendus pouvoirs, que l'Eglise
s'attribue, relèvent de la magie. Les prêtres qui exercent ces pouvoirs sont
des magiciens, des sorciers. Ces gens-là sont à leur
place chez les sauvages, mais non chez les peuples civilisés.
A
la fin du monde, tous les hommes ressusciteront avec le même corps qu'ils
auront eu sur la terre. Les corps ressusciteront afin que, après avoir partagé
les vertus ou les crimes des âmes, ils partagent aussi leurs récompenses ou leurs châtiments.
La résurrection des corps à la fin du
monde se heurte à trois obstacles :
Premièrement, elle
suppose que chacun de nous conserve jusqu'à la fin de sa vie le corps avec
lequel il est né. Or cette assertion repose sur l'ignorance complète de la
physiologie. Toutes les parcelles qui composent notre corps sont peu à peu
éliminées et remplacées par d'autres qui subiront le même sort à leur tour. Le
corps qu'on a à vingt ans ne possède aucune des parcelles du corps qu'on avait
en naissant. Le corps qu'on a à quarante ans n'a aucun élément commun avec le
corps de vingt ans. Il en est de notre corps comme du régiment dont les soldats
se renouvellent sans cesse. Il est donc puéril de parler des récompenses ou des
châtiments de notre corps au jour de la résurrection, puisque le corps de
l'homme qui meurt à cinquante ou soixante ans n'est plus celui qu'il avait
quand il accomplit à vingt ans telle action bonne ou
mauvaise.
Deuxièmement. Selon l'enseignement de
l'Eglise, il y a en nous un corps et une âme. L'âme, dont la substance n'est pas la substance du corps, possède seule
la vie. Elle seule peut jouir et souffrir. Et le corps, quand l'âme l'a quitté,
n'est qu'une chose inerte. Si l'âme est seule capable de jouir et de souffrir,
elle n'a que faire du corps pour exercer ces fonctions. En quoi donc le corps
peut-il être récompensé ou puni, puisque l'âme est seule à jouir et à souffrir
?
La vérité est que la résurrection des
corps a été imaginée à une époque et dans un milieu
où la distinction de l'âme et du corps était ignorée. L'âme se confondant avec
le corps, quand on mourait, tout était mort et une seconde vie exigeait
nécessairement la résurrection de nos corps. A partir du jour où on attribua à
l'âme une substance distincte du corps, la résurrection de ce dernier n'avait
plus de raison d'être et on aurait dû y renoncer. On la garda sans s'apercevoir
que le corps ne sert à rien si l'âme a le monopole de la jouissance et de la
douleur.
Troisièmement. L'Eglise enseigne que,
tout de suite après la mort, l'âme est jugée par Dieu et précipitée dans
l'enfer si elle est coupable. A quoi donc servira la résurrection qui
n'ajoutera rien au bonheur ou aux souffrances que l'âme éprouve dès maintenant
? Et à quoi servira le jugement général puisque l'âme est, dès maintenant,
jugée ?
L'enseignement actuel de l'Eglise sur
la résurrection est incohérent. Mais, pendant plusieurs siècles l'Eglise
enseigna que le châtiment des coupables commençait seulement à l'époque de la
résurrection des corps, et que d'ici là, l'enfer était complètement vide. Alors
la résurrection des corps avait une raison d'être. L'incohérence
de l'enseignement actuel vient de ce qu'il garde une partie de l'ancienne
croyance après avoir rejeté l'autre sans laquelle la partie gardée ne se
comprend plus.
Aussitôt après la mort, notre âme
paraît devant Dieu pour être jugée sur ses bonnes et ses mauvaises actions.
C'est ce qu'on appelle le jugement particulier.
Ce que le catéchisme ne
dit pas mais ce que l'Eglise enseigne, c'est que le jugement particulier
portera avant tout sur le baptême et sur les principales vérités de la foi.
Tous ceux qui auront reçu le baptême et auront cru aux principaux dogmes de la
foi pourront être sauvés. Mais tous ceux qui, nés dans un pays infidèle,
n'auront pas reçu le baptême et auront ignoré involontairement les principaux
dogmes de la foi seront condamnés. On vient de voir que ce jugement, subi
immédiatement après la mort, rend inutile le jugement général que tous les
hommes doivent subir après la résurrection à la fin du monde. Mais on a vu
aussi que ce jugement général, aujourd'hui inutile, avait sa raison d'être dans
les premiers siècles parce que alors l'enfer
attendait la résurrection des corps pour recevoir
ses premiers pensionnaires.
Les justes jouiront
dans le paradis d'une vie éternellement heureuse.
L'espoir d'une vie
future est un beau rêve. Malheureusement de très
graves raisons nous contraignent à reléguer ce rêve au rang des chimères.
Premièrement. Pour qu'une vie future
soit possible, il faut que notre vie ait pour principe un être caché dans notre
corps mais distinct de notre corps. Si, en
effet, un tel être n'existe pas, il ne reste nécessairement rien de
nous quand nous mourons, puisque notre corps tombe alors en poussière. Mais, si
notre vie à nous a pour principe un être caché dans notre corps et distinct de
notre corps, si notre activité vitale ne s'explique pas sans cet être caché
dans notre corps, il doit en être de même pour les animaux, surtout pour les
animaux supérieurs. Comme nous les animaux vivent ; comme nous, ils ont des
sensations (vision, ouïe, etc.) ; comme nous, ils ont des sentiments
(affection, dévouement maternel, haine, orgueil, colère, jalousie, etc.), ils accomplissent même des ébauches de raisonnements qui leur
permettent d'adapter des moyens à des buts. Si donc nos fonctions vitales
exigent un principe distinct de notre corps, ce même principe est exigé pour
les opérations vitales des animaux. Or, sans aucune contestation possible,
quand un animal meurt, il ne subsiste plus rien de lui. Il meurt tout entier.
Puisqu'il meurt tout entier, nous sommes obligés de conclure que sa vie n'est
pas le produit d'un petit être caché dans son corps et distinct de son corps.
Non. Ce qui le fait vivre, c'est son organisation, surtout l'organisation de
ses nerfs. Chez les animaux, même les animaux supérieurs, la vie est la
propriété de l'organisation nerveuse s'épanouissant dans le cerveau. L'énergie,
après une certaine trituration des éléments de la
matière, est capable de produire des sensations, des sentiments, des ébauches
de raisonnements ; ajoutons des aspirations vers un
mieux-être, car le jeune animal aspire à être un animal parfait. Seulement, on
ravale les aspirations de l'animal en les appelant des désirs.
Il y aurait puérilité de notre part à
essayer de nous soustraire à cette loi générale. Le principe de l'activité
vitale est chez nous le même que chez les animaux. Rien n'empêche certes de
donner à ce principe le nom d'âme. Oui, nous avons une âme puisque nous vivons
et que notre vie a nécessairement un principe. Nous avons une âme ; mais les
animaux en ont une, eux aussi. Et l'âme est, chez nous, ce qu'elle est chez les
animaux supérieurs : l'ensemble des fonctions de l'appareil nerveux
épanoui dans notre cerveau. Ces fonctions, sécrétées
par notre organisation cérébrale, s'évanouissent quand leur laboratoire est
hors d'usage. De nos sensations, de nos sentiments, de nos aspirations, de
notre vie intellectuelle il ne reste plus rien. Quant au peu de matière dont
nous disposons, il passe, selon le mot de Bossuet, en d'autres mains, parce
qu'il doit rester éternellement dans le commerce.
Deuxièmement. Pour qu'une
seconde vie fût possible, il faudrait que Dieu prît soin de l'aménager
quelque part en dehors de la terre d'où la mort nous fait disparaître. Or un
Dieu s'occupant de ses créatures aurait commencé par
ne pas condamner les animaux à se manger mutuellement comme ils font. Ce Dieu
n'aurait pas fait de la terre l'immense champ de carnage qu'elle est depuis les
millions d'années que la vie existe. Même si une seconde vie est possible, il
n'existe aucune Providence pour nous la garantir.
Le paradis ou le ciel est un lieu de
délices où les saints voient Dieu face à face, l'aiment parfaitement et
jouissent éternellement de sa présence et de sa gloire.
Selon l'enseignement de
l'Eglise, la première condition requise pour jouir
du bonheur du ciel est d'avoir connu sur cette terre les principaux
articles de la foi chrétienne. Or ceux-là seuls qui sont nés dans un milieu
chrétien ont pu connaître ces doctrines. Les autres les ont, par la force des
choses, ignorées. Et, comme les chrétiens (y compris les catholiques, les
protestants, les schismatiques) forment à peine le tiers du genre humains, il s'ensuit que les deux tiers de l'humanité sont
inévitablement exclus du bonheur du ciel. Il ne tenait qu'à Dieu d'arranger les
choses autrement. Elles sont ainsi parce que telle est sa volonté. D'où il suit
que le Dieu des chrétiens est un Dieu fantasque, capricieux, qui a un petit
nombre de préférés, et qui refuse arbitrairement son
ciel à la majorité des hommes. Un pareil Dieu répugne à notre raison. Et c'est
pour nous un nouveau motif de rejeter la vie future enseignée par le
christianisme.
L'enfer est un lieu de tourment, où
les pécheurs brûlent avec les démons dans un feu qui ne s'éteindra
jamais.
L'enfer, avec son feu éternel, peut
être considéré en soi et du point de vue de l'histoire. En soi, un châtiment
éternel dans le feu est tellement atroce que l'esprit humain se refuse à en
accepter la réalité. L'instinct de justice qui est en nous veut que le coupable
soit puni. Mais il exige aussi que l'expiation prenne fin quand le coupable
s'améliore. On comprend encore qu'un coupable
incorrigible soit anéanti. Mais un Dieu qui s'ingénierait
à prolonger éternellement la vie d'un criminel pour le torturer éternellement
serait un monstre. L'esprit humain se refuse à admettre qu'un pareil être
puisse exister. Notre aversion serait irréductible même en présence
d'une peine quelconque prolongée éternellement. Elle prend une intensité qui la
change en indignation quand on la met en face d'un supplice éternel infligé par
le feu.
Examinons maintenant l'enfer du point
de vue de l'histoire. Il donne alors lieu à diverses observations, notamment
aux deux suivantes. Premièrement. Pendant plusieurs
siècles l'Eglise a condamné à l'enfer tous les infidèles indistinctement, mais
eux seuls ; et elle a garanti le ciel à tous les chrétiens après des expiations
passagères. Deuxièmement. Jusqu'au VIIe siècle, on croyait que
l'enfer attendrait la résurrection générale pour ouvrir ses portes et recevoir
ses pensionnaires. D'ici là on le tenait pour vide. Cela revenait pratiquement
à dire que l'enfer restera toujours vide. Car nous savons aujourd'hui qu'il n'y
aura jamais de résurrection.
Le purgatoire est un
lieu de souffrances où ceux qui meurent en état de grâce achèvent de se
purifier de leurs péchés avant d'être admis au bonheur du ciel.
Le purgatoire, lieu de souffrances
expiatrices et transitoires, ne choque pas la raison
qui comprend très bien que les coupables, avant d'être admis au ciel, expient
leurs fautes. Seule l'histoire fait une observation à son sujet. Pendant les
sept premiers siècles l'expiation du purgatoire ne commençait qu'à partir de la
résurrection ; et elle consistait en un fleuve de
feu que les chrétiens imparfaits devaient traverser
avant d'entrer au ciel. C'est seulement depuis le vue siècle que les
âmes sont jugées immédiatement après la mort et que commence
pour les âmes imparfaites une expiation temporaire dont l'issue, après un temps
plus ou moins long mais avant la résurrection, sera l'entrée au ciel. Le dogme
du purgatoire a donc subi une variation importante.
La croix que nous formons en faisant
le signe de la croix nous rappelle le mystère de la rédemption.
Les chrétiens, convaincus que le
Christ est mort pour nous délivrer de l'enfer, sont logiques en vénérant la croix
et en faisant sur eux le signe de la croix, Nous, qui sommes étrangers à la
croyance des chrétiens, nous sommes nécessairement étrangers à leur pratique.
Pour nous Jésus n'est qu'un patriote malheureux qui a essayé d'arracher son
pays au joug romain et à qui les Romains ont infligé, conformément à leur
législation, le supplice de la croix.
Les drames historiques n'ayant pour
nous qu'un intérêt proportionné à leur proximité, nous sommes contraints de
réserver notre attention pour les faits voisins de notre temps et liés à notre
sort. La mort de Jésus, la croix qui a été l'instrument de son supplice, ne
peuvent pas plus nous émouvoir que les autres événements
contemporains de Jésus, par exemple le massacre des légions de l'empereur
Auguste par les Germains.
Pour être sauvé, il ne suffit pas de
croire le symbole des apôtres ; il faut encore observer les commandements de
Dieu qui sont au nombre de dix.
Ce que le catéchisme
appelle les commandements de Dieu, ce sont des commandements que Dieu est censé
avoir dictés à Moïse législateur du peuple juif vers 1400 avant notre ère. En
réalité les prétendus commandements dictés par Dieu
se bornent à résumer, d'une manière parfois imparfaite, le code de lois promulgué, vers l'an 2100 avant notre ère, par le roi babylonien Hammourabi. En sorte que Dieu aurait copié des
lois qui régissaient, depuis sept cents ans, l'empire babylonien, et aurait
même introduit quelques erreurs évitées par ce code.
Voici la vérité. Une société ne peut
subsister sans l'observation de certaines règles morales. Dès que
les sociétés se sont formées, elles ont été régies par des codes rudimentaires.
Les premières ébauches de ces règles morales existent déjà dans les sociétés
animales. Elles ont passé dans les sociétés humaines où elles se sont
développées progressivement. Emanés des nécessités sociales, les codes de
morale en vigueur chez les peuples se différencient selon le degré de
civilisation atteint par ces peuples ; mais ils ont tous des points communs
parce que les conditions générales de la vie sont les mêmes partout. Le peuple
juif, au Xe siècle avant notre ère, se trouvait dans un état de
civilisation inférieur à la civilisation où le peuple
babylonien était parvenu dix siècles auparavant. C'est ce qui
explique que les commandements du code en vigueur chez les Juifs de l'époque de
David sont inférieurs au code de Hammourabi. Ce sont pourtant ces commandements
que le catéchisme prétend avoir été dictés par Dieu à Moïse.
Le premier
commandement de Dieu nous ordonne d'adorer et d'aimer
Dieu de tout notre coeur. Pour l'accomplir nous devons tout d'abord croire ce que Dieu a
révélé à son Eglise parce que Dieu est la vérité même et qu'il ne peut ni se
tromper ni nous tromper.
Le catéchisme enseigne ici deux
choses, à savoir : premièrement que Dieu a fait des révélations, secondement
qu'il a confié la garde de ces révélations à l'Eglise romaine. La vérité est
que, si Dieu s'occupait des hommes, il n'aurait pas laissé le genre humain en
proie aux grossières superstitions qui, aujourd'hui encore, y sont en vigueur.
Dieu ne s'occupe pas du monde. Et, parce qu'il ne s'occupe pas du monde, toutes
les sociétés religieuses, qui prétendent avoir reçu du ciel le mandat de
communiquer aux hommes les révélations divines, font oeuvre
d'imposture. Ceci s'applique à l'église romaine,
comme à toutes les autres sociétés religieuses.
Pour conserver la foi, il faut éviter
la fréquentation des hérétiques et des impies, la lecture et les conversations
contraires à la foi.
Rien n'est plus vrai que cette
assertion. Mais aussi rien ne montre mieux la vanité des croyances chrétiennes. La foi des chrétiens repose sur leurs
impressions d'enfance auxquelles se sont surajoutés des enseignements
contraires à la vérité systématiquement déformée.
N'ayant aucune base sérieuse elle sera renversée, anéantie par la lecture d'un
livre documenté, par la conversation d'un homme éclairé. Voilà pourquoi l'Eglise prescrit à ses fidèles de surveiller avec le plus
grand soin leurs lectures et leurs entretiens. C'est une question de vie ou de
mort pour elle que tous les chrétiens abandonneraient,
s'ils étaient instruits. Ce qu'elle dit du péché contre la foi n'est qu'un
épouvantail comique.
L'espérance et la
charité, dont le catéchisme parle ensuite, sont comme deux statues qui reposent
sur le piédestal de la foi. Le piédestal s'étant écroulé, les statues gisent à
terre et il n'en reste que des débris informes. Inutile d'en parler.
Nous devons aimer Dieu pour lui-même
parce qu'il est infiniment aimable.
L'énergie infinie du monde est une
énigme que nous sommes impuissants à résoudre. Mais précisément parce qu'elle
est une énigme, il nous est impossible de l'aimer. Le seul sentiment qu'elle
nous inspire est celui d'une admiration mélangée de stupeur.
Nous devons aimer le prochain comme
nous-mêmes pour l'amour de Dieu.
Nous ne pouvons pas aimer le prochain
pour l'amour de Dieu, puisqu'il nous est impossible d'aimer
Dieu, c'est-à-dire l'énergie infinie de l'univers. Mais
il existe en nous un sentiment qui nous porte à rendre service au prochain, à
lui être utile, surtout quand il est dans le dénuement et le malheur.
Poussé jusqu'au sacrifice de la vie
l'amour du prochain s'appelle héroïsme. Pour
l'honneur de l'humanité l'héroïsme n'est pas rare. Tous les jours nous voyons
un père, une mère se sacrifier pour sauver leurs enfants. Nombreux aussi sont
les fonctionnaires, les ouvriers qui n'hésitent pas à mourir pour
sauver des vies confiées à leurs soins, pour faire face à leurs
responsabilités.
Ce que le catéchisme ajoute sur
l'amour des ennemis est de la rhétorique déclamatoire. Les moyens qu'il indique
pour aimer le prochain ne s'élèvent pas au-dessus de la banalité. Pourtant ils
sont justes, sauf la prière qui n'a plus aucune raison d'être quand
on a relégué la foi au rang des chimères.
La vertu de religion est une vertu
par laquelle nous rendons à Dieu le culte intérieur et extérieur que nous lui
devons.
L'énergie inconnaissable dont
l'immensité nous écrase nous donne une impression de stupeur et d'admiration. Nous n'avons aucun culte à lui rendre
puisqu'elle ne s'occupe pas de nous. Mais il existe une religion
dont le christianisme n'est qu'une caricature. Cette religion véritable est la
recherche de l'idéal et tout d'abord de la justice. L'homme religieux est celui
qui tend vers l'idéal et qui s'efforce de réaliser la justice.
Nous devons adorer Jésus-Christ
puisqu'il est Dieu.
Jésus-Christ était un homme comme
nous ; il n'était pas Dieu. Cet homme, qui a aimé son pays d'un amour aveugle
mais sincère, a droit à l'estime dont l'histoire entoure la mémoire d'Annibal,
d'Arminius, de Witikind, de
Vercingétorix, de Jeanne d'Arc. Rien de plus.
Nous honorons la Sainte Vierge et les
saints.
La mère de Jésus est pour nous ce
qu'est la mère de Socrate ou la mère de Jeanne d'Arc, auxquelles nous ne
pensons jamais.
Les saints que l'église romaine
présente à notre imitation et à notre vénération sont, en grande partie, des
visionnaires, des exaltés, des extravagants, des détraqués (sainte Thérèse
d'Avila, sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, saint Benoît Labre) auxquels
s'ajoutent des personnages qui n'ont pas existé (saint Christophe, saint
Georges). Nos saints à nous, ce sont les bienfaiteurs
de l'humanité, ceux qui l'ont éclairée ou ont amélioré
son sort : tels, de nos jours, Pasteur et Edison (associons-leur quelques rares
saints de l'église romaine comme saint Vincent de Paul, sainte Jeanne Jugan). Ces
saints nous les honorons, non parce qu'ils sont les amis de Dieu, mais parce
qu'ils sont nos véritables amis.
Nous pouvons aussi
garder avec respect les objets qui leur ont appartenu ou qui évoquent leur
souvenir. Aller au delà serait une ridicule superstition.
Les péchés contraires
à la vertu de religion sont l'idolâtrie,
l'indifférence, l'impiété, la superstition et le sacrilège.
La religion de l'idéal et de la
justice, qui est la nôtre, n'ayant rien de commun avec la religion chrétienne,
les péchés contre la religion signalés par le catéchisme n'ont de sens pour
nous que si nous les épurons. Le péché d'indifférence ou d'impiété consiste
pour nous à mépriser l'idéal. Pour nous, il y a idolâtrie dès qu'on ne se borne
pas à rechercher l'idéal et à en procurer la réalisation ; d'où il suit que les
simagrées de la liturgie catholique sont à nos yeux des actes d'idolâtrie. Pour
nous encore, tout acte est superstitieux dès lors qu'il prétend obtenir un
résultat avec des moyens qui n'y sont pas adaptés : telles les prières et les
processions, destinées à faire cesser un fléau. Enfin le sacrilège consiste,
pour nous, à profaner l'idéal, à violer la justice.
Le second commandement défend de
jurer en vain, de blasphémer, de faire des imprécations, de violer nos voeux faits avec serment.
Le serment, quand il est
exigé par les tribunaux, est un acte respectable. En dehors de là, il n'est pas
exempt de manie ou même d'extravagance. - Le blasphème doit être assimilé aux
paroles ordurières qui sont contraires à la dignité
humaine et dont tout homme qui se respecte a horreur. - Les voeux
sont des engagements pris à un âge où l'on n'a pas l'expérience de la vie. Ils
sont nuls en raison de l'ignorance qui les vicie ; mais ceux qui les prennent
se croient liés par eux indissolublement. Sans les voeux (auxquels il faut ajouter l'absence de ressources et
l'inaptitude à refaire une vie) les moines rentreraient dans le monde. Retenus
par leurs voeux ils deviennent les instruments
aveugles de la papauté. Or, la papauté, en dépit de ses concessions
hypocrites, est irréductiblement opposée au droit en vigueur dans toutes les
sociétés civilisées. Pour ce motif on doit réprouver absolument les voeux imposés par les ordres monastiques à leurs membres.
Le troisième commandement ordonne de
sanctifier le dimanche en s'abstenant des oeuvres
serviles et en s'appliquant au service de Dieu.
Les exercices religieux, que le
catéchisme impose ou recommande aux chrétiens pour sanctifier le dimanche,
n'ont aucun sens pour nous qui n'acceptons pas les dogmes chrétiens. Mais nous
maintenons le repos hebdomadaire pour deux raisons :
Premièrement parce qu'il écarte des travailleurs le danger d'un surmenage qui
pourrait leur être fatal. Deuxièmement, parce qu'il développe la vie de famille,
et qu'il permet les réunions indispensables pour la défense des intérêts
collectifs.
Le quatrième commandement nous
ordonne d'aimer nos parents, de les respecter, de leur obéir et de les assister
dans leurs besoins.
Tout cela est très
juste. Mais les parents ont toujours inculqué ce devoir à leurs enfants, et ils
les ont contraints à l'exécuter. Ils n'ont pas eu besoin d'un commandement de
Dieu pour les éclairer sur ce point.
Le quatrième commandement regarde encore
les devoirs des inférieurs envers leurs supérieurs.
Jusqu'à notre époque, les hommes
étaient parqués dans des classes séparées les unes des autres. Les classes
supérieures avaient les moyens nécessaires pour obliger les classes inférieures
au respect, à l'obéissance, et elles ne manquaient pas d'employer ces moyens.
Aujourd'hui, théoriquement, chacun n'a au-dessus de soi que la loi,
et c'est à elle seule qu'on doit l'obéissance, le
respect. Pratiquement il y a encore des puissants et des faibles. Et ceux-ci
sont souvent exploités par ceux-là. Il appartiendra
à un progrès ultérieur de faire disparaître ce dernier legs de la barbarie
primitive.
Les parents doivent aimer leurs enfants,
les nourrir, les instruire, les corriger
et leur donner le bon exemple.
Les parents ont toujours
été portés par l'instinct de la nature à remplir ces devoirs, et ils n'ont pas
eu besoin d'un commandement de Dieu pour les
connaître.
Les maîtres doivent
traiter leurs serviteurs avec
bonté, payer exactement leurs gages et veiller à ce qu'ils servent Dieu fidèlement.
Les maîtres sont les
premiers intéressés, non à voir si leurs serviteurs servent Dieu, mais à les
traiter avec bonté, à payer leurs gages, et à veiller sur leur conduite.
Les parents et les maîtres doivent instruire ou faire instruire des devoirs de la
religion leurs enfants et leurs
serviteurs, et prendre soin
qu'ils les remplissent exactement.
Le catéchisme confond
ici la vertu avec la religion. Les parents et les maîtres doivent porter leurs
enfants et leurs serviteurs à la pratique de la vertu. Pour cela ils doivent
commencer par donner eux-mêmes l'exemple de la vertu. Le reste est affaire de
préjugés.
Les parents ne peuvent pas envoyer
leurs enfants à des écoles mauvaises où les instituteurs et les institutrices mettent entre les mains des enfants des livres impies ou tiennent devant eux des propos contraires à la religion et à la morale chrétienne.
C'est l'école laïque que
vise ici le catéchisme. C'est elle où l'on met entre les mains des enfants des
livres impies ; où l'on tient devant eux des propos contraires à la religion et
à la morale chrétienne. Or l'école laïque est neutre mais non hostile. Elle ne
parle pas de la religion, mais elle ne la combat pas. Ou, s'il arrive à des
instituteurs exaltés de sortir de la neutralité, le fait, qui d'ailleurs les
rend passibles de blâmes et de sanctions disciplinaires, est tellement rare
qu'il ne compte pas. Le catéchisme est donc injuste en reprochant à l'école
laïque des accidents qui n'arrivent pour ainsi dire jamais. En tout cas il
devrait, en suivant la logique de sa méthode, condamner les écoles
congréganistes où arrivent parfois des accidents d'une autre nature mais
beaucoup plus graves.
Son excuse est qu'il
procède ainsi pour justifier la mentalité du clergé. En réalité, ce que le
clergé reproche à l'école laïque, c'est d'être
neutre ; et s'il la traite d'école mauvaise, c'est à cause de sa
neutralité. Le clergé est sectaire, intolérant. Et le catéchisme, qui n'ose pas
approuver ouvertement cette intolérance, la dissimule en accusant l'école
laïque d'hostilité à la religion.
Le cinquième
commandement nous défend de tuer le prochain, de nous tuer nous-même,
de nous battre en duel et de causer le scandale.
Tuer le prochain est un acte que la raison
condamne, que condamnent d'ailleurs toutes les législations. Le seul
cas où il soit permis de tuer le prochain est celui où le meurtre est le seul
moyen de sauver notre vie contre un injuste agresseur.
Puisque nous ne pouvons tuer autrui,
que pour sauver notre vie injustement menacée, il s'ensuit que nous
n'avons pas le droit de tuer le prochain ou de nous exposer à le tuer quand il
s'agit seulement de sauver notre honneur. C'est pour cela que le
duel est gravement répréhensible. Ceux qui se battent en duel s'exposent, en effet, à tuer le prochain uniquement pour
venger leur honneur.
Le suicide est également
répréhensible, parce que s'ôter à soi-même la vie, c'est fuir lâchement devant
le malheur que l'on doit, au contraire, supporter avec fermeté.
Le scandale est, à proprement parler,
le mauvais exemple qui porte le prochain à faire le mal. Ce sont surtout les
jeunes que le mauvais exemple porte au mal. C'est donc à eux surtout que l'on
doit épargner le scandale.
Par le sixième et le
neuvième commandement, Dieu nous défend tout ce qui est déshonnête.
Ce qui nous interdit les choses
déshonnêtes, c'est l'honneur et notre propre intérêt. L'honneur nous défend ces
choses, car celui qui les commet éprouve un sentiment de honte l'avertissant
qu'il s'est avili. Notre propre intérêt les interdit également ; car la
pratique des manières déshonnêtes ruine la santé et amène une mort prématurée.
Ce qui conduit le
plus ordinairement aux manières déshonnêtes, c'est l'oisiveté et aussi les
fréquentations dangereuses.
Ceci est juste. Disons, en un mot,
que le meilleur préservatif contre les choses déshonnêtes est le travail
stimulé par l'ambition. Celui qui a l'ambition d'arriver
et qui, pour arriver, travaille, ne se laissera pas entraîner
par les compagnies dangereuses et restera honnête.
Le septième et le
dixième commandements nous défendent de prendre ou de retenir le bien du
prochain, de lui causer quelque dommage et d'y participer.
Ce qui est interdit ici, c'est le vol
sous toutes ses formes. Le vol est condamné d'abord par l'instinct de justice
que nous portons tous en nous et qui nous défend de faire à autrui ce que nous
ne voulons pas qu'on nous fasse à nous-mêmes. Nous ne voulons pas qu'on nous
vole notre bien ; nous ne devons donc pas voler le bien d'autrui. Le vol est,
en second lieu condamné par la société qui arrête les voleurs et les met en
prison.
Celui qui achète un
bien d'Eglise commet un vol et est privé des sacrements ainsi que de la
sépulture ecclésiastique.
La société a un droit
supérieur qui l'autorise à s'emparer de la fortune
de l'Eglise, quand elle juge l'opération utile au
bien public. Si la société vend cette fortune dont elle s'est emparée, on est
autorisé à la lui acheter ; et l'acquéreur a le droit de poursuivre devant les
tribunaux ceux qui le traiteraient de voleur.
Les acquéreurs des biens
d'Eglise étant, par la logique même de leur conduite, affranchis des préjugés
religieux, refuseront toute intervention de l'Eglise soit à leurs derniers moments,
soit pour leur sépulture. Ils ne peuvent donc qu'opposer une indifférence absolue à l'ostracisme du clergé à leur égard.
Le huitième
commandement de Dieu défend de mentir et de nuire au prochain en son honneur ou
en sa réputation, soit par la calomnie, soit par la
médisance.
On doit dire la vérité aux personnes
qui ont le droit de la connaître. Mais à ceux qui n'ont pas le droit de
connaître la vérité, on peut, on doit même parfois la tenir cachée.
Pour ce motif les enfants doivent toujours
dire la vérité à leurs parents et à leurs maîtres ou maîtresses. Mais plusieurs
professions amènent ceux qui les exercent à
connaître des secrets qu'ils ne doivent pas révéler.
C'est le secret professionnel que les tribunaux eux-mêmes doivent respecter.
Quant à la calomnie et à la
médisance, elles sont interdites par le principe (déjà signalé plus haut) qui
nous défend de faire à autrui ce que nous ne voulons pas qu'on nous fasse à
nous-mêmes. Nous voulons qu'on ménage notre réputation, nous devons donc
ménager celle des autres. D'ailleurs les calomniateurs et les médisants sont,
dans certains cas, passibles des tribunaux.
L'Eglise a le pouvoir de faire des
commandements qui obligent tous
les chrétiens.
Toute association élabore des
règlements qui lient les sociétaires mais ne peuvent lier qu'eux. Ce qu'on appelle les commandements de l'Eglise, ce sont des règlements établis par l'Eglise.
Les principaux de ces
règlements établis sont ceux qui obligent les catholiques à entendre la messe
le dimanche, à se confesser et à communier à Pâques, à s'abstenir de la viande
le vendredi et de jeûner certains jours, surtout pendant le carême. Ces
commandements lient les catholiques qui veulent être les enfants de l'Eglise.
Ceux qui se sont séparés de l'Eglise n'ont pas à s'en préoccuper.
Le péché est une désobéissance à la
loi de Dieu ou de l'Eglise.
Dieu n'a point fait de loi, puisqu'il
ne s'occupe pas du monde et que le monde lui est indifférent. Mais il existe
des règles de conduite sans l'observation desquelles une société quelconque
croulerait ou ne ferait que languir. Ce sont ces règles que le catéchisme
appelle par erreur la loi de Dieu et qui, en réalité, sont l'ex-pression des exigences sociales.
Puisque, sans ces
règles, la vie sociale serait impossible, elles ont
nécessairement été observées, depuis de longs siècles, par nos ancêtres. Cette
observation multimillénaire a produit dans notre organisme une empreinte qui
fait que nous apportons, en naissant, une inclination à observer nous-mêmes les
règles indispensables au maintien de la vie sociale.
Elles sont imprimées dans notre âme. Et c'est de là
que vient l'usage de les désigner globalement sous le nom de loi naturelle.
La loi naturelle
(appelée inexactement par le catéchisme la loi de
Dieu) est donc l'ensemble des règles de éconduite sans lesquelles il n'y aurait
pas de société humaine possible, et qu'une très longue accoutumance a gravées
dans nos coeurs.
Quant aux commandements
de l'Eglise, on a dit plus haut ce qu'ils sont. Et l'on sait pourquoi on n'a
pour eux que de l'indifférence quand on est détaché de l'Eglise.
Il y a deux sortes de péchés : le
péché originel et le péché actuel.
On sait déjà que le péché originel
est une ineptie pour laquelle la raison ne peut éprouver
que du mépris. En réalité il n'y a de péchés que
ceux dont nous sommes les auteurs par nos paroles ou par nos actes. Mais au
terme de péché l'usage a prévalu de substituer le mot « faute » qui est plus
laïque, c'est-à-dire plus affranchi des préjugés chrétiens.
Il y a deux sortes de
péchés actuels, le péché mortel et le péché véniel.
En langage laïque cela veut dire que les fautes n'ont
pas toutes le même degré de gravité. Et cela est exact. Il y a des fautes très
graves. Ce sont celles qui tendent à rendre la vie sociale impossible : tels
l'assassinat, le brigandage. Ces fautes encourent dans toutes les sociétés des peines très sévères qui peuvent aller jusqu'à
la condamnation à mort. Les fautes légères sont celles qui sont de nature à
jeter quelque trouble dans la vie sociale sans pourtant la rendre impossible :
telles les impatiences. Entre les fautes très graves
et les fautes très légères il y a beaucoup d'intermédiaires.
Le péché mortel est
celui qui nous rend digne des peines de l'enfer.
Cette interprétation n'a aucune
valeur pour ceux qui n'acceptent pas les dogmes chrétiens. Nous, qui rejetons
ces dogmes, nous ne connaissons pas de péchés mortels, mais des fautes graves.
Et nous appelons fautes graves celles qui attirent sur leurs auteurs les
sanctions de la société et le mépris public.
Un péché capital est celui qui est la
source de plusieurs autres.
En langage laïque cela
veut dire que certains penchants donnent naissance à
des fautes multiples. Et c'est exact. Nous apportons en venant au monde des
défauts, c'est-à-dire des penchants mauvais qui seront pour nous l'occasion de
fautes nombreuses et graves, si nous ne les corrigeons pas. Nous devons donc
les combattre pour les faire disparaître ou, en tout cas, pour rendre les
chutes moins nombreuses et moins profondes. Les défauts les plus dangereux, à
cause des suites lamentables qu'ils entraînent derrière eux sont l'ivrognerie,
la colère et la paresse.
Les remèdes que leur
oppose le catéchisme (souvenir des fins dernières, prières, etc.) n'ont aucune
valeur.
Le vrai remède est une
lutte continuelle contre les mauvais penchants avec lesquels nous naissons.
Nous ne pouvons
observer les commandements de Dieu et obtenir la vie éternelle qu'avec la grâce
de Dieu, laquelle est un don surnaturel que Dieu nous fait par sa pure bonté en
vue des mérites de Jésus-Christ. Or il y a deux sortes de grâces, la grâce
sanctifiante et la grâce actuelle.
Les propos du catéchisme sur la grâce
peuvent être considérés en eux-mêmes et du point de vue de l'histoire.
Considérés en eux-mêmes
ces propos sont dégradants et ne s'appliquent qu'aux êtres anormaux. Tout homme
dont l'organisme est normal, équilibré, a en lui l'énergie nécessaire pour
remplir ses devoirs sociaux, pour marcher dans le
droit chemin, surtout pour éviter les écarts considérables. A nous d'éveiller
cette énergie, de la développer. Et nous la développerons par un effort
soutenu. Les premiers pas accomplis sur la route de l'honneur, de la vertu,
seront comme un entraînement qui nous facilitera la marche et nous aidera à persévérer. Sans doute nous aurons à lutter contre des
passions parfois violentes. Mais il ne tient qu'à nous de ne pas nous laisser
terrasser et de nous relever immédiatement lorsqu'un faux pas a pu nous
échapper. Ajoutons qu'un secours
précieux nous est fourni par l'expérience.
Quand l'ignorance ou
l'oubli nous ont fait heurter les exigences sociales, nous avons payé cher
notre ignorance et notre oubli. Et puis, en
promenant nos regards autour de nous, nous constatons que certaines fautes
attirent sur leurs auteurs le mépris public, et les sanctions
de la société. Autant de leçons précieuses si nous savons en tirer parti.
En bref, notre énergie
trouve dans l'effort soutenu et dans l'expérience, la nôtre ainsi que celle des
autres, des auxiliaires utiles qui la développent et l'affermissent. Mais c'est
à notre énergie qu'il appartient de faire face aux exigences sociales. C'est
sur elle seule que nous devons compter pour marcher dans le chemin du devoir,
et non sur un secours extérieur qui nous rabaisserait au rôle de girouettes.
Il y a certes des êtres
tarés incapables de s'adapter aux conditions nécessaires de la vie sociale.
Mais ces déchets de la société sont internés dans des maisons où ils ne peuvent
nuire.
Considérée du point de
vue de l'histoire, la doctrine du catéchisme a été imaginée à une époque où la condition actuelle des hommes sur la terre, leur condition
présumée dans une vie future, étaient censées réglées par Dieu qui prenait sous
sa protection un petit groupe de privilégiés, leur réservait toutes ses faveurs
et laissait dans la souffrance l'immense majorité des hommes. Or un Dieu qui a
des préférés n'est pas juste. Il ne peut donc pas être l'Etre infiniment
parfait que l'on désigne sous le nom de Dieu. Le monde est sans doute une
énigme si nous attribuons l'inégalité des conditions humaines au jeu des causes
aveugles ; mais il n'est pas une absurdité. Nous préférons l'énigme à l'absurdité.
La prière est une
élévation de notre âme vers Dieu pour lui rendre nos hommages et lui exposer
nos besoins. Il est nécessaire de prier parce que Dieu nous le commande et que
nous avons toujours besoin de sa grâce.
La contemplation de l'univers élève
l'âme et nous remplit d'admiration, en même temps qu'elle nous donne par
contraste l'impression de notre néant. Entendue comme un acte où l'âme
s'anéantit devant l'énergie immense qui la subjugue,
la prière est donc bonne et elle s'impose à nous. Mais l'énergie de l'univers
ne s'occupant pas de nous, nous n'avons rien à attendre d'elle et il serait
insensé de lui demander quoi que ce soit. Tout ce que le catéchisme ajoute sur
la prière de demande est pur bavardage.
La plus excellente de
toutes les prières est l'oraison dominicale qu'on appelle aussi le Pater. Elle
est la plus excellente parce que Notre-Seigneur nous l'a enseignée lui-même.
Commençons par donner le
texte de cette prière célèbre que des millions de chrétiens récitent plusieurs
fois par jour. Le voici :
Notre Père, qui êtes
aux cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ;
que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous
aujourd'hui notre pain quotidien ; pardonnez-nous nos offenses comme nous
les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laissez pas succomber à
la tentation ; mais délivrez-nous du mal. Ainsi
soit-il.
On se borne ici à relever dans cette
prière deux pensées, celle qui a pour objet le pain
quotidien et celle qui a trait à la venue du « règne ».
Le chrétien demande à Dieu de lui
procurer le pain quotidien ; demande qui n'a pas empêché des centaines de
millions de fidèles, au cours des siècles, de mourir de faim. Le Pater suppose
qu'il y a un Dieu qui s'occupe des hommes, qui prend
soin d'eux. Or cette croyance est démentie par l'expérience de tous les
siècles. Première illusion.
Une seconde illusion du Pater
consiste à demander à Dieu de hâter la venue du royaume. Car
l'expression règne dont se sert le catéchisme et qui est inexacte,
désigne en réalité le royaume de Dieu, le chrétien demande la venue du royaume.
Et ce royaume est le royaume qui sera établi dans la Palestine, dont la
capitale sera Jérusalem. Depuis de longs siècles cette formule n'a plus aucun
sens sur les lèvres des chrétiens qui ne désirent pas mourir tout de suite, et
qui pourtant demandent que le royaume vienne, sans
savoir ce qu'ils demandent. Mais, à l'origine, tout était clair. Le Christ
allait, d'un moment à l'autre, revenir du ciel, massacrer les Romains
conquérants injustes de la Palestine, installer à
leur place les chrétiens, leur aménager une vie plantureuse et les gouverner
dans la paix. Chacun appelait de ses voeux ce royaume féerique où l'on allait entrer de
plain-pied, sans passer par la mort. On demandait à Dieu de hâter ce jour
heureux. Et le Pater exprime cette demande. En réalité le royaume tant
désiré n'était qu'une illusion, un rêve qui ne s'est jamais réalisé. Le Pater, où ce rêve est consigné,
devrait causer aux chrétiens un embarras inextricable. L'embarras a reçu une solution
radicale, celle de l'oubli. Après avoir attendu, pendant de nombreuses décades,
le royaume si ardemment convoité, on a fini par oublier une espérance
qui ne se réalisait jamais. L'oubli a amené l'ignorance.
Et les chrétiens qui récitent le Pater n'éprouvent aucune difficulté a
demander à Dieu la venue de son royaume, parce qu'ils ne savent pas ce que cela
veut dire.
Encore une observation. Jésus, dont
la confiance dans le secours de Dieu était inébranlable, comptait assister
vivant au succès de son entreprise ; l'idée ne lui venait pas que les Romains
pourraient l'arrêter et réduire à néant son projet. Ce n'est donc pas lui qui a
enseigné aux chrétiens une prière où Dieu est supplié de hâter la venue
du royaume non encore réalisé. Le Pater a été élaboré aux environs de
l'an 60.
La prière la plus excellente qu'on
puisse adresser à la Sainte Vierge est la Salutation angélique qu'on appelle
communément l'Ave Maria. On l'appelle salutation angélique parce qu'elle contient
le salut que l'ange Gabriel adressa à Marie en lui annonçant le mystère de l'Incarnation.
La salutation angélique est, comme le
Pater, récitée chaque jour par des millions de chrétiens. Elle est même
répétée cinquante fois par les personnes qui disent le chapelet. Voici le texte
de cette prière :
Je vous salue,
Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes
les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni.
Sainte Marie, mère
de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l'heure de notre mort. Ainsi soit-il.
Il y a, comme on le voit, deux
parties très distinctes dans cette prière. Nous allons nous occuper de chacune
d'elles séparément.
La première partie reproduit, en
effet, comme dit le catéchisme, le salut adressé à Marie par l'ange Gabriel
quand, à en croire l'évangile de saint Luc, il lui annonça qu'elle serait la
mère de Jésus. Malheureusement le seul trait historique de la vie de Marie que
nous connaissions est celui où cette pauvre femme, voyant avec épouvante Jésus
jouer le rôle de libérateur et croyant qu'il avait perdu l'esprit,
alla avec ses autres enfants pour essayer de l'arrêter. Si Marie avait reçu
d'avance de l'ange Gabriel une révélation sur la destinée sublime de Jésus,
elle n'aurait pu ni subir l'épouvante ni se livrer à la tentative d'arrestation
dont on vient de parler. Il y a opposition irréductible entre les deux scènes,
et l'une des deux doit nécessairement être sacrifiée.
Or la tentative d'arrestation
appartient à la catégorie des faits qui n'ont pas pu
être inventés. C'est le message de l'ange Gabriel qui doit disparaître. Ce
message est une fable, une imposture. Et les millions d'âmes qui l'évoquent
chaque jour répètent une imposture.
On vient de dire que l'Ave
Maria est, avec le Pater, la prière par excellence des chrétiens.
Cela est vrai aujourd'hui ; mais il n'en a pas été toujours ainsi. Pendant de
longs siècles, personne n'eut l'idée d'utiliser la
fable du message de Gabriel inscrite dans l'évangile
de saint Luc et d'en faire une prière. Les fidèles étaient tenus de réciter
chaque jour le Pater et le Credo, c'est-à-dire le symbole
attribué aux apôtres ; mais on ne leur demandait rien de plus. C'est seulement
depuis le XIIIe siècle que l'Ave Maria est devenu une prière
obligatoire imposée aux chrétiens par l'autorité ecclésiastique.
C'est depuis cette date qu'il a pris place à côté du Pater et du Credo.
L'exposé que l'on vient de lire
s'applique exclusivement à la première partie, à celle qui reproduit le
prétendu message de Gabriel. Quant à la seconde partie (celle qui commence par
les mots Sainte Marie), elle n'a fait son apparition qu'au XVIe
siècle, et c'est seulement depuis le XVIIe siècle qu'elle
est d'un usage courant. Elle impose à la Sainte Vierge un travail
prodigieux, car elle lui demande de prier pour nous tous les jours et
spécialement à l'heure de notre mort. Mais rassurons-nous. La Sainte Vierge
n'est nullement gênée par la lourde commission dont la chargent les chrétiens.
Un sacrement est un signe sensible de
la grâce institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour nous sanctifier. - Il y
a sept sacrements : le baptême, la confirmation, l'eucharistie,
la pénitence, l'extrême-onction, l'ordre et le mariage.
Jésus se proposait, non de sanctifier
les hommes, mais d'arracher son pays au joug romain. Ce programme ne comportait
aucun sacrement. Après la mort de Jésus, les chrétiens eurent la conviction
absolue que le maître allait très prochainement revenir du ciel où il avait été
recueilli par Dieu après sa mort, et qu'il allait alors achever l'oeuvre de libération interrompue par le supplice
du calvaire. En attendant ce retour qui tardait de plus en plus, ils furent
contraints de s'organiser pour ne pas disparaître dans le chaos. C'est de ce
besoin d'organisation que sont sortis peu à peu les
sacrements. Les sacrements ne viennent pas de Jésus. Ils sont l'oeuvre de l'Eglise qui les institua lentement.
Les premiers sacrements
furent le baptême, la confirmation et l'eucharistie.
Mais la confirmation étant presque toujours considérée comme partie intégrante
du baptême n'était pas mentionnée comme un sacrement à part. On ne compta donc
pendant longtemps que deux sacrements. Pourtant la confirmation finit par être
détachée du baptême. On eut alors trois sacrements.
On en eut même parfois quatre, car on compta souvent dans l'eucharistie deux
sacrements, le sacrement du corps et le sacrement du sang.
A côté du baptême, de la
confirmation et de l'eucharistie apparurent de nombreux
rites qui, eux aussi, furent désignés sous le nom de sacrements. Toutefois on
les laissa bien loin au-dessous des anciens. Il y eut donc d'une part les
grands sacrements au nombre de deux, trois ou quatre, et les petits sacrements
qui étaient en nombre indéterminé. Les grands passaient pour être d'institution
divine et on leur témoignait une vénération particulière. Les autres étaient
l'objet d'un respect inférieur, parce que leur origine plus récente ne laissait
place à aucune illusion et qu'on ne les rattachait pas au Christ.
Au XIIe
siècle, on entreprit de mettre de l'unité dans ce chaos de grands et de petits
sacrements, de garder quelques petits, d'éliminer les autres. C'est de cette
concentration qu'est sortie la liste des sept sacrements actuels. Tous les
sacrements inscrits aujourd'hui sur la liste des sept existaient avant le XIIe
siècle ; mais, sauf les trois grands, ils étaient considérés comme institués
par l'Eglise. C'est leur inscription sur la liste du baptême, de la
confirmation et de l'eucharistie qui les a fait monter en grade et leur a donné
droit à une origine divine. Ne nous lassons pas de redire qu'aucun sacrement
n'a été institué par Jésus, parce que le programme de Jésus ne comportait aucun
sacrement. Mais, depuis longtemps on se faisait illusion sur la provenance des
trois premiers et l'on confondait leur origine avec celle du christianisme. Depuis l'établissement de la liste
actuelle, l'illusion limitée jadis à trois
sacrements s'est étendue de quatre autres.
Le baptême est un
sacrement qui efface le péché originel et qui nous fait chrétiens, enfants de
Dieu et de l'Église. - Le baptême est le plus nécessaire des sacrements, parce
que personne ne peut être sauvé sans lui.
A en croire le catéchisme le baptême
a deux prérogatives principales. L'une consiste en
ce qu'il efface le péché originel ; l'autre fait de lui la condition indispensable pour aller au ciel. De ces prérogatives la
première met le baptême au rang des institutions extravagantes ; car on a vu
plus haut que le péché originel est une monstrueuse ineptie. Quant à la seconde
prérogative, pour porter sur elle un jugement motivé, il suffit de se rappeler
que les deux tiers de l'humanité sont hors d'état de recevoir le baptême dont
ils ne soupçonnent même pas l'existence. Si donc Dieu réserve son ciel aux
baptisés, il ne nous apparaît que comme un être fantasque, plein d'attentions
pour quelques privilégiés, cruel pour la masse du genre humain. Et un pareil
être répugne à notre raison.
Voici quelques renseignements
historiques qu'il n'est pas inutile de connaître. Le baptême consiste aujourd'hui à verser de l'eau sur la tête du futur
chrétien en prononçant des paroles. Pendant de longs siècles, le corps du futur
chrétien était immergé dans l'eau ; le baptême, qui est aujourd'hui une
effusion d'eau, était alors une immersion. Ce qui suit est plus important.
Pendant longtemps, celui qui se présentait au baptême faisait, soit par
lui-même (s'il était adulte), soit par ses représentants (s'il était enfant)
une profession de foi aux principaux dogmes chrétiens. Mais l'immersion ou
l'effusion dont il était l'objet s'accomplissait en silence et le ministre qui
procédait à cette opération ne les accompagnait d'aucune parole. Aujourd'hui le
prêtre, ou le ministre quelconque, qui donne le baptême,
dit en versant l'eau : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit », et le baptême administré sans cette
formule est frappé de nullité absolue. Pendant de longs siècles aucune parole
n'était prononcée au moment de l'immersion ou de l'effusion. En sorte que, du
point de vue de la croyance actuelle, le baptême a été pendant très longtemps
administré d'une manière nulle. Ce qui revient à dire que, pendant
plusieurs siècles, personne n'a été chrétien.
Jésus ne baptisait pas ; et les
textes qui lui attribuent l'institution du baptême sont totalement dépourvus de
valeur historique. Après la mort du maître, ceux qui attendaient son retour
formèrent un groupe où, de très bonne heure, on ne fut introduit qu'après
avoir reçu le baptême de l'immersion. A cette époque, personne n'avait l'idée
du péché originel, personne non plus ne se préoccupait du ciel. Ce qu'on
voulait, c'était le salut. Ce salut, objet suprême de l'espérance chrétienne, comprenait deux faveurs : premièrement échapper au
massacre dont le Christ descendu du ciel allait frapper ses ennemis ;
deuxièmement, participer au royaume que le nouveau roi allait inaugurer à
Jérusalem. L'espérance chrétienne était garantie par la foi au retour du maître.
Et cette foi s'exprimait, se manifestait par le rite de l'immersion. Pourquoi
l'immersion ? Parce que ce rite était en honneur chez les Juifs pour laver les
souillures encourues par le contact des êtres impurs, notamment par le contact
des païens.
En bref, institué très
peu de temps après la mort du Christ, le baptême fut, à l'origine, le gage du
salut tel qu'on le comprenait alors. Il assura le salut parce qu'il symbolisait
la foi au retour du Christ. Et il fut choisi pour ce symbolisme, parce que les pieux
juifs avaient coutume de l'employer pour se purifier du contact des païens. Ce
baptême primitif, on le voit, n'est devenu le baptême actuel qu'après de
sérieuses métamorphoses.
La confirmation est
un sacrement qui nous donne le Saint-Esprit et nous rend parfaits chrétiens. Il
est vrai que nous recevons déjà le Saint-Esprit dans le baptême ; mais dans la
confirmation nous le recevons avec une plus grande abondance de grâces.- 107 -
Dans les premiers siècles la
confirmation suivait immédiatement l'immersion du baptême dont elle était le
couronnement. L'immersion rendait l'âme pure mais ne faisait rien de plus.
C'est à la confirmation qu'était réservée la faveur d'introduire le
Saint-Esprit dans l'âme purifiée par l'immersion. Chacun des deux rites de l'immersion
et de la confirmation avait donc sa spécialité à lui
et sa raison d'être. Sans doute tout cela n'était qu'un mirage ; mais le mirage
était bien dessiné.
Tout a été brouillé à partir du jour
où le baptême (immersion ou effusion) fut censé donner, lui aussi, le
Saint-Esprit. Car si le baptême donnait le Saint-Esprit, la confirmation
n'avait plus de raison d'être et il ne lui restait plus qu'à disparaître. Or
telle est aujourd'hui la situation. La confirmation
qui amène le Saint-Esprit dans l'âme où déjà le Saint-Esprit est domicilié et
dont il a pris possession, ne remplit plus en réalité aucun rôle. La plus
grande abondance de grâces dont parle le catéchisme est une pure échappatoire, un de ces expédients auxquels ont recours
les personnes prises en défaut et qui cherchent à se tirer d'affaire.
Logiquement la confirmation devrait disparaître. Ce
qui la sauve, c'est qu'elle est pour les évêques un prétexte à s'exhiber devant
les populations et à les émerveiller par l'apparat dont ils s'entourent et les
oripeaux dont ils se couvrent.
Le ministre ordinaire de la
confirmation est l'évêque.
Aujourd'hui la confirmation est du ressort exclusif des
évêques. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a eu une époque où les
prêtres, notamment en France, confirmaient les
chrétiens après leur avoir administré le baptême. Et l'Eglise, qui ne nie pas
ce fait, ne peut expliquer qu'à l'aide de la logomachie, pourquoi les prêtres
sont incapables aujourd'hui d'administrer un sacrement qu'il ont
administré jadis. La vérité est que les évêques ont réussi à se réserver le
monopole de la confirmation, pour faire croire aux populations naïves que leur
ministère était indispensable.
L'évêque impose les mains
sur ceux qu'il confirme, et il trace sur leur front le signe de la croix avec
de l'huile bénite et mélangée de baume qu'on appelle saint chrême.
Autrefois, quand un
chrétien se présentait pour être confirmé, le ministre se bornait à lui imposer
les mains et ne faisait rien de plus. L'imposition des mains était le rite
unique de la confirmation ; et puisque la confirmation
procurait le Saint-Esprit, l'imposition des mains était le rite qui amenait le
Saint-Esprit dans l'âme des chrétiens. Aujourd'hui il n'en
est plus ainsi. Ce qui fait descendre le Saint-Esprit, c'est l'onction faite
sur le front en signe de croix avec l'huile mélangée de baume qu'on appelle
chrême. C'est l'onction qui est le rite essentiel de la confirmation. Le
privilège de faire descendre le Saint-Esprit a passé de l'imposition des mains
à l'onction du chrême. Le premier détenteur du privilège a été évincé au profit
d'un autre. Et cette éviction a été accompagnée d'une variation du dogme. Car
le dogme qui attribue la descente du Saint-Esprit à l'onction du chrême ne
pouvait pas exister à l'origine, puisque le rite de l'onction n'existait pas.
Le catéchisme dissimule avec une grande habileté cette variation. Cet artifice
peut tromper le lecteur ignorant, mais il laisse subsister la variation. Or la
variation prouve que le dogme ne vient pas du ciel ; car s'il venait du ciel,
il serait nécessairement immuable. Elle prouve que
le dogme est le produit de l'imagination humaine et qu'il n'a aucune valeur.
L'évêque donne un
soufflet à celui qui est confirmé pour lui apprendre qu'il doit être prêt à
souffrir toutes sortes de peines pour l'amour de Jésus-Christ.
C'est seulement depuis cinq siècles
que les évêques donnent un léger soufflet aux chrétiens qu'ils viennent de
confirmer. Ce geste est ignoré, non seulement des Pères mais même des
théologiens du XIIIe siècle. Il fut sans doute à l'origine un
témoignage d'affection. Il a fini, avec le temps, par devenir un rite. Pour le
justifier, on lui a attribué des intentions mystiques que n'avaient
certainement pas les premiers auteurs de cette petite cérémonie.
Pour conserver la grâce de la
confirmation, nous devons combattre le respect humain.
On ne peut que louer les chrétiens
qui ne craignent pas de braver l'opinion et d'afficher leur foi. Mais ce mépris
du respect humain ne doit tout de même pas faire oublier que le premier devoir
de tout homme est de ne pas fermer volontairement les yeux à la vérité quand
elle se montre à lui. Sans rougir de sa foi, le chrétien doit vérifier les
titres de la religion dans laquelle les hasards de la naissance l'ont placé.
Le plus auguste de tous les
sacrements est l'eucharistie qui contient réellement et en vérité le corps, le
sang, l'âme et la divinité de Notre Seigneur sous les apparences du pain et du
vin.
L'eucharistie occupe une place
considérable dans la vie chrétienne. On va d'abord exposer la croyance
catholique, faire connaître les preuves qu'elle apporte puis la confronter avec
l'histoire et avec la raison.
10 EXPOSÉ DU DOGME.
Selon la croyance catholique,
l'eucharistie contient le Christ lui-même caché sous les apparences du pain et
du vin. Tous ceux qui ont reçu une éducation catholique
savent que, le jour de leur communion, un prêtre déposa sur leur langue une
rondelle de pâte cuite appelée hostie qu'ils
avalèrent immédiatement. Et tous ceux qui ont assisté à la messe ont vu sur
l'autel un calice dans lequel on avait versé du vin et quelques gouttes d'eau.
Ils ont vu aussi le prêtre boire, vers la fin de la messe, le contenu du
calice. Selon la croyance catholique la rondelle de pâte cuite (qu'on appelle
d'ordinaire le pain eucharistique) contient le Christ. Plus exactement de la
rondelle de pâte, ou, si l'on veut, du pain, il n'existe rien que les
apparences. Ces apparences sont ce que les yeux et le goût perçoivent, à savoir
la couleur blanche, la forme ronde, la dimension un peu inférieure à une pièce
de vingt sous, le goût douceâtre. Sous ces apparences, qui seules existent, le
Christ se tient caché. C'est lui qui est déposé sur notre langue, quand nous
communions. C'est lui aussi qui descend dans notre estomac. Toutefois le Christ
ne reste présent qu'autant que les apparences elles-mêmes existent. Dès
qu'elles disparaissent (et cela arrive quelques secondes après la communion) le
Christ, lui aussi, disparaît.
Ce qu'on vient de dire du pain
eucharistique, c'est-à-dire de la rondelle de pâte s'applique au vin que le
prêtre boit à la messe. Selon la croyance catholique, le vin n'existe plus. Il
ne reste que les apparences (couleur, odeur et goût du vin blanc). Sous ces
apparences le Christ est caché. C'est lui qui descend dans l'estomac du prêtre
d'où il disparaîtra dès que les apparences auront disparu.
2° PREUVES DU DOGME.
Selon les catholiques le dogme de
l'eucharistie ou, comme ils disent souvent, le dogme de la présence réelle,
repose sur les paroles du Christ.
La plus importante de ces paroles est
celle qui accompagna l'institution de l'eucharistie.
Jésus institua l'eucharistie la veille de sa
passion, c'est-à-dire le jeudi saint. Et, en l'instituant, il prononça ces mots
: « Prenez et mangez, ceci est mon corps. - Prenez
et buvez, ceci est mon sang. Faites ceci en mémoire de moi ». Les mots du
premier groupe, prononcés au moment où le pain était présenté aux disciples,
prouvent que ce qui paraissait du pain était le corps de Jésus et qu'il ne
restait rien du pain sauf les apparences. Les mots du second groupe, prononcés
au moment où la coupe de vin était présentée aux disciples, prouvent que ce qui
paraissait du vin était le sang de Jésus et qu'il ne restait rien du vin sauf
les apparences.
Avant d'instituer l'eucharistie, le
Christ annonça ce mystère, il promit de l'instituer. Et, parmi les paroles
qu'il prononça alors se trouvent les suivantes : « Si vous ne mangez la chair
du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en
vous. Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un
breuvage. »
Ces paroles de la promesse, où Jésus
nous ordonne de manger sa chair et de boire son sang, n'ont d'application que dans le pain et le vin eucharistiques.
Elles enseignent manifestement que, sous les apparences du pain et du vin, la
chair et le sang du Christ sont pour nous une nourriture et un breuvage.
Nous connaissons le dogme catholique
de l'eucharistie et les preuves qui lui servent d'appui. Mettons-le maintenant, lui et ses preuves, en face de l'histoire.
30 ORIGINE DES PREUVES DU
DOGME.
Occupons-nous d'abord
des preuves elles-mêmes, c'est-à-dire des paroles de la promesse, puis des
paroles de l'institution. Et voyons quelle est leur origine.
Les paroles de la
promesse de l'eucharistie sont rapportées par
l'évangile de saint Jean. Ce livre, de l'avis de tous les critiques
indépendants, est, d'un bout à l'autre, une fiction où tous les discours sont
inventés, où les faits eux-mêmes, quand il leur arrive, ce qui est rare, de
contenir une parcelle d'histoire, sont dénaturés. Les paroles qu'on vient de
lire ont été fabriquées aux environs de l'an 160 : elles ne sont pas de Jésus.
D'ailleurs leur objectif est d'enseigner que le Christ n'a pas vécu sur la
terre comme un fantôme niais qu'il avait un corps charnel comme le nôtre. Elles
nous prescrivent, si nous voulons être sauvés, de croire au corps du Christ, à un
corps composé de chair et de sang. Cette croyance est, selon elles, la
véritable nourriture de nos âmes. Et c'est cette nourriture qu'elles ont en vue
quand elles nous ordonnent de manger la chair du Christ, de boire son sang. En
bref, les catholiques voient une manducation là où
il n'est question que d'une croyance : leur foi à l'eucharistie, en tant
qu'elle s'autorise des prétendues paroles de la promesse, repose sur une
mystification.
Les paroles de
l'institution sont rapportées par les trois synoptiques. Elles font suite à un
repas donné par Jésus à ses disciples la veille de sa mort. Ce repas est
historique. Jésus, en effet, quelques heures avant d'être arrêté, a donné un
repas à ses disciples. Et deux incidents de ce repas, tous deux historiques, nous
ont été transmis.
Le premier est la parole suivante
prononcée par Jésus au moment où il fit circuler la coupe de vin : « Je ne
boirai plus du vin de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu ».
Le second incident est une querelle
de préséance qui éclata parmi les disciples et que Jésus apaisa en leur
promettant de les faire tous asseoir à sa table dans son royaume et de leur
donner à tous des trônes pour gouverner les douze
tribus d'Israël.
Le premier incident veut dire que
l'arrivée du royaume de Dieu précédera le prochain repas, qu'elle aura donc
lieu sans aucun délai. Et, comme le royaume de Dieu consistait dans la
restauration du royaume de David, l'incident signifie que le trône glorieux du
fondateur de la monarchie juive va être relevé immédiatement, que le programme
de Jésus est sur le point d'être réalisé.
Le second incident a pour cause les
sentiments d'ambition que la promesse du royaume a
allumés dans l'âme des disciples. Il est clos par la perspective des postes
brillants dont tous les disciples seront gratifiés avec la certitude de prendre
place à la table du roi.
Ces deux incidents se suivent, se
complètent, s'éclairent l'un l'autre. La veille même
de sa mort, quelques heures à peine avant son arrestation, Jésus, dont le
programme était la libération de son pays et le relèvement du trône de David,
croyait toucher au but, et ses disciples
partageaient son illusion.
Disons maintenant que
les synoptiques qui fournissent ces renseignements
en donnent aussi d'autres d'un caractère tout opposé. Ils nous apprennent que
Jésus, au cours de ce même repas, annonça sa mort imminente, puis présenta à
ses disciples du pain comme symbole de son corps qui allait être sacrifié, du
vin comme symbole de son sang qui allait être versé.
Si les disciples ont entendu le
maître annoncer sa mort imminente, comment après cette sinistre prophétie, se sont-ils disputé la préséance dans le
royaume ? Et, si Jésus connaissait le sort qui l'attendait le lendemain, comment a-t-il pu promettre à ses disciples qu'ils
festoieraient à sa table ? Entre l'annonce de la mort et la perspective d'un
royaume terrestre où l'on boira du vin, du vin provenant de la vigne, la
contradiction est palpable, manifeste. Les deux assertions ne peuvent pas être
vraies toutes deux puisqu'elles sont irréductiblement
opposées. L'une d'elles est fictive et doit être résolument sacrifiée. Laquelle
? Aucune hésitation n'est possible. Ce qui est historique parce que cela n'a
pas pu être inventé, c'est l'illusion du succès escompté pour le lendemain du
repas. Cela doit être maintenu. Ce qui est fictif, c'est l'annonce de la mort
imminente avec l'introduction du corps et du sang qui symbolisent la mort.
C'est cela qui doit être sacrifié, éliminé.
Voici comment les textes
doivent être reconstitués. Dans le récit primitif, Jésus fixait au lendemain l'intervention du ciel qui allait écraser la puissance
romaine, rendre au peuple juif son indépendance, inaugurer la restauration du
trône de David ; il promettait à ses disciples de les admettre à sa table et de
les associer au gouvernement du nouveau royaume ; ces promesses versaient
l'enthousiasme dans l'âme des disciples. Le récit, qui rapportait cette scène,
était d'un seul tenant. Aujourd'hui ce même récit est disloqué, il se présente
à nous sous la forme de deux tronçons séparés l'un de l'autre ; entre les deux
a été introduite l'annonce de la mort imminente avec le corps et le sang qui la
symbolisent. Cette imposture a coupé en deux
tranches le texte primitif pour s'y faire une place.
Et voilà les paroles de l'institution
de l'eucharistie ramenées à leur véritable origine. Ces prétendus oracles où
Jésus donne à ses disciples son corps et son sang ne sont pas de Jésus. Ils
font partie d'une imposture destinée à montrer que Jésus avait annoncé sa mort
imminente. Cette manoeuvre frauduleuse qui travestit
l'histoire a été introduite dans le récit primitif vers le milieu du second
siècle.
On connaît l'origine des preuves de
l'eucharistie. Passons maintenant à l'histoire du dogme lui-même.
40 HISTOIRE DU DOGME
DE L'EUCHARISTIE.
Elle a traversé trois
périodes principales.
Dans la période primitive
l'eucharistie est un banquet que la communauté chrétienne célèbre chaque
semaine à l'imitation des Juifs. Conformément à la coutume juive le banquet est
encadré de prières, lesquelles ont deux objectifs. Le premier est un
remerciement, une action de grâces (d'où le mot eucharistie qui désigne
le remerciement) ; le second est une demande, une prière dans le sens rigoureux
du mot.
Le remerciement est adressé à Dieu
dont la bonté pourvoit à la nourriture des hommes en mettant à leur disposition
le pain et le vin qui constituent le fond de cette nourriture.
La demande est, elle aussi, adressée
à Dieu ; mais elle concerne le Christ recueilli après sa mort au ciel d'où il
doit revenir pour achever l'oeuvre
interrompue par le supplice du calvaire. Elle supplie Dieu de hâter ce retour
qu'on attend avec impatience, et d'envoyer sans délai sur la terre Jésus, pour
qu'il extermine les Romains et qu'il relève le trône de David.
Dans la seconde période, les
chrétiens qui prennent part au banquet laissent à l'arrière-plan le
remerciement pour les biens de la terre et la demande du retour du Christ. Leur
pensée va surtout, on peut même dire qu'elle va exclusivement à la passion de
Jésus. Ils veulent commémorer cette passion. Ils croient d'ailleurs, en la
commémorant, exécuter un ordre du maître ; et, pour prouver qu'un tel ordre
leur a été donné, ils récitent les textes évangéliques où Jésus, après avoir
annoncé que son corps va être sacrifié, que son sang va être répandu, donne à
ses disciples le souvenir de ce corps, de ce sang et leur prescrit de faire ce
qu'il vient de faire lui-même.
Prescrite par le maître, la
commémoration de la mort de Jésus est le motif de la réunion chrétienne. C'est
pour évoquer le drame du calvaire que les fidèles se rassemblent chaque
semaine. Le banquet primitif est-il donc anéanti ? Non. Mais il est réduit à
l'état de squelette constitué par un peu de pain et de vin. Il n'est plus
qu'une ombre de l'ancien banquet. Pratiquement il n'existe plus. Ce qui paraît
à sa place, c'est le mémorial de la passion ce que, depuis des siècles, nous
appelons la messe. En bref, ce qui différencie la seconde période de la
première, c'est l'apparition de la messe et sa substitution au banquet
primitif. Cette apparition eut lieu vers le milieu du second siècle, et elle accompagna les impostures qui, ainsi qu'on l'a noté plus
haut, firent alors leur entrée dans le récit des synoptiques relatif au dernier
repas de Jésus.
Encore une précision. La messe, qui
naquit au milieu du second siècle, s'accordait avec la messe actuelle sur un
point, mais elle s'en différenciait sur un autre. Ce qu'elle avait de commun
avec la messe actuelle, c'était de commémorer la passion du Christ. Ce qui la différenciait, c'était d'être un simple mémorial,
c'est-à-dire un mémorial auquel la victime de la passion, le Christ,
n'assistait pas ; tandis que, dans la messe moderne, le Christ, selon la
croyance des catholiques, est présent au mémorial que l'on fait de sa mort.
Comparée à la messe moderne, la messe instituée au milieu du second siècle peut
être appelée la messe antique.
Cette seconde période du dogme de
l'eucharistie se prolongea jusqu'au Ixe siècle. C'est à elle que
tous les Pères appartiennent. Les Pères croient au mémorial, mais à un mémorial
qui est vide, qui se borne à évoquer le souvenir de la passion. Ils ne
soupçonnent pas la présence du Christ dans
l'eucharistie. Cette observation s'applique notamment à saint Augustin, qui est
le plus grand des docteurs de l'Eglise. Augustin n'a pas l'idée de la croyance
qui anime aujourd'hui les catholiques, quand ils font la communion.
La troisième période est celle où le
dogme de l'eucharistie reçoit sa forme actuelle. Alors la messe ne se borne
plus seulement à évoquer le souvenir de la passion
du Christ. Le Christ assiste lui-même à cette évocation
; et, par un procédé qu'on appelle transsubstantiation,
la substance du Christ se met à la place de la substance du pain et du vin dont
il ne reste plus que les apparences désignées sous le nom d'espèces (on dit «
les saintes espèces »).
Inventé par un moine du ixe
siècle, ce nouveau dogme fut accueilli avec enthousiasme par les moines qui
alors étaient tout-puissants et qui, peu à peu, le répandirent dans toute
l'Eglise. Il reçut même, quoique plus lentement, l'adhésion des théologiens, et
un jour vint où il fut en possession de toutes ses formules théologiques.
Pourtant il lui manquait encore quelque chose. Quoi donc ? La dévotion populaire.
Un dogme n'occupe une place sérieuse dans la vie du chrétien qu'autant qu'il
touche le coeur. Si le coeur
lui échappe, il peut enchaîner théoriquement l'esprit, mais en réalité on ne
pense pas à lui, parce qu'on n'éprouve pour lui que de l'indifférence. Tel est
le cas de la Trinité à laquelle tous les chrétiens croient, mais à laquelle ils
ne pensent jamais. Or, jusqu'au milieu du XIIIe siècle,
la présence réelle du Christ dans l'eucharistie en était là. On y croyait
depuis quatre cents ans, mais on n'y pensait pas parce qu'elle ne pénétrait pas
dans les coeurs.
On sait le rôle
important que les visionnaires, les têtes détraquées ont eu dans l'évolution
des dogmes. C'est à une visionnaire appelée Julienne du Mont-Cornillon, que le
dogme de la présence réelle doit son dernier perfectionnement. Cette pieuse
personne, religieuse dans un monastère des environs
de Liège, vit un jour le globe de la lune radieux mais échancré. Et cette
échancrure, qui l'intrigua beaucoup, fut pour elle un problème qu'elle ne parvint
pas à résoudre. La solution lui fut donnée deux ans
plus tard (1208) par une révélation où le Christ lui dit en substance ceci : «
Le globe de la lune est l'Eglise. L'échancrure, qui dépare un peu ce globe
brillant, signifie que, dans l'Eglise, par ailleurs parfaite, il manque
pourtant une fête qui est celle de mon Saint-Sacrement. A toi, ma fille, de t'employer à l'institution de cette fête. »
Ardemment désireuse de
mener à bien l'auguste mission dont le ciel l'avait investie, Julienne fit part
de sa révélation aux principaux membres du clergé de Liège. Les approbations,
les témoignages de sympathie ne lui firent pas
défaut. Pourtant le succès définitif ne commença à être assuré qu'un
demi-siècle plus tard et il ne fut réalisé qu'en deux étapes séparées par un
long intervalle. La première étape fut marquée par la bulle d'Urbain IV (1264)
établissant dans l'Eglise universelle la messe et l'office du Saint-Sacrement
(le jeudi après la Trinité). La seconde étape fut inaugurée en 1316 par Jean
XXII qui mit en vigueur la bulle, jusque-là négligée, d'Urbain IV et donna à la
fête du Saint-Sacrement une impulsion d'où est sortie la procession de
l'eucharistie enfermée dans un meuble décoratif
analogue à notre ostensoir.
Limitée d'abord à
l'intérieur des églises, la procession déborda bientôt et se répandit dans les
rues qui, pour la recevoir, prirent, comme spontanément, leurs plus beaux
décors. Et alors les lois de la psychologie firent leur oeuvre.
Ebahies par la pompe sans cesse grandissante de la
liturgie, les populations, quand elles virent le Saint-Sacrement s'avancer dans
les rues jonchées de verdure et ornées de guirlandes, furent fascinées par le
Dieu bénéficiaire de cette splendeur féerique. Depuis longtemps elles croyaient
à la présence réelle, et cette croyance les laissait insensibles. Mais ici la
foi cédait la place à la vision. Elles voyaient en quelque sorte le Christ
lui-même dans un décor de majesté mélangée de douceur et de bonté. Elles le
voyaient. Et, subjuguées par ce spectacle d'un Dieu qui daignait descendre à
elles, elles se prosternaient à genoux dans un sentiment d'adoration, de
reconnaissance et aussi d'amour. Je dis d'amour. Le Saint-Sacrement, qui
recevait tous les hommages, ravissait aussi tous les coeurs.
On ne se lassait pas de le voir, de le contempler. Et, puisque le
Saint-Sacrement voulait être reçu par la communion, on prenait l'engagement
d'exaucer ses voeux. C'est cet amour insatiable qui a
donné naissance aux saluts du Saint-Sacrement, aux communions fréquentes.
Résumons. La place énorme que
l'eucharistie occupe aujourd'hui dans la vie des catholiques est l'oeuvre des processions du Saint-Sacrement qui sont nées
dans la première moitié du XIVe siècle. Mais, puisque les
processions sont sorties de la fête du Saint-Sacrement instituée
pour faire droit aux révélations de Julienne du Mont-Cornillon, c'est cette
femme qui, en dernière analyse, a créé la dévotion à l'eucharistie ; c'est
cette grande ouvrière qui a donné à la vie catholique son organisation
actuelle.
50 L'EUCHARISTIE
DEVANT LA RAISON.
On vient de confronter avec l'histoire
la présence réelle du Christ dans l'eucharistie. Mettons-la maintenant
en face de la raison, et voyons les problèmes que le dogme soulève.
Ils sont multiples. Ce qui amène le
premier, c'est la présence simultanée du corps du Christ dans des endroits
innombrables. La foi enseigne au catholique que le Christ est dans
l'eucharistie avec son corps et son âme. Mais elle lui enseigne aussi que le
corps du Christ est au ciel, où il réside depuis son Ascension. Le même corps
du Christ, qui est au ciel, est aussi dans l'eucharistie : il existe
simultanément dans deux endroits différents. Comment expliquer cela ?
Mais cette observation n'atteint
qu'une toute petite partie du problème qui est, en réalité, beaucoup plus
complexe. Les tabernacles des églises catholiques répandues sur la surface de
la terre renferment des millions d'hosties consacrées. Aux termes de la foi catholique toutes ces hosties contiennent le corps du
Christ. Et, puisque chacune d'elles occupe une place qui n'est pas, qui ne peut
pas être la place des autres, il s'ensuit que le corps du Christ, qui est déjà
au ciel, est simultanément sur la terre dans des millions d'endroits
différents. Encore une fois, comment expliquer cela ? Ce qui est sûr, c'est que
la présence d'un corps dans plusieurs endroits en même temps est inconciliable
avec les lois qui gouvernent notre pensée.
Deuxième difficulté. Tout corps est
composé d'une multitude d'éléments, qui se juxtaposent les uns aux autres, mais
résistent à toute compénétration. D'où il suit que chaque élément
occupe à lui seul un espace déterminé et en exclut tous les autres. C'est ce
qu'on peut appeler la loi de la localisation. En vertu de cette loi, les yeux
du Christ ne sont pas là où sont ses oreilles ; ses pieds ne sont pas là où
sont ses mains ; chaque organe occupe un espace dont il exclut nécessairement
les autres. Pour retrouver l'application de cette loi dans l'eucharistie, il
faut admettre que les organes du Christ sont réduits à des dimensions bien exigues, puisque chaque hostie, à en croire le dogme,
possède le corps du Christ tout entier. Et cette exiguïté du coeur, des poumons, de la bouche, des yeux, des cheveux du
Christ ne laisse pas que d'être déconcertante.
Mais ceci n'est qu'un commencement,
ce n'est pas seulement dans l'espace d'un centimètre que le corps du Christ
introduit tous ses organes; c'est dans toutes les parcelles détachées de
l'hostie que ce prodige se reproduit. Oui, selon
l'enseignement de la foi, chaque parcelle de l'hostie, n'eût-elle qu'un
demi-millimètre, pourvu qu'elle soit visible, contient le corps du Christ avec
tous ses organes ! Ne disons pas que la localisation de tous ces éléments est
impossible. Elle ne l'est pas puisque le monde des atomes nous met en face d'infiniment petits parfaitement localisés. Mais
reconnaissons aussi qu'un organisme ainsi réduit à l'échelle atomique est bien
près d'être burlesque.
Troisième difficulté. Le pain, quand
on le brûle, donne un résidu de cendre. Si on le laisse se corrompre, il se
couvre d'une végétation de mousse. Enfin il se transforme en sang quand on
l'introduit dans l'estomac. Or l'eucharistie donne lieu, elle aussi, à un
résidu de cendre quand, par suite d'un accident, elle est victime de
l'incendie. Elle aussi se couvre de mousse quand on tarde trop à la renouveler.
Enfin, au moyen âge où les précautions de clôture n'étaient pas toujours
prises, il arrivait souvent à l'eucharistie d'être dévorée par les rats, qui y
trouvaient leur compte puisqu'ils récidivaient.
Bref, l'eucharistie a le même sort que le pain. Pourquoi et comment, puisque,
selon les enseignements de la foi, elle n'est pas du pain mais qu'elle en a
seulement les apparences ? Qui croira que les apparences du pain ont pu
produire de la cendre, de la mousse et du sang ? Du moins, si l'on admettait
que le pain éliminé par la consécration est susceptible de revenir, alors les
phénomènes que l'on vient de signaler s'expliqueraient. Mais, pour des raisons
péremptoires fournies par les docteurs, le pain ne revient pas. Encore une
fois, qui croira que les apparences ont pu produire les susdits phénomènes ?
Quatrième difficulté. Selon la foi
catholique, l'eucharistie contient le corps du
Christ caché sous les apparences du pain dont la
substance a disparu. Et, à en croire les docteurs, la principale de ces
apparences, celle qui soutient les autres, c'est ce qu'ils appellent la
quantité, ce que nous appelons les dimensions. D'où il résulte que, le pain
étant disparu, ses dimensions colorées restent néanmoins et servent de paravent
au corps du Christ qui se dissimule derrière elles. On nous demande donc
d'accepter des dimensions, pour ainsi dire plaquées sur la substance du pain et
susceptibles de s'en séparer. On nous demande de croire que ces dimensions, une
fois séparées de la substance qui leur servait de support, subsistent en
elles-mêmes pour couvrir le corps du Christ. Comment voir dans cette
fantasmagorie autre chose qu'un rêve élaboré au cours du sommeil ?
Des rêveries incohérentes : voilà ce que
les docteurs nous présentent pour résoudre les deux dernières difficultés de la présence réelle. Ajoutons qu'ils nous
servent des rêveries plus incohérentes encore si c'est possible, pour résoudre
les deux premières. Ici ils imaginent que le corps du Christ dans l'eucharistie
possède une quantité purement abstraite, une quantité qui n'est pas une
quantité véritable et qui le met au-dessus des lois de l'espace. Comme si une
quantité abstraite n'était pas une jonglerie de mots !
Malgré tout, les théologiens ne
parviennent pas à se faire illusion. Après avoir payé d'audace, reconnaissant
que leur bafouillage est incapable de satisfaire la raison, ils se réfugient
dans le mystère. Ils nous disent en substance : « Le
dogme de la présence réelle est une de ces vérités que nous ne pouvons pas
comprendre parce qu'elles dépassent la raison. Prosternons-nous en toute
humilité devant la toute-puissance de Dieu. »
Eh bien, nous ne voulons pas être
dupes de cette échappatoire. Certes, il y a dans le monde des faits mystérieux
que nous constatons sans pouvoir les expliquer. Mais
nous repoussons le grossier subterfuge qui, pour faire passer le dogme de la
présence réelle, l'assimile aux mystères. Cette invention des moines du moyen
âge est un ramassis de contradictions flagrantes.
Elle ne dépasse pas notre raison.
Elle la détruit, elle la renverse, et nous la repoussons de toute l'énergie de
notre âme.
La messe est le
sacrifice dans lequel Jésus-Christ s'offre pour nous à Dieu son Père par le
ministère des prêtres, pour représenter et continuer le sacrifice de la croix
et nous en appliquer les mérites.
Le concile de Trente a
défini que la messe n'est pas la simple commémoration du sacrifice de la croix,
mais qu'elle est un véritable sacrifice.
Malheureusement le sacrifice de la
messe se heurte à un oracle de l'Ecriture aux termes duquel le Christ
ressuscité des morts ne meurt plus, en sorte que la mort n'a plus de pouvoir
sur lui. Or il n'y a de sacrifice que là où il y a mort, et il n'y a un
véritable sacrifice que là où il y a une mort véritable. Si le Christ
ressuscité des morts ne peut plus mourir, il est donc hors d'état de se
sacrifier véritablement. Et, en dépit de la définition du concile de Trente, la
messe est incapable d'être un véritable sacrifice. Elle peut évoquer le
sacrifice de la croix, le commémorer, rien de plus.
Une autre objection contre la
définition du concile de Trente vient des grands docteurs du moyen âge. Presque
tous, en effet, évitent de parler du sacrifice de la messe, et leur silence
montre qu'ils n'y croient pas. Pourtant le plus grand d'entre eux, qui est
aujourd'hui- 127 -
le docteur officiel de l'Eglise,
saint Thomas, fait exception. Lui, il parle du
sacrifice de la messe. Mais son texte, loin de favoriser le dogme enseigné à
Trente, le combat au contraire ; car il dit en toutes lettres que la messe est
appelée un sacrifice parce qu'elle commémore le
sacrifice de la croix. En d'autres termes saint Thomas voit dans le sacrifice
de la messe une manière de parler et pas autre chose, attendu que, selon lui,
il n'y a pas d'autre sacrifice que celui de la croix.
En résumé le dogme du sacrifice de la
messe proclamé à Trente s'attaque à un oracle de l'Ecriture, et il a de plus
contre lui le docteur officiel de l'Eglise. Il se heurte aussi, cela va de soi,
à la longue période où la présence du Christ dans l'eucharistie était ignorée.
Tant que le Christ, en effet, ne fut pas sur l'autel, il ne pouvait s'immoler,
et la messe était totalement incapable de faire autre chose que de commémorer
le sacrifice de la croix.
La pénitence est un
sacrement qui remet les péchés commis après le baptême et que Jésus-Christ a
institué quand il a dit à ses apôtres : « Recevez le Saint-Esprit ; les péchés
seront remis à ceux à qui vous les remettrez et ils seront retenus à ceux à qui
vous les retiendrez.
Jésus se proposait d'arracher son
pays au joug de Rome et d'y relever le trône du glorieux roi David. Voué tout
entier à ce programme de libération nationale, mais
mis à mort par les Romains avant de le réaliser, il n'a pas eu l'idée de fonder
un sacrement de pénitence, et les paroles que le catéchisme met dans sa bouche
ne sont pas de lui. Elles lui ont été attribuées plus d'un siècle après sa
mort. Voici dans quelle circonstances.
Quand le maître fut mort, les
chrétiens crurent qu'il avait été recueilli par Dieu au ciel et qu'il allait
très prochainement revenir du ciel sur la terre pour mener à bien son programme
de libération. En attendant ce retour qui tardait indéfiniment, ils vécurent
comme ils purent ; mais d'aucuns parmi eux menèrent une vie de désordre qui
provoqua les railleries des non-chrétiens ou même
parfois leur indignation.
Toute association soucieuse
d'échapper au mépris public exclut de son sein ceux de ses membres qui, par
leur conduite, lui feraient perdre l'estime générale. Les chrétiens agirent de
même. Ils chassèrent du banquet hebdomadaire ceux de
leurs compagnons dont la vie notoirement indigne était de nature à ternir l'honneur du nom chrétien. L'exclusion qui, parfois, était
définitive, n'était d'autres fois que transitoire et elle donnait lieu à une
réintégration quand l'amendement du coupable était constaté.
Ainsi naquit la fonction judiciaire de l'Eglise. Elle
surgit sous la pression du besoin. Et, comme le besoin s'en fit sentir de très
bonne heure, elle fit son apparition dans les années qui suivirent de près la
mort du Christ. Elle eut pour objectif les fautes notoires, celles
qui portaient préjudice à l'honneur du nom chrétien. Son mode d'action consista
dans l'exclusion définitive ou transitoire des coupables.
Où résida cette fonction judiciaire ?
Question importante, car le détenteur de la fonction
posséda nécessairement le pouvoir de l'exercer. Sur
ce point la pensée chrétienne passa par deux étapes. Primitivement, dans chaque
groupe, le droit de juger les coupables appartenait
à tous les chrétiens du groupe. Ils l'exerçaient quand ils étaient réunis en
assemblée. En sorte que l'assemblée des membres de chaque groupe chrétien était
le tribunal devant lequel le sort des coupables se réglait.
Les choses marchèrent ainsi jusqu'au
jour où les évêques parvinrent à prendre la direction des communautés.
Alors ils confisquèrent à leur profit le pouvoir que détenait auparavant
l'assemblée. Ils se réservèrent le droit de juger les coupables, de les
expulser et de les réintégrer s'ils le jugeaient à propos. Puis, pour faire
taire les récriminations du peuple chrétien spolié de ses anciennes
prérogatives, ils fabriquèrent et introduisirent
dans les évangiles des oracles où le Christ était censé réserver à ses apôtres
le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés, le pouvoir de lier et de
délier, Les évêques, se présentant depuis longtemps comme les successeurs des
apôtres héritaient naturellement des pouvoirs confiés par le Christ à ses
disciples immédiats.
A l'époque où
l'assemblée chrétienne était le tribunal chargé de juger les coupables, l'exercice
de ce pouvoir avait été légitimé par un oracle où le Christ était censé
prescrire de dénoncer les délinquants obstinés à l'assemblée
(« dis-le à l'église, c'est-à-dire dis-le à l'assemblée) ». Cet oracle inscrit
dans l'évangile y resta, mais il fut en réalité supplanté par les déclarations
qui substituaient les évêques aux communautés.
Les évêques et les prêtres qu'ils ont
approuvés pour cela ont seuls le pouvoir d'administrer le sacrement de
pénitence.
Cette déclaration du catéchisme
ignore que primitivement les coupables étaient jugés
par l'assemblée des fidèles et que le monopole exercé aujourd'hui par les
évêques et les prêtres est le résultat d'une confiscation
accomplie par les évêques aux dépens de l'assemblée
des fidèles.
On reçoit le
sacrement de pénitence quand le prêtre donne l'absolution. Celle-ci est une
sentence par laquelle le prêtre remet les péchés au pénitent bien disposé.
Quand les évêques confisquèrent à
leur profit les pouvoirs exercés jusqu'alors par l'assemblée des fidèles, ils
se bornèrent à faire ce que l'assemblée faisait avant eux. On sait que celle-ci
s'occupait exclusivement des pécheurs scandaleux pour les expulser et les
réintégrer ensuite après amendement constaté. La réintégration était une
absolution, c'est-à-dire une sentence par laquelle le pécheur était jugé digne
de rentrer au bercail par suite de la conversion dont il avait donné des
preuves. Les évêques expulsèrent les pécheurs, puis ils leur donnèrent
l'absolution dont on vient d'expliquer la nature. Mais ils ne s'occupèrent que
des pécheurs scandaleux. Avec cette réserve, l'assertion du catéchisme
peut être maintenue.
La principale
condition nécessaire pour recevoir le sacrement de pénitence est la confession.
- La confession est une accusation de tous ses péchés faite à un prêtre
approuvé pour en recevoir l'absolution. -- La confession a été instituée par
Jésus-Christ, quand ,il a donné à ses apôtres le pouvoir de remettre
ou de retenir les péchés.
Quelques renseignements
sont indispensables pour porter un jugement motivé sur cette assertion du catéchisme. Les voici.
On sait déjà que les
pécheurs scandaleux frappés d'exclusion par les évêques étaient réintégrés
après amendement constaté. Ajoutons maintenant que l'amendement
était produit par les prières, les aumônes et les jeûnes auxquels devait
naturellement s'adjoindre la renonciation au péché.
Par exemple, un ivrogne invétéré que l'évêque avait exclu des rangs des fidèles
reprenait sa place quand, pendant un certain temps, il avait donné des preuves
de sobriété, et qu'il avait sanctifié le même temps par des prières, des aumônes et des jeûnes. C'était ces prières, ces aumônes et
ces jeûnes qui purifiaient devant Dieu le pécheur scandaleux. Toutefois les
évêques qui ne pouvaient contrôler ces pratiques pieuses n'en
tenaient pas compte pour procéder à la réintégration des coupables. Ce qui les
guidait dans cette opération, c'était uniquement la renonciation au péché ;
renonciation pour laquelle un contrôle était possible puisque l'exclusion
frappait uniquement les péchés scandaleux.
Le lecteur se demande
sans doute quelle était la situation des pécheurs coupables de fautes secrètes
et, par conséquent, non scandaleuses. Voici la réponse. Pour purifier leur
conscience, ces pécheurs avaient à leur disposition les mêmes recettes que les
pécheurs scandaleux, à savoir les prières, l'aumône,
les jeûnes. Et, du haut de la chaire, les évêques les pressaient vivement de
recourir à ces remèdes. Mais ils n'allaient pas, ils ne pouvaient pas aller
plus loin, attendu que ces moyens de pardon et de purification échappaient à
tout contrôle. Pratiquement les pécheurs non scandaleux étaient donc laissés à
eux-mêmes, ils faisaient ce qu'ils voulaient. En tout cas, ils restaient dans
les rangs des fidèles et participaient à l'eucharistie. Notons
pourtant que le jeûne de carême était observé par tous, et que l'on récitait
nécessairement des prières quand on assistait à la messe.
Donc le jeûne et la
prière étant des moyens de purifier la conscience
coupable et ces moyens étant pratiqués par tous, on
est autorisé à conclure que tous les pécheurs, soit scandaleux, soit non
scandaleux, purifiaient leur conscience. Mais ils
obtenaient ce résultat en dehors de tout contrôle. Quant à l'exclusion suivie
de la réintégration après amendement constaté, cette discipline ne s'exerçait
que pour les péchés scandaleux et elle n'atteignait pas les autres.
Jusqu'ici il n'a pas été question de la confession.
Pourquoi ? Pour une raison péremptoire, qui est que la confession n'existait
pas. La confession, c'est-à-dire l'aveu des fautes secrètes
elles-mêmes à un prêtre, a fait son apparition soit au IVe siècle,
soit au VIe, soit au VIIe comme on voudra. Ces trois
dates sont toutes trois exactes, quoique dans un sens différent.
Ce qui est né au IVe
siècle, c'est la confession des moines. Ce qui a attendu le VIe siècle
pour paraître, c'est la confession des laïques dans l'église celtique. Enfin,
ce qui n'est venu qu'au VIIe siècle, c'est la confession
des laïques dans l'empire franc qui formait alors une partie importante de
l'église latine et qui, un siècle et demi plus tard, absorba presque
entièrement cette église.
Voici en deux mots comment les choses
se sont passées. La confession, sous l'influence de Pacôme, fit, au IVe
siècle, son entrée dans les monastères d'Egypte. De là, elle se répandit peu à
peu dans les monastères de l'Orient, de la Gaule, de l'Italie et de l'église
celtique. Mais, pendant deux siècles, les moines seuls la pratiquèrent.
Elle fut un usage exclusivement monastique inconnu aux laïques, un usage que la
plupart des évêques eux-mêmes ignorèrent et qu'aucun ne songea à faire sortir
des monastères. Au vie siècle les moines celtiques qui, par
exception, étaient en contact immédiat avec les
populations (partout ailleurs les moines vivaient séparés du monde) soumirent à
leur régime leurs paroissiens qui se laissèrent faire docilement. L'église
celtique accepta donc, au vie siècle, la confession
des laïques. Mais, comme cette église faisait alors schisme avec le reste du
monde chrétien, son usage particulier ne paraissait pas devoir être contagieux.
Toutes les prévisions
furent mises en déroute par le moine celte Colomban, qui, avec la fougue d'un
apôtre, vint, dans les dernières années du vie siècle, prêcher la
pénitence aux populations de notre pays. Il ne leur demandait que d'expier
leurs fautes ; mais il leur imposait l'expiation en
usage dans les monastères et en Irlande, laquelle consistait à subir une
pénitence spéciale pour chaque péché commis. Et, comme il ne pouvait fixer la
somme des pénitences à accomplir sans avoir pris connaissance des fautes
commises, chaque pécheur devait lui donner un compte détaillé de ses manquements, énumérer le nombre des fornications, des adultères, des meurtres, etc., dont ils s'était rendu
coupable. C'est ainsi que, sous couleur de faire pénitence et d'expier leurs fautes, nos ancêtres furent amenés, sans s'en
apercevoir, à se confesser. Le but était de faire pénitence,
de pratiquer l'expiation. La confession se dissimulait
et arrivait en sourdine comme le seul moyen de pratiquer l'expiation à la
manière des moines et des populations de l'Irlande.
Les compagnons de Colomban
continuèrent et développèrent son oeuvre. Le clergé franc, qui l'avait d'abord dédaignée, lui
donna en 647 un témoignage de sympathie. Plus tard
les Anglo-Saxons Boniface et Alcuin familiarisés dès leur enfance avec l'usage
des moines celtes le propagèrent dans le monde franc. Enfin Charlemagne
paracheva les travaux de ces missionnaires. A partir du ixe siècle,
la confession, sous le patronage du puissant empereur, pénétra dans tout l'empire
franc. Pourtant elle n'était pas encore obligatoire. Cette lacune
fut comblée par le concile de Latran de 1215 qui prescrivit aux chrétiens de
confesser tous leurs péchés au moins une fois par an.
Revenons maintenant au catéchisme
qui, premièrement, attribue au Christ l'institution de la confession, et qui,
en second lieu, cite les oracles où le Christ procède à l'établissement de
cette oeuvre. La première de ces assertions est
condamnée solennellement par les écrits de tous les docteurs de l'Eglise où
jamais la confession n'est mentionnée ; elle est
condamnée par l'histoire qui nous dit à quelle date la confession apparut et
qui nous fait suivre les phases de son évolution. Quant à la seconde, les
docteurs nous en font toucher du doigt la vanité. Eux, ils citent fréquemment
les paroles où le Christ est censé donner à ses disciples le pouvoir de
remettre les péchés. Mais ils ajoutent aussi que ces oracles autorisent les
évêques à exclure des réunions chrétiennes les pécheurs scandaleux et à les
réintégrer dans les rangs des fidèles après amendement constaté. Ils ajoutent
cela, ils n'ajoutent que cela. Ils légitiment par ces paroles du Christ le
traitement dont, à leur époque, les pécheurs scandaleux sont l'objet. Mais
jamais l'idée ne leur vient d'appliquer ces mêmes paroles à la confession dont
ils ne soupçonnent pas l'existence. En sorte que le catéchisme, pour mettre la
confession sous le patronage des oracles du Christ, est obligé de donner à ces
oracles une interprétation inconnue des docteurs. Libre à lui d'agir ainsi.
Mais, qu'il ne cherche pas à nous faire croire qu'il suit la tradition. Bien
loin de la suivre, il la renverse ; il fait acte d'innovation
(on a vu que les prétendus oracles du Christ ont été fabriqués au milieu du
second siècle, quand les évêques confisquèrent à leur profit les pouvoirs exercés auparavant par l'assemblée des fidèles ;
ce qu'on note ici, c'est que les auteurs de ces impostures ne
songèrent pas à instituer la confession).
La satisfaction est une pénitence
imposée par le confesseur pour réparer l'injure
faite à Dieu et racheter la pénitence temporelle due au péché pardonné.
Le confesseur impose aujourd'hui une
pénitence au pécheur qui lui a fait l'aveu de ses fautes. Dans le haut moyen
âge, l'aveu des fautes était aussi suivi d'une pénitence. Mais, entre la
pénitence dont les péchés étaient frappés à l'époque du haut moyen âge et celle
qui les atteint aujourd'hui, il y a un contraste que l'on doit
connaître, car, sans cette connaissance, on ne comprendrait rien aux
indulgences dont nous allons bientôt parler.
Ce contraste consiste dans une
dégénérescence qui équivaut presque à un anéantissement. Dans les temps
anciens, le pécheur qui avait confessé ses fautes n'était admis à la communion
qu'après avoir accompli des jeûnes, des abstinences, des
mortifications de toutes sortes qui pouvaient se prolonger pendant de longues
années. Aujourd'hui, pour des fautes énormes et multiples,
le pécheur est condamné à réciter un chapelet, et pour qu'il soit autorisé à
communier, il lui suffit d'avoir l'intention d'accomplir
ultérieurement cette pénitence.
Voilà le contraste dans toute son
étendue, D'où vient-il ? De diverses causes dont la principale est celle-ci.
Autrefois l'accomplissement des peines infligées
aux péchés passait pour être la cause du pardon accordé par Dieu et de la
purification de l'âme coupable ; aujourd'hui, c'est
à l'absolution donnée par le prêtre qu'est attribué le bienfait du pardon et de
la purification. En deux mots, on n'explique plus aujourd'hui
le pardon comme on l'expliquait autrefois, et c'est ce déplacement dans
l'explication du pardon, dans son interprétation qui a amené le contraste
profond des pénitences d'autrefois avec les pénitences d'aujourd'hui.
Voici pourquoi. Quand l'accomplissement des peines infligées aux péchés était
la cause du pardon et de la purification de l'âme, cet accomplissement devait
nécessairement précéder la communion comme la cause précède son effet. De plus,
chaque péché étant passible d'une peine spéciale, plus les péchés étaient
nombreux, plus aussi les peines s'accumulaient, et plus il fallait de temps
pour les accomplir. Mais, du jour où l'absolution acquit le monopole du pardon
et de la purification de l'âme, les peines, dépouillées de leurs anciennes prérogatives, n'eurent plus de raison d'être. Et l'on peut
dire qu'en fait elles ont disparu, car la pénitence infligée
aujourd'hui par le confesseur n'est qu'une fiction.
L'Eglise nous offre dans les
indulgences un moyen de suppléer à l'insuffisance de nos satisfactions. - Une
indulgence est la rémission faite par l'Eglise, en dehors de tout sacrement, des peines temporelles dues au
péché pardonné. - Il y a deux sortes d'indulgences : l'indulgence plénière
qui remet toute la peine temporelle due au péché, et l'indulgence partielle qui
ne remet qu'une partie de cette peine.
L'indulgence plénière et
l'indulgence partielle n'ont pas la même histoire et elles doivent être
traitées séparément l'une de l'autre.
Commençons par l'indulgence
partielle.
I. - L'indulgence
partielle a fait son apparition à l'époque où les pécheurs obtenaient le pardon
de Dieu et la purification de leur âme par l'accomplissement des peines qui
leur avaient été infligées. Voici comment : certains pécheurs (assassins,
brigands, incestueux, adultères, etc.) condamnés à de longues années de jeûnes
et de mortifications allèrent à Rome et demandèrent
au pape d'alléger le fardeau qui pesait si lourdement sur leur épaules. Ils
reçurent un accueil très sympathique. Le pape n'eut
pas de peine à comprendre qu'un adoucissement apporté à la condition misérable
des pécheurs accablés aurait le double avantage de rehausser sa puissance et de
montrer sa bonté. Pour ces deux motifs il réduisit une partie plus ou moins grande
de la pénitence sous laquelle le pécheur gémissait, sans pourtant la supprimer
complètement. Encouragés par les succès de leurs aînés, de nombreux pécheurs
prirent le chemin de Rome. Les évêques essayèrent, à diverses reprises,
d'arrêter le courant. Sans s'occuper de leur opposition Rome continua de
distribuer généreusement les faveurs qui lui étaient
demandées. Sortie de l'initiative des pécheurs mais chaleureusement patronnée
par Rome l'indulgence partielle entra dans les moeurs.
Tout commerçant étend le
cercle de ses affaires quand elles marchent bien. Les papes firent de même.
Après avoir attendu la demande des pécheurs, ils prirent les devants et
offrirent eux-mêmes leur précieuse marchandise aux
pécheurs, qui ne songeaient pas à la demander. Ils promirent des indulgences
partielles à tous ceux qui, par leurs aumônes, collaboreraient à de pieuses
entreprises. Les évêques s'empressèrent d'ailleurs d'imiter
l'exemple de Rome et de lancer, eux aussi, des indulgences
partielles. Les affaires marchaient à souhait. Les papes remettaient couramment
sept ans et sept quarantaines (c'est-à-dire sept carêmes) de peines. Les
évêques, plus modestes, n'allaient pas d'ordinaire au delà de quarante jours.
Les pécheurs, très friands de cette denrée si avantageuse, faisaient tous les sacrifices voulues pour se la procurer. Naturellement,
dans ces échanges de bons procédés, les vilains mots de vente, d'achat, de
trafic, de commerce, n'intervenaient jamais. Rome mettait généreusement ses
indulgences à la disposition des pécheurs, elle ne les vendait pas. Et les
pécheurs ne les achetaient pas non plus ; seulement ils se faisaient un devoir
de remplir les conditions nécessaires pour en
devenir les acquéreurs.
On sait que la charge
accablante des pénitences qui écrasaient les pécheurs disparut un jour et fut
remplacée par des pénalités minuscules autant dire nulles. Les pénitences
n'étant plus réellement infligées, les remises de pénitences n'avaient
plus aucune espèce de sens. La disparition des pénitences du haut moyen âge
était donc logiquement la mort sans phrase des indulgences partielles. Mais les
lois de la psychologie n'ont rien de commun avec les lois de la logique. On va s'en rendre compte.
Quand le système des pénitences
lourdes et interminables disparut, Rome, sans
s'embarrasser pour si peu, resta fidèle à ses bonnes coutumes. Depuis plusieurs
siècles elle allégeait le fardeau des pécheurs qui apportaient
aux oeuvres pies le concours de leurs aumônes ; elle
continua le cours de ses opérations lucratives. La machine aux indulgences
fonctionna comme auparavant. Gardons-nous pourtant
de croire qu'aucun changement n'eut lieu. Il y en
eut un considérable. Mais voici en quoi il consista.
Sous le régime des anciennes
pénitences les indulgences étaient utilisées par
ceux à qui elles rendaient service, qui en avaient besoin, c'est-à-dire par les
pécheurs. Chargés d'une lourde dette, les pécheurs étaient heureux, moyennant
finances, d'obtenir un adoucissement. Du jour où les pénitences devinrent
fictives, les pécheurs purifiés par l'absolution du prêtre se gardèrent bien de
dépenser leur argent pour acquérir des remises de peines dont ils n'avaient nul
besoin. Et les indulgences ne trouvèrent plus preneur dans leurs rangs.
La marchandise pontificale fut-elle
donc mise au rebut ? Pas du tout. Et c'est ici qu'on peut voir combien sont
merveilleuses les lois de la psychologie. A la place des pécheurs, qui
n'avaient plus besoin de rien depuis que l'absolution leur était octroyée, une
nouvelle clientèle se présenta. Laquelle ? Celle des âmes pieuses. N'ayant
jamais commis de crimes, ces saintes personnes n'avaient rien à voir
ni aux sanctions infligées à ces péchés, ni aux allègements accordés à ces sanctions. Elles restèrent donc étrangères aux indulgences
tant qu'elles eurent sous les yeux le régime auquel ces indulgences portaient
remède, c'est-à-dire tant qu'elles comprirent quelque chose aux indulgences.
Mais leur attitude
changea quand, le régime des anciennes pénitences ayant disparu, elles ne
comprirent plus rien aux remèdes accordés jadis à ces pénitences et qu'elles
virent ces remèdes patronnés par Rome. Leur raisonnement fut celui-ci : « Nous
ne savons pas ce que signifient ces indulgences de sept années et de sept
quarantaines, ou d'autres semblables, qui sont mises à notre disposition si
seulement nous consentons à coopérer par des aumônes
à telle oeuvre pie. Mais notre Saint-Père le Pape,
qui est la sagesse même, ne nous les offrirait pas si elles n'avaient une
grande valeur et, en nous défiant de lui, nous ferions preuve d'un orgueil
monstrueux. Nous devons donc en toute confiance remplir les conditions
nécessaires pour nous les procurer. » En somme,
quand les indulgences partielles devinrent inintelligibles, elles eurent
l'attrait du mystère et elles furent recherchées avidement par les âmes
pieuses, qui n'essayèrent pas de les comprendre mais firent confiance à Rome et
laissèrent à Rome le soin de résoudre le problème.
Rome, de son côté, fit
le raisonnement suivant : « En émettant des indulgences je fais ce que j'ai
toujours fait, je n'innove pas. La nouveauté, s'il y
en a, est du côté de la clientèle qui autrefois était fournie par les pécheurs
et qui se compose aujourd'hui d'âmes pieuses. Mais je ne suis pour rien dans ce
changement qui s'est accompli spontanément. Depuis quelque temps, sans demander
mon consentement, sans même me consulter, on s'est mis à absoudre les pécheurs immédiatement après la confession. J'ignore ce que vaut
devant Dieu cette discipline. J'ignore aussi comment elle se concilie avec les
indulgences que j'émettais autrefois, que j'émets
encore aujourd'hui. Je laisse à Dieu le soin de résoudre ce problème. »
Les âmes pieuses, en acceptant sans y
rien comprendre, les indulgences qui, après
versement d'aumônes, étaient mises à leur
disposition, firent confiance à Rome. Rome, en continuant d'émettre ses
indulgences après la disparition du système des pénitences
anciennes, fit confiance à Dieu. De part et d'autre on ferma les yeux, on
renonça à comprendre, on agit à l'aveuglette.
Pour l'historien, qui a une fenêtre
ouverte sur le passé, le résultat est celui-ci : les indulgences partielles
remettent à ceux qui les reçoivent une partie des peines dues aux assassinats,
aux brigandages, aux viols, aux adultères dont ils se sont rendus coupables.
Les âmes pieuses seraient épouvantées, si elles savaient que l'Eglise leur
attribue tous ces crimes. Mais elles l'ignorent.
L'Eglise d'ailleurs n'en pense pas plus long. Les âmes pieuses ne savent pas ce
qu'elles reçoivent. La papauté ne sait pas ce qu'elle donne. Les indulgences
sont du domaine de l'insanité. Seulement elles ne sont plus aujourd'hui des
recettes commerciales comme autrefois. Depuis le XVIe siècle, la
papauté a dû reculer devant l'indignation générale et renoncer au trafic des
indulgences.
II. - L'indulgence plénière n'est
séparée aujourd'hui de l'indulgence partielle que
par une différence de degré, puisqu'elle remet toutes les peines dues aux
péchés pardonnés, tandis que l'indulgence partielle remet seulement une partie
de ces peines. Mais, pendant longtemps, il n'en fut
pas ainsi. L'indulgence plénière remettait alors les péchés eux-mêmes, de sorte
qu'une différence de nature la séparait de l'indulgence partielle. Nous avons
trois tâches à remplir : Premièrement, prouver que l'indulgence plénière
remettait les péchés eux-mêmes. Deuxièmement, expliquer comment les papes se
sont arrogé ce droit. Troisièmement, dire comment ils l'ont perdu.
1. Nous avons un texte de Grégoire VII
où il dit : « J'accorde à tous les partisans du roi Rodolphe l'absolution de
tous leurs péchés. » Dans le concile de 1409 le pape Alexandre V donna une
indulgence plénière de la faute et de la peine » à tous les assistants.
Ces exemples et plusieurs autres prouvent que les papes ont bien eu pour objectif
dans leurs indulgences de remettre les péchés.
2. Les papes ont déclaré tenir de saint
Pierre dont ils étaient les héritiers le droit supérieur de remettre les péchés
à leurs partisans et de leur garantir le ciel. Ce droit ils l'ont exercé de
deux manières différentes. Dans une première période, ils n'ont tenu
aucun compte de la confession qui pourtant fonctionnait dans l'empire franc,
mais qu'ils ont ignorée pendant longtemps. C'est ainsi qu'Etienne II accorda la
rémission des péchés et le ciel à tous les Francs qui viendraient à son secours
contre les Lombards. Vers le milieu du XIe siècle, ils firent
connaissance avec la confession, et alors ils la mentionnèrent presque toujours
comme une condition requise pour bénéficier du pardon qu'ils accordaient. Mais
cette confession consistait dans la récitation du Confiteor. C'est ainsi
que les choses se passèrent au concile de Clermont
de 1095 où la première croisade fut inaugurée. Voici le témoignage d'un
contemporain : « Un des cardinaux fit sa confession au nom de la foule
prosternée. Tous se frappèrent la poitrine et ils obtinrent
l'absolution de leurs péchés. » Le cardinal en question récita le confiteor.
La foule le récita avec lui ou plutôt s'unit à lui. Tous surtout se
frappèrent la poitrine. Et voilà ce que fut la confession des croisés à qui
Urbain II donna l'absolution. C'est encore ainsi que les choses se passent
aujourd'hui dans les cathédrales les jours où
l'évêque, dûment autorisé par Rome, donne l'indulgence pontificale. Un prêtre
récite le Confiteor. Toute l'assistance s'unit à lui. Puis l'évêque
donne l'indulgence qui remet les péchés. Tout le monde s'est confessé, puisque
tous ont prié avec le prêtre qui récitait le Confiteor.
3. Les efforts des papes se sont
heurtés à une opposition irréductible qui a fini par
les user. L'ennemi puissant qui a
déclenché l'opposition est l'armée des théologiens.
Voici ce qui s'est passé.
Pendant que Rome remettait les péchés
à ses partisans et leur ouvrait l'entrée du ciel, les docteurs,
après de longs tâtonnements et de laborieuses déductions, construisirent un
système aux termes duquel le pardon des péchés était subordonné à la réception
du sacrement de pénitence dans lequel entraient quatre pièces principales, à
savoir la contrition, la confession, la satisfaction et l'absolution. Les
papes, quand ils virent cet appareil se dresser devant eux, consentirent bien à
ménager une place à la confession ; mais on vient de voir que leur confession
n'en était en réalité pas une. Les deux puissances étaient en conflit. De part
et d'autre les hostilités furent conduites avec une grande discrétion. Les
théologiens se gardèrent bien de condamner les agissements de Rome. Les papes,
de leur côté, ne crièrent pas à l'hérésie et ne firent pas monter
leurs adversaires sur le bûcher. Mais chaque parti garda ses positions. Les
papes mirent une sorte de coquetterie à se servir de leurs antiques formules et
à remettre les péchés. Les docteurs, impuissants à faire disparaître le
vocabulaire cher à Rome lui donnèrent une interprétation
qui le rabaissait et le ramenait à une simple remise de peines. Et,
aujourd'hui, cette interprétation est la seule que les fidèles connaissent.
Rome, dans ses jubilés, dans ses indulgences pontificales, promet solennellement aux chrétiens la rémission de leurs péchés.
Les âmes pieuses comprennent qu'on met à leur disposition
la rémission totale des peines dues à leurs péchés. Et, dans le nouveau code de
droit canonique, Rome adhère officiellement à l'interprétation des âmes
pieuses.
L'Extrême-Onction
est un sacrement établi pour le soulagement spirituel et corporel des malades.
Elle achève de nous purifier de nos péchés ; elle adoucit les souffrances des
malades et leur rend même la santé quand Dieu le juge utile à sa gloire ou à
leur salut. - Pour bien recevoir l'Extrême-Onction,
celui qui est en état de péché doit se confesser s'il le peut et, s'il ne le
peut pas, il doit s'exciter à la contrition.
L'Extrême-Onction
qui, aujourd'hui, a pour but de nous procurer un soulagement spirituel et
corporel, nous frappe avant tout de stupeur par les contradictions
de sa liturgie. Pour se rendre compte de ce fait, il suffit d'entendre
les paroles prononcées par le prêtre qui fait les onctions, et de voir les
actes requis du malade avant la réception du sacrement. Le prêtre déclare faire
les onctions pour qu'elles obtiennent de Dieu la rémission
de tous les péchés commis par les différents sens du malade. D'autre part le
malade doit, avant de recevoir le sacrement, se
confesser ou, en tout cas, s'exciter à la contrition. L'objectif des onctions
est d'effacer tous les péchés du malade. Or la confession et, à son défaut,
l'acte de contrition antérieur au sacrement font que tous les péchés du malade
sont déjà effacés quand il reçoit les onctions. Onctions qui effacent tous les
péchés et qui supposent tous les péchés préalablement effacés : c'est
l'incohérence complète, incohérence que les théologiens
essaient vainement de dissimuler par les exercices de logomachie auxquels ils
se livrent. Et, en tout cela, on n'a rien dit du soulagement corporel, de la
santé même que l'Extrême-Onction peut éventuellement
procurer.
L'histoire débrouille ce chaos en
nous faisant connaître les étapes par lesquelles a passé ce qu'on appelle
aujourd'hui l'extrême-onction, ce qu'on appelait autrefois
l'onction des infirmes.
Elles sont au nombre de
trois principales :
Dans la première, l'onction
des infirmes était une recette de médecine qui avait pour objectif de rendre la
santé du corps au malade, et n'en avait pas d'autre. La dite recette consistait
en onctions d'huile faites tantôt sur tout le corps, tantôt sur le membre
souffrant, soit par le malade lui-même (quand il en était capable), soit par
les personnes de son entourage. Seulement toute huile n'avait pas un
pouvoir guérisseur. Seule était apte à ce rôle l'huile bénie par un
personnage en renom de sainteté ou par le clergé, ou encore l'huile
provenant d'un sanctuaire. En bref l'onction des infirmes était une recette de
médecine surnaturelle.
Dans la seconde étape, l'onction des
infirmes garde sur un point le contact avec l'étape précédente ; elle s'en
différencie sur un autre. Ce qui ne change pas, c'est l'objectif. L'onction des
infirmes de la seconde étape, comme celle de la première, se propose de rendre
la santé des corps aux malades, elle n'a pas d'autre visée. Ce qui est nouveau,
c'est la gérance. L'onction des infirmes cesse d'être aux mains des laïques ;
elle devient le monopole du clergé. Les malades ne peuvent plus se
l'administrer eux-mêmes ; les personnes de l'entourage n'ont plus le droit
d'intervenir. Seuls les prêtres peuvent faire les onctions. Cette coutume,
d'origine anglaise, fut introduite au VIIIe siècle en France par
saint Boniface. Elle devint alors rapidement universelle par la raison que l'empire
franc englobait à cette époque presque toute l'Eglise d'Occident.
Ce qui différencie la troisième étape
des deux précédentes, c'est l'acquisition d'une
nouvelle prérogative faite par l'onction des infirmes qui, sans cesser de
procurer la santé aux malades, se mit à purifier aussi leur conscience.
L'innovation parut pour la première fois au IXe siècle. Et il s'agit
d'expliquer sa provenance. Voici ce que l'on peut dire :
La purification des consciences par
l'onction fut l'effet d'un axiome aux termes duquel les maladies étaient le
plus ordinairement des punitions du péché. L'axiome était vieux, et logiquement
les laïques, à l'époque où ils avaient le droit de
faire les onctions, auraient dû se mettre en règle avec lui. Mais ils n'avaient
pas une foi suffisamment vive pour s'en embarrasser et, en présence d'un cas de
maladie, ils allèrent au plus pressé qui était de rendre la santé au malade.
La situation changea quand l'onction
des infirmes passa aux mains des prêtres et surtout des moines fervents.
Ceux-ci se rappelèrent que les péchés du malade étaient presque à coup sûr la
cause de sa maladie. La conséquence de ce principe. fut celle-ci : « Le pouvoir
guérisseur de l'onction est incontestable, mais il ne peut s'exercer tant que
l'âme est souillée par le péché. On doit donc commencer par purifier l'âme et
ne procéder qu'ensuite à la guérison du corps. Le raisonnement était juste. Le
tout était de le faire passer dans la réalité. Pour obtenir ce résultat,
quelques doctrines dirent : « Puisque la confession est le moyen institué par
Dieu pour effacer les péchés, on doit prescrire au malade de se confesser avant
de recevoir l'onction des infirmes. » « Non, dirent les autres, le Seigneur qui
a donné à l'onction la vertu de rendre la santé au corps, lui a aussi octroyé
le pouvoir de purifier l'âme. Employons-la en demandant à Dieu qu'il la fasse
servir à effacer le péché. Quand ce premier résultat sera obtenu, le second
suivra. »
La première solution eut pour
conséquence d'imposer la confession au malade prêt à recevoir l'onction des
infirmes. La conséquence de la seconde fut de mettre dans la bouche du prêtre
les paroles qui demandent à Dieu de faire servir l'onction à effacer les
péchés. Les deux recettes, trouvées indépendamment l'une de l'autre et sans
entente, furent accueillies simultanément dans la liturgie où elles se sont
maintenues. Malheureusement elles sont inconciliables, et leur juxtaposition
donne à l'extrême-onction l'incohérence que nous avons signalée.
L'Ordre est un sacrement
qui donne le pouvoir de faire les fonctions ecclésiastiques et la grâce pour
les exercer saintement. - On doit porter un grand respect au pape, aux évêques
et aux prêtres, parce qu'ils représentent la personne de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, qui a dit, en parlant d'eux : « Celui qui vous écoute m'écoute ; celui qui vous
méprise me méprise.
Le catéchisme enseigne ici que le
sacerdoce a été institué par le Christ. Il traite ensuite du respect que l'on
doit avoir pour les prêtres. On va examiner l'une après l’autre
ces deux assertions.
Parlons d'abord de
l'origine du clergé.
Jésus, dont le programme consistait à
relever le trône de David, et qui a été mis à mort avant d'avoir pu donner à
son projet un commencement d'exécution, n'a institué ni le clergé ni quoi que
ce soit d'approchant.
Le clergé, qui n'est pas l'oeuvre du Christ, n'a pas non plus fait son apparition dans
les années qui ont suivi immédiatement la mort du Christ. Cela parce que les
premiers chrétiens, convaincus que Jésus avait été recueilli par Dieu au ciel
après sa mort, et qu'il allait en revenir incessamment pour mener à
bien son entreprise de libération interrompue par le supplice de la croix,
attendaient son retour d'un jour à l'autre. Le Sauveur devant
paraître à tout instant pour les gouverner et assurer leur subsistance, ils
n'avaient à s'occuper de rien. C'est seulement après plusieurs décades d'années
que, tout en continuant d'attendre le retour tant désiré ils furent contraints
de s'organiser pour ne pas tomber dans le chaos. C'est alors qu'un clergé fut
institué. Il fut l'oeuvre des communautés
chrétiennes qui le créèrent sous la pression de la nécessité. Ici, comme dans
le monde de la vie, c'est le besoin qui a fait la fonction, laquelle a fait
l'organe.
Un peu avant le milieu du second
siècle, le christianisme, qui avait été jusque-là un mouvement de libération nationale contre les Romains, s'orienta vers l'au-delà
et entreprit de mener ses partisans au ciel. Le clergé subit naturellement le
contrecoup de cette évolution et il se livra à des opérations mystiques dont on
trouve l'exposé dans le présent livre.
Passons maintenant au respect que le
catéchisme réclame pour le clergé.
Le prêtre se présente à nous sous
trois aspects qui sont : l'homme, le ministre de la religion, et le fonctionnaire de Rome.
L'homme, trompé par l'enseignement du
séminaire où on lui a caché systématiquement la vérité, est d'une
entière bonne foi. On ne doit donc pas le chicaner sur l'étrange
métier qu'il exerce et qui est son gagne-pain. En dépit de ce métier
il a droit, si sa conduite est digne, à la considération qu'on accorde à tous
les hommes dont la vie est honorable.
Le ministre de la religion chrétienne
entretient les fidèles sur la bible, sur les dogmes. Il leur enseigne que la
bible est un livre inspiré par Dieu et où se trouve la source des dogmes. Il
leur dit que les dogmes sont des vérités émanées du ciel, auxquelles une foi
absolue doit être accordée sous peine de damnation.
Or la bible nous sert de nombreuses
impostures. Dans d'autres endroits ce livre étale sous nos yeux des scènes
immorales, barbares, ou qui excitent dangereusement les sens.
Quant aux dogmes, ceux d'entre eux
qui sont inoffensifs sont des produits d'une
logomachie dont le principe est l'incohérence, l'ineptie (tels les dogmes de la
Trinité, de l'union hypostatique, de la transsubstantiation).
D'autres outragent la raison et font de Dieu un monstre horrible (tels le péché
originel, le supplice éternel de l'enfer, la prédestination).
Ajoutons que tous les dogmes primitifs du christianisme ont disparu depuis
longtemps, et qu'aucun des dogmes actuels n'existait à l'origine du
mouvement chrétien. Notons aussi que les apologistes, pour dissimuler les tares
des dogmes chrétiens, recourent à de multiples roueries dont la principale est
d'embrouiller les questions les plus claires. En bref, la religion chrétienne
repose sur le néant. Le prêtre gave les fidèles et les enfants d'erreurs dont
plusieurs sont monstrueuses. Tout en tenant compte de sa bonne foi, nous avons
le droit d'éclairer nos frères, de les mettre en garde contre les enseignements
du prêtre.
Le fonctionnaire de Rome exécute
docilement, sous peine de destitution, les ordres dont il est chargé. Quels
ordres ? Cette question nous amène à exposer le programme de Rome et ses
méthodes de réalisation.
Programme et méthodes ont passé par
deux phases : celle de l'application intégrale et celle de la restriction, on
pourrait dire de la dégénérescence.
L'application intégrale a été en
vigueur depuis le milieu du XIe siècle jusqu'aux temps modernes.
Alors le programme était de faire la loi au monde entier. La méthode était le
fer et le feu. Le fer, quand des pays entiers refusaient de se soumettre à la
loi ; le feu, quand l'obstination dans l'indépendance ne se manifestait que
chez des individus isolés ou faisant partie de groupes modestes. La méthode du
fer fut appliquée successivement au Midi de la France, aux Vaudois, à la
Bohême, à l'Allemagne. Tous ces pays furent affreusement ravagés pendant plusieurs décades d'années et les armées
qui les livrèrent au pillage marchèrent sur les ordres de Rome. La méthode du
feu fut appliquée aux individus rebelles. Et, parmi
ces rebelles, plus de cinquante mille furent (les sorciers et surtout des
sorcières condamnés pour des crimes inexistants.
Depuis les traités de
Westphalie (1648) les sociétés hérétiques ont obtenu par la fortune des armes
le droit d'exister. Et, depuis plus d'un siècle, un droit nouveau s'est
répandu, aux termes duquel la poursuite de l'hérésie n'est pas de la compétence
des sociétés civilisées. Malgré ces déconvenues réitérées, Rome, au lendemain
de la chute du pouvoir temporel (1870), entreprit de faire servir les armes de
la France à reconquérir ses anciennes possessions, et elle poursuivit
obstinément son projet qui devait allumer une guerre où l'Italie aurait été
soutenue contre nous par l'Allemagne. Elle échoua. Depuis lors, plus
de guerre contre les nations hérétiques, plus de bûchers ni de prisons pour les
hérétiques. Rome n'est même plus en état d'enlever à des parents non chrétiens
un enfant baptisé à leur insu, comme elle fit en 1858, à l'égard du petit
Mortara. Rome doit renoncer aujourd'hui à régenter le monde par le fer et par
le feu.
Renoncer ? Non. Mais
renvoyer à des temps meilleurs la réalisation de ce programme et limiter
provisoirement son objectif ainsi que ses méthodes d'action. Ses deux grandes
préoccupations pour le moment sont, en dehors du domaine politique,
premièrement de ne pas laisser parvenir à la connaissance des fidèles les
résultats acquis par la critique au sujet de la bible et des origines
chrétiennes, deuxièmement de conserver son emprise sur l'enfance. Ses moyens
d'action sont de trois sortes. Avant tout elle surveille attentivement l'enseignement
des séminaires ainsi que des universités catholiques, et elle destitue
impitoyablement tous les professeurs dont l'orthodoxie ne donne pas pleine
sécurité (ajoutons que les professeurs, éclairés par l'expérience,
ont. soin de ne pas se compromettre). En second lieu elle interdit aux fidèles
de lire les livres qui leur feraient connaître la vérité. Enfin elle lance le
clergé à l'assaut des écoles laïques.
Dans le domaine
politique, elle affecte un grand libéralisme et elle emploie toutes les industries
qui lui concilieront la sympathie des gouvernements. Pourtant, quand les vrais
problèmes se dressent devant elle et qu'elle ne peut les esquiver, elle est
contrainte de flétrir le droit moderne, celui qui
oblige les sociétés à décliner toute compétence dans la recherche et la
condamnation de l'hérésie.
Et le prêtre,
fonctionnaire de Rome, condamne avec fracas l'hérésie, dénonce aux fidèles les
livres hérétiques, combat dans la mesure de ses forces l'école laïque. En un
mot, il collabore avec zèle au programme limité de la papauté. Mais, comme la
papauté, il appelle de ses voeux le jour où les âmes
se laisseront pénétrer par la foi et où Rome fera de nouveau la loi au monde
entier. Le prêtre, si honorable que soit sa vie privée, est condamné à faire oeuvre de sectaire pour plaire à Rome. Son ministère est
néfaste, parce qu'il continue l'oeuvre
que Montalembert reprochait aux intransigeants de son temps en ces paroles
toujours actuelles : « On dirait qu'ils traitent l'Eglise comme une
de ces bêtes féroces que l'on promène dans les ménageries. Regardez-la bien,
semblent-ils dire, et voyez ce qu'elle veut, ce qui est le fond de sa nature.
Aujourd'hui elle est en cage, apprivoisée et domptée par la force des choses ;
elle ne peut pas vous faire de mal quant à présent. Mais, sachez bien qu'elle
a des griffes et des crocs, et si jamais elle est lâchée, on vous le fera bien
voir. »
Le denier du culte
est obligatoire ; car les fidèles doivent assurer le maintien du culte, par
conséquent la subsistance du clergé.
L'Eglise, qui demande
aux fidèles de payer le denier du culte, fait ce que font toutes les sociétés
qui demandent à leurs membres de subvenir à leurs frais généraux. Que les
catholiques s'éclairent, et alors ils quitteront l'Eglise parce qu'ils verront
que ses prétentions reposent sur le néant. Tant
qu'ils conservent la foi de leur enfance, ils doivent se soumettre à la logique
de leurs convictions. D'ailleurs l'Eglise proportionne sa demande à leurs
ressources.
Le mariage est un
sacrement qui établit entre l'homme et la femme une société sainte et
inséparable. C'est Jésus-Christ qui l'a élevé à la dignité de sacrement.
Il y a, au sujet du mariage, une notable différence de
point de vue entre l'Eglise et la plupart des sociétés modernes. L'Eglise, en
effet, tient le mariage pour un sacrement institué par Jésus-Christ. Au regard
de beaucoup de sociétés modernes, au contraire, le mariage, qui lie l'homme et
la femme, est un contrat et rien de plus.
Ajoutons que cette divergence de
point de vue devrait logiquement donner lieu à un
conflit. Voici pourquoi : l'Eglise reconnaît qu'il y a dans le mariage un
contrat en même temps qu'un sacrement. Mais elle enseigne que le contrat a sa
source dans le sacrement lui-même, qu'il est constitué par le sacrement; d'où
il suit qu'il n'y a pas de contrat là où il n'y a pas de sacrement. Et, comme
le sacrement n'existe pas s'il n'est pas célébré en présence du curé de la
paroisse ou de son délégué, l'Eglise déclare qu'aucun contrat n'existe entre
conjoints qui ne se sont pas présentés devant le curé ou son délégué. Selon
elle les conjoints en question ne sont liés par aucun contrat ; en d'autres
termes, ils ne sont pas mariés. A l'encontre de l'Eglise, la société civile,
notamment en France, s'inspire des principes suivants : Premièrement, le
contrat est réalisé par l'engagement que l'homme et la femme prennent devant l'officier de l'état civil. Deuxièmement,
interdiction est faite à l'Eglise d'administrer son sacrement avant que le
contrat ait été passé devant l'officier de l'état civil.
Mais le conflit, théoriquement
inévitable, est pratiquement évité. Il l'est parce
que l'Eglise se soumet aux exigences de la société civile et attend, pour
procéder à son sacrement-contrat, que les conjoints soient munis d'un certificat
constatant qu'ils ont passé devant l'officier de l'état civil. L'Eglise, cela
va sans dire, proclame fièrement que c'est son sacrement qui fait le contrat,
et elle n'obéit qu'en maugréant aux injonctions
de la société civile. Mais elle obéit. Cela suffit à la société civile qui,
ayant obtenu satisfaction, laisse l'Eglise murmurer à son aise contre la
tyrannie dont elle est victime.
Revenons au sacrement de mariage.
C'est seulement depuis le me siècle que l'Eglise a inscrit le
mariage sur la liste de ses sacrements. Avant cette date, le mariage était à
ses yeux un contrat. Un contrat qu'elle bénissait souvent, comme elle bénissait
les maisons nouvellement construites, mais qu'elle ne bénissait pas toujours,
et qui liait les conjoints même quand aucune bénédiction
n'était intervenue. L'Eglise est évidemment libre d'aménager ses sacrements
comme elle veut, et nous n'avons pas le droit de nous immiscer dans ses
affaires. Mais elle ajoute que ce sacrement a été institué par le Christ
lui-même. Comment donc se fait-il que l'Eglise a ignoré pendant mille ans cette
institution ? Elle a bien mal gardé le trésor confié à ses soins, puisque,
pendant mille ans, elle n'en a pas soupçonné l'existence. La vérité est que son
audacieuse prétention est un défi porté à l'histoire. Le sacrement de mariage
est dans le cas de tous les autres sacrements dont aucun n'émane du Christ. Et
l'Eglise, qui prétend le contraire, est obligée de recourir à l'imposture pour
sauver la face.
Le mariage est
indissoluble et il ne peut être rompu que par la mort d'un des époux. C'est
pourquoi le divorce n'est pas permis. Il est formellement condamné par l'Eglise
et par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même.
Le mariage est, pour
ainsi dire, la porte qui ouvre à l'enfant l'accès de l'existence. A
ce titre il a un droit absolu à notre respect. Mais il ne faut tout de même pas
que la grandeur du lien conjugal nous fasse oublier la réalité qui est celle-ci
: Il n'est pas rare que le mariage amène à sa suite
des souffrances intolérables, et que l'unique remède à ces
souffrances soit la rupture du lien conjugal, c'est-à-dire le divorce. Le
divorce est toujours un mal ; mais un mal que l'on peut être contraint de subir pour en éviter un plus grand. Ici s'applique l'axiome aux termes duquel entre deux maux il
faut choisir le moindre.
Le divorce est autorisé par la loi
mosaïque. L'église romaine le condamne depuis les environs de l'an 800 ; mais,
avant cette date, elle l'acceptait. Il a toujours été en vigueur dans l'église
grecque. Les églises protestantes l'ont introduit dans leur
législation. Admis dans la législation française par le Code civil, il en fut
expulsé par la loi de 1816. Il y est rentré par la loi de 1884.
Le Christ ne s'est jamais occupé du
mariage. Mais, parmi les oracles qui lui ont été attribués, il en est un où
l'église grecque et, à sa suite, les églises protestantes ont pensé voir que le
divorce y était autorisé en cas d'adultère. Cette interprétation est d'ailleurs
rejetée aujourd'hui par l'église romaine. Mais, puisqu'elle est suivie par des
fractions importantes de la religion chrétienne, et que l'église romaine
elle-même l'a jadis admis, on doit taxer d'exagération le catéchisme quand il
prétend que le divorce a été condamné par le Christ.
L'obligation la plus grave des personnes
mariées est de respecter la fin première du mariage qui est de multiplier les
enfants de Dieu.
Ces paroles du catéchisme évoquent le
problème de la natalité, lequel met en présence l'intérêt de l'Etat, l'intérêt
de la race, l'intérêt de la mère, l'intérêt du père, l'intérêt de la société.
Et ces intérêts multiples ne sont pas toujours parfaitement d'accord. L'Etat a
besoin de défenseurs qui assurent sa sécurité. Et, pour avoir des défenseurs,
il lui faut des familles nombreuses. L'Etat pousse donc à la multiplication des
naissances. Une pression dans le même sens est exercée par la race qu'obsède la
crainte de disparaître. A l'encontre de l'Etat et de la race, la mère se rend
souvent compte que des maternités trop réitérées la conduiront au tombeau, et
cette prévision justifiée ne l'incline pas à multiplier les naissances. Le père
est souvent amené à la même conclusion par la pensée que son salaire modeste le
met hors d'état de nourrir une famille nombreuse. Et la société tient pour un
fléau une procréation illimitée ; car elle sait que la loi malthusienne du
doublement de la population par périodes de vingt-cinq années est exacte, et
que les ressources ne peuvent doubler dans le même laps de temps.
On se borne ici à poser
les termes d'un problème singulièrement compliqué.
Il est permis pourtant de signaler comme un
commencement de solution les subventions accordées
par l'Etat aux familles nombreuses.
L'état de virginité
chrétienne est plus parfait que le mariage.
Le catéchisme préconise ici les congrégations
religieuses de femmes. Elles forment deux groupes principaux. A l'un appartient les ordres
appelés contemplatifs, dont l'objectif est la louange de Dieu en latin, et la macération de la chair. L'autre comprend les congrégations
vouées aux oeuvres de bienfaisance. Les ordres contemplatifs sont foncièrement extravagants et se
mettent, en outre, souvent à la charge du public. On ne peut que souhaiter leur
disparition. Les congrégations bienfaisantes font oeuvre utile, et l'opinion publique ne leur ménage pas son
estime. Mais nous aspirons au jour où nous serons à même de les remercier de
leurs services. Et ce jour viendra quand le progrès des institutions aura
achevé la laïcisation de la bienfaisance aujourd'hui amorcée. En tout cas, ce
qui nous sert à mesurer la valeur d'une fonction, c'est la collaboration
qu'elle apporte au bien social. Et, comme la bienfaisance n'est pas, même
aujourd'hui, le monopole des congrégations religieuses, il nous est impossible
d'attribuer à la virginité chrétienne une perfection
supérieure au mariage.
La religieuse bienfaisante est
toujours à l'abri des difficultés matérielles ; elle n'a pas à faire face aux
soucis, aux angoisses même qui quotidiennement assiègent la mère de famille.
Et, puisque le mérite est en proportion de l'énergie déployée, c'est à la mère
de famille qu'appartient la palme du mérite.