Derniers articles publiés/actualité :
  • Mélenchon ne diffame pas Jeanne d'Arc

    Mélenchon ne diffame pas Jeanne d'Arc

  • Je suis anti-franc-maçon, mais je vote Mélenchon !

    Je suis anti-franc-maçon, mais je vote Mélenchon !

  • Top 15 des vidéos : zététique contre pseudo-dissidence, complotisme

    Top 15 des vidéos : zététique contre pseudo-dissidence, complotisme

  • Charles Robin attaque la zététique

    Charles Robin attaque la zététique

  • Réponse zététique à Hassen Occident : les races humaines existent-elles ?

    Réponse zététique à Hassen Occident : les races humaines existent-elles ?

Réfutation du Catéchisme

Réfutation du Catéchisme

 

 

Par l’abbé Joseph Turmel, éditions de l’Idée Libre, 1929.

 

 

 

Introduction. 1

Chrétien par la grâce de Dieu. 2

I] Le Symbole des apôtres 3

Vue générale. 3

Dieu. 4

La Trinité. 5

La Création. 6

Les Anges. 7

Création de l'homme. 8

Chute du genre humain. 10

Péché originel. 11

Jésus-Christ. 14

Vie de Jésus-Christ 15

Mort et Résurrection du Christ. 17

Saint-Esprit et Eglise. 19

La Résurrection de la chair. 26

Le signe de la croix. 29

II] Les commandements de Dieu. 29

Vue générale. 30

Les dix commandements. 30

Le Péché. 36

La Grâce et la Prière. 37

III] Les Sacrements 40

Vue générale. 40

Baptême et Confirmation. 41

L’Eucharistie. 43

La Messe. 49

La Pénitence. 50

Indulgences. 53

L'Extrême-Onction. 57

L'Ordre. 59

Le Mariage. 61

 

 

 

Introduction

 

Celui qui veut porter un jugement motivé sur le dogme catholique, doit commencer par en acquérir une connaissance exacte, sous peine de s’exposer à attribuer à l’Eglise romaine des enseignements qui ne sont pas les siens. Il importe donc d’avoir sous la main un livre contenant la doctrine imposée d’office aux catholiques par la hiérarchie romaine.

Ce livre existe. Il s’appelle le catéchisme. On met ici sous les yeux du lecteur les textes du catéchisme reproduits en caractères italiques, et on fait suivre chaque texte des observations qu’il comporte. Ces observations écrites en caractères ordinaires sont fournies par la raison et par l’histoire.

 

Chrétien par la grâce de Dieu

 

Je suis chrétien parce que j’ai reçu le baptême. Et le baptême qui a fait de moi un chrétien je l’ai reçu par la grâce de Dieu, c’est-à-dire par un don de Dieu, car c’est un don et le plus grand de tous les dons que d’être chrétien.

 

Cette grâce du baptême, c’est-à-dire ce don que le catéchisme déclare si précieux, est possédé par environ 500 millions d’hommes (300 millions de catholiques, 200 millions de protestants et de grecs). En face de ces 500 millions de chrétiens se trouve au moins un milliard d’hommes qui ne sont pas chrétiens parce qu’ils n’ont pas été baptisés. Ceux qui ont reçu le baptême l’ont reçu sans le savoir et sans le vouloir, car ils ont été baptisés immédiatement ou, en tout cas, peu de temps après la naissance, alors qu’ils n’avaient pas encore l’usage de la raison. Ils n’ont donc rien fait pour mériter ce qu’on appelle la grâce ou le don du baptême. Et les hommes deux fois plus nombreux qui n’ont pas reçu le baptême ne l’ont pas refusé. Ils ne sont pas baptisés uniquement parce qu’ils n’ont jamais entendu parler du baptême et que personne ne s’est présenté pour le leur administrer. Les enfants ne sont pour rien dans la conduite de leurs parents qui leur ont fait administrer le baptême ou les ont laissés sans baptême. Et les parents eux-mêmes se sont conformés inconsciemment à la coutume de leur pays.

Si c’est Dieu qui a procuré aux chrétiens la grâce du baptême, c’est lui aussi qui a refusé cette grâce aux non-chrétiens. Le Dieu qui fait les chrétiens a donc des préférences qui ne sont pas motivées par des mérites. Il accorde ses faveurs à quelques-uns et les refuse au plus grand nombre, sans que les premiers soient plus dignes que les autres, mais uniquement parce que cela lui plaît.

Sa règle de conduite est l’arbitraire, le caprice. Et comme le caprice est une des formes de l’injustice, le Dieu qui fait les chrétiens n’a pas le sens de la justice, il est foncièrement injuste. Or la justice est l’une des qualités essentielles que doit posséder un Etre souverainement parfait. Le Dieu qui fait les chrétiens manque d’une des perfections essentielles que notre raison réclame chez un Etre souverainement parfait. Il n’est qu’un faux dieu.

 

Pour être chrétien il faut encore croire et pratiquer la doctrine chrétienne qui est contenue dans l’Ecriture sainte et dans la Tradition.

 

Ce que le catéchisme appelle Ecriture sainte, c’est la Bible. Il donne à la Bible le nom d’Ecriture sainte, pour nous faire croire qu’elle a été écrite sous l’inspiration de Dieu et que ses enseignements viennent de Dieu. En réalité, la Bible a été, en partie, écrite par des imposteurs, et là même où elle n’est pas le produit de l’imposture, elle contient de nombreuses erreurs. La Bible a une grande valeur au point de vue littéraire ; mais, comme livre historique, elle ne mérite qu’une confiance très limitée.

Quant à la Tradition, ce qu’on appelle de ce nom, ce sont les dogmes qui constituent la doctrine chrétienne. Le catéchisme prétend que la doctrine chrétienne était, au début du christianisme, ce qu’elle est aujourd’hui. Il se trompe grossièrement. Nous sommes en mesure de prouver que la croyance des premiers chrétiens n’avait rien de commun avec celle des chrétiens de nos jours. La croyance chrétienne a varié au cours des siècles. Cette variation est la preuve décisive que la croyance des chrétiens de nos jours ne vient point du ciel. Comme la Bible, elle est le produit en partie de l’imposture, en partie de l’ignorance.

 

Il est nécessaire, pour être sauvé, de connaître au moins les enseignements principaux de la doctrine chrétienne.

 

Cela serait nécessaire, si la doctrine chrétienne venait du ciel comme le catéchisme le prétend. Mais nous avons la preuve que cette doctrine, même considérée dans ses principaux éléments, est le produit de l’imposture ou de l’ignorance. Nous ne devons donc avoir pour elle qu’une indifférence absolue.

 

 

I] Le Symbole des apôtres

 

 

Vue générale

 

 

Le symbole des apôtres est une profession de foi qui nous vient des apôtres.

 

Aujourd’hui l’Eglise enseigne que le Christ, avant de se faire homme, a créé le ciel et la terre au commencement du monde. Le symbole des apôtres, au contraire, commence par dire que Dieu le Père tout-puissant a créé le ciel et la terre ; et c’est seulement après avoir enseigné la création du ciel et de la terre par le Père tout-puissant qu’il mentionne Jésus-Christ fils unique de Dieu (Je crois en Dieu le Père tout-puissant créateur du ciel et de la terre ; et en Jésus-Christ son Fils unique). Il croit donc que le Christ n’a été pour rien dans l’œuvre de la création, et il attribue cette œuvre exclusivement au Père tout-puissant. En cela le symbole des apôtres exprime la croyance des premiers chrétiens, et il se sépare de l’Eglise actuelle qui a abandonné cette croyance.

Il s’en sépare sur un autre point. Car il enseigne que le Christ est devenu fils de Dieu seulement à partir du jour où la sainte Vierge l’a mis au monde par l’opération du Saint-Esprit. Nous tous, tant que nous sommes, nous n’existions pas avant de faire notre entrée dans le monde ; Jésus, lui non plus, n’existait pas avant de naître de la Vierge Marie. Voilà ce que dit le symbole des apôtres. Selon l’enseignement actuel de l’Eglise, au contraire, le Christ existait d’une manière invisible avant de se faire homme. Il existait avant l’origine des temps ; et il devait nécessairement exister puisque c’est par lui que le ciel et la terre ont été créés.

Troisième contraste. Selon l’enseignement actuel de l’Eglise, Dieu est l’Etre infiniment grand en qui il n’existe aucune limite. Au contraire, à en croire le symbole des apôtres, Dieu, après avoir recueilli Jésus au ciel, l’a placé à sa droite. Dieu a donc une droite et une gauche, Dieu est un personnage humain assis au ciel dans un fauteuil et plaçant près de lui Jésus.

Le symbole des apôtres exprime une croyance archaïque à laquelle l’Eglise a renoncé au cours des siècles. Il n’exprime pas la croyance des chrétiens de nos jours qui le récitent sans le comprendre.

Ce symbole, qui est attribué aux apôtres, c’est-à-dire aux premiers disciples de Jésus, n’est pas leur œuvre. Il a été composé à Rome un peu avant l’an 150 de notre ère.

 

 

Dieu

 

 

Dieu est un esprit infiniment parfait, créateur du ciel et de la terre et souverain Seigneur de toutes choses. Il est un esprit parce qu’il n’a point de corps. Il est infiniment parfait, parce qu’il possède toutes les perfections et que ses perfections n’ont pas de bornes. Il est éternel, parce qu’il n’a pas eu de commencement et qu’il n’aura jamais de fin. Dieu est tout-puissant, parce qu’il a fait toutes choses de rien. Dieu est partout, Dieu voit tout, Dieu est juste, Dieu est miséricordieux.

 

 

Les perfections divines mentionnées par le catéchisme forment deux séries dont chacune est inscrite sur un tableau à part. L’un de ces tableaux est le monde qui nous entoure, que nous voyons quand nous ouvrons les yeux ; l’autre est l’esprit qui est en chacun de nous.

Ce que nous voyons quand nous regardons le monde, c’est une énergie immense, éternelle, infinie, insondable. Ce que nous voyons dans notre esprit, c’est une bonté, une justice, une intelligence qui toutes trois sont parfaites. Donc énergie infinie quand nous regardons hors de nous ; bonté, justice et intelligence qui toutes trois sont parfaites. Donnons à la première série le nom de perfections physiques, et à la seconde le nom de perfections morales. Il s’agit de savoir si les perfections morales existent en dehors de notre esprit qui les contemple, ou si elles existent seulement dans notre esprit, comme les rêves que nous formons pendant le sommeil. Dans le premier cas, la bonté, la justice, l’intelligence souveraines s’associent à l’énergie infinie de l’univers ; elles enrichissent l’énergie, et forment avec elles le Dieu auquel tant d’hommes présentent aujourd’hui encore leurs adorations. Dans l’autre cas, il n’y a à exister réellement que l’énergie immense, mais inabordable qui se dresse devant nous, semblable à un océan où nous ne pouvons pénétrer faute de barque et de rames.

Le catéchisme enseigne que les perfections morales existent en dehors de notre esprit, et qu’elles sont unies aux perfections physiques. Selon lui l’énergie du monde est souverainement bonne, souverainement juste, souverainement prévoyante ; elle est le Dieu que les chrétiens adorent.

De cette assertion le catéchisme donne trois preuves qui sont les suivantes :

Dieu gouverne toutes choses par sa puissance, sa sagesse, sa bonté, et c’est ce qu’on appelle la Providence.

On prouve l’existence de Dieu par ses œuvres ; car la raison nous dit que, s’il faut un ouvrier pour bâtir une maison, il a fallu un créateur pour faire le ciel et la terre.

Les peuples les plus sauvages comme les plus civilisés ont cru qu’il existe un Dieu.

Voici notre réponse !

1. La preuve tirée de la Providence, c’est-à-dire du soin que Dieu prend du monde, repose sur une illusion absolue. Depuis que les hommes existent, il y a toujours eu des peuples massacrés ou réduits en esclavage par d’autres peuples qui se sont installés à leur place et qui, eux-mêmes, étaient obligés de quitter leur pays pour ne pas périr de faim. Chaque jour, des catastrophes petites et grandes (accidents de travail, tempêtes, incendies, inondations, raz de marée, tremblements de terre, etc.) anéantissement des familles, des maisons, des villages, des villes, parfois même de vastes régions. La terre n’est qu’un immense champ de carnage où les animaux se dévorent mutuellement pour ne pas périr d’inanition. Ce spectacle affreux est la résultante des lois qui régissent l’univers. Or un Dieu attentionné au monde n’aurait pas pu permettre un pareil état de choses ; et, aux lois terribles qui nous gouvernent, il aurait substitué (ce qui lui était infiniment facile) des lois toujours bienfaisantes. L’hypothèse d’une Providence est démentie par la présence du mal. Et la preuve de l’existence de Dieu tirée de son gouvernement ne résiste pas à l’examen.

2. La preuve tirée de l’ordre du monde n’est pas plus sérieuse.

Une maison n’est pas possible sans un ouvrier, parce que les pierres qui la composent n’ont pas la propriété de se superposer elles-mêmes les unes aux autres. Une horloge est dans le même cas, parce que ses rouages n’ont pas la propriété de s’engrener eux-mêmes les uns dans les autres. Mais la condition du monde est différente. Les astres qui évoluent au-dessus de nos têtes n’ont pas besoin d’un secours extérieur pour procéder à cette opération. Ils l’accomplissent en vertu de l’énergie dont sont doués tous leurs éléments appelés atomes. C’est dans l’énergie essentielle aux atomes qu’est le principe de leurs mouvements, de leur éclat, de leur chaleur. De même les harmonieuses arborescences que la gelée imprime sur nos vitres sont les produits mécaniques de la cristallisation de l’eau.

La matière vivante est, elle aussi, essentiellement douée de propriétés qui lui permettent de réagir aux influences extérieures. Ce qui trompe les observateurs superficiels, c’est que, chez les animaux supérieurs, les réactions vitales (vision, ouïe, marche, respiration, digestion, etc.) sont accomplies par des organes très compliqués (œil, oreille, pied, poumon, estomac, etc.) dont les pièces nombreuses semblent n’avoir pu être rassemblées que par une intelligence puissante. Cela serait vrai si l’apparition de ces organes avait eu lieu subitement. Mais les choses ne se sont point passées ainsi. Les réactions de la matière vivante aux influences extérieures (lumière, chaleur, vibrations de l’air, etc.) n’ont été primitivement réalisées qu’à l’état d’ébauches très rudimentaires pour lesquelles aucun appareil déterminé n’existait. C’est au cours de milliers de siècles que les opérations vitales se sont spécialisées. Cette spécialisation a été rendue possible par certaines excroissances survenues aux êtres vivants, puis de ces excroissances développées par l’exercice sont sortis des embryons d’organes lesquels se sont compliqués progressivement.

Retenons que les opérations vitales, considérées dans leur partie essentielle, sont des réactions aux influences extérieures (lumière, chaleur, etc.) et que ces réactions sont des propriétés de la matière vivante appelée protoplasme. Le reste est accessoire.

3. La preuve tirée du consentement des peuples a tout juste la valeur d’une facétie. Les peuples anciens prenaient les objets extérieurs pour des êtres vivants dans lesquels logeaient des génies invisibles. Ils croyaient à une multitude de petits dieux grotesques ; mais ils ont ignoré le Dieu souverain dont parle le catéchisme.

On n’a donc pas le droit de prouver l’existence de ce Dieu par le consentement des peuples.

 

La Trinité

 

Il n’y a qu’un seul Dieu et il ne peut y avoir qu’un seul. Il y a en Dieu trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais ces trois personnes ne font qu’un seul Dieu, parce qu’elles ont une seule et même nature, une seule et même divinité. On ne peut pas d’ailleurs comprendre comment trois personnes distinctes ne font qu’un seul Dieu. C’est un mystère, c’est-à-dire une vérité que Dieu a révélée et que nous devons croire sans pouvoir la comprendre.

 

Nombreux sont dans la nature les faits que nous constatons, dont la réalité s’impose à nous, mais dont l’explication nous échappe totalement. En d’autres termes il y a dans la nature des mystères. On ne doit donc pas s’étonner qu’il y en ait dans la religion.

Mais, à coté des mystères qui dépassent notre raison, il y a des allégations qui la contredisent et la renversent. Ces allégations, qui sont en réalité des inepties, ne doivent pas être confondues avec les mystères dont elles ne sont que des caricatures. On doit les dénoncer, surtout quand elles usurpent le titre de mystères pour bénéficier du prestige dont nous entourons les mystères constatés par la science.

Ceci dit, occupons-nous de la Trinité.

Ou bien les trois personnes qui possèdent la nature divine la possèdent avec des particularités propres à chaque personne. Ou bien elles la possèdent sans aucune particularité distinctive. Dans le premier cas, les personnes sont exactement dans la même condition que trois frères jumeaux qui, tout en possédant la même nature humaine, sont pourtant trois hommes, parce que chacun possède la nature humaine avec une particularité que les deux autres n’ont pas. Et de même que les trois frères jumeaux sont trois hommes, les trois personnes divines sont trois dieux. Dans le second cas, il n’y a qu’un seul dieu ; mais les trois personnes divines sont des mots désignant tout au plus des aspects multiples du Dieu unique et par ailleurs vides de sens. C’est ainsi que Notre-Dame des victoires, Notre-Dame du salut, Notre-Dame des sept douleurs, etc., sont une seule et même Notre-Dame considérée sous des aspects divers.

En somme, s’il y a réellement en Dieu trois personnes divines, il y a trois dieux. Et, s’il n’y a qu’un seul dieu, les trois personnes divines ne sont que des mots. En toute hypothèse le prétendu mystère de la Trinité est une allégation insensée, dont l’insanité ne réussit à se faire accepter qu’en se dissimulant sous une couche épaisse de galimatias.

 

 

La Création

 

 

Dieu est appelé créateur du ciel et de la terre, parce qu’il a fait de rien le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment.

 

 

Si Dieu a créé le monde, il est l’auteur des lois qui régissent le monde. Et s’il a créé la vie, il est l’auteur de toutes les formes que la vie a revêtues.

Or les lois du monde amènent chaque jour les catastrophes dont il a déjà été question (par ex. tremblements de terre qui détruisent des villes entières ; éruptions volcaniques qui les engloutissent ; raz de marée qui ravagent des régions ; tempêtes où flottes et équipages vont au fond de la mer ; pluies excessives qui anéantissent les récoltes ; accidents du travail qui plongent les familles dans la désolation, etc.).

Et, parmi les formes que revêt la vie, se trouvent, d’une part, les grands carnassiers (requins, lions, tigres, serpents) qui mangent les hommes et les animaux ; d’autre part ces terribles microbes qui produisent la rage, le croup, la pneumonie, la tuberculose, la choléra, etc.).

Un Dieu créateur de la matière et de la vie serait responsable de toutes nos souffrances, de toutes nos tortures, de tout le mal. Sa responsabilité serait d’autant plus grande qu’il aurait pu très facilement régir le monde par des lois uniquement bienfaisantes et ne faire sortir du néant que les êtres agréables ou utiles.

Un pareil Dieu serait un monstre. Notre raison se refuse à l’accepter. Le mal se comprend s’il est produit par des forces inconscientes et aveugles. Il ne se comprend plus quand on veut voir en lui l’œuvre d’un Dieu personnel. Le monde, les êtres vivants qui le composent n’ont pas pu être créés par Dieu. Le Dieu créateur n’existe pas.

Après avoir écarté l’erreur du catéchisme, il nous reste à établir la vérité. Elle se résume dans les deux assertions suivantes : 1° Le monde a toujours existé : il est éternel. 2° Mais il est le théâtre de transformation perpétuelles qui ne cessent de renouveler ses modalités.

Expliquons ces deux assertions.

Ce qui est éternel, ce qui a toujours existé, c’est l’énergie. Elle a son siège dans la matière qui est l’atome. Mais nous ignorons le rapport qui existe entre l’énergie et l’atome où l’énergie réside. Nous entrevoyons que l’atome est un aspect de l’énergie et qu’il fait une seule et même chose avec elle. Là s’arrêtent nos conjectures. Nous sommes totalement incapables d’expliquer comment l’atome dérive de l’énergie.

Ce qui varie, ce sont les manifestations de l’énergie. Ces manifestations varient au sein de l’atome lui-même dont le noyau et les électrons sont en perpétuel travail. La variation a réussi pour cause les affinités mystérieuses qui mettent les atomes en rapport les uns avec les autres. Engagés par leurs affinités dans des associations passagères, les atomes y acquièrent une structure qui permet à leur énergie d’obtenir des résultats nouveaux.

Voici les principales étapes franchies par l’énergie atomique.

Notre système solaire était, il y a plusieurs centaines de millions de siècles, une immense sphère gazeuse tournant sur elle-même.

De cette sphère se détachèrent les uns après les autres des anneaux semblables à ceux qu’on obtient quand on fait tourner autour d’un axe une boule d’huile.

Ces anneaux, en se déchirant, se replièrent sur eux-­mêmes et devinrent des planètes.

De ces planètes, celle qui nous intéresse le plus, la terre, fut d'abord une masse liquide en ébullition. Sous l'influence du refroidissement une écorce solide faite de gneiss se forma. Les contractions qu'elle subit donnèrent naissance à des cavités, lesquelles, remplies d'eau par l'action des pluies, devinrent les mers.

Alors, quand la température le permit, l'énergie domiciliée dans les atomes prit la forme de la vie. Les êtres vivants apparurent successivement au sein des mers puis sur la terre. Réduits à des fonctions très rudimentaires, les premiers dépositaires de la vie n'étaient ni végétaux ni animaux. Mais, peu à peu, leurs opérations se précisèrent. En se précisant elles se différencièrent. Et les deux formes de la vie, la forme végétale, la forme animale, se développèrent parallè­lement.

 

Les Anges.

 

Les anges sont de purs esprits que Dieu a créés pour l'adorer et pour exécuter ses ordres. - Dieu a donné à cha­cun un ange qui prend soin de nous et nous garde, et c'est pour cela qu'on l'appelle ange gardien. - Les démons sont des anges devenus mauvais qui cherchent à nous porter au mal... Les démons furent, après leur faute, précipités dans l'enfer où ils souffrent éternellement.

 

 

Tous les hommes éprouvent, au cours de leur vie, des accidents graves où beaucoup trouvent la mort et qui ont des conséquences douloureuses pour ceux qui survi­vent. Tous aussi nous commettons involontairement des erreurs qui pèsent sur le reste de notre vie. L'ange gar­dien, dont le catéchisme nous fait cadeau, devrait nous préserver de ces accidents et de ces erreurs. Il ne le fait pas. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il remplit bien mal sa mission.

Quant aux démons qui nous portent au mal, leur mé­tier soulève deux objections très graves. Premièrement s'ils nous portent au mal, ils sont à nos côtés et ils ne résident pas dans l'enfer ; s'ils sont dans l'enfer, ils ne sont pas près de nous et ils ne peuvent nous porter au mal. Il y a incompatibilité entre le domicile que le caté­chisme leur attribue et l'occupation qu'il leur assigne. Deuxièmement : Pourquoi Dieu laisse-t-il ces êtres pervers nous porter au mal ? S'il ne peut pas les empê­cher, il est donc bien faible. Et, s'il peut les empêcher, il se fait leur complice en les laissant réaliser leurs projets. Ou impuissant, ou méchant, voilà le Dieu qui, au dire du catéchisme, laisse les démons nous porter au mal.

Le catéchisme n'a échappé à une troisième objection qu'en faisant silence sur les démoniaques. Les démonia­ques passaient pour être possédés du démon, c'est-à-dire pour loger dans leur corps un démon qui les faisait souf­frir. Pour les guérir, on les exorcisait ; opération qui consistait à chasser de leur corps le démon. Au dire des évangiles Jésus a chassé beaucoup de démons. L'Église, jusqu'à ces derniers temps, en a, elle aussi, chassé beau­coup. Aujourd'hui, nous savons que les prétendus démo­niaques d'autrefois étaient des névrosés, c'est-à-dire des gens atteints de maladies nerveuses et que les démons n'étaient pour rien dans leurs souffrances. On ne peut donc parler de démoniaques et d'exorcisme sans tomber dans le ridicule. Et c'est pour échapper au ridicule que le catéchisme se tait si prudemment sur les démoniaques. Mais le voile, dont il couvre l'illusion des évangiles et de toute l'Eglise jusqu'à nos jours, n'empêche pas cette illusion d'avoir existé. Les chrétiens éclairés ont honte de parler des démoniaques et des exorcismes que l'on pratiquait sur ces malheureux pour les guérir. Mais, pendant de longs siècles, ces chimères ont été en hon­neur dans l'Eglise.

Anges et démons datent d'une époque où des génies bienfaisants s'ingéniaient à faire du bien aux hommes et où d'autres génies méchants cherchaient à leur nuire. Toutes ces entités invisibles, les bonnes comme les mau­vaises, ont été supplantées par les lois de la nature avec lesquelles nous avons fait connaissance. Elles ont disparu par suppression d'emploi.

 

 

Création de l'homme.

 

L'homme est une créature raisonnable composée d'un corps et d'une âme. - Le premier homme et la première femme sont Adam et Eve, c'est d'eux que descendent tous les hommes. - Dieu a formé de terre le corps d'Adam ; quant au corps d'Eve, Dieu l'a tiré d'une côte d'Adam. - Mais il a créé, c'est-à-dire fait de rien les âmes de nos premiers parents. Ce qui fait notre excellence, c'est que notre âme est à l'image de Dieu. Et elle est à l'image de Dieu parce qu'elle est un esprit immortel capable de connaître et d'aimer Dieu. - C'est d'ailleurs pour connaître Dieu, l'aimer, le servir sur la terre, et, par ce moyen, parvenir au bonheur du ciel, que Dieu nous a créés et mis au monde.

 

Nous avons certainement une âme, puisque nous sommes des êtres vivants accomplissant des opérations vitales (locomotion, vision, ouïe, respiration, etc.), puisque ces opérations vitales ont nécessairement un prin­cipe quel qu'il soit, et que ce principe est désigné par l'usage sous le nom d'âme. Nous avons une âme. Mais tous les êtres vivants sont dans notre cas. Et nous appe­lons vivants tous les êtres qui accomplissent certaines opérations puis, au bout d'un temps plus ou moins long, cessent de les accomplir et meurent. Les animaux vi­vent ; les plantes vivent, elles aussi, car, après avoir grandi, elles se dessèchent et meurent. Tous ces êtres vivants ont une âme, puisque tous accomplissent des opérations vitales qui exigent nécessairement un prin­cipe quel qu'il soit.

C'est ne rien dire, ou ce qui revient au même, c'est énoncer un truisme que de nous attribuer, à nous et à tous les êtres vivants, une âme qui est le principe des opérations vitales. La question, la seule question impor­tante, est de savoir ce qu'est l'âme. Le catéchisme en­seigne que notre âme est un esprit logé dans notre corps mais totalement distinct du corps, et que cet esprit est immortel, c'est-à-dire qu'il continuera de vivre après notre mort. Mais, si notre âme à nous est une petite personne absolument distincte de notre corps auquel elle survit, il doit en être de même de l'âme des animaux et des plantes. Le principe des opérations vitales accomplies par tous ces êtres vivants doit, lui aussi, être logé en eux sans se confondre avec eux et leur survivre quand ils meurent. Et cette conclusion s'applique surtout aux animaux supérieurs qui, comme nous, marchent, enten­dent, voient ; qui, comme nous, éprouvent de la joie et de la tristesse, de l'orgueil et de l'envie ; qui forment même des ébauches de raisonnements. Si notre âme se différencie de notre corps au point de pouvoir lui survivre, l'âme des animaux supérieurs, surtout de ceux-là, doit échapper à la destruction de leur organisme. Or, nous savons bien qu'il n'en est pas ainsi. Nul n'est assez naïf pour s'imaginer que les animaux supérieurs possè­dent un être invisible auquel ils doivent la vie et qui, au moment de leur mort, déménage de l'organisme où est son domicile, pour aller vivre quelque part ailleurs. Nous savons que la mort est pour les animaux le point de départ d'une destruction totale et que tout meurt en eux quand ils cessent de vivre.

Qu'est-ce donc que l'âme qui règle l'activité des ani­maux, qui existe en eux mais qui disparaît avec eux ? L'âme est une des manifestations de l'énergie. Renseignement vague qui doit être précisé. L'énergie immense de l'univers revêt des formes multiples qui varient avec la structure des éléments où elle réside. Selon la structure de ces éléments elle est attraction, lumière, fluide électrique, source d'affinités chimiques, etc. Elle est aussi vivante quand elle rencontre des éléments appropriés à certaines réactions dont l'ensemble constitue la vie. L'âme exerce son activité dans le domaine de la vie, elle est une manifestation vitale et elle a pour siège la ma­tière vivante. Cette matière vivante accomplit des opérations plus ou moins complexes selon la complexité de son organisation. L'âme est la manifestation de cette activité. Elle manifeste, elle ne produit pas. L'âme est la résultante de l'organisation dans un être vivant. Voilà ce qui explique qu'elle s'évanouit quand l'être vivant où elle réside disparaît.

Si nous entreprenions d'échapper à cette loi univer­selle de la matière vivante, nous ne pourrions lui oppo­ser que des protestations verbales souverainement impuissantes et donc absolument vaines. Soumettons-nous. Résignons-nous. Renonçons à la chimère d'une vie immortelle. Reconnaissons que notre âme disparaîtra en même temps que notre corps. Et, s'il est pénible de penser que nos aspirations à une meilleure existence ne seront pas réalisées, rappelons-nous que les animaux supérieurs éprouvent, eux aussi, des désirs qui ne seront pas assouvis.

 

2. L'histoire d'Adam et d'Eve a pour point de départ la croyance à ce qu'on appelle la fixité des espèces. Selon cette croyance les plantes et les animaux ont été produits par Dieu à l'origine tels que nous les voyons au­jourd'hui. En d'autres termes Dieu a créé au début des temps des chênes, des pommiers, des poiriers, des poissons, des oiseaux, des chiens, des chats, des boeufs, etc. ; sans oublier les microbes du croup, de la rage, du cho­léra, de la tuberculose, etc. Il créa aussi nos premiers parents Adam et Eve.

Or la croyance à la fixité des espèces s'est évanouie devant les données de la science, et elle a fait place à ce qu'on appelle l'évolution ou le transformisme. La vie a fait sa première apparition au sein des mers et elle n'a eu à l'origine que des formes petites, rudimentaires. Sous des influences diverses, prolongées pendant des milliards d'années, les êtres vivants ont formé des asso­ciations organiques qui, elles-mêmes, ont évolué. Le tout a été le produit de forces aveugles, et notre esprit se refuse absolument à attribuer à un Dieu sage la forma­tion des effroyables microbes de la rage, du choléra, de la peste, du croup, etc. Les espèces végétales et animales n'ont pas été produites par un ouvrier les unes à côté des autres. Elles dérivent les unes des autres. Du sein de la mer, elles ont passé sur la terre et elles se sont transmis les propriétés dont elles s'étaient enrichies.

Un jour - il y a de cela environ cent mille ans, peut-être moins, peut-être plus - une espèce d'êtres anthro­poïdes apparut, dont le cerveau relativement volumineux et muni de nombreuses circonvolutions, se trouva en mesure d'ébaucher quelques idées. C'est alors que naquit le genre humain. Ce que le catéchisme dit d'Adam et d'Eve est un conte enfantin. Les premiers représen­tants du genre humain n'ont pas été un homme et une femme, mais plusieurs milliers d'individus soumis aux mêmes conditions climatériques, menant le même genre de vie et groupés entre eux, bien que disséminés sur un territoire plus ou moins vaste. Tous ces êtres possédant une vie sociale arrivèrent à l'humanité à peu près simul­tanément, c'est-à-dire au cours de quelques siècles. D'ailleurs les membres arriérés bénéficièrent des expériences des mieux doués.

 

Dieu nous a créés et mis au monde pour le connaître, l'aimer, le servir sur la terre et, par ce moyen, parvenir au bonheur du ciel.

 

 

Pendant des centaines de siècles, les hommes prirent naïvement les objets extérieurs pour des êtres vivants capables de leur porter secours ou de leur nuire ; et c'est à ces objets qu'ils adressèrent leurs hommages, qu'ils firent des cadeaux pour apaiser leur courroux et gagner leur bienveillance. Ils croyaient aussi qu'après leur mort ils posséderaient une seconde vie. Mais, cette seconde vie. ils se la représentaient comme le prolongement de la vie actuelle. C'est ce que prouvent ces quar­tiers de viande dont on retrouve les restes dans les sé­pultures des hommes primitifs et qui étaient des secours de première nécessité, mis à la disposition des morts pour leur donner le temps d'aménager leur seconde exis­tence.

Voilà comment les choses se passèrent pendant des centaines de siècles. C'est d'ailleurs encore comme cela qu'aujourd'hui même elles se passent dans les deux tiers de l'humanité. Si donc Dieu a créé les hommes pour le servir et les mettre à même d'aller au ciel, il a bien mal réussi ; car les hommes, ne le connaissant pas, n'ont pas pu le servir, et ils ne se sont pas préoccupés du bonheur du ciel.

Ajoutons que Dieu ne peut s'en prendre qu'à lui-même de son insuccès. Les hommes n'étant tombés dans toutes leurs extravagances religieuses que par suite de leur profonde ignorance, Dieu n'avait qu'à les éclai­rer pour les préserver de leurs malheurs. Il ne les a pas éclairés. Il s'est comporté comme s'il prenait plaisir aux folies dont l'humanité a donné et donne encore le spec­tacle.

 

 

Chute du genre humain.

 

Dieu créa nos premiers parents dans un état de sainteté et de bonheur. Il les plaça dans le paradis terrestre. Mais nos premiers parents perdirent bientôt cet heureux état par leur désobéissance en mangeant d'un fruit dont Dieu leur avait défendu de manger. - Ils furent portés à désobéir par le démon sous la forme d'un serpent. - Leur déso­béissance les dépouilla de la grâce de Dieu, et ils demeurè­rent pécheurs et dignes de l'enfer. Ils furent de plus chas­sés du paradis terrestre, condamnés aux misères de la vie et à la mort.

 

1. Ici le catéchisme utilise un récit biblique dont voici les principaux traits : « Dieu plaça l'homme dans le paradis pour le cultiver et pour le garder. Il lui dit : « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, sauf de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs. Il expliqua à Eve, la femme d'Adam, que si elle et Adam mangeaient du fruit défendu, bien loin de mourir ils seraient comme des dieux. Eve mangea du fruit et en fit manger à Adam. Le soir venu, Dieu se promena dans le jardin. Puis ayant fait venir Adam, Eve et le serpent, il in­fligea une punition à chacun des coupables. Le serpent fut condamné à ramper sur le ventre et à se nourrir de poussière. Eve apprit que les femmes enfanteraient dans la douleur. Quant à l'homme, son sort fut de ga­gner son pain à la sueur de son front, puis de mourir. Après quoi Adam et Eve furent chassés du paradis ter­restre dont l'accès leur fut interdit par des chérubins agitant des épées flamboyantes.

 

2. Le catéchisme introduit dans le récit biblique qu'il utilise deux déformations.

La première consiste à faire intervenir le démon. Ce­lui-ci n'est même pas mentionné dans le récit biblique. Selon la bible, c'est le serpent seul qui trompe Eve. Il la trompe, parce qu'il est le plus rusé des animaux et que, d'ailleurs, doué de l'usage de la parole, il a un entretien avec Eve. Le châtiment qui lui est infligé est une nou­velle preuve de sa culpabilité. Et, puisque son châti­ment consiste à ramper sur le ventre et à manger de la poussière, nous sommes autorisés à conclure qu'avant de tromper Eve, le serpent se tenait debout et avait une alimentation régulière. C'est le catéchisme qui met la tentation sur le compte du démon et qui réduit le serpent au rôle d'instrument.

Une autre déformation commise par le catéchisme consiste à introduire l'enfer. Dans la bible, les punitions infligées aux hommes ne concernent que la vie présente, et il n'est point question de l'enfer ou d'une peine quelconque après la mort.

Le récit biblique de la chute de nos premiers parents est un de ces contes enfantins qui abondent dans la litté­rature populaire. Les déformations commises par le ca­téchisme se proposent de supprimer cette tare. Et, pour arriver à leur but, elles étendent un vernis philosophique sur les enfantillages du récit biblique.

 

3. Pourtant, tout en déformant le récit biblique, le catéchisme en maintient lidée fondamentale qui est d'écarter de Dieu la responsabilité des maux dont nous souffrons. Tous deux, bible et catéchisme, nous disent avec un accord touchant : « Votre condition misérable vous inquiète, et vous vous demandez comment un Dieu bon a pu vous accabler ainsi. Rassurez-vous, Dieu vou­lait nous rendre tous heureux. Et ce n'est pas sa faute si tous les maux s'acharnent sur nous. C'est la faute de nos premiers parents. S'ils étaient restés soumis à l'ordre divin, ils nous auraient transmis leur bonheur et nous en jouirions encore aujourd'hui. C'est leur désobéissance qui a obligé Dieu à laisser le mal fondre sur nous. »

Voilà ce que disent la bible et le catéchisme. Mais l'hy­pocrisie de cette réponse saute aux yeux. Si Dieu voulait vraiment écarter de nous les misères de la vie actuelle, ce n'est pas la faute de nos premiers parents qui pourrait l'en empêcher, puisque cette faute a été commise de nombreux siècles avant notre naissance et que nous n'y avons été pour rien. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Dieu n'a pas voulu nous exempter de la souf­france. Notre vie est misérable, non pas par la faute de nos premiers parents, mais parce que Dieu en a disposé ainsi. Et ceux-là se font illusion qui s'imaginent sauver l'honneur de Dieu en rejetant sur Adam la responsabi­lité de nos malheurs.

 

 

Péché originel.

 

Non seulement nous sommes condamnés aux misères de la vie et à la mort, mais nous naissons encore dans le péché originel, lequel est le péché commis par Adam lui-même.

 

On vient de voir qu'il y a une illusion à rendre Adam responsable des malheurs dont nous souffrons. Mais prétendre que nous apportons en venant au monde le péché lui-même commis par Adam est le comble de l'audace. Comment aurions-nous pu participer à un péché com­mis des milliers d'années avant notre existence ? Pour pécher il faut nécessairement exister, et dire que nous avons péché avant d'exister est une contradiction dans les termes. L'incohérence est si manifeste que le cardinal Billot, le théologien catholique le plus réputé de ce siè­cle, en a lui-même fait l'aveu en ces termes : « Je serais censé avoir fait ce que je n'ai pas fait, et, de ce chef, rendu responsable d'un acte posé quand je n'existais pas l Qui pourra admettre une pareille chose ? Car ici il n'y a pas de mystère qui tienne. Le mystère, c'est ce qui dépasse notre raison, ce n'est pas ce qui la renverse et la détruit. Et, à ce propos revient à la mémoire la réponse que le fabuliste met dans la bouche de l'agneau : « Com­ment l'aurais-je fait, disait-il, puisque je n'étais pas né?»

Les théologiens, qui n'ont pas la probité du cardinal Billot, essaient de dissimuler la contradiction sous divers sophismes dont le principal consiste à assimiler le péché originel aux malades héréditaires. Ils disent : « La preuve que le péché originel ne répugne pas, c'est qu'il existe des maladies héréditaires que l'enfant apporte en venant au monde ». A quoi nous répondons qu'il existe une dif­férence essentielle entre la maladie héréditaire que l'on contracte sans l'avoir voulue et le péché originel qui, par définition, est volontaire. Pour naître avec le péché originel, il faudrait avoir voulu ce péché. Or, nous n'avons pas pu vouloir une faute qui a été commise à une époque où nous n'existions pas.

Encore un mot. Avant saint Augustin (mort en 430) l'Eglise croyait à la chute du genre humain ; en d'autres termes, elle considérait nos misères actuelles comme la punition du péché d'Adam. Mais elle ne connaissait pas le péché originel, c'est-à-dire qu'elle n'attribuait pas à l'enfant qui vient au monde le péché lui-même commis par Adam. C'est saint Augustin qui a inventé le péché originel. Son invention prit place parmi les dogmes. Pourtant depuis un peu de temps, quelques théologiens, comprenant que ce prétendu péché était une ineptie, ont essayé de le supprimer ; mais, pour ne pas heurter de front le dogme enseigné par l'Eglise, ils ont enveloppé leur pensée dans des formules incohérentes qui appar­tiennent à ce qu'on appelle le style nègre-blanc. Quant au peuple, il continue de croire au péché originel. Mais pratiquement cette croyance consiste pour lui à dire que l'enfant mort avant d'avoir reçu le baptême est privé du bonheur du ciel, parce que le baptême a seul le pouvoir d'effacer ]e péché originel avec lequel l'enfant vient au monde. On a vu (p. 9) ce que la raison pense de la grâce du baptême.

 

La sainte Vierge seule a été préservée du péché originel. Ce privilège s'appelle l'Immaculée Conception.

Le péché originel étant un dogme insensé, nous ne voyons aucun inconvénient à dire que la Sainte Vierge en a été exempte. Du point de vue de la raison l'Imma­culée Conception ne soulève donc aucune difficulté. Elle en soulève une grave du point de vue de l'histoire. Car, jusqu'aux dernières années du moyen âge, les plus grands docteurs de l'Eglise latine, aveuglés par l'autorité de saint Augustin, enseignèrent que la sainte Vierge était née, comme tout le genre humain, avec le péché originel. Et c'est seulement en 1854 que le pape Pie IX éleva l'Immaculée Conception au rang des dogmes, c'est-à-dire au rang des choses qu'un chrétien doit croire sous peine d'être damné. Ce dogme nouveau, repoussé pen­dant quatorze cents ans par l'Eglise, est un exemple palpable de la variation des croyances chrétiennes.

 

 

Dieu a aimé les hommes dans l'état du péché ; car il leur a promis et donné un Sauveur qui est Jésus-Christ.

Jésus est venu au monde au début de l'ère actuelle, c'est-à-dire à une date où le genre humain existait depuis plusieurs milliers d'années, et où, selon l'enseignement du catéchisme, tous les hommes étaient, depuis plusieurs milliers d'années, sous le coup de la malédic­tion portée contre leur premier père.

Le catéchisme nous dit que Jésus est le sauveur, c'est-à-dire le personnage chargé par Dieu de mettre fin à la malédiction qui pesait sur nous depuis le péché d'Adam. Et, selon lui, Dieu, en nous envoyant le Sauveur Jésus, nous a donné un témoignage de l'amour qu'il n'a cessé d'avoir pour nous malgré notre péché.

L'assertion du catéchisme donne lieu à plusieurs ob­servations.

Premièrement : L'amour que Dieu nous a témoigné en nous envoyant un Sauveur, ne doit pas nous faire oublier une vérité capitale qui est celle-ci : Dieu ne nous a certainement pas aimés quand il a décrété de nous faire porter les conséquences du péché d'Adam. Son dé­cret était d'autant plus cruel que nous n'avons été pour rien dans le péché de notre premier père et que nous n'existions même pas quand ce péché fut commis. L'hu­manité n'avait que faire d'un témoignage d'amour de la part de Dieu. Ce qu'il lui fallait, c'était un acte de justice supprimant l'abominable décret qui pesait sur elle depuis le commencement du monde. Et cet acte de justice réparatrice ne réclamait pas l'intervention d'un Sau­veur.

Deuxièmement : A en croire le catéchisme, c'est un Sauveur que Dieu nous a envoyé. Or, ce prétendu Sau­veur, qui devait mettre fin à notre misérable situation, n'y a rien changé. II l'a laissée telle qu'il l'avait trouvée. Depuis que le Sauveur est venu, nous continuons de naître avec le péché originel, et ce péché reste en nous tant qu'il n'est pas enlevé par le baptême, c'est-à-dire par un rite dont les deux tiers de l'humanité sont hors d'état de bénéficier. Bien plus, notre vie est encore em­poisonnée par toutes ces souffrances dont, au dire du catéchisme, nous aurions été exemptés si Adam n'avait pas péché. Qu'a donc fait le Sauveur ? Pour masquer son embarras, l'Eglise se répand en considérations sur la vie future qui échappent à tout contrôle et qui d'ailleurs sont en dehors de la question.

Tous ces expédients ne changent rien à la réalité. Nous sommes toujours en proie aux misères dont nous aurions été exempts si Adam n'avait pas péché. Le Sau­veur n'a obtenu aucun résultat. Il a fait faillite.

On pourrait aussi demander pourquoi Dieu a attendu plusieurs milliers d'années avant de nous envoyer le sauveur destiné à réparer le mal commis par Adam. Mais cette question est sans objet quand on a acquis la preuve que le genre humain reste toujours sous le coup de la malédiction portée contre notre premier père.

Sans s'embarrasser de tous ces problèmes insolubles pour lui, le catéchisme est fier de nous apprendre que le sauveur a été promis par Dieu dès l'origine du monde. Ce que cette assertion exprime, c'est la croyance suivante enseignée par l'Eglise : Dieu, dans sa bonté, promit dès l'origine un sauveur aux hommes. Instruit par la promesse divine le genre humain a attendu le sauveur pendant tous les siècles qui ont précédé la venue de Jésus. Et cette attente a été pour les hommes un prin­cipe de salut.

L'attente du sauveur peut être considérée en dehors du peuple juif et dans le peuple juif.

En dehors du peuple juif la prétendue attente est une fable qui repose sur le néant absolu.

Les juifs se nourrirent de rêves nationalistes qui prirent deux formes différentes. Tant qu'il y eut des descendants du fondateur de la monarchie, David, le règne de ce grand roi entouré de l'auréole de la lé­gende fut un idéal dont le retour était ardemment désiré. Les juifs patriotes rêvèrent donc d'un royaume qui aurait l'éclat du royaume de David.

Après la disparition de la royauté, les juifs broyés, persécutés par des peuples puissants, au lieu de s'aban­donner à la dépression du désespoir, rêvèrent d'un avenir où, avec l'aide de Dieu, ils prendraient leur revanche et domineraient sur tous les peuples. L'espoir de la revanche réalisée avec l'intervention de Dieu était leur réconfort et leur consolation.

La prétendue attente du sauveur est la déformation des rêves nationalistes dont se nourrissaient les juifs.

 

 

Jésus-Christ.

 

Jésus-Christ est le fils de Dieu fait homme. - Il est fils unique de Dieu, parce que seul il est fils de Dieu par nature. - Le Fils de Dieu a pris un corps et une âme par l'opération du Saint-Esprit dans le chaste sein de la vierge Marie. - Il s'est fait homme pour nous racheter du péché et de l'enfer et nous mériter la vie éter­nelle. - Jésus-Christ est Dieu et homme tout ensemble. - Il y a donc en lui deux natures, la nature divine et la nature humaine. Mais il n'y a en lui qu'une seule personne qui est la seconde personne de la sainte Trinité. - La Sainte Vierge est mère de Dieu, car elle a mis au monde un fils qui est Dieu. - Quant à saint Joseph, il était seulement le gardien et le nourricier de Jésus.

 

Selon les évangiles, Jésus avait quatre frères et au moins deux soeurs ; son père s'appelait Joseph ; sa mère avait nom Marie. Il était un homme comme nous. Quand il parut en public, son programme consista à arracher d'abord, avec l'aide de Dieu, la Palestine au pouvoir des Romains qui en étaient les maîtres, puis à relever ensuite le trône de David et à régner sur le peuple juif. Les évangiles, dont on résume ici les données, infligent un démenti absolu au catéchisme.

La raison repousse, elle aussi, l'enseignement du caté­chisme. Car premièrement, si Jésus est le fils de Dieu, il y a entre lui et Dieu le même rapport qui existe entre un fils et son père. Or un fils est nécessairement plus jeune que son père. Donc dire que Jésus est le fils de Dieu, c'est dire qu'il est plus jeune que Dieu son père, qu'il n'est pas éternel comme son père. Et puis, si Jésus est le fils de Dieu, il y a donc deux dieux, sans compter le Saint-Esprit qui, lui aussi, est Dieu. Nous retrou­vons ici les objections que nous avons rencontrées à propos de la Trinité.

Deuxièmement. Si Jésus est venu pour nous délivrer du péché et de l'enfer, c'est parce que nous héritons du péché d'Adam et que ce péché nous rend dignes de l'enfer. Or on a vu que l'histoire du péché d'Adam et de ses suites est une insulte à la raison.

Troisièmement. Si Dieu voulait, malgré notre péché, nous ouvrir le ciel, qu'avait-il besoin de nous envoyer son fils ? Il n'avait qu'à nous pardonner. Ce qui lui était d'autant plus facile que notre prétendu péché commis des milliers d'années avant notre naissance est une insanité.

Quatrièmement. Si Jésus a reçu de Dieu la mission d'enseigner aux hommes la vérité, il a vraiment bien tardé à accomplir cette oeuvre, car les hommes étaient depuis des centaines de siècles, dupes des plus grossières erreurs. Il fallait éclairer le genre humain dès l'origine et ne pas laisser attendre le secours pendant des siècles. D'ailleurs la lumière apportée par le Christ a été bien insuffisante, puisque, aujourd'hui encore, elle est ignorée des deux tiers de l'humanité.

Cinquièmement. Jésus était un homme comme nous. Et le catéchisme nous conte une fable quand il prétend que Jésus possédait une nature divine cachée, dissimu­lée et masquée par sa nature humaine.

Sixièmement. Dire que Dieu, c'est-à-dire l'Etre éter­nel, a une mère est énoncer une absurdité. Le caté­chisme se rend coupable de cette absurdité quand il appelle Marie mère de Dieu. Sans doute il explique que Marie a mis au monde la nature humaine de Jésus et non sa divinité. Mais l'expression mère de Dieu n'en reste pas moins malheureuse ; car elle induit nécessairement en erreur le peuple ignorant qui trouve tout naturel que Dieu se soit métamorphosé en homme.

 

 

Vie de Jésus-Christ

 

 

La Vierge Marie a mis au monde le Fils de Dieu sans cesser d'être vierge. - Notre-Seigneur est né le jour de Noël à minuit. - Il est né à Bethléem dans une pauvre étable. - Il fit connaître sa naissance d'abord à des bergers qui, avertis par les anges, vinrent le visiter dans sa crèche. Puis à des mages qui, conduits par une étoile, vinrent l'adorer et lui offrir des présents. - Il fut pré­senté au temple quarante jours après sa naissance. - Puis la Sainte Vierge et saint Joseph l'emmenèrent en Eg9pte pour échapper à la cruauté d'Hérode qui voulait le faire mourir.

1.   Marie était une bonne mère de famille qui, Jésus compris, avait au moins sept enfants. Ces renseignements fournis par les évangiles eux-mêmes réduisent à néant l'assertion du catéchisme qui n'est qu'une fable.

 

2.   Le jour de la naissance du Christ n'est pas men­tionné par les évangiles ; et les chrétiens l'ont toujours ignoré. Au cours du IIIe siècle la naissance du Christ fut célébrée à Rome le 25 décembre pour le motif suivant qui ne s'inspira d'aucune préoccupation historique : A Rome, le 25 décembre était l'objet d'une fête païenne en l'honneur du soleil qui, arrivé au solstice, remontait au-dessus de l'horizon (en réalité le solstice a lieu le 21 décembre, mais on ne disposait pas des instruments nécessaires pour obtenir la date exacte). C'est pour faire échec à cette fête païenne que l'Eglise décida de fixer la naissance du Christ à la date du 25 décembre. On voit que le motif de cette décision fut de combattre le prestige du paganisme, et de présenter Jésus comme le véritable soleil du monde.

 

3. Les évangiles racontent que Jésus est né à Beth­léem, bourgade située à deux lieues au sud de Jérusa­lem. Mais ils nous disent aussi que les parents de Jésus avaient leur domicile à Nazareth, ville à vingt lieues au nord de Jérusalem. Et l'on se demande, non sans surprise, comment, à une époque et dans un pays où les voyages n'existaient pour ainsi dire pas, faute de moyens de communication, des parents ont quitté leur domicile habituel juste au moment où Jésus devait venir au monde. A cette question les évangiles répondent par une histoire compliquée dont voici les principaux élé­ments :

L'empereur Auguste avait décrété pour tout l'empire romain un recensement qui obligeait les assujettis à se faire inscrire chacun dans sa ville. Joseph, qui descendait du roi David, dut, pour faire droit à l'édit impérial, se faire inscrire à Bethléem parce que cette bourgade était la patrie de son ancêtre David qui y était né mille ans auparavant. Marie, son épouse, l'accompagna ; et c'est au cours de ce voyage que Jésus vint au monde.

A ce récit l'histoire oppose les faits suivants : Premièrement, il n'y a jamais eu de recensement général sous Auguste, et, de ce chef, l'assertion des évangélistes est fausse. Deuxièmement, il y a eu un édit de recensement promulgué pour la province de Judée à laquelle Jérusalem et Bethléem en appartenaient. Mais ce recen­sement eut lieu dix ans après la naissance de Jésus ; ce n'est donc pas lui qui a pu amener de Nazareth à Bethléem les parents de Jésus juste au moment où leur fils devait venir au monde. Troisièmement, Nazareth ne faisait pas partie de la Judée, mais de la Galilée ; d'où il suit que ses habitants n'étaient pas assujettis à un recensement promulgué pour la Judée. Quatrièmement. Si, par impossible, Joseph avait été soumis à ce recensement, il eût dû se faire inscrire à Nazareth où était son domicile et non ailleurs. Cinquièmement, l'asser­tion qui, pour expliquer que Joseph est allé à Bethléem, le présente comme un descendant de David, est une pure fantaisie ; car les descendants de David n'existaient plus depuis la disparition de la royauté, c'est-à-dire depuis plus de cinq cents ans. D'ailleurs un descendant de David pouvait tout au plus se rendre à Jérusalem où résidaient les rois tant qu'il y en eut. Il n'avait que faire d'aller à Bethléem où les descendants de David n'avaient jamais eu leur domicile, où David lui-même n'avait jamais habité depuis son accession au trône.

En deux mots la naissance de Jésus à Bethléem est un expédient destiné à prouver que Jésus était, par son père Joseph, d'origine royale. Mais c'est un expédient grossier qui se heurte à de multiples impossibilités.

La naissance de Jésus à Bethléem étant une fiction, entraîne dans sa chute toutes les histoires greffées sur elle. Examinons pourtant ces histoires en faisant abs­traction de leur fondement ruineux.

 

4. L'apparition angélique, qui annonce la naissance de Jésus aux bergers de Bethléem, eût été un grand miracle. L'étoile conductrice des mages à la crèche en eût été un autre. De ces deux prodiges accomplis à la porte de Jérusalem et même, en partie, à Jérusalem où les mages firent leur entrée, le souvenir n'aurait pu manquer de se conserver. Or, trente ans plus tard, Jésus, quand il vint à Jérusalem, ne fit jamais la moindre allusion aux miracles qui avaient marqué sa naissance. Personne autour de lui n'en parla. A cette date l'apparition angélique aux bergers de Bethléem et l'étoile miraculeuse n'étaient pas encore inventées, ce sont des contes fabriqués après la mort du Christ.

 

5. La fuite en Egypte suppose que le roi Hérode a ignoré l'apparition angélique annonçant aux bergers de Bethléem la venue d'un sauveur. Elle suppose même qu'il a ignoré la présentation de Jésus au temple qua­rante jours après sa naissance. Car, s'il avait connu ces événements, il se serait empressé de mettre Jésus à mort. Or Hérode n'a pu ignorer pendant plus de qua­rante jours le prodige dont les bergers de Bethléem avaient été témoins et qu'ils n'avaient pas pu manquer de divulguer. A plus forte raison la présentation au temple n'a-t-elle pu lui échapper, puisqu'elle s'est accomplie sous ses yeux. La fuite en Egypte est incon­ciliable avec deux des faits qui, à en croire les évangiles ont accompagné la naissance de Jésus.

Elle a attribué même à ce roi cruel une incurie incon­ciliable avec sa cruauté. Car, si Hérode poursuivait avec acharnement la mort de Jésus, il devait faire suivre les mages par des émissaires qui, marchant sur les traces de ces augustes visiteurs, auraient sans peine repéré la crèche et se seraient empressés, conformément aux ordres de leur maître, de massacrer l'enfant. La fuite en Egypte est un conte mal venu dont on trouve d'ailleurs l'analogue dans l'enfance de tous les grands hommes.

 

 

Jésus demeura à Nazareth jusqu'à l'âge d'environ trente ans. - Il choisit ses douze apôtres, prêcha son évangile pendant un peu plus de trois ans et fit de grands miracles, prouvant ainsi sa divinité.

 

Fils d'un charpentier de Nazareth, Jésus exerça d'abord le métier paternel. Vers l'âge de trente ans, il abandonna le travail manuel et il adressa aux popula­tions de la Galilée des prédications dont le fond était : « Le temps est rempli, le royaume de Dieu est proche. » Ce royaume annoncé était l'ancien royaume de David restauré par la puissance de Dieu et méritant pour ce motif le titre de royaume de Dieu. Jésus n'a eu d'autre programme que d'arracher, avec l'aide de Dieu, son pays à la domination romaine et de relever, toujours avec l'aide de Dieu, le trône de David. Il a prêché cela, pas autre chose ; et tous les discours où il est censé émettre d'autres prétentions ont été fabriqués plus tard ; ils ne sont pas de lui.

Quand Jésus commença ses prédications, sa mère épouvantée crut qu'il avait perdu l'esprit et, accom­pagnée de ses autres enfants, elle essaya de l'arrêter. Mais les populations enthousiastes firent échouer ce projet. Car le peuple juif, qui exécrait les Romains, accueillit chaleureusement le programme du libéra­teur. Séduites par les promesses de Jésus, les foules lui demandèrent de guérir leurs malades. Elles obtinrent satisfaction. Jésus fit des guérisons, surtout dans le domaine des maladies nerveuses qui, à cette époque, étaient attribuées à l'influence des démons et dont les victimes étaient, pour ce motif, appelées démoniaques. Ces guérisons passaient pour être des mi-racles. On attribuait à Jésus le pouvoir de chasser les démons, et Jésus avait lui-même cette conviction dont, de nos jours seulement, la science nous a montré la vanité.

Pourtant, pour être guéri, il fallait avoir confiance dans le guérisseur. A Nazareth Jésus ne put faire aucun miracle, parce que les gens qui l'avaient vu enfant, ne croyaient pas à ses pouvoirs surnaturels. Nous sommes, aujourd'hui encore, à même de constater cet état de choses. Le malade est délivré de son mal quand il a la conviction énergique qu'il va l'être. C'est la foi qui guérit. Les miracles sensationnels que Jésus est censé avoir accomplis, en dehors de la guérison des maladies nerveuses, sont des contes fabriqués de toutes pièces. C'est le cas notamment des prodiges rapportés par l'évangile de saint Jean.

Constatant que le royaume de Dieu, dont il annon­çait la venue très prochaine, tardait à se réaliser, Jésus pensa que le moyen de faire cesser ce retard était de se transporter à Jérusalem (vingt lieues environ au sud de la Galilée où il prêchait). Il prévoyait que la garnison romaine installée dans cette ville essaierait de l'arrêter. Mais il croyait que Dieu interviendrait au moment dé­cisif, écraserait les Romains et relèverait le trône de David. Jésus alla donc à Jérusalem pour forcer en quelque sorte Dieu à hâter les événements et à agir. Sa confiance dans le secours du ciel, sa foi dans le triomphe était absolue. Elle n'eut qu'une durée éphé­mère. « Le roi des Juifs », comme il s'intitulait, fut arrêté et subit le sort que les Romains infligeaient à leurs ennemis. On l'attacha à une croix où il mourut.

Le baptême de Jésus par Jean-Baptiste, dont parle le catéchisme, est douteux. Quant à la tentation men­tionnée aussi par le catéchisme, sa place est parmi les fables.

 

 

Mort et Résurrection du Christ.

 

Notre-Seigneur condamné à mort par un juge nommé Ponce Pilate a souffert de cruels supplices et est mort sur une croix. Il est mort le Vendredi saint à trois heures de l'après-midi. Il est mort pour racheter tous les hommes du péché et de l'enfer. Il nous a rachetés en souffrant pour nous comme homme et en donnant, comme Dieu, un prix infini à ses souffrances.

 

Ici on nous explique pourquoi Jésus est mort. Cette explication a deux défauts. Premièrement elle travestit l'histoire. Deuxièmement elle offense les principes de la raison.

Elle travestit l'histoire qui nous apprend que Jésus a été mis à mort par le fonctionnaire romain Ponce Pilate, lequel a pris cette décision parce que Jésus ameu­tait les Juifs contre la puissance de Rome. Jésus, qui se posait en libérateur du peuple juif, était, au point de vue des Romains, un révolutionnaire. C'est comme révolutionnaire qu'il a été mis à mort. Et tout ce que le catéchisme enseigne est une explication en dehors de l'histoire.

Coupable de déformation à l'égard de l'histoire, l'explication du catéchisme offense en outre la raison en prétendant que Jésus est mort pour nous racheter de nos péchés. Elle l'offense d'abord parce que le bon sens nous dit que nous n'avions commis aucun péché au moment de la mort du Christ, puisque nous n'exis­tions pas encore. Elle l'offense aussi parce que la justice exige que les fautes commises soient châtiées sur les coupables et qu'il y aurait extravagance à faire retom­ber le châtiment d'une faute sur un innocent pour épargner les coupables. Or cette extravagance le caté­chisme l'attribue à Dieu qui livre à la mort son fils innocent à la place des hommes censés coupables.

Ce que le catéchisme ajoute sur l'amour du Christ, qui aurait pu nous racheter par la moindre de ses actions, est en dehors de la question qui est celle-ci : Pourquoi Dieu, s'il exigeait une réparation, l'a-t-il demandée à son Fils innocent au lieu de la demander aux coupables ; et comment les coupables ont-ils pu devenir innocents à la suite de la réparation accomplie par le Fils de Dieu ?

Résumons. Jésus a voulu procurer au peuple juif une rédemption nationale consistant à affranchir les Juifs du joug romain (à les racheter de ce joug). La rédemption mystique, qui a été substituée à la rédemp­tion nationale entreprise par Jésus, est un tissu d'incohérences.

 

Notre Seigneur est ressuscité le jour de Pâques, le troisième jour après sa mort. - Après sa résurrection il est resté sur la terre quarante jours pendant lesquels il est apparu plusieurs fois à ses disciples.

 

Le catéchisme, qui enseigne que Jésus, après sa résur­rection, apparut plusieurs fois à ses disciples, ne donne aucun détail. Ce silence lui permet d'échapper à des difficultés fort embarrassantes. C'est qu'en effet les ré­cits des apparitions du Ressuscité se contredisent mu­tuellement. D'après l'un Marie-Madeleine fut la pre­mière à voir le maître sorti du tombeau. D'après un autre, cette faveur échut à saint Pierre. Selon un troi­sième, le Ressuscité se montra pour la première fois à tous les disciples en même temps. A en croire deux évangiles, l'apparition accordée à tous les disciples eut lieu à Jérusalem le jour même de Pâques. Selon les deux autres évangiles, les disciples, pour jouir de cette faveur, durent, par ordre d'un ange, se rendre dans la Galilée à une vingtaine de lieues au nord de Jérusalem. Et, comme ce voyage exigea plusieurs jours, ils ne purent voir le Ressuscité qu'au cours de la semaine de Pâques. Enfin, selon certains récits, Jésus, sorti du tombeau, apparut une seule fois à ses disciples, après quoi il s'éleva immédiatement au ciel. Selon d'autres il accorda deux apparitions. Selon d'autres enfin il demeura avec ses disciples quarante jours après sa résurrection. Tout cela est incohérent. L'incohérence tient à la date des récits. Le premier d'entre eux a été fabriqué de toutes pièces une trentaine d'années après la mort de Jésus. Les autres ont été inventés longtemps plus tard, à des dates diverses, et sans tenir compte du premier.

Avant de connaître la première apparition du Ressus­cité, on croyait que Jésus avait été recueilli par Dieu au ciel après sa mort, et on était convaincu de sa sur­vivance. Cette conviction, qui ne reposait sur aucune apparition, était le produit d'un raisonnement. Le voici : « Jésus, disait-on, a certainement reçu de Dieu la mission de procurer au peuple juif la rédemption nationale et de relever le trône de David. » Après avoir mis hors de toute contestation possible la mission divine de Jésus, on ajoutait : « Les hommes ne peuvent pas remporter la victoire sur Dieu qui est tout-puissant. Or ils auraient remporté la victoire si, en mettant à mort Jésus, ils avaient réduit à néant la mission libé­ratrice dont Jésus avait été investi par Dieu. Nous avons donc la certitude absolue que cette mission n'a pas été anéantie par la mort de Jésus sur la croix. Elle a seulement subi un léger retard. Elle sera très pro­chainement accomplie. Jésus va revenir pour réaliser son programme qui consiste à massacrer les Romains maîtres de la Palestine et à relever le trône glorieux de David. Et puisqu'il va revenir, nous devons donc con­clure qu'il est actuellement au ciel où Dieu l'a recueilli après sa mort.

En bref. On a commencé par croire à la survivance de Jésus sans l'avoir vu, uniquement parce qu'on avait la conviction que Jésus mis à mort par les Romains allait revenir pour exécuter la mission dont Dieu l'avait investi. Plus tard, des récits d'apparitions du Christ ressuscité ont été fabriqués pour affermir cette croyance.

 

Notre-Seigneur est monté au ciel le jour de l'Ascension, quarante jours après sa résurrection. - On dit qu'il est à la droite de Dieu le Père tout-puissant pour signifier que, égal à son Père comme Dieu, il est comme homme au-dessus de toutes les créatures.

1.     L'évangile de Luc dit que Jésus monta au ciel le jour même de sa résurrection, c'est-à-dire le jour de Pâques. L'évangile de Matthieu place l'ascension à une date qu'il ne précise pas, mais qui a dû venir quatre ou cinq jours après la résurrection. Le catéchisme suit le récit des Actes, lequel est contredit par les évangiles. La résurrection du Christ étant une fable, l'Ascension en est nécessairement une aussi, et le désaccord des prétendus témoins de ce prodige n'a aucune impor­tance.

2.     L'Etre infiniment grand qu'on appelle Dieu est partout, et il ne peut avoir ni droite ni gauche. Le symbole des apôtres, dont le catéchisme reproduit le texte, se représente Dieu comme un homme qui a une droite et une gauche et qui réside au ciel. En quoi il donne de Dieu une image enfantine. De plus, à l'époque où le symbole des apôtres a été composé, les chrétiens tenaient Jésus, non pour un Dieu, mais pour un homme ; et ils pensaient lui faire un grand honneur en disant que Dieu l'avait fait asseoir à sa droite. Le dogme actuel, qui enseigne que Jésus est égal à Dieu le Père, fausse la pensée du symbole des apôtres.

3.      

Notre Seigneur viendra à la fin du monde juger les vivants et les morts.

Le retour du Christ à la fin du monde pour juger les hommes est, selon le point de vue où on se place, un hors-d'oeuvre dénué de sens ou un travestissement.

Il est un hors-d'oeuvre quand on le confronte avec le dogme actuel du jugement particulier, aux termes duquel nos âmes, immédiatement après la mort, sont jugées par Dieu et vont soit au ciel, soit en enfer, soit dans le séjour provisoire du purgatoire. Si notre sort est fixé immédiatement après la mort, un jugement général à la fin du monde ne sert à rien et n'a aucune raison d'être.

Il est un travestissement, si on le compare à la croyance des premiers chrétiens. Eux, ils pensaient que le Christ allait revenir incessamment pour exterminer les incroyants et installer les croyants dans le royaume de la Palestine.

 

 

Saint-Esprit et Eglise.

 

Le Saint-Esprit est la troisième personne de la sainte Trinité. - Notre-Seigneur a envoyé le Saint-Esprit à ses apôtres le jour de la Pentecôte, dix jours après son Ascen­sion.

1. Dans l'Ancien Testament le Saint-Esprit désigne les formes multiples de l'activité de Dieu : il n'est pas une personne. Dans le Nouveau Testament, il désigne presque toujours soit les manifestations de l'activité de Dieu, soit les manifestations de l'activité du Christ, et il n'est pas encore une personne. C'est seulement dans la seconde édition de l'évangile de saint Jean qu'il devient la troisième personne divine. Ceci eut lieu vers l'an 165. Ce que le catéchisme ajoute sur l'activité du Saint-Esprit et sur ses dons n'est qu'un tissu de fantai­sies inconsistantes.

 

2. L'histoire de la Pentecôte et du Saint-Esprit envoyé alors aux apôtres est une fable fabriquée après le milieu du second siècle.

 

 

Après avoir reçu le Saint-Esprit, les apôtres conver­tirent beaucoup de juifs et de païens.

 

La conversion des juifs et des païens au christia­nisme a été commencée par saint Etienne et ses dis­ciples (notamment Philippe et Barnabé). Mais c'est saint Paul qui a été le grand ouvrier de l'expansion du christianisme. Son oeuvre fut d'ailleurs continuée par ses compagnons. Quant aux disciples immédiats de Jésus (ceux qu'on appelle les Douze) la propagande chrétienne ne leur doit rien. Et c'est par rivalité contre saint Paul qu'on a fait d'eux les apôtres du christia­nisme.

La société des chrétiens gouvernée par les apôtres s'appela l'Eglise. Son premier chef fut saint Pierre ins­titué par Notre-Seigneur prince des apôtres et chef de toute l'Eglise. L'Eglise existera toujours parce que Notre-Seigneur a promis à ses apôtres et à leurs succes­seurs d'être avec eux jusqu'à la fin du monde.

 

Jésus, dont le programme était d'exterminer, avec le secours de Dieu, les Romains maîtres de son pays, et de relever ensuite le royaume de David, avait une confiance absolue dans le succès de son entreprise, et l'idée ne lui venait pas qu'il serait mis à mort par les Romains. Absorbé par la pensée du règne glorieux qu'il allait inaugurer, il ne pouvait songer à fonder une église, encore moins à lui donner un chef. Et les textes, qui lui attribuent un pareil projet, ne peuvent être pris au sérieux.

Quand Jésus fut mort, les premiers chrétiens crurent qu'il avait été recueilli au ciel par Dieu, et ils s'atten­daient tous les jours à le voir descendre du ciel pour achever, avec l'aide de Dieu, l'oeuvre que sa mort avait interrompue. Comptant sans cesse assister à la venue de leur roi, et à l'inauguration de son royaume les premiers chrétiens, eux non plus, ne se préoccupaient ni d'une église ni d'un chef pour cette église.

Après plusieurs dizaines d'années, tout en continuant d'attendre le retour du Christ qui tardait toujours, on fut obligé de s'organiser. C'est alors qu'apparurent des églises, c'est-à-dire des groupements de chrétiens dont chacun avait à sa tête un personnel dirigeant. De ces églises la plus importante fut celle de Rome. Aux envi­rons de 140, quelques membres de cette église, très attachés à la mémoire de saint Paul, enseignèrent que saint Paul avait été chargé par le Christ d'administrer l'ensemble des églises. Dans un groupe rival on fabriqua alors un oracle aux termes duquel le Christ avait donné l'investiture de son église à saint Pierre. C'est sur cette imposture que repose la dignité souveraine de saint Pierre.

 

L'Eglise est la société des chrétiens gouvernée par Notre Saint-Père le Pape successeur de saint Pierre et par les évêques successeurs des apôtres.

Paul et ses compagnons, qui fondèrent des groupes chrétiens, ne se préoccupèrent pas de les organiser. La chose était inutile, puisque le Christ allait, d'un moment à l'autre, revenir du ciel pour inaugurer son royaume de la Palestine et gouverner en personne les fidèles. Mais, le retour du Christ se faisant toujours attendre, les groupes, sous peine de tomber dans le chaos, durent pourvoir eux-mêmes à leur organisation et mettre à leur tête des chefs qu'on appela le plus com­munément évêques. Les évêques ne succèdent pas aux apôtres (c'est-à-dire aux disciples immédiats de Jésus qu'on appelle les Douze) ; l'évêque de Rome ne succède pas à saint Pierre. Tous sont le produit de la force des choses qui a obligé les groupes chrétiens à se donner des chefs. Ceci n'aurait pas eu lieu si le Christ était revenu du ciel comme on le croyait. C'est très lentement que la force des choses exerça sa pression et obligea les groupes à agir.

Le chef invisible de l'Eglise est Jésus-Christ ; son chef visible est le pape vicaire de Jésus-Christ sur la terre.

C'est l'évêque de Rome que l'on désigne sous le nom de pape. Et on l'appelle ainsi à cause de l'autorité qu'il exerce sur l'église catholique tout entière. Cette autorité se manifeste sous nos yeux ; l'unique question est de savoir d'où elle vient.

A en croire les catholiques, elle vient du Christ qui a confié le gouvernement de son église à saint Pierre dont l'évêque de Rome actuel est l'héritier. Les catho­liques se trompent. Le Christ comptait, après l'écrasement des Romains installés dans la Palestine, relever le trône glorieux de David à Jérusalem ; mais il n'a jamais songé à fonder une église, encore moins à donner à cette église un chef. C'est un empereur romain qui, à la fin du Ive siècle, obligea, sous des peines graves, tous les évêques à obéir aux ordres de l'évêque de Rome. Et c'est la décision de cet empereur qui est la source principale de l'autorité de l'évêque de Rome.

Source principale, mais non unique, car les évêques de Rome imaginèrent divers expédients destinés à. affermir et à développer le cadeau impérial. Reste à savoir comment l'empereur fondateur de la papauté a été amené à cette institution.

Il a agi sur la demande de l'évêque de Rome. En sorte que la papauté a été fondée par le pouvoir impé­rial, mais que l'initiative de cette fondation vient de l'évêque de Rome lui-même.

Comment s'explique cette démarche d'un évêque auprès de l'empereur ? Deux influences y ont colla­boré : l'éclat du siège épiscopal de Rome et l'ambition. Rome, capitale de l'empire romain, était la ville la plus riche du monde. Les évêques de Rome, à la tête d'un troupeau très nombreux, disposaient de ressources abondantes et menaient un train de vie princier. Leur prééminence matérielle éveilla en eux des sentiments d'ambition et d'orgueil auxquels ils ne surent pas résis­ter. Il leur sembla que, supérieurs aux autres évêques par le faste de la vie, ils les surpassaient aussi par la dignité. Longtemps avant la fin du Ive siècle ils étaient hantés par la pensée de dominer sur leurs collègues. Mais, laissée à elle seule, cette pensée était, cela va sans dire, un rêve chimérique. L'innovation obtenue à la fin du Ive siècle a consisté à faire du rêve une réalité ; et ce résultat a été atteint par l'intervention du glaive impérial.

 

 

Le pape a le pouvoir d'enseigner et de gouverner l'Eglise.

Cela est vrai aujourd'hui, puisque les catholiques reconnaissent, en effet, au pape une autorité absolue sur toute l'église catholique. Mais il y a peu de temps qu'il en est ainsi. Pendant de longs siècles, malgré la ruse et l'audace qu'ils déployèrent pour étendre les pouvoirs très limités qu'ils tenaient des empereurs, les papes furent arrêtés par des obstacles considérables. La France, notamment, refusa, tantôt complètement, tantôt en partie, de se soumettre à leurs prétentions. Et, au XVIe siècle, après des abus de toutes sortes, la pa­pauté perdit une partie de l'Europe qui passa au pro­testantisme. Ce qui lui reste aujourd'hui, ce sont les débris d'un empire écroulé.

 

Le pape est infaillible et ne peut se tromper lorsqu'il enseigne à l'Eglise universelle ce qu'il faut croire et ce qu'il faut pratiquer, parce qu'il est alors assisté par le Saint-Esprit comme l'Eglise elle-même.

 

Selon l'enseignement du catéchisme le pape et l'Eglise, quand leur enseignement réunit certaines conditions, sont assurés d'une assistance divine qui leur procure l'infaillibilité. Cette infaillibilité due à l'assistance divine étant la même peut être considérée indifféremment dans le pape ou dans l'Eglise. C'est ce que l'on va faire ici.

La prétendue assistance divine que l'Eglise reven­dique pour son enseignement appelle deux observa­tions.

Premièrement cette assistance est inconciliable avec la variation que les dogmes ont subie au cours des siècles. Pour ne prendre que quelques exemples, la présence réelle du Christ dans l'eucharistie, la confession, l'imma­culée conception, le péché originel, qui sont des dogmes, ont été pendant plusieurs siècles inconnus dans l'Eglise. Sur ces dogmes la foi a varié. Or cette variation serait impossible si l'Eglise était assistée par Dieu dans son enseignement.

L'assistance divine est surtout inconciliable avec certains enseignements de l'Eglise qui ont été des fléaux pour l'humanité. Cette observation s'applique aux décisions des papes qui, pendant plusieurs siècles, ont fait brûler plus de cinquante mille sorciers et sorcières en les accusant de crimes imaginés de toutes pièces sous l'empire de l'ignorance. La raison se refuse absolument à admettre une assistance divine qui laisse les papes tomber dans des erreurs aussi néfastes. Or, si les papes ont été laissés par Dieu dans l'erreur quand ils ordonnaient, sous les peines les plus graves, de brûler par milliers des innocents, quelle confiance peut-on avoir dans la prétendue assistance qu'ils revendiquent pour leurs autres enseignements ?

Deuxièmement. Une assistance divine empêchant l'Eglise de scandaliser les populations aurait été au moins aussi nécessaire qu'une assistance dans l'ensei­gnement, puisque l'Eglise prétend avoir reçu du ciel la mission de conduire les hommes à la vertu. Or, pen­dant de longs siècles, le clergé, les moines, la papauté ont donné au peuple chrétien le spectacle de tous les débordements. Et le peuple chrétien a été fâcheusement porté à la pratique du vice par les exemples de corruption que l'Eglise a mis pendant si longtemps sous ses yeux. Pour concilier avec le privilège de l'assistance divine ce mal qu'elles avouent, l'Eglise et la papauté expli­quent que c'est seulement leur enseignement qui est assisté par Dieu. Nous, nous concluons que le Christ n'a vraiment pas su s'y prendre si, comme le prétendent les catholiques, il a fondé l'Eglise pour conduire les hommes à la vertu et au ciel.

Les lignes qui précèdent parlent indifféremment de l'infaillibilité du pape et de l'infaillibilité de l'Eglise parce que, selon la croyance catholique, l'infaillibilité est la même de part et d'autre. Ajoutons ceci. C'est au concile du Vatican de 1870 que le pape a été proclamé infail­lible quand il enseigne toute l'Eglise. Cette proclama­tion fut faite par une majorité d'évêques dont beaucoup n'avaient pas la liberté voulue pour se prononcer en toute sincérité, les uns parce qu'ils étaient sous la dépendance absolue du pape, les autres parce qu'ils redoutaient les fidèles fanatisés. La plupart des évêques indépen­dants se prononcèrent contre le nouveau dogme. Avant 1870, seul l'enseignement de l'Eglise était tenu pour infaillible.

 

 

Les membres de l'Eglise sont ceux qui ont été baptisés et que l'Eglise n'a point retranchés.

Le catéchisme explique que les Juifs et les infidèles n'appartiennent pas à l'Eglise parce qu'ils n'ont pas reçu le baptême. Il donne ensuite la liste de ceux qui, ayant reçu le baptême, sont néanmoins retranchés de l'Eglise. Ce sont les hérétiques, les schismatiques, les apostats, les excommuniés. Il ajoute que les francs-maçons peuvent être comptés parmi les excommuniés parce qu'ils sont les pires ennemis de l'Eglise. Cette réponse du catéchisme n'est pas à discuter et on n'a qu'à en prendre acte, attendu que toute association est maîtresse chez elle et peut, à son gré, éliminer ceux de ses membres dont elle croit avoir à se plaindre.

 

 

Hors de l'Eglise point de salut. - Mais on peut appar­tenir à l'âme de l'Eglise sans appartenir à son corps, et alors on n'est pas hors de l'Eglise.

Il y a ici deux assertions ; l’une qui envoie en bloc dans l'enfer tous les gens étrangers à l'Eglise et, par conséquent, hors de l'Eglise ; l'autre qui explique que l'on peut être dans l'Eglise tout en paraissant être dehors. L'explication consiste à distinguer dans l'Eglise un corps et une âme. Le corps est l'ensemble des chré­tiens que l'autorité ecclésiastique admet à la réception des sacrements, à la confirmation, à la pénitence, à la communion, à l'extrême-onction, au mariage et dont elle bénit la sépulture. Ce corps est visible, car il est facile de savoir si quelqu'un est admis à la réception des sacrements et, en cas de mort, à la sépulture ecclésias­tique. L'âme de l'Eglise déborde son corps ; elle atteint des personnes que l'autorité ecclésiastique ne reconnaît pas comme fidèles et auxquelles elle refuse les sacre­ments ainsi que la sépulture ecclésiastique après leur mort. Ceci a lieu parce que Dieu tient pour fidèles ceux qui, retranchés du corps de l'Eglise pour une raison quelconque, sont sincères dans leurs convictions, honnêtes dans leur conduite, et adhèrent à certains principes fon­damentaux du domaine mystique. Ces personnes, que l'autorité ecclésiastique a retranchées du corps de l'Eglise, mais que Dieu range parmi ses enfants, appartiennent à l'âme de l'Eglise. Elles lui appartiennent d'ailleurs sans le savoir, et nul au monde, sauf Dieu, ne le sait. L'âme de l'Eglise est donc invisible, tandis que son corps est visible.

De ces deux assertions la première est de beaucoup la plus ancienne et a été longtemps seule en vigueur. La seconde est relativement moderne. Pendant de longs siècles, on a jeté dans l'enfer tous ceux qui étaient hors de l'Eglise et on a déclaré hors de l'Eglise tous ceux qui n'étaient pas admis par les autorités ecclésiastiques à la réception des sacrements ainsi qu'à la sépulture chrétienne. C'est plus tard qu'on a distingué dans l'Eglise un corps et une âme, et qu'on a logé dans l'Eglise ceux qui, sans appartenir au corps, appartenaient à l'âme.

Cette seconde assertion, qui se présente comme l'ex­plication de la première, a en réalité, pour objectif de la renverser sournoisement. Et la distinction d'un corps et d'une âme dans l'Eglise est l'expédient artificiel imaginé pour abattre l'ancienne doctrine sans en avoir l'air. L'Eglise vouait jadis à l'enfer tous ceux qu'elle retranchait de son sein. Telle est la tradition. Cette tradition, on n'ose pas l'écarter. On la maintient donc soigneusement. Mais, tout de même, comme elle a un aspect féroce, on lui associe un complément, qui l'hu­manisera tout en la maintenant, et la corrigera sans l'abattre. Il n'est que de trouver des formules habiles qui masqueront l'impossibilité de l'entreprise. Hors de l'Eglise point de salut ; mais on peut appartenir à l'Eglise, même quand on est exclu par l'autorité ecclé­siastique de la réception des sacrements et de la sépul­ture chrétienne. Du principe traditionnel il ne reste que la face ; mais la face est sauvée. Bel exemple de jonglerie de mots.

Notons que ce truc conciliateur, destiné à abattre la tradition tout en faisant semblant de la maintenir, n'atteint que très imparfaitement son but. Il n'admet dans l'âme de l'Eglise que ceux qui connaissent au moins les principaux enseignements du christianisme, c'est-à-dire les protestants et les Grecs schismatiques. Mais il écarte de cette âme et envoie dans l'enfer la masse immense des infidèles.

 

 

Il n'y a qu'une seule vraie Eglise qui est la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine.

L'Eglise romaine prétend être seule la vraie Eglise fondée par le Christ. Mais toutes les autres sociétés chrétiennes ont la même prétention. En réalité toutes se font illusion. Car le Christ, dont le programme était politique, n'a jamais eu l'idée de fonder une église. On a vu comment les chrétiens, tout en attendant le retour du Christ qui tardait sans cesse à venir, ont été contraints par la force des choses de s'organiser.

Il y a des saints dans l'Eglise romaine. Mais il y en a aussi dans les autres sociétés chrétiennes. Il y en a dans le monde de la libre pensée ; par exemple Spinoza, Littré, étaient des saints. L'église romaine s'imagine avoir le monopole de la sainteté. En cela elle commet une erreur qui a sa racine dans l'orgueil. Elle est dupe d'une autre erreur encore. Au lieu de placer la sainteté dans la pratique des vertus morales et dans la poursuite d'un idéal de justice, l'église romaine a une tendance de plus en plus marquée à présenter comme modèles des personnes détraquées, en proie à des visions, ou à des tares analogues. Tels le curé d'Ars, Bernadette Soubi­rous, Marie Alacoque, Benoît Labre, etc.

L'église romaine s'intitule catholique sous prétexte qu'elle est répandue par toute la terre. C'est là une exagération manifeste. Dans l'Asie il n'y a pas un catholique sur mille habitants. Et il en est de même en Afrique.

L'église romaine s'intitule apostolique, pour montrer qu'elle vient des apôtres. En quoi elle se fait illusion. L'Eglise ne vient pas des apôtres. On a vu plus haut comment s'est produite son organisation.

L'église romaine s'appelle ainsi parce qu'elle a pour chef l'évêque de Rome. Cela est vrai maintenant. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Pendant plusieurs siècles les chrétiens n'avaient pas l'idée d'avoir avec Rome un lien de dépendance. Aujourd'hui encore, dans le symbole qu'ils chantent tous les dimanches à la grand' messe, les catholiques disent : « Je crois que l'Eglise est une, sainte, catholique, apostolique.» Ils n'ajoutent rien de plus. Cela, parce que, à l'époque où le symbole a été composé, personne ne songeait à se rattacher à Rome.

 

 

L'Eglise ne peut pas nous tromper puisqu'elle est conduite par le Saint-Esprit.

 

Pour exterminer les hérétiques, l'Eglise a mis à feu et à sang d'abord le Midi de la France, puis plus tard la Bohême, puis plus tard encore l'Allemagne. Elle a fait brûler plus de cinquante mille sorciers et sorcières en les accusant d'anéantir les récoltes et les vignobles, c'est-à-dire de crimes imaginaires. Ajoutons à cela les variations que ses dogmes ont subies au cours des siècles et dont on a parlé plus haut. Elle a aussi décrété que le mouvement de la terre est une hérésie, et c'est contrainte par la réprobation universelle qu'elle a sup­primé cette hérésie. Voilà comment l'Eglise est conduite par le Saint-Esprit.

Ce qui fait sa force, c'est l'ignorance des fidèles. Aussi entretient-elle de tout son pouvoir cette igno­rance. Pour l'entretenir, elle interdit partout où elle le peut la lecture des livres qui enseignent la vérité.

Nous devons croire ce que l'Eglise enseigne et prati­quer ce qu'elle commande.

 

Ce devoir existerait, en effet, si les enseignements de l'Eglise étaient toujours fondés sur la vérité, si ses commandements étaient toujours fondés sur la justice. Mais, comme par le passé, l'Eglise a toujours enseigné l'erreur et ordonné souvent l'injustice, nous avons lieu de craindre qu'il n'en soit encore ainsi à l'avenir. Nous devons donc nous tenir sur nos gardes et nous réserver le droit de contrôle quand l'Eglise promulgue un nouvel enseignement ou une nouvelle règle de conduite. Mais l'Eglise, qui se prétend infaillible, rejette ce contrôle et elle traite en ennemis ceux qui veulent l'exercer.

Les ennemis de l'Eglise sont ceux qui calomnient et per­sécutent la religion. - Nous devons répondre aux paroles et aux actes des ennemis de l'Eglise en leur opposant la vérité.

 

L'Eglise, qui a tant calomnié et persécuté ses ennemis, ne serait certes pas qualifiée pour se plaindre si l'on retournait aujourd'hui contre elle les armes dont elle s'est tant servie. Néanmoins il reste vrai que la calom­nie et la persécution sont des procédés absolument condamnables. On doit donc blâmer énergiquement ceux qui calomnient et persécutent l'Eglise.

Mais, le plus ordinairement, les plaintes de l'Eglise ne sont pas fondées et elles reposent sur l'équivoque. En réalité, l'Eglise veut cacher toutes les erreurs, toutes les fautes commises au cours des siècles par les papes, par les évêques, par le clergé. Et elle crie à la calomnie, à la persécution, dès qu'on divulgue ces erreurs et ces fautes. Son procédé est une rouerie dont nous ne voulons pas être dupes.

Les prétendues calomnies dont l'Eglise se plaint étant des vérités gênantes qu'elle voudrait tenir cachées, la vérité qu'elle oppose aux calomnies de ses adversaires consiste dans les expédients imaginés par les apologistes en réponse aux témoignages de l'histoire. Ces expédients ne résistent pas à un examen sérieux. Et les apologistes, obligés de reconnaître leur défaite, abandonnent peu à peu les positions qui paraissaient les plus solides. Les capitulations, auxquelles les défenseurs patentés de l'Eglise ont dû se résigner depuis un siècle, troubleraient les fidèles s'ils les connaissaient. Mais ils ne les connaissent pas, car l'Eglise a grand soin de les tenir dans l'ignorance.

La lecture des livres et des journaux qui attaquent la religion et la morale est défendue.

L'Eglise associe systématiquement les écrits opposés à la religion et les écrits immoraux. Son objectif est de nous amener à confondre dans le même mépris et dans la même aversion les uns et les autres. Ne soyons pas dupes de cette ruse. La littérature immorale est abjecte et elle ne peut que provoquer la répulsion d'une âme élevée. D'ailleurs l'Eglise est en pratique très indulgente pour cette littérature qu'elle combat en paroles. Elle réserve toute sa sévérité pour les livres qu'elle appelle impies. Or ces livres se bornent à rapporter l'histoire telle qu'elle s'est passée. Si l'Eglise est en fureur contre eux, c'est parce que son enseignement, dicté par l'igno­rance ou même l'imposture, est contraire à l'histoire. Les condamnations portées par l'Eglise contre les écrits qu'elle appelle impies sont trop intéressées pour que nous puissions les prendre au sérieux.

C'est un devoir de voter et de bien voter aux élections.

L'électeur qui, sans raison, se dispense de voter, ne remplit pas son devoir social, et il est répréhensible. Est également répréhensible celui qui ne vote pas bien. Jusqu'ici nous sommes d'accord avec le catéchisme. L'accord cesse quand il s'agit de préciser ce qu'on doit entendre par bien voter. Ce que le catéchisme appelle un bon vote, c'est celui qui favorise les intérêts de l'Eglise. En réalité le bon vote, c'est celui qui, sans tenir compte des prétentions de l'Eglise et du clergé, a en vue l'intérêt général.

 

Tous les membres de l'Eglise, ne formant qu'un seul corps, participent aux mêmes biens spirituels, et c'est ce que nous appelons la communion des saints.

 

Les liens spirituels auxquels, à en croire le catéchisme, participent tous les membres de l'Eglise, sont du do­maine de la chimère. Ce qui est vrai, c'est que les membres de la société civile, depuis le plus humble ou­vrier jusqu'au fonctionnaire le plus élevé, collaborent au bien général. Chacun de nous bénéficie du travail des autres et les autres bénéficient de notre travail per­sonnel. Cette collaboration au bien général est la véri­table communion des hommes parce qu'elle seule est réelle.

 

 

Nous honorons et nous prions les saints, et les saints intercèdent pour nous.

 

 

Les saints, dont parle le catéchisme, furent parfois des persécuteurs d’autre fois des détraqués et, le plus souvent, des personnes dont la vie a été travestie par des légendes déraisonnables. Nous, au contraire, nous réservons notre respect et notre reconnaissance aux grands bienfaiteurs de l’humanité, à ceux qui l’ont éclairée ou qui ont contribué à améliorer son sort. Tels Socrate, Galilée, Voltaire, Lavoisier, Ampère, Pasteur, et quelques rares saints comme saint Vincent de Paul. Nous avons de la reconnaissance à ces hommes qui continuent, aujourd’hui encore, de répandre sur nous leurs bienfaits. Nous les prenons pour modèles. Et les efforts que nous faisons pour nous approcher d'eux relèvent notre dignité, nous rendent meilleurs.

Jésus-Christ a donné à son Eglise le pouvoir de re­mettre les péchés.

Le moyen de réparer nos fautes, c'est de nous corriger pour n'y pas retomber. Les prétendus pouvoirs, que l'Eglise s'attribue, relèvent de la magie. Les prêtres qui exercent ces pouvoirs sont des magiciens, des sor­ciers. Ces gens-là sont à leur place chez les sauvages, mais non chez les peuples civilisés.

 

La Résurrection de la chair.

 

A la fin du monde, tous les hommes ressusciteront avec le même corps qu'ils auront eu sur la terre. Les corps ressusciteront afin que, après avoir partagé les vertus ou les crimes des âmes, ils partagent aussi leurs récom­penses ou leurs châtiments.

 

La résurrection des corps à la fin du monde se heurte à trois obstacles :

Premièrement, elle suppose que chacun de nous conserve jusqu'à la fin de sa vie le corps avec lequel il est né. Or cette assertion repose sur l'ignorance complète de la physiologie. Toutes les parcelles qui composent notre corps sont peu à peu éliminées et remplacées par d'autres qui subiront le même sort à leur tour. Le corps qu'on a à vingt ans ne possède aucune des parcelles du corps qu'on avait en naissant. Le corps qu'on a à quarante ans n'a aucun élément commun avec le corps de vingt ans. Il en est de notre corps comme du régiment dont les soldats se renouvellent sans cesse. Il est donc puéril de parler des récompenses ou des châtiments de notre corps au jour de la résurrection, puisque le corps de l'homme qui meurt à cinquante ou soixante ans n'est plus celui qu'il avait quand il accom­plit à vingt ans telle action bonne ou mauvaise.

Deuxièmement. Selon l'enseignement de l'Eglise, il y a en nous un corps et une âme. L'âme, dont la subs­tance n'est pas la substance du corps, possède seule la vie. Elle seule peut jouir et souffrir. Et le corps, quand l'âme l'a quitté, n'est qu'une chose inerte. Si l'âme est seule capable de jouir et de souffrir, elle n'a que faire du corps pour exercer ces fonctions. En quoi donc le corps peut-il être récompensé ou puni, puisque l'âme est seule à jouir et à souffrir ?

La vérité est que la résurrection des corps a été ima­ginée à une époque et dans un milieu où la distinction de l'âme et du corps était ignorée. L'âme se confondant avec le corps, quand on mourait, tout était mort et une seconde vie exigeait nécessairement la résurrection de nos corps. A partir du jour où on attribua à l'âme une substance distincte du corps, la résurrection de ce dernier n'avait plus de raison d'être et on aurait dû y renoncer. On la garda sans s'apercevoir que le corps ne sert à rien si l'âme a le monopole de la jouissance et de la douleur.

Troisièmement. L'Eglise enseigne que, tout de suite après la mort, l'âme est jugée par Dieu et précipitée dans l'enfer si elle est coupable. A quoi donc servira la résurrection qui n'ajoutera rien au bonheur ou aux souffrances que l'âme éprouve dès maintenant ? Et à quoi servira le jugement général puisque l'âme est, dès maintenant, jugée ?

L'enseignement actuel de l'Eglise sur la résurrection est incohérent. Mais, pendant plusieurs siècles l'Eglise enseigna que le châtiment des coupables commençait seulement à l'époque de la résurrection des corps, et que d'ici là, l'enfer était complètement vide. Alors la résurrection des corps avait une raison d'être. L'incohé­rence de l'enseignement actuel vient de ce qu'il garde une partie de l'ancienne croyance après avoir rejeté l'autre sans laquelle la partie gardée ne se comprend plus.

 

 

Aussitôt après la mort, notre âme paraît devant Dieu pour être jugée sur ses bonnes et ses mauvaises actions. C'est ce qu'on appelle le jugement particulier.

 

Ce que le catéchisme ne dit pas mais ce que l'Eglise enseigne, c'est que le jugement particulier portera avant tout sur le baptême et sur les principales vérités de la foi. Tous ceux qui auront reçu le baptême et auront cru aux principaux dogmes de la foi pourront être sauvés. Mais tous ceux qui, nés dans un pays infidèle, n'auront pas reçu le baptême et auront ignoré involontairement les principaux dogmes de la foi seront condamnés. On vient de voir que ce jugement, subi immédiatement après la mort, rend inutile le jugement général que tous les hommes doivent subir après la résurrection à la fin du monde. Mais on a vu aussi que ce jugement général, aujourd'hui inutile, avait sa raison d'être dans les pre­miers siècles parce que alors l'enfer attendait la résur­rection des corps pour recevoir ses premiers pension­naires.

Les justes jouiront dans le paradis d'une vie éternellement heureuse.

L'espoir d'une vie future est un beau rêve. Malheu­reusement de très graves raisons nous contraignent à reléguer ce rêve au rang des chimères.

Premièrement. Pour qu'une vie future soit possible, il faut que notre vie ait pour principe un être caché dans notre corps mais distinct de notre corps. Si, en effet, un tel être n'existe pas, il ne reste nécessairement rien de nous quand nous mourons, puisque notre corps tombe alors en poussière. Mais, si notre vie à nous a pour principe un être caché dans notre corps et distinct de notre corps, si notre activité vitale ne s'explique pas sans cet être caché dans notre corps, il doit en être de même pour les animaux, surtout pour les animaux supérieurs. Comme nous les animaux vivent ; comme nous, ils ont des sensations (vision, ouïe, etc.) ; comme nous, ils ont des sentiments (affection, dévouement maternel, haine, orgueil, colère, jalousie, etc.), ils accom­plissent même des ébauches de raisonnements qui leur permettent d'adapter des moyens à des buts. Si donc nos fonctions vitales exigent un principe distinct de notre corps, ce même principe est exigé pour les opérations vitales des animaux. Or, sans aucune contestation possible, quand un animal meurt, il ne subsiste plus rien de lui. Il meurt tout entier. Puisqu'il meurt tout entier, nous sommes obligés de conclure que sa vie n'est pas le produit d'un petit être caché dans son corps et distinct de son corps. Non. Ce qui le fait vivre, c'est son organisation, surtout l'organisation de ses nerfs. Chez les animaux, même les animaux supérieurs, la vie est la propriété de l'organisation nerveuse s'épanouissant dans le cerveau. L'énergie, après une certaine tritura­tion des éléments de la matière, est capable de produire des sensations, des sentiments, des ébauches de rai­sonnements ; ajoutons des aspirations vers un mieux-être, car le jeune animal aspire à être un animal parfait. Seulement, on ravale les aspirations de l'animal en les appelant des désirs.

Il y aurait puérilité de notre part à essayer de nous soustraire à cette loi générale. Le principe de l'activité vitale est chez nous le même que chez les animaux. Rien n'empêche certes de donner à ce principe le nom d'âme. Oui, nous avons une âme puisque nous vivons et que notre vie a nécessairement un principe. Nous avons une âme ; mais les animaux en ont une, eux aussi. Et l'âme est, chez nous, ce qu'elle est chez les animaux supérieurs : l'ensemble des fonctions de l'appareil ner­veux épanoui dans notre cerveau. Ces fonctions, sécré­tées par notre organisation cérébrale, s'évanouissent quand leur laboratoire est hors d'usage. De nos sensations, de nos sentiments, de nos aspirations, de notre vie intellectuelle il ne reste plus rien. Quant au peu de matière dont nous disposons, il passe, selon le mot de Bossuet, en d'autres mains, parce qu'il doit rester éternellement dans le commerce.

Deuxièmement. Pour qu'une seconde vie fût possible, il faudrait que Dieu prît soin de l'aménager quelque part en dehors de la terre d'où la mort nous fait disparaître. Or un Dieu s'occupant de ses créatures aurait com­mencé par ne pas condamner les animaux à se manger mutuellement comme ils font. Ce Dieu n'aurait pas fait de la terre l'immense champ de carnage qu'elle est depuis les millions d'années que la vie existe. Même si une seconde vie est possible, il n'existe aucune Providence pour nous la garantir.

 

 

Le paradis ou le ciel est un lieu de délices où les saints voient Dieu face à face, l'aiment parfaitement et jouissent éternellement de sa présence et de sa gloire.

Selon l'enseignement de l'Eglise, la première condi­tion requise pour jouir du bonheur du ciel est d'avoir connu sur cette terre les principaux articles de la foi chrétienne. Or ceux-là seuls qui sont nés dans un milieu chrétien ont pu connaître ces doctrines. Les autres les ont, par la force des choses, ignorées. Et, comme les chrétiens (y compris les catholiques, les protestants, les schismatiques) forment à peine le tiers du genre hu­mains, il s'ensuit que les deux tiers de l'humanité sont inévitablement exclus du bonheur du ciel. Il ne tenait qu'à Dieu d'arranger les choses autrement. Elles sont ainsi parce que telle est sa volonté. D'où il suit que le Dieu des chrétiens est un Dieu fantasque, capricieux, qui a un petit nombre de préférés, et qui refuse arbi­trairement son ciel à la majorité des hommes. Un pareil Dieu répugne à notre raison. Et c'est pour nous un nouveau motif de rejeter la vie future enseignée par le christianisme.

 

 

L'enfer est un lieu de tourment, où les pécheurs brûlent avec les démons dans un feu qui ne s'éteindra jamais.

 

L'enfer, avec son feu éternel, peut être considéré en soi et du point de vue de l'histoire. En soi, un châtiment éternel dans le feu est tellement atroce que l'esprit humain se refuse à en accepter la réalité. L'instinct de justice qui est en nous veut que le coupable soit puni. Mais il exige aussi que l'expiation prenne fin quand le coupable s'améliore. On comprend encore qu'un cou­pable incorrigible soit anéanti. Mais un Dieu qui s'in­génierait à prolonger éternellement la vie d'un criminel pour le torturer éternellement serait un monstre. L'esprit humain se refuse à admettre qu'un pareil être puisse exister. Notre aversion serait irréductible même en pré­sence d'une peine quelconque prolongée éternellement. Elle prend une intensité qui la change en indignation quand on la met en face d'un supplice éternel infligé par le feu.

Examinons maintenant l'enfer du point de vue de l'histoire. Il donne alors lieu à diverses observations, notamment aux deux suivantes. Premièrement. Pen­dant plusieurs siècles l'Eglise a condamné à l'enfer tous les infidèles indistinctement, mais eux seuls ; et elle a garanti le ciel à tous les chrétiens après des expiations passagères. Deuxièmement. Jusqu'au VIIe siècle, on croyait que l'enfer attendrait la résurrection générale pour ouvrir ses portes et recevoir ses pensionnaires. D'ici là on le tenait pour vide. Cela revenait pratiquement à dire que l'enfer restera toujours vide. Car nous savons aujourd'hui qu'il n'y aura jamais de résurrec­tion.

Le purgatoire est un lieu de souffrances où ceux qui meurent en état de grâce achèvent de se purifier de leurs péchés avant d'être admis au bonheur du ciel.

 

Le purgatoire, lieu de souffrances expiatrices et tran­sitoires, ne choque pas la raison qui comprend très bien que les coupables, avant d'être admis au ciel, expient leurs fautes. Seule l'histoire fait une observation à son sujet. Pendant les sept premiers siècles l'expiation du purgatoire ne commençait qu'à partir de la résurrec­tion ; et elle consistait en un fleuve de feu que les chré­tiens imparfaits devaient traverser avant d'entrer au ciel. C'est seulement depuis le vue siècle que les âmes sont jugées immédiatement après la mort et que com­mence pour les âmes imparfaites une expiation temporaire dont l'issue, après un temps plus ou moins long mais avant la résurrection, sera l'entrée au ciel. Le dogme du purgatoire a donc subi une variation impor­tante.

 

 

Le signe de la croix.

 

 

La croix que nous formons en faisant le signe de la croix nous rappelle le mystère de la rédemption.

 

Les chrétiens, convaincus que le Christ est mort pour nous délivrer de l'enfer, sont logiques en vénérant la croix et en faisant sur eux le signe de la croix, Nous, qui sommes étrangers à la croyance des chrétiens, nous sommes nécessairement étrangers à leur pratique. Pour nous Jésus n'est qu'un patriote malheureux qui a essayé d'arracher son pays au joug romain et à qui les Romains ont infligé, conformément à leur législation, le supplice de la croix.

Les drames historiques n'ayant pour nous qu'un intérêt proportionné à leur proximité, nous sommes contraints de réserver notre attention pour les faits voisins de notre temps et liés à notre sort. La mort de Jésus, la croix qui a été l'instrument de son supplice, ne peuvent pas plus nous émouvoir que les autres évé­nements contemporains de Jésus, par exemple le massacre des légions de l'empereur Auguste par les Germains.

 

 

 

II] Les commandements de Dieu

 

 

Vue générale.

 

Pour être sauvé, il ne suffit pas de croire le symbole des apôtres ; il faut encore observer les commandements de Dieu qui sont au nombre de dix.

 

Ce que le catéchisme appelle les commandements de Dieu, ce sont des commandements que Dieu est censé avoir dictés à Moïse législateur du peuple juif vers 1400 avant notre ère. En réalité les prétendus com­mandements dictés par Dieu se bornent à résumer, d'une manière parfois imparfaite, le code de lois pro­mulgué, vers l'an 2100 avant notre ère, par le roi baby­lonien Hammourabi. En sorte que Dieu aurait copié des lois qui régissaient, depuis sept cents ans, l'empire babylonien, et aurait même introduit quelques erreurs évitées par ce code.

Voici la vérité. Une société ne peut subsister sans l'observation de certaines règles morales. Dès que les sociétés se sont formées, elles ont été régies par des codes rudimentaires. Les premières ébauches de ces règles morales existent déjà dans les sociétés animales. Elles ont passé dans les sociétés humaines où elles se sont développées progressivement. Emanés des nécessités sociales, les codes de morale en vigueur chez les peuples se différencient selon le degré de civilisation atteint par ces peuples ; mais ils ont tous des points communs parce que les conditions générales de la vie sont les mêmes partout. Le peuple juif, au Xe siècle avant notre ère, se trouvait dans un état de civilisation inférieur à la civili­sation où le peuple babylonien était parvenu dix siècles auparavant. C'est ce qui explique que les commandements du code en vigueur chez les Juifs de l'époque de David sont inférieurs au code de Hammourabi. Ce sont pourtant ces commandements que le catéchisme prétend avoir été dictés par Dieu à Moïse.

 

 

Les dix commandements.

 

Le premier commandement de Dieu nous ordonne d'adorer et d'aimer Dieu de tout notre coeur. Pour l'accom­plir nous devons tout d'abord croire ce que Dieu a révélé à son Eglise parce que Dieu est la vérité même et qu'il ne peut ni se tromper ni nous tromper.

 

Le catéchisme enseigne ici deux choses, à savoir : premièrement que Dieu a fait des révélations, secondement qu'il a confié la garde de ces révélations à l'Eglise romaine. La vérité est que, si Dieu s'occupait des hommes, il n'aurait pas laissé le genre humain en proie aux grossières superstitions qui, aujourd'hui encore, y sont en vigueur. Dieu ne s'occupe pas du monde. Et, parce qu'il ne s'occupe pas du monde, toutes les sociétés religieuses, qui prétendent avoir reçu du ciel le mandat de communiquer aux hommes les révélations divines, font oeuvre d'imposture. Ceci s'applique à l'église ro­maine, comme à toutes les autres sociétés religieuses.

 

 

Pour conserver la foi, il faut éviter la fréquentation des hérétiques et des impies, la lecture et les conversations contraires à la foi.

 

Rien n'est plus vrai que cette assertion. Mais aussi rien ne montre mieux la vanité des croyances chré­tiennes. La foi des chrétiens repose sur leurs impressions d'enfance auxquelles se sont surajoutés des enseigne­ments contraires à la vérité systématiquement défor­mée. N'ayant aucune base sérieuse elle sera renversée, anéantie par la lecture d'un livre documenté, par la conversation d'un homme éclairé. Voilà pourquoi l'Egli­se prescrit à ses fidèles de surveiller avec le plus grand soin leurs lectures et leurs entretiens. C'est une question de vie ou de mort pour elle que tous les chrétiens aban­donneraient, s'ils étaient instruits. Ce qu'elle dit du péché contre la foi n'est qu'un épouvantail comique.

L'espérance et la charité, dont le catéchisme parle ensuite, sont comme deux statues qui reposent sur le piédestal de la foi. Le piédestal s'étant écroulé, les statues gisent à terre et il n'en reste que des débris informes. Inutile d'en parler.

 

Nous devons aimer Dieu pour lui-même parce qu'il est infiniment aimable.

 

L'énergie infinie du monde est une énigme que nous sommes impuissants à résoudre. Mais précisément parce qu'elle est une énigme, il nous est impossible de l'aimer. Le seul sentiment qu'elle nous inspire est celui d'une admiration mélangée de stupeur.

 

 

Nous devons aimer le prochain comme nous-mêmes pour l'amour de Dieu.

 

Nous ne pouvons pas aimer le prochain pour l'amour de Dieu, puisqu'il nous est impossible d'aimer Dieu, c'est-à-dire l'énergie infinie de l'univers. Mais il existe en nous un sentiment qui nous porte à rendre service au prochain, à lui être utile, surtout quand il est dans le dénuement et le malheur.

Poussé jusqu'au sacrifice de la vie l'amour du pro­chain s'appelle héroïsme. Pour l'honneur de l'humanité l'héroïsme n'est pas rare. Tous les jours nous voyons un père, une mère se sacrifier pour sauver leurs enfants. Nombreux aussi sont les fonctionnaires, les ouvriers qui n'hésitent pas à mourir pour sauver des vies confiées à leurs soins, pour faire face à leurs responsabilités.

Ce que le catéchisme ajoute sur l'amour des ennemis est de la rhétorique déclamatoire. Les moyens qu'il indique pour aimer le prochain ne s'élèvent pas au-dessus de la banalité. Pourtant ils sont justes, sauf la prière qui n'a plus aucune raison d'être quand on a relégué la foi au rang des chimères.

 

 

La vertu de religion est une vertu par laquelle nous rendons à Dieu le culte intérieur et extérieur que nous lui devons.

L'énergie inconnaissable dont l'immensité nous écrase nous donne une impression de stupeur et d'ad­miration. Nous n'avons aucun culte à lui rendre puisqu'elle ne s'occupe pas de nous. Mais il existe une reli­gion dont le christianisme n'est qu'une caricature. Cette religion véritable est la recherche de l'idéal et tout d'abord de la justice. L'homme religieux est celui qui tend vers l'idéal et qui s'efforce de réaliser la justice.

 

 

Nous devons adorer Jésus-Christ puisqu'il est Dieu.

 

Jésus-Christ était un homme comme nous ; il n'était pas Dieu. Cet homme, qui a aimé son pays d'un amour aveugle mais sincère, a droit à l'estime dont l'histoire entoure la mémoire d'Annibal, d'Arminius, de Witi­kind, de Vercingétorix, de Jeanne d'Arc. Rien de plus.

 

 

Nous honorons la Sainte Vierge et les saints.

 

La mère de Jésus est pour nous ce qu'est la mère de Socrate ou la mère de Jeanne d'Arc, auxquelles nous ne pensons jamais.

Les saints que l'église romaine présente à notre imitation et à notre vénération sont, en grande partie, des visionnaires, des exaltés, des extravagants, des détraqués (sainte Thérèse d'Avila, sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, saint Benoît Labre) auxquels s'ajoutent des personnages qui n'ont pas existé (saint Christophe, saint Georges). Nos saints à nous, ce sont les bienfai­teurs de l'humanité, ceux qui l'ont éclairée ou ont amé­lioré son sort : tels, de nos jours, Pasteur et Edison (associons-leur quelques rares saints de l'église romaine comme saint Vincent de Paul, sainte Jeanne Jugan). Ces saints nous les honorons, non parce qu'ils sont les amis de Dieu, mais parce qu'ils sont nos véritables amis.

Nous pouvons aussi garder avec respect les objets qui leur ont appartenu ou qui évoquent leur souvenir. Aller au delà serait une ridicule superstition.

 

 

Les péchés contraires à la vertu de religion sont l'ido­lâtrie, l'indifférence, l'impiété, la superstition et le sacri­lège.

La religion de l'idéal et de la justice, qui est la nôtre, n'ayant rien de commun avec la religion chrétienne, les péchés contre la religion signalés par le catéchisme n'ont de sens pour nous que si nous les épurons. Le péché d'indifférence ou d'impiété consiste pour nous à mépriser l'idéal. Pour nous, il y a idolâtrie dès qu'on ne se borne pas à rechercher l'idéal et à en procurer la réalisation ; d'où il suit que les simagrées de la liturgie catholique sont à nos yeux des actes d'idolâtrie. Pour nous encore, tout acte est superstitieux dès lors qu'il prétend obtenir un résultat avec des moyens qui n'y sont pas adaptés : telles les prières et les processions, destinées à faire cesser un fléau. Enfin le sacrilège consiste, pour nous, à profaner l'idéal, à violer la jus­tice.

Le second commandement défend de jurer en vain, de blasphémer, de faire des imprécations, de violer nos voeux faits avec serment.

 

Le serment, quand il est exigé par les tribunaux, est un acte respectable. En dehors de là, il n'est pas exempt de manie ou même d'extravagance. - Le blasphème doit être assimilé aux paroles ordurières qui sont con­traires à la dignité humaine et dont tout homme qui se respecte a horreur. - Les voeux sont des engagements pris à un âge où l'on n'a pas l'expérience de la vie. Ils sont nuls en raison de l'ignorance qui les vicie ; mais ceux qui les prennent se croient liés par eux indis­solublement. Sans les voeux (auxquels il faut ajouter l'absence de ressources et l'inaptitude à refaire une vie) les moines rentreraient dans le monde. Retenus par leurs voeux ils deviennent les instruments aveugles de la papauté. Or, la papauté, en dépit de ses conces­sions hypocrites, est irréductiblement opposée au droit en vigueur dans toutes les sociétés civilisées. Pour ce motif on doit réprouver absolument les voeux imposés par les ordres monastiques à leurs membres.

 

Le troisième commandement ordonne de sanctifier le dimanche en s'abstenant des oeuvres serviles et en s'appliquant au service de Dieu.

 

Les exercices religieux, que le catéchisme impose ou recommande aux chrétiens pour sanctifier le dimanche, n'ont aucun sens pour nous qui n'acceptons pas les dogmes chrétiens. Mais nous maintenons le repos heb­domadaire pour deux raisons : Premièrement parce qu'il écarte des travailleurs le danger d'un surmenage qui pourrait leur être fatal. Deuxièmement, parce qu'il développe la vie de famille, et qu'il permet les réunions indispensables pour la défense des intérêts collectifs.

 

 

Le quatrième commandement nous ordonne d'aimer nos parents, de les respecter, de leur obéir et de les assister dans leurs besoins.

Tout cela est très juste. Mais les parents ont toujours inculqué ce devoir à leurs enfants, et ils les ont contraints à l'exécuter. Ils n'ont pas eu besoin d'un commandement de Dieu pour les éclairer sur ce point.

 

 

Le quatrième commandement regarde encore les devoirs des inférieurs envers leurs supérieurs.

 

Jusqu'à notre époque, les hommes étaient parqués dans des classes séparées les unes des autres. Les classes supérieures avaient les moyens nécessaires pour obliger les classes inférieures au respect, à l'obéissance, et elles ne manquaient pas d'employer ces moyens. Aujourd'hui, théoriquement, chacun n'a au-dessus de soi que la loi, et c'est à elle seule qu'on doit l'obéissance, le respect. Pratiquement il y a encore des puissants et des faibles. Et ceux-ci sont souvent exploités par ceux-là. Il appar­tiendra à un progrès ultérieur de faire disparaître ce dernier legs de la barbarie primitive.

 

Les parents doivent aimer leurs enfants, les nourrir, les instruire, les corriger et leur donner le bon exemple.

Les parents ont toujours été portés par l'instinct de la nature à remplir ces devoirs, et ils n'ont pas eu be­soin d'un commandement de Dieu pour les connaître.

Les maîtres doivent traiter leurs serviteurs avec bonté, payer exactement leurs gages et veiller à ce qu'ils servent Dieu fidèlement.

Les maîtres sont les premiers intéressés, non à voir si leurs serviteurs servent Dieu, mais à les traiter avec bonté, à payer leurs gages, et à veiller sur leur conduite.

 

 

Les parents et les maîtres doivent instruire ou faire instruire des devoirs de la religion leurs enfants et leurs serviteurs, et prendre soin qu'ils les remplissent exactement.

 

Le catéchisme confond ici la vertu avec la religion. Les parents et les maîtres doivent porter leurs enfants et leurs serviteurs à la pratique de la vertu. Pour cela ils doivent commencer par donner eux-mêmes l'exemple de la vertu. Le reste est affaire de préjugés.

 

Les parents ne peuvent pas envoyer leurs enfants à des écoles mauvaises où les instituteurs et les institutrices mettent entre les mains des enfants des livres impies ou tiennent devant eux des propos contraires à la religion et à la morale chrétienne.

C'est l'école laïque que vise ici le catéchisme. C'est elle où l'on met entre les mains des enfants des livres impies ; où l'on tient devant eux des propos contraires à la religion et à la morale chrétienne. Or l'école laïque est neutre mais non hostile. Elle ne parle pas de la religion, mais elle ne la combat pas. Ou, s'il arrive à des instituteurs exaltés de sortir de la neutralité, le fait, qui d'ailleurs les rend passibles de blâmes et de sanctions disciplinaires, est tellement rare qu'il ne compte pas. Le catéchisme est donc injuste en reprochant à l'école laïque des accidents qui n'arrivent pour ainsi dire jamais. En tout cas il devrait, en suivant la logique de sa méthode, condamner les écoles congréganistes où arrivent parfois des accidents d'une autre nature mais beaucoup plus graves.

Son excuse est qu'il procède ainsi pour justifier la mentalité du clergé. En réalité, ce que le clergé re­proche à l'école laïque, c'est d'être neutre ; et s'il la traite d'école mauvaise, c'est à cause de sa neutralité. Le clergé est sectaire, intolérant. Et le catéchisme, qui n'ose pas approuver ouvertement cette intolérance, la dissimule en accusant l'école laïque d'hostilité à la religion.

Le cinquième commandement nous défend de tuer le prochain, de nous tuer nous-même, de nous battre en duel et de causer le scandale.

 

Tuer le prochain est un acte que la raison condamne, que condamnent d'ailleurs toutes les législations. Le seul cas où il soit permis de tuer le prochain est celui où le meurtre est le seul moyen de sauver notre vie contre un injuste agresseur.

Puisque nous ne pouvons tuer autrui, que pour sauver notre vie injustement menacée, il s'ensuit que nous n'avons pas le droit de tuer le prochain ou de nous exposer à le tuer quand il s'agit seulement de sauver notre honneur. C'est pour cela que le duel est gravement répréhensible. Ceux qui se battent en duel s'ex­posent, en effet, à tuer le prochain uniquement pour venger leur honneur.

Le suicide est également répréhensible, parce que s'ôter à soi-même la vie, c'est fuir lâchement devant le malheur que l'on doit, au contraire, supporter avec fermeté.

Le scandale est, à proprement parler, le mauvais exemple qui porte le prochain à faire le mal. Ce sont surtout les jeunes que le mauvais exemple porte au mal. C'est donc à eux surtout que l'on doit épargner le scandale.

Par le sixième et le neuvième commandement, Dieu nous défend tout ce qui est déshonnête.

Ce qui nous interdit les choses déshonnêtes, c'est l'honneur et notre propre intérêt. L'honneur nous défend ces choses, car celui qui les commet éprouve un sentiment de honte l'avertissant qu'il s'est avili. Notre propre intérêt les interdit également ; car la pratique des manières déshonnêtes ruine la santé et amène une mort prématurée.

Ce qui conduit le plus ordinairement aux manières déshonnêtes, c'est l'oisiveté et aussi les fréquentations dangereuses.

Ceci est juste. Disons, en un mot, que le meilleur préservatif contre les choses déshonnêtes est le travail stimulé par l'ambition. Celui qui a l'ambition d'arriver et qui, pour arriver, travaille, ne se laissera pas entraî­ner par les compagnies dangereuses et restera honnête.

Le septième et le dixième commandements nous défendent de prendre ou de retenir le bien du prochain, de lui causer quelque dommage et d'y participer.

Ce qui est interdit ici, c'est le vol sous toutes ses formes. Le vol est condamné d'abord par l'instinct de justice que nous portons tous en nous et qui nous défend de faire à autrui ce que nous ne voulons pas qu'on nous fasse à nous-mêmes. Nous ne voulons pas qu'on nous vole notre bien ; nous ne devons donc pas voler le bien d'autrui. Le vol est, en second lieu condamné par la société qui arrête les voleurs et les met en prison.

Celui qui achète un bien d'Eglise commet un vol et est privé des sacrements ainsi que de la sépulture ecclésias­tique.

La société a un droit supérieur qui l'autorise à s'em­parer de la fortune de l'Eglise, quand elle juge l'opé­ration utile au bien public. Si la société vend cette fortune dont elle s'est emparée, on est autorisé à la lui acheter ; et l'acquéreur a le droit de poursuivre devant les tribunaux ceux qui le traiteraient de voleur.

Les acquéreurs des biens d'Eglise étant, par la logique même de leur conduite, affranchis des préjugés religieux, refuseront toute intervention de l'Eglise soit à leurs derniers moments, soit pour leur sépulture. Ils ne peuvent donc qu'opposer une indifférence abso­lue à l'ostracisme du clergé à leur égard.

 

 

Le huitième commandement de Dieu défend de mentir et de nuire au prochain en son honneur ou en sa réputa­tion, soit par la calomnie, soit par la médisance.

On doit dire la vérité aux personnes qui ont le droit de la connaître. Mais à ceux qui n'ont pas le droit de connaître la vérité, on peut, on doit même parfois la tenir cachée.

Pour ce motif les enfants doivent toujours dire la vérité à leurs parents et à leurs maîtres ou maîtresses. Mais plusieurs professions amènent ceux qui les exer­cent à connaître des secrets qu'ils ne doivent pas révé­ler. C'est le secret professionnel que les tribunaux eux-mêmes doivent respecter.

Quant à la calomnie et à la médisance, elles sont interdites par le principe (déjà signalé plus haut) qui nous défend de faire à autrui ce que nous ne voulons pas qu'on nous fasse à nous-mêmes. Nous voulons qu'on ménage notre réputation, nous devons donc ménager celle des autres. D'ailleurs les calomniateurs et les médisants sont, dans certains cas, passibles des tribu­naux.

 

 

L'Eglise a le pouvoir de faire des commandements qui obligent tous les chrétiens.

 

Toute association élabore des règlements qui lient les sociétaires mais ne peuvent lier qu'eux. Ce qu'on ap­pelle les commandements de l'Eglise, ce sont des règle­ments établis par l'Eglise.

Les principaux de ces règlements établis sont ceux qui obligent les catholiques à entendre la messe le dimanche, à se confesser et à communier à Pâques, à s'abstenir de la viande le vendredi et de jeûner certains jours, surtout pendant le carême. Ces commandements lient les catholiques qui veulent être les enfants de l'Eglise. Ceux qui se sont séparés de l'Eglise n'ont pas à s'en préoccuper.

 

Le Péché.

 

Le péché est une désobéissance à la loi de Dieu ou de l'Eglise.

Dieu n'a point fait de loi, puisqu'il ne s'occupe pas du monde et que le monde lui est indifférent. Mais il existe des règles de conduite sans l'observation desquelles une société quelconque croulerait ou ne ferait que languir. Ce sont ces règles que le catéchisme appelle par erreur la loi de Dieu et qui, en réalité, sont l'ex-pression des exigences sociales.

Puisque, sans ces règles, la vie sociale serait impos­sible, elles ont nécessairement été observées, depuis de longs siècles, par nos ancêtres. Cette observation multimillénaire a produit dans notre organisme une empreinte qui fait que nous apportons, en naissant, une inclination à observer nous-mêmes les règles indispen­sables au maintien de la vie sociale. Elles sont impri­mées dans notre âme. Et c'est de là que vient l'usage de les désigner globalement sous le nom de loi naturelle.

La loi naturelle (appelée inexactement par le caté­chisme la loi de Dieu) est donc l'ensemble des règles de éconduite sans lesquelles il n'y aurait pas de société humaine possible, et qu'une très longue accoutumance a gravées dans nos coeurs.

Quant aux commandements de l'Eglise, on a dit plus haut ce qu'ils sont. Et l'on sait pourquoi on n'a pour eux que de l'indifférence quand on est détaché de l'Eglise.

Il y a deux sortes de péchés : le péché originel et le péché actuel.

On sait déjà que le péché originel est une inep­tie pour laquelle la raison ne peut éprouver que du mé­pris. En réalité il n'y a de péchés que ceux dont nous sommes les auteurs par nos paroles ou par nos actes. Mais au terme de péché l'usage a prévalu de substituer le mot « faute » qui est plus laïque, c'est-à-dire plus affranchi des préjugés chrétiens.

 

 

Il y a deux sortes de péchés actuels, le péché mortel et le péché véniel.

 

En langage laïque cela veut dire que les fautes n'ont pas toutes le même degré de gravité. Et cela est exact. Il y a des fautes très graves. Ce sont celles qui tendent à rendre la vie sociale impossible : tels l'assassinat, le brigandage. Ces fautes encourent dans toutes les so­ciétés des peines très sévères qui peuvent aller jusqu'à la condamnation à mort. Les fautes légères sont celles qui sont de nature à jeter quelque trouble dans la vie sociale sans pourtant la rendre impossible : telles les impa­tiences. Entre les fautes très graves et les fautes très légères il y a beaucoup d'intermédiaires.

 

Le péché mortel est celui qui nous rend digne des peines de l'enfer.

Cette interprétation n'a aucune valeur pour ceux qui n'acceptent pas les dogmes chrétiens. Nous, qui rejetons ces dogmes, nous ne connaissons pas de péchés mortels, mais des fautes graves. Et nous appelons fautes graves celles qui attirent sur leurs auteurs les sanctions de la société et le mépris public.

Un péché capital est celui qui est la source de plusieurs autres.

 

En langage laïque cela veut dire que certains pen­chants donnent naissance à des fautes multiples. Et c'est exact. Nous apportons en venant au monde des défauts, c'est-à-dire des penchants mauvais qui seront pour nous l'occasion de fautes nombreuses et graves, si nous ne les corrigeons pas. Nous devons donc les combattre pour les faire disparaître ou, en tout cas, pour rendre les chutes moins nombreuses et moins profondes. Les défauts les plus dangereux, à cause des suites lamentables qu'ils entraînent derrière eux sont l'ivrognerie, la colère et la paresse.

Les remèdes que leur oppose le catéchisme (souvenir des fins dernières, prières, etc.) n'ont aucune valeur.

Le vrai remède est une lutte continuelle contre les mauvais penchants avec lesquels nous naissons.

 

 

La Grâce et la Prière.

 

Nous ne pouvons observer les commandements de Dieu et obtenir la vie éternelle qu'avec la grâce de Dieu, laquelle est un don surnaturel que Dieu nous fait par sa pure bonté en vue des mérites de Jésus-Christ. Or il y a deux sortes de grâces, la grâce sanctifiante et la grâce actuelle.

 

Les propos du catéchisme sur la grâce peuvent être considérés en eux-mêmes et du point de vue de l'his­toire.

Considérés en eux-mêmes ces propos sont dégradants et ne s'appliquent qu'aux êtres anormaux. Tout homme dont l'organisme est normal, équilibré, a en lui l'énergie nécessaire pour remplir ses devoirs sociaux, pour mar­cher dans le droit chemin, surtout pour éviter les écarts considérables. A nous d'éveiller cette énergie, de la développer. Et nous la développerons par un effort soutenu. Les premiers pas accomplis sur la route de l'honneur, de la vertu, seront comme un entraînement qui nous facilitera la marche et nous aidera à persévé­rer. Sans doute nous aurons à lutter contre des passions parfois violentes. Mais il ne tient qu'à nous de ne pas nous laisser terrasser et de nous relever immédiatement lorsqu'un faux pas a pu nous échapper. Ajoutons qu'un secours précieux nous est fourni par l'expérience.

Quand l'ignorance ou l'oubli nous ont fait heurter les exigences sociales, nous avons payé cher notre igno­rance et notre oubli. Et puis, en promenant nos regards autour de nous, nous constatons que certaines fautes attirent sur leurs auteurs le mépris public, et les sanc­tions de la société. Autant de leçons précieuses si nous savons en tirer parti.

En bref, notre énergie trouve dans l'effort soutenu et dans l'expérience, la nôtre ainsi que celle des autres, des auxiliaires utiles qui la développent et l'affermissent. Mais c'est à notre énergie qu'il appartient de faire face aux exigences sociales. C'est sur elle seule que nous devons compter pour marcher dans le chemin du devoir, et non sur un secours extérieur qui nous rabaisserait au rôle de girouettes.

Il y a certes des êtres tarés incapables de s'adapter aux conditions nécessaires de la vie sociale. Mais ces déchets de la société sont internés dans des maisons où ils ne peuvent nuire.

Considérée du point de vue de l'histoire, la doctrine du catéchisme a été imaginée à une époque où la con­dition actuelle des hommes sur la terre, leur condition présumée dans une vie future, étaient censées réglées par Dieu qui prenait sous sa protection un petit groupe de privilégiés, leur réservait toutes ses faveurs et laissait dans la souffrance l'immense majorité des hommes. Or un Dieu qui a des préférés n'est pas juste. Il ne peut donc pas être l'Etre infiniment parfait que l'on désigne sous le nom de Dieu. Le monde est sans doute une énigme si nous attribuons l'inégalité des conditions humaines au jeu des causes aveugles ; mais il n'est pas une absurdité. Nous préférons l'énigme à l'absur­dité.

La prière est une élévation de notre âme vers Dieu pour lui rendre nos hommages et lui exposer nos besoins. Il est nécessaire de prier parce que Dieu nous le commande et que nous avons toujours besoin de sa grâce.

 

La contemplation de l'univers élève l'âme et nous remplit d'admiration, en même temps qu'elle nous donne par contraste l'impression de notre néant. Entendue comme un acte où l'âme s'anéantit devant l'éner­gie immense qui la subjugue, la prière est donc bonne et elle s'impose à nous. Mais l'énergie de l'univers ne s'occupant pas de nous, nous n'avons rien à attendre d'elle et il serait insensé de lui demander quoi que ce soit. Tout ce que le catéchisme ajoute sur la prière de demande est pur bavardage.

La plus excellente de toutes les prières est l'oraison dominicale qu'on appelle aussi le Pater. Elle est la plus excellente parce que Notre-Seigneur nous l'a enseignée lui-même.

Commençons par donner le texte de cette prière célèbre que des millions de chrétiens récitent plusieurs fois par jour. Le voici :

Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ; pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laissez pas succomber à la ten­tation ; mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.

 

On se borne ici à relever dans cette prière deux pen­sées, celle qui a pour objet le pain quotidien et celle qui a trait à la venue du « règne ».

Le chrétien demande à Dieu de lui procurer le pain quotidien ; demande qui n'a pas empêché des centaines de millions de fidèles, au cours des siècles, de mourir de faim. Le Pater suppose qu'il y a un Dieu qui s'oc­cupe des hommes, qui prend soin d'eux. Or cette croyance est démentie par l'expérience de tous les siècles. Première illusion.

Une seconde illusion du Pater consiste à demander à Dieu de hâter la venue du royaume. Car l'expression règne dont se sert le catéchisme et qui est inexacte, désigne en réalité le royaume de Dieu, le chrétien demande la venue du royaume. Et ce royaume est le royaume qui sera établi dans la Palestine, dont la capitale sera Jérusalem. Depuis de longs siècles cette formule n'a plus aucun sens sur les lèvres des chrétiens qui ne désirent pas mourir tout de suite, et qui pourtant deman­dent que le royaume vienne, sans savoir ce qu'ils demandent. Mais, à l'origine, tout était clair. Le Christ allait, d'un moment à l'autre, revenir du ciel, massacrer les Romains conquérants injustes de la Palestine, ins­taller à leur place les chrétiens, leur aménager une vie plantureuse et les gouverner dans la paix. Chacun appe­lait de ses voeux ce royaume féerique où l'on allait entrer de plain-pied, sans passer par la mort. On demandait à Dieu de hâter ce jour heureux. Et le Pater exprime cette demande. En réalité le royaume tant désiré n'était qu'une illusion, un rêve qui ne s'est jamais réalisé. Le Pater, ce rêve est consigné, devrait causer aux chrétiens un embarras inextricable. L'embarras a reçu une solution radicale, celle de l'oubli. Après avoir attendu, pendant de nombreuses décades, le royaume si ardemment convoité, on a fini par oublier une espé­rance qui ne se réalisait jamais. L'oubli a amené l'igno­rance. Et les chrétiens qui récitent le Pater n'éprouvent aucune difficulté a demander à Dieu la venue de son royaume, parce qu'ils ne savent pas ce que cela veut dire.

Encore une observation. Jésus, dont la confiance dans le secours de Dieu était inébranlable, comptait assister vivant au succès de son entreprise ; l'idée ne lui venait pas que les Romains pourraient l'arrêter et réduire à néant son projet. Ce n'est donc pas lui qui a enseigné aux chrétiens une prière Dieu est supplié de hâter la venue du royaume non encore réalisé. Le Pater a été élaboré aux environs de l'an 60.

 

 

La prière la plus excellente qu'on puisse adresser à la Sainte Vierge est la Salutation angélique qu'on appelle communément l'Ave Maria. On l'appelle salutation angélique parce qu'elle contient le salut que l'ange Gabriel adressa à Marie en lui annonçant le mystère de l'Incarna­tion.

 

La salutation angélique est, comme le Pater, récitée chaque jour par des millions de chrétiens. Elle est même répétée cinquante fois par les personnes qui disent le chapelet. Voici le texte de cette prière :

Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni.

Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pé­cheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Ainsi soit-il.

 

Il y a, comme on le voit, deux parties très distinctes dans cette prière. Nous allons nous occuper de chacune d'elles séparément.

La première partie reproduit, en effet, comme dit le catéchisme, le salut adressé à Marie par l'ange Gabriel quand, à en croire l'évangile de saint Luc, il lui annonça qu'elle serait la mère de Jésus. Malheureusement le seul trait historique de la vie de Marie que nous connaissions est celui où cette pauvre femme, voyant avec épouvante Jésus jouer le rôle de libérateur et croyant qu'il avait perdu l'esprit, alla avec ses autres enfants pour essayer de l'arrêter. Si Marie avait reçu d'avance de l'ange Gabriel une révélation sur la destinée sublime de Jésus, elle n'aurait pu ni subir l'épouvante ni se livrer à la tentative d'arrestation dont on vient de parler. Il y a opposition irréductible entre les deux scènes, et l'une des deux doit nécessairement être sacrifiée.

Or la tentative d'arrestation appartient à la caté­gorie des faits qui n'ont pas pu être inventés. C'est le message de l'ange Gabriel qui doit disparaître. Ce message est une fable, une imposture. Et les millions d'âmes qui l'évoquent chaque jour répètent une impos­ture.

On vient de dire que l'Ave Maria est, avec le Pater, la prière par excellence des chrétiens. Cela est vrai aujourd'hui ; mais il n'en a pas été toujours ainsi. Pendant de longs siècles, personne n'eut l'idée d'uti­liser la fable du message de Gabriel inscrite dans l'évan­gile de saint Luc et d'en faire une prière. Les fidèles étaient tenus de réciter chaque jour le Pater et le Credo, c'est-à-dire le symbole attribué aux apôtres ; mais on ne leur demandait rien de plus. C'est seulement depuis le XIIIe siècle que l'Ave Maria est devenu une prière obligatoire imposée aux chrétiens par l'autorité ecclé­siastique. C'est depuis cette date qu'il a pris place à côté du Pater et du Credo.

L'exposé que l'on vient de lire s'applique exclusivement à la première partie, à celle qui reproduit le prétendu message de Gabriel. Quant à la seconde partie (celle qui commence par les mots Sainte Marie), elle n'a fait son apparition qu'au XVIe siècle, et c'est seulement depuis le XVIIe siècle qu'elle est d'un usage courant. Elle impose à la Sainte Vierge un travail prodigieux, car elle lui demande de prier pour nous tous les jours et spécialement à l'heure de notre mort. Mais rassurons-nous. La Sainte Vierge n'est nullement gênée par la lourde commission dont la chargent les chrétiens.

 

 

III] Les Sacrements

 

 

Vue générale.

 

 

Un sacrement est un signe sensible de la grâce institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour nous sanctifier. - Il y a sept sacrements : le baptême, la confirmation, l'eu­charistie, la pénitence, l'extrême-onction, l'ordre et le mariage.

 

Jésus se proposait, non de sanctifier les hommes, mais d'arracher son pays au joug romain. Ce programme ne comportait aucun sacrement. Après la mort de Jésus, les chrétiens eurent la conviction absolue que le maître allait très prochainement revenir du ciel où il avait été recueilli par Dieu après sa mort, et qu'il allait alors achever l'oeuvre de libération interrompue par le sup­plice du calvaire. En attendant ce retour qui tardait de plus en plus, ils furent contraints de s'organiser pour ne pas disparaître dans le chaos. C'est de ce besoin d'or­ganisation que sont sortis peu à peu les sacrements. Les sacrements ne viennent pas de Jésus. Ils sont l'oeuvre de l'Eglise qui les institua lentement.

Les premiers sacrements furent le baptême, la con­firmation et l'eucharistie. Mais la confirmation étant presque toujours considérée comme partie intégrante du baptême n'était pas mentionnée comme un sacrement à part. On ne compta donc pendant longtemps que deux sacrements. Pourtant la confirmation finit par être détachée du baptême. On eut alors trois sacre­ments. On en eut même parfois quatre, car on compta souvent dans l'eucharistie deux sacrements, le sacrement du corps et le sacrement du sang.

A côté du baptême, de la confirmation et de l'eucha­ristie apparurent de nombreux rites qui, eux aussi, furent désignés sous le nom de sacrements. Toutefois on les laissa bien loin au-dessous des anciens. Il y eut donc d'une part les grands sacrements au nombre de deux, trois ou quatre, et les petits sacrements qui étaient en nombre indéterminé. Les grands passaient pour être d'institution divine et on leur témoignait une vénération particulière. Les autres étaient l'objet d'un respect inférieur, parce que leur origine plus récente ne laissait place à aucune illusion et qu'on ne les rattachait pas au Christ.

Au XIIe siècle, on entreprit de mettre de l'unité dans ce chaos de grands et de petits sacrements, de garder quelques petits, d'éliminer les autres. C'est de cette concentration qu'est sortie la liste des sept sacrements actuels. Tous les sacrements inscrits aujourd'hui sur la liste des sept existaient avant le XIIe siècle ; mais, sauf les trois grands, ils étaient considérés comme institués par l'Eglise. C'est leur inscription sur la liste du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie qui les a fait monter en grade et leur a donné droit à une origine divine. Ne nous lassons pas de redire qu'aucun sacrement n'a été institué par Jésus, parce que le programme de Jésus ne comportait aucun sacrement. Mais, depuis longtemps on se faisait illusion sur la provenance des trois premiers et l'on confondait leur origine avec celle du christia­nisme. Depuis l'établissement de la liste actuelle, l'illu­sion limitée jadis à trois sacrements s'est étendue de quatre autres.

 

Baptême et Confirmation.

 

Le baptême est un sacrement qui efface le péché originel et qui nous fait chrétiens, enfants de Dieu et de l'Église. - Le baptême est le plus nécessaire des sacrements, parce que personne ne peut être sauvé sans lui.

 

A en croire le catéchisme le baptême a deux préroga­tives principales. L'une consiste en ce qu'il efface le péché originel ; l'autre fait de lui la condition indispen­sable pour aller au ciel. De ces prérogatives la première met le baptême au rang des institutions extravagantes ; car on a vu plus haut que le péché originel est une monstrueuse ineptie. Quant à la seconde prérogative, pour porter sur elle un jugement motivé, il suffit de se rappeler que les deux tiers de l'humanité sont hors d'état de recevoir le baptême dont ils ne soupçonnent même pas l'existence. Si donc Dieu réserve son ciel aux baptisés, il ne nous apparaît que comme un être fantasque, plein d'attentions pour quelques privilégiés, cruel pour la masse du genre humain. Et un pareil être répugne à notre raison.

Voici quelques renseignements historiques qu'il n'est pas inutile de connaître. Le baptême consiste aujour­d'hui à verser de l'eau sur la tête du futur chrétien en prononçant des paroles. Pendant de longs siècles, le corps du futur chrétien était immergé dans l'eau ; le baptême, qui est aujourd'hui une effusion d'eau, était alors une immersion. Ce qui suit est plus important. Pendant longtemps, celui qui se présentait au baptême faisait, soit par lui-même (s'il était adulte), soit par ses représentants (s'il était enfant) une profession de foi aux principaux dogmes chrétiens. Mais l'immersion ou l'effusion dont il était l'objet s'accomplissait en silence et le ministre qui procédait à cette opération ne les accompagnait d'aucune parole. Aujourd'hui le prêtre, ou le ministre quelconque, qui donne le bap­tême, dit en versant l'eau : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », et le baptême admi­nistré sans cette formule est frappé de nullité absolue. Pendant de longs siècles aucune parole n'était prononcée au moment de l'immersion ou de l'effusion. En sorte que, du point de vue de la croyance actuelle, le baptême a été pendant très longtemps administré d'une manière nulle. Ce qui revient à dire que, pendant plusieurs siècles, personne n'a été chrétien.

Jésus ne baptisait pas ; et les textes qui lui attribuent l'institution du baptême sont totalement dépourvus de valeur historique. Après la mort du maître, ceux qui attendaient son retour formèrent un groupe où, de très bonne heure, on ne fut introduit qu'après avoir reçu le baptême de l'immersion. A cette époque, personne n'avait l'idée du péché originel, personne non plus ne se préoccupait du ciel. Ce qu'on voulait, c'était le salut. Ce salut, objet suprême de l'espérance chrétienne, com­prenait deux faveurs : premièrement échapper au massacre dont le Christ descendu du ciel allait frapper ses ennemis ; deuxièmement, participer au royaume que le nouveau roi allait inaugurer à Jérusalem. L'espérance chrétienne était garantie par la foi au retour du maître. Et cette foi s'exprimait, se manifestait par le rite de l'immersion. Pourquoi l'immersion ? Parce que ce rite était en honneur chez les Juifs pour laver les souillures encourues par le contact des êtres impurs, notamment par le contact des païens.

En bref, institué très peu de temps après la mort du Christ, le baptême fut, à l'origine, le gage du salut tel qu'on le comprenait alors. Il assura le salut parce qu'il symbolisait la foi au retour du Christ. Et il fut choisi pour ce symbolisme, parce que les pieux juifs avaient coutume de l'employer pour se purifier du contact des païens. Ce baptême primitif, on le voit, n'est devenu le baptême actuel qu'après de sérieuses métamorphoses.

 

 

La confirmation est un sacrement qui nous donne le Saint-Esprit et nous rend parfaits chrétiens. Il est vrai que nous recevons déjà le Saint-Esprit dans le baptême ; mais dans la confirmation nous le recevons avec une plus grande abondance de grâces.- 107 -

Dans les premiers siècles la confirmation suivait immédiatement l'immersion du baptême dont elle était le couronnement. L'immersion rendait l'âme pure mais ne faisait rien de plus. C'est à la confirmation qu'était réservée la faveur d'introduire le Saint-Esprit dans l'âme purifiée par l'immersion. Chacun des deux rites de l'immersion et de la confirmation avait donc sa spé­cialité à lui et sa raison d'être. Sans doute tout cela n'était qu'un mirage ; mais le mirage était bien dessiné.

Tout a été brouillé à partir du jour où le baptême (immersion ou effusion) fut censé donner, lui aussi, le Saint-Esprit. Car si le baptême donnait le Saint-Esprit, la confirmation n'avait plus de raison d'être et il ne lui restait plus qu'à disparaître. Or telle est au­jourd'hui la situation. La confirmation qui amène le Saint-Esprit dans l'âme où déjà le Saint-Esprit est domicilié et dont il a pris possession, ne remplit plus en réalité aucun rôle. La plus grande abondance de grâces dont parle le catéchisme est une pure échappa­toire, un de ces expédients auxquels ont recours les personnes prises en défaut et qui cherchent à se tirer d'affaire. Logiquement la confirmation devrait dispa­raître. Ce qui la sauve, c'est qu'elle est pour les évêques un prétexte à s'exhiber devant les populations et à les émerveiller par l'apparat dont ils s'entourent et les oripeaux dont ils se couvrent.

 

Le ministre ordinaire de la confirmation est l'évêque.

Aujourd'hui la confirmation est du ressort exclusif des évêques. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a eu une époque où les prêtres, notamment en France, con­firmaient les chrétiens après leur avoir administré le baptême. Et l'Eglise, qui ne nie pas ce fait, ne peut expliquer qu'à l'aide de la logomachie, pourquoi les prêtres sont incapables aujourd'hui d'administrer un sacrement qu'il ont administré jadis. La vérité est que les évêques ont réussi à se réserver le monopole de la confirmation, pour faire croire aux populations naïves que leur ministère était indispensable.

 

 

L'évêque impose les mains sur ceux qu'il confirme, et il trace sur leur front le signe de la croix avec de l'huile bénite et mélangée de baume qu'on appelle saint chrême.

 

Autrefois, quand un chrétien se présentait pour être confirmé, le ministre se bornait à lui imposer les mains et ne faisait rien de plus. L'imposition des mains était le rite unique de la confirmation ; et puisque la confir­mation procurait le Saint-Esprit, l'imposition des mains était le rite qui amenait le Saint-Esprit dans l'âme des chrétiens. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi. Ce qui fait descendre le Saint-Esprit, c'est l'onction faite sur le front en signe de croix avec l'huile mélangée de baume qu'on appelle chrême. C'est l'onction qui est le rite essentiel de la confirmation. Le privilège de faire descendre le Saint-Esprit a passé de l'imposition des mains à l'onction du chrême. Le premier détenteur du privilège a été évincé au profit d'un autre. Et cette éviction a été accompagnée d'une variation du dogme. Car le dogme qui attribue la descente du Saint-Esprit à l'onction du chrême ne pouvait pas exister à l'origine, puisque le rite de l'onction n'existait pas. Le catéchisme dissimule avec une grande habileté cette variation. Cet artifice peut tromper le lecteur ignorant, mais il laisse subsister la variation. Or la variation prouve que le dogme ne vient pas du ciel ; car s'il venait du ciel, il serait né­cessairement immuable. Elle prouve que le dogme est le produit de l'imagination humaine et qu'il n'a aucune valeur.

L'évêque donne un soufflet à celui qui est confirmé pour lui apprendre qu'il doit être prêt à souffrir toutes sortes de peines pour l'amour de Jésus-Christ.

 

C'est seulement depuis cinq siècles que les évêques donnent un léger soufflet aux chrétiens qu'ils viennent de confirmer. Ce geste est ignoré, non seulement des Pères mais même des théologiens du XIIIe siècle. Il fut sans doute à l'origine un témoignage d'affection. Il a fini, avec le temps, par devenir un rite. Pour le justifier, on lui a attribué des intentions mystiques que n'avaient certainement pas les premiers auteurs de cette petite cérémonie.

Pour conserver la grâce de la confirmation, nous devons combattre le respect humain.

 

On ne peut que louer les chrétiens qui ne craignent pas de braver l'opinion et d'afficher leur foi. Mais ce mépris du respect humain ne doit tout de même pas faire oublier que le premier devoir de tout homme est de ne pas fermer volontairement les yeux à la vérité quand elle se montre à lui. Sans rougir de sa foi, le chrétien doit vérifier les titres de la religion dans laquelle les hasards de la naissance l'ont placé.

 

 

L’Eucharistie.

 

 

Le plus auguste de tous les sacrements est l'eucharistie qui contient réellement et en vérité le corps, le sang, l'âme et la divinité de Notre Seigneur sous les apparences du pain et du vin.

 

L'eucharistie occupe une place considérable dans la vie chrétienne. On va d'abord exposer la croyance catholique, faire connaître les preuves qu'elle apporte puis la confronter avec l'histoire et avec la raison.

 

10 EXPOSÉ DU DOGME.

 

Selon la croyance catholique, l'eucharistie contient le Christ lui-même caché sous les apparences du pain et du vin. Tous ceux qui ont reçu une éducation catho­lique savent que, le jour de leur communion, un prêtre déposa sur leur langue une rondelle de pâte cuite appe­lée hostie qu'ils avalèrent immédiatement. Et tous ceux qui ont assisté à la messe ont vu sur l'autel un calice dans lequel on avait versé du vin et quelques gouttes d'eau. Ils ont vu aussi le prêtre boire, vers la fin de la messe, le contenu du calice. Selon la croyance catholique la rondelle de pâte cuite (qu'on appelle d'ordinaire le pain eucharistique) contient le Christ. Plus exactement de la rondelle de pâte, ou, si l'on veut, du pain, il n'existe rien que les apparences. Ces apparences sont ce que les yeux et le goût perçoivent, à savoir la couleur blanche, la forme ronde, la dimension un peu inférieure à une pièce de vingt sous, le goût douceâtre. Sous ces apparences, qui seules existent, le Christ se tient caché. C'est lui qui est déposé sur notre langue, quand nous communions. C'est lui aussi qui descend dans notre estomac. Toutefois le Christ ne reste présent qu'autant que les apparences elles-mêmes existent. Dès qu'elles disparaissent (et cela arrive quelques secondes après la communion) le Christ, lui aussi, disparaît.

Ce qu'on vient de dire du pain eucharistique, c'est-à-dire de la rondelle de pâte s'applique au vin que le prêtre boit à la messe. Selon la croyance catholique, le vin n'existe plus. Il ne reste que les apparences (couleur, odeur et goût du vin blanc). Sous ces apparences le Christ est caché. C'est lui qui descend dans l'estomac du prêtre d'où il disparaîtra dès que les apparences auront disparu.

 

PREUVES DU DOGME.

 

Selon les catholiques le dogme de l'eucharistie ou, comme ils disent souvent, le dogme de la présence réelle, repose sur les paroles du Christ.

La plus importante de ces paroles est celle qui accom­pagna l'institution de l'eucharistie. Jésus institua l'eu­charistie la veille de sa passion, c'est-à-dire le jeudi saint. Et, en l'instituant, il prononça ces mots : « Pre­nez et mangez, ceci est mon corps. - Prenez et buvez, ceci est mon sang. Faites ceci en mémoire de moi ». Les mots du premier groupe, prononcés au moment où le pain était présenté aux disciples, prouvent que ce qui paraissait du pain était le corps de Jésus et qu'il ne restait rien du pain sauf les apparences. Les mots du second groupe, prononcés au moment où la coupe de vin était présentée aux disciples, prouvent que ce qui paraissait du vin était le sang de Jésus et qu'il ne restait rien du vin sauf les apparences.

Avant d'instituer l'eucharistie, le Christ annonça ce mystère, il promit de l'instituer. Et, parmi les paroles qu'il prononça alors se trouvent les suivantes : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. »

Ces paroles de la promesse, où Jésus nous ordonne de manger sa chair et de boire son sang, n'ont d'appli­cation que dans le pain et le vin eucharistiques. Elles enseignent manifestement que, sous les apparences du pain et du vin, la chair et le sang du Christ sont pour nous une nourriture et un breuvage.

Nous connaissons le dogme catholique de l'eucharistie et les preuves qui lui servent d'appui. Mettons-le mainte­nant, lui et ses preuves, en face de l'histoire.

 

30 ORIGINE DES PREUVES DU DOGME.

 

Occupons-nous d'abord des preuves elles-mêmes, c'est-à-dire des paroles de la promesse, puis des paroles de l'institution. Et voyons quelle est leur origine.

Les paroles de la promesse de l'eucharistie sont rap­portées par l'évangile de saint Jean. Ce livre, de l'avis de tous les critiques indépendants, est, d'un bout à l'autre, une fiction où tous les discours sont inventés, où les faits eux-mêmes, quand il leur arrive, ce qui est rare, de contenir une parcelle d'histoire, sont dénaturés. Les paroles qu'on vient de lire ont été fabriquées aux environs de l'an 160 : elles ne sont pas de Jésus. D'ailleurs leur objectif est d'enseigner que le Christ n'a pas vécu sur la terre comme un fantôme niais qu'il avait un corps charnel comme le nôtre. Elles nous prescrivent, si nous voulons être sauvés, de croire au corps du Christ, à un corps composé de chair et de sang. Cette croyance est, selon elles, la véritable nourriture de nos âmes. Et c'est cette nourriture qu'elles ont en vue quand elles nous ordonnent de manger la chair du Christ, de boire son sang. En bref, les catholiques voient une manduca­tion là où il n'est question que d'une croyance : leur foi à l'eucharistie, en tant qu'elle s'autorise des prétendues paroles de la promesse, repose sur une mystification.

Les paroles de l'institution sont rapportées par les trois synoptiques. Elles font suite à un repas donné par Jésus à ses disciples la veille de sa mort. Ce repas est historique. Jésus, en effet, quelques heures avant d'être arrêté, a donné un repas à ses disciples. Et deux incidents de ce repas, tous deux historiques, nous ont été transmis.

Le premier est la parole suivante prononcée par Jésus au moment où il fit circuler la coupe de vin : « Je ne boirai plus du vin de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu ».

Le second incident est une querelle de préséance qui éclata parmi les disciples et que Jésus apaisa en leur promettant de les faire tous asseoir à sa table dans son royaume et de leur donner à tous des trônes pour gou­verner les douze tribus d'Israël.

Le premier incident veut dire que l'arrivée du royaume de Dieu précédera le prochain repas, qu'elle aura donc lieu sans aucun délai. Et, comme le royaume de Dieu consistait dans la restauration du royaume de David, l'incident signifie que le trône glorieux du fondateur de la monarchie juive va être relevé immédiatement, que le programme de Jésus est sur le point d'être réalisé.

Le second incident a pour cause les sentiments d'am­bition que la promesse du royaume a allumés dans l'âme des disciples. Il est clos par la perspective des postes brillants dont tous les disciples seront gratifiés avec la certitude de prendre place à la table du roi.

Ces deux incidents se suivent, se complètent, s'éclai­rent l'un l'autre. La veille même de sa mort, quelques heures à peine avant son arrestation, Jésus, dont le programme était la libération de son pays et le relèvement du trône de David, croyait toucher au but, et ses dis­ciples partageaient son illusion.

Disons maintenant que les synoptiques qui four­nissent ces renseignements en donnent aussi d'autres d'un caractère tout opposé. Ils nous apprennent que Jésus, au cours de ce même repas, annonça sa mort imminente, puis présenta à ses disciples du pain comme symbole de son corps qui allait être sacrifié, du vin comme symbole de son sang qui allait être versé.

Si les disciples ont entendu le maître annoncer sa mort imminente, comment après cette sinistre pro­phétie, se sont-ils disputé la préséance dans le royaume ? Et, si Jésus connaissait le sort qui l'attendait le lende­main, comment a-t-il pu promettre à ses disciples qu'ils festoieraient à sa table ? Entre l'annonce de la mort et la perspective d'un royaume terrestre où l'on boira du vin, du vin provenant de la vigne, la contradiction est palpable, manifeste. Les deux assertions ne peuvent pas être vraies toutes deux puisqu'elles sont irréducti­blement opposées. L'une d'elles est fictive et doit être résolument sacrifiée. Laquelle ? Aucune hésitation n'est possible. Ce qui est historique parce que cela n'a pas pu être inventé, c'est l'illusion du succès escompté pour le lendemain du repas. Cela doit être maintenu. Ce qui est fictif, c'est l'annonce de la mort imminente avec l'introduction du corps et du sang qui symbolisent la mort. C'est cela qui doit être sacrifié, éliminé.

Voici comment les textes doivent être reconstitués. Dans le récit primitif, Jésus fixait au lendemain l'inter­vention du ciel qui allait écraser la puissance romaine, rendre au peuple juif son indépendance, inaugurer la restauration du trône de David ; il promettait à ses disciples de les admettre à sa table et de les associer au gouvernement du nouveau royaume ; ces promesses versaient l'enthousiasme dans l'âme des disciples. Le récit, qui rapportait cette scène, était d'un seul tenant. Aujourd'hui ce même récit est disloqué, il se présente à nous sous la forme de deux tronçons séparés l'un de l'autre ; entre les deux a été introduite l'annonce de la mort imminente avec le corps et le sang qui la symbo­lisent. Cette imposture a coupé en deux tranches le texte primitif pour s'y faire une place.

Et voilà les paroles de l'institution de l'eucharistie ramenées à leur véritable origine. Ces prétendus oracles où Jésus donne à ses disciples son corps et son sang ne sont pas de Jésus. Ils font partie d'une imposture destinée à montrer que Jésus avait annoncé sa mort imminente. Cette manoeuvre frauduleuse qui travestit l'histoire a été introduite dans le récit primitif vers le milieu du second siècle.

On connaît l'origine des preuves de l'eucharistie. Passons maintenant à l'histoire du dogme lui-même.

 

 

40 HISTOIRE DU DOGME DE L'EUCHARISTIE.

 

Elle a traversé trois périodes principales.

Dans la période primitive l'eucharistie est un banquet que la communauté chrétienne célèbre chaque semaine à l'imitation des Juifs. Conformément à la coutume juive le banquet est encadré de prières, lesquelles ont deux objectifs. Le premier est un remerciement, une action de grâces (d'où le mot eucharistie qui désigne le remerciement) ; le second est une demande, une prière dans le sens rigoureux du mot.

Le remerciement est adressé à Dieu dont la bonté pourvoit à la nourriture des hommes en mettant à leur disposition le pain et le vin qui constituent le fond de cette nourriture.

La demande est, elle aussi, adressée à Dieu ; mais elle concerne le Christ recueilli après sa mort au ciel d'où il doit revenir pour achever l'oeuvre interrompue par le supplice du calvaire. Elle supplie Dieu de hâter ce retour qu'on attend avec impatience, et d'envoyer sans délai sur la terre Jésus, pour qu'il extermine les Romains et qu'il relève le trône de David.

Dans la seconde période, les chrétiens qui prennent part au banquet laissent à l'arrière-plan le remerciement pour les biens de la terre et la demande du retour du Christ. Leur pensée va surtout, on peut même dire qu'elle va exclusivement à la passion de Jésus. Ils veulent commémorer cette passion. Ils croient d'ailleurs, en la commémorant, exécuter un ordre du maître ; et, pour prouver qu'un tel ordre leur a été donné, ils récitent les textes évangéliques où Jésus, après avoir annoncé que son corps va être sacrifié, que son sang va être répandu, donne à ses disciples le souvenir de ce corps, de ce sang et leur prescrit de faire ce qu'il vient de faire lui-même.

Prescrite par le maître, la commémoration de la mort de Jésus est le motif de la réunion chrétienne. C'est pour évoquer le drame du calvaire que les fidèles se rassemblent chaque semaine. Le banquet primitif est-il donc anéanti ? Non. Mais il est réduit à l'état de squelette constitué par un peu de pain et de vin. Il n'est plus qu'une ombre de l'ancien banquet. Pratiquement il n'existe plus. Ce qui paraît à sa place, c'est le mémorial de la passion ce que, depuis des siècles, nous appelons la messe. En bref, ce qui différencie la seconde période de la première, c'est l'apparition de la messe et sa substitution au banquet primitif. Cette apparition eut lieu vers le milieu du second siècle, et elle accom­pagna les impostures qui, ainsi qu'on l'a noté plus haut, firent alors leur entrée dans le récit des synoptiques relatif au dernier repas de Jésus.

Encore une précision. La messe, qui naquit au milieu du second siècle, s'accordait avec la messe actuelle sur un point, mais elle s'en différenciait sur un autre. Ce qu'elle avait de commun avec la messe actuelle, c'était de commémorer la passion du Christ. Ce qui la différen­ciait, c'était d'être un simple mémorial, c'est-à-dire un mémorial auquel la victime de la passion, le Christ, n'assistait pas ; tandis que, dans la messe moderne, le Christ, selon la croyance des catholiques, est présent au mémorial que l'on fait de sa mort. Comparée à la messe moderne, la messe instituée au milieu du second siècle peut être appelée la messe antique.

Cette seconde période du dogme de l'eucharistie se prolongea jusqu'au Ixe siècle. C'est à elle que tous les Pères appartiennent. Les Pères croient au mémorial, mais à un mémorial qui est vide, qui se borne à évoquer le souvenir de la passion. Ils ne soupçonnent pas la pré­sence du Christ dans l'eucharistie. Cette observation s'applique notamment à saint Augustin, qui est le plus grand des docteurs de l'Eglise. Augustin n'a pas l'idée de la croyance qui anime aujourd'hui les catholiques, quand ils font la communion.

La troisième période est celle où le dogme de l'eucharistie reçoit sa forme actuelle. Alors la messe ne se borne plus seulement à évoquer le souvenir de la pas­sion du Christ. Le Christ assiste lui-même à cette évoca­tion ; et, par un procédé qu'on appelle transsubstan­tiation, la substance du Christ se met à la place de la substance du pain et du vin dont il ne reste plus que les apparences désignées sous le nom d'espèces (on dit « les saintes espèces »).

Inventé par un moine du ixe siècle, ce nouveau dogme fut accueilli avec enthousiasme par les moines qui alors étaient tout-puissants et qui, peu à peu, le répandirent dans toute l'Eglise. Il reçut même, quoique plus lentement, l'adhésion des théologiens, et un jour vint où il fut en possession de toutes ses formules théologiques. Pourtant il lui manquait encore quelque chose. Quoi donc ? La dévotion populaire. Un dogme n'occupe une place sérieuse dans la vie du chrétien qu'autant qu'il touche le coeur. Si le coeur lui échappe, il peut enchaîner théoriquement l'esprit, mais en réalité on ne pense pas à lui, parce qu'on n'éprouve pour lui que de l'indifférence. Tel est le cas de la Trinité à laquelle tous les chrétiens croient, mais à laquelle ils ne pensent jamais. Or, jusqu'au milieu du XIIIe siècle, la présence réelle du Christ dans l'eucharistie en était là. On y croyait depuis quatre cents ans, mais on n'y pensait pas parce qu'elle ne pénétrait pas dans les coeurs.

On sait le rôle important que les visionnaires, les têtes détraquées ont eu dans l'évolution des dogmes. C'est à une visionnaire appelée Julienne du Mont-Cornillon, que le dogme de la présence réelle doit son dernier perfectionnement. Cette pieuse personne, reli­gieuse dans un monastère des environs de Liège, vit un jour le globe de la lune radieux mais échancré. Et cette échancrure, qui l'intrigua beaucoup, fut pour elle un problème qu'elle ne parvint pas à résoudre. La solu­tion lui fut donnée deux ans plus tard (1208) par une révélation où le Christ lui dit en substance ceci : « Le globe de la lune est l'Eglise. L'échancrure, qui dépare un peu ce globe brillant, signifie que, dans l'Eglise, par ailleurs parfaite, il manque pourtant une fête qui est celle de mon Saint-Sacrement. A toi, ma fille, de t'em­ployer à l'institution de cette fête. »

Ardemment désireuse de mener à bien l'auguste mission dont le ciel l'avait investie, Julienne fit part de sa révélation aux principaux membres du clergé de Liège. Les approbations, les témoignages de sym­pathie ne lui firent pas défaut. Pourtant le succès définitif ne commença à être assuré qu'un demi-siècle plus tard et il ne fut réalisé qu'en deux étapes séparées par un long intervalle. La première étape fut marquée par la bulle d'Urbain IV (1264) établissant dans l'Eglise universelle la messe et l'office du Saint-Sacrement (le jeudi après la Trinité). La seconde étape fut inaugurée en 1316 par Jean XXII qui mit en vigueur la bulle, jusque-là négligée, d'Urbain IV et donna à la fête du Saint-Sacrement une impulsion d'où est sortie la procession de l'eucharistie enfermée dans un meuble dé­coratif analogue à notre ostensoir.

Limitée d'abord à l'intérieur des églises, la procession déborda bientôt et se répandit dans les rues qui, pour la recevoir, prirent, comme spontanément, leurs plus beaux décors. Et alors les lois de la psychologie firent leur oeuvre. Ebahies par la pompe sans cesse grandis­sante de la liturgie, les populations, quand elles virent le Saint-Sacrement s'avancer dans les rues jonchées de verdure et ornées de guirlandes, furent fascinées par le Dieu bénéficiaire de cette splendeur féerique. Depuis longtemps elles croyaient à la présence réelle, et cette croyance les laissait insensibles. Mais ici la foi cédait la place à la vision. Elles voyaient en quelque sorte le Christ lui-même dans un décor de majesté mélangée de douceur et de bonté. Elles le voyaient. Et, subjuguées par ce spectacle d'un Dieu qui daignait descendre à elles, elles se prosternaient à genoux dans un sentiment d'adoration, de reconnaissance et aussi d'amour. Je dis d'amour. Le Saint-Sacrement, qui recevait tous les hommages, ravissait aussi tous les coeurs. On ne se lassait pas de le voir, de le contempler. Et, puisque le Saint-Sacrement voulait être reçu par la communion, on prenait l'engagement d'exaucer ses voeux. C'est cet amour insatiable qui a donné naissance aux saluts du Saint-Sacrement, aux communions fréquentes.

Résumons. La place énorme que l'eucharistie occupe aujourd'hui dans la vie des catholiques est l'oeuvre des processions du Saint-Sacrement qui sont nées dans la première moitié du XIVe siècle. Mais, puisque les processions sont sorties de la fête du Saint-Sacrement ins­tituée pour faire droit aux révélations de Julienne du Mont-Cornillon, c'est cette femme qui, en dernière analyse, a créé la dévotion à l'eucharistie ; c'est cette grande ouvrière qui a donné à la vie catholique son organisation actuelle.

50 L'EUCHARISTIE DEVANT LA RAISON.

 

On vient de confronter avec l'histoire la présence réelle du Christ dans l'eucharistie. Mettons-la mainte­nant en face de la raison, et voyons les problèmes que le dogme soulève.

Ils sont multiples. Ce qui amène le premier, c'est la présence simultanée du corps du Christ dans des endroits innombrables. La foi enseigne au catholique que le Christ est dans l'eucharistie avec son corps et son âme. Mais elle lui enseigne aussi que le corps du Christ est au ciel, où il réside depuis son Ascension. Le même corps du Christ, qui est au ciel, est aussi dans l'eucharistie : il existe simultanément dans deux endroits différents. Comment expliquer cela ?

Mais cette observation n'atteint qu'une toute petite partie du problème qui est, en réalité, beaucoup plus complexe. Les tabernacles des églises catholiques répandues sur la surface de la terre renferment des millions d'hosties consacrées. Aux termes de la foi ca­tholique toutes ces hosties contiennent le corps du Christ. Et, puisque chacune d'elles occupe une place qui n'est pas, qui ne peut pas être la place des autres, il s'ensuit que le corps du Christ, qui est déjà au ciel, est simultanément sur la terre dans des millions d'endroits différents. Encore une fois, comment expliquer cela ? Ce qui est sûr, c'est que la présence d'un corps dans plusieurs endroits en même temps est inconciliable avec les lois qui gouvernent notre pensée.

Deuxième difficulté. Tout corps est composé d'une multitude d'éléments, qui se juxtaposent les uns aux autres, mais résistent à toute compénétration. D'où il suit que chaque élément occupe à lui seul un espace déterminé et en exclut tous les autres. C'est ce qu'on peut appeler la loi de la localisation. En vertu de cette loi, les yeux du Christ ne sont pas là où sont ses oreilles ; ses pieds ne sont pas là où sont ses mains ; chaque organe occupe un espace dont il exclut nécessairement les autres. Pour retrouver l'application de cette loi dans l'eucharistie, il faut admettre que les organes du Christ sont réduits à des dimensions bien exigues, puisque chaque hostie, à en croire le dogme, possède le corps du Christ tout entier. Et cette exiguïté du coeur, des poumons, de la bouche, des yeux, des cheveux du Christ ne laisse pas que d'être déconcertante.

Mais ceci n'est qu'un commencement, ce n'est pas seulement dans l'espace d'un centimètre que le corps du Christ introduit tous ses organes; c'est dans toutes les parcelles détachées de l'hostie que ce prodige se re­produit. Oui, selon l'enseignement de la foi, chaque parcelle de l'hostie, n'eût-elle qu'un demi-millimètre, pourvu qu'elle soit visible, contient le corps du Christ avec tous ses organes ! Ne disons pas que la localisation de tous ces éléments est impossible. Elle ne l'est pas puisque le monde des atomes nous met en face d'infi­niment petits parfaitement localisés. Mais reconnaissons aussi qu'un organisme ainsi réduit à l'échelle atomique est bien près d'être burlesque.

Troisième difficulté. Le pain, quand on le brûle, donne un résidu de cendre. Si on le laisse se corrompre, il se couvre d'une végétation de mousse. Enfin il se transforme en sang quand on l'introduit dans l'estomac. Or l'eucharistie donne lieu, elle aussi, à un résidu de cendre quand, par suite d'un accident, elle est victime de l'incendie. Elle aussi se couvre de mousse quand on tarde trop à la renouveler. Enfin, au moyen âge où les précautions de clôture n'étaient pas toujours prises, il arrivait souvent à l'eucharistie d'être dévorée par les rats, qui y trouvaient leur compte puisqu'ils récidi­vaient. Bref, l'eucharistie a le même sort que le pain. Pourquoi et comment, puisque, selon les enseignements de la foi, elle n'est pas du pain mais qu'elle en a seulement les apparences ? Qui croira que les apparences du pain ont pu produire de la cendre, de la mousse et du sang ? Du moins, si l'on admettait que le pain éliminé par la consécration est susceptible de revenir, alors les phénomènes que l'on vient de signaler s'expliqueraient. Mais, pour des raisons péremptoires fournies par les docteurs, le pain ne revient pas. Encore une fois, qui croira que les apparences ont pu produire les susdits phénomènes ?

Quatrième difficulté. Selon la foi catholique, l'eu­charistie contient le corps du Christ caché sous les ap­parences du pain dont la substance a disparu. Et, à en croire les docteurs, la principale de ces apparences, celle qui soutient les autres, c'est ce qu'ils appellent la quantité, ce que nous appelons les dimensions. D'où il résulte que, le pain étant disparu, ses dimensions colorées restent néanmoins et servent de paravent au corps du Christ qui se dissimule derrière elles. On nous demande donc d'accepter des dimensions, pour ainsi dire plaquées sur la substance du pain et susceptibles de s'en séparer. On nous demande de croire que ces dimensions, une fois séparées de la substance qui leur servait de support, subsistent en elles-mêmes pour couvrir le corps du Christ. Comment voir dans cette fantasmagorie autre chose qu'un rêve élaboré au cours du sommeil ?

Des rêveries incohérentes : voilà ce que les docteurs nous présentent pour résoudre les deux dernières diffi­cultés de la présence réelle. Ajoutons qu'ils nous servent des rêveries plus incohérentes encore si c'est possible, pour résoudre les deux premières. Ici ils imaginent que le corps du Christ dans l'eucharistie possède une quantité purement abstraite, une quantité qui n'est pas une quantité véritable et qui le met au-dessus des lois de l'espace. Comme si une quantité abstraite n'était pas une jonglerie de mots !

Malgré tout, les théologiens ne parviennent pas à se faire illusion. Après avoir payé d'audace, reconnaissant que leur bafouillage est incapable de satisfaire la raison, ils se réfugient dans le mystère. Ils nous disent en subs­tance : « Le dogme de la présence réelle est une de ces vérités que nous ne pouvons pas comprendre parce qu'elles dépassent la raison. Prosternons-nous en toute humilité devant la toute-puissance de Dieu. »

Eh bien, nous ne voulons pas être dupes de cette échappatoire. Certes, il y a dans le monde des faits mystérieux que nous constatons sans pouvoir les ex­pliquer. Mais nous repoussons le grossier subterfuge qui, pour faire passer le dogme de la présence réelle, l'assimile aux mystères. Cette invention des moines du moyen âge est un ramassis de contradictions flagrantes.

Elle ne dépasse pas notre raison. Elle la détruit, elle la renverse, et nous la repoussons de toute l'énergie de notre âme.

 

 

La Messe.

 

La messe est le sacrifice dans lequel Jésus-Christ s'offre pour nous à Dieu son Père par le ministère des prêtres, pour représenter et continuer le sacrifice de la croix et nous en appliquer les mérites.

Le concile de Trente a défini que la messe n'est pas la simple commémoration du sacrifice de la croix, mais qu'elle est un véritable sacrifice.

Malheureusement le sacrifice de la messe se heurte à un oracle de l'Ecriture aux termes duquel le Christ ressuscité des morts ne meurt plus, en sorte que la mort n'a plus de pouvoir sur lui. Or il n'y a de sacrifice que là où il y a mort, et il n'y a un véritable sacrifice que là où il y a une mort véritable. Si le Christ ressuscité des morts ne peut plus mourir, il est donc hors d'état de se sacrifier véritablement. Et, en dépit de la définition du concile de Trente, la messe est incapable d'être un véritable sacrifice. Elle peut évoquer le sacrifice de la croix, le commémorer, rien de plus.

Une autre objection contre la définition du concile de Trente vient des grands docteurs du moyen âge. Presque tous, en effet, évitent de parler du sacrifice de la messe, et leur silence montre qu'ils n'y croient pas. Pourtant le plus grand d'entre eux, qui est aujourd'hui- 127 -

le docteur officiel de l'Eglise, saint Thomas, fait excep­tion. Lui, il parle du sacrifice de la messe. Mais son texte, loin de favoriser le dogme enseigné à Trente, le combat au contraire ; car il dit en toutes lettres que la messe est appelée un sacrifice parce qu'elle commé­more le sacrifice de la croix. En d'autres termes saint Thomas voit dans le sacrifice de la messe une manière de parler et pas autre chose, attendu que, selon lui, il n'y a pas d'autre sacrifice que celui de la croix.

En résumé le dogme du sacrifice de la messe proclamé à Trente s'attaque à un oracle de l'Ecriture, et il a de plus contre lui le docteur officiel de l'Eglise. Il se heurte aussi, cela va de soi, à la longue période où la présence du Christ dans l'eucharistie était ignorée. Tant que le Christ, en effet, ne fut pas sur l'autel, il ne pouvait s'immoler, et la messe était totalement incapable de faire autre chose que de commémorer le sacrifice de la croix.

 

 

 

La Pénitence.

 

La pénitence est un sacrement qui remet les péchés commis après le baptême et que Jésus-Christ a institué quand il a dit à ses apôtres : « Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez.

Jésus se proposait d'arracher son pays au joug de Rome et d'y relever le trône du glorieux roi David. Voué tout entier à ce programme de libération natio­nale, mais mis à mort par les Romains avant de le réaliser, il n'a pas eu l'idée de fonder un sacrement de pénitence, et les paroles que le catéchisme met dans sa bouche ne sont pas de lui. Elles lui ont été attribuées plus d'un siècle après sa mort. Voici dans quelle cir­constances.

Quand le maître fut mort, les chrétiens crurent qu'il avait été recueilli par Dieu au ciel et qu'il allait très prochainement revenir du ciel sur la terre pour mener à bien son programme de libération. En attendant ce retour qui tardait indéfiniment, ils vécurent comme ils purent ; mais d'aucuns parmi eux menèrent une vie de désordre qui provoqua les railleries des non-chré­tiens ou même parfois leur indignation.

Toute association soucieuse d'échapper au mépris public exclut de son sein ceux de ses membres qui, par leur conduite, lui feraient perdre l'estime générale. Les chrétiens agirent de même. Ils chassèrent du ban­quet hebdomadaire ceux de leurs compagnons dont la vie notoirement indigne était de nature à ternir l'hon­neur du nom chrétien. L'exclusion qui, parfois, était définitive, n'était d'autres fois que transitoire et elle donnait lieu à une réintégration quand l'amendement du coupable était constaté.

Ainsi naquit la fonction judiciaire de l'Eglise. Elle surgit sous la pression du besoin. Et, comme le besoin s'en fit sentir de très bonne heure, elle fit son apparition dans les années qui suivirent de près la mort du Christ. Elle eut pour objectif les fautes notoires, celles qui portaient préjudice à l'honneur du nom chrétien. Son mode d'action consista dans l'exclusion définitive ou transitoire des coupables.

Où résida cette fonction judiciaire ? Question impor­tante, car le détenteur de la fonction posséda nécessai­rement le pouvoir de l'exercer. Sur ce point la pensée chrétienne passa par deux étapes. Primitivement, dans chaque groupe, le droit de juger les coupables appar­tenait à tous les chrétiens du groupe. Ils l'exerçaient quand ils étaient réunis en assemblée. En sorte que l'assemblée des membres de chaque groupe chrétien était le tribunal devant lequel le sort des coupables se réglait.

Les choses marchèrent ainsi jusqu'au jour où les évêques parvinrent à prendre la direction des commu­nautés. Alors ils confisquèrent à leur profit le pouvoir que détenait auparavant l'assemblée. Ils se réservèrent le droit de juger les coupables, de les expulser et de les réintégrer s'ils le jugeaient à propos. Puis, pour faire taire les récriminations du peuple chrétien spolié de ses anciennes prérogatives, ils fabriquèrent et introdui­sirent dans les évangiles des oracles où le Christ était censé réserver à ses apôtres le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés, le pouvoir de lier et de délier, Les évêques, se présentant depuis longtemps comme les successeurs des apôtres héritaient naturellement des pouvoirs confiés par le Christ à ses disciples immé­diats.

A l'époque où l'assemblée chrétienne était le tribunal chargé de juger les coupables, l'exercice de ce pouvoir avait été légitimé par un oracle où le Christ était censé prescrire de dénoncer les délinquants obstinés à l'assem­blée (« dis-le à l'église, c'est-à-dire dis-le à l'assemblée) ». Cet oracle inscrit dans l'évangile y resta, mais il fut en réalité supplanté par les déclarations qui substi­tuaient les évêques aux communautés.

Les évêques et les prêtres qu'ils ont approuvés pour cela ont seuls le pouvoir d'administrer le sacrement de pénitence.

 

Cette déclaration du catéchisme ignore que primi­tivement les coupables étaient jugés par l'assemblée des fidèles et que le monopole exercé aujourd'hui par les évêques et les prêtres est le résultat d'une confisca­tion accomplie par les évêques aux dépens de l'assem­blée des fidèles.

On reçoit le sacrement de pénitence quand le prêtre donne l'absolution. Celle-ci est une sentence par laquelle le prêtre remet les péchés au pénitent bien disposé.

 

Quand les évêques confisquèrent à leur profit les pouvoirs exercés jusqu'alors par l'assemblée des fidèles, ils se bornèrent à faire ce que l'assemblée faisait avant eux. On sait que celle-ci s'occupait exclusivement des pécheurs scandaleux pour les expulser et les réintégrer ensuite après amendement constaté. La réintégration était une absolution, c'est-à-dire une sentence par laquelle le pécheur était jugé digne de rentrer au bercail par suite de la conversion dont il avait donné des preuves. Les évêques expulsèrent les pécheurs, puis ils leur donnèrent l'absolution dont on vient d'expliquer la nature. Mais ils ne s'occupèrent que des pécheurs scandaleux. Avec cette réserve, l'assertion du caté­chisme peut être maintenue.

 

 

La principale condition nécessaire pour recevoir le sacrement de pénitence est la confession. - La confession est une accusation de tous ses péchés faite à un prêtre approuvé pour en recevoir l'absolution. -- La confession a été instituée par Jésus-Christ, quand ,il a donné à ses apôtres le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés.

 

Quelques renseignements sont indispensables pour porter un jugement motivé sur cette assertion du caté­chisme. Les voici.

On sait déjà que les pécheurs scandaleux frappés d'exclusion par les évêques étaient réintégrés après amendement constaté. Ajoutons maintenant que l'a­mendement était produit par les prières, les aumônes et les jeûnes auxquels devait naturellement s'ad­joindre la renonciation au péché. Par exemple, un ivrogne invétéré que l'évêque avait exclu des rangs des fidèles reprenait sa place quand, pendant un certain temps, il avait donné des preuves de sobriété, et qu'il avait sanctifié le même temps par des prières, des au­mônes et des jeûnes. C'était ces prières, ces aumônes et ces jeûnes qui purifiaient devant Dieu le pécheur scandaleux. Toutefois les évêques qui ne pouvaient contrôler ces pratiques pieuses n'en tenaient pas compte pour procéder à la réintégration des coupables. Ce qui les guidait dans cette opération, c'était uniquement la renonciation au péché ; renonciation pour laquelle un contrôle était possible puisque l'exclusion frappait uniquement les péchés scandaleux.

Le lecteur se demande sans doute quelle était la situation des pécheurs coupables de fautes secrètes et, par conséquent, non scandaleuses. Voici la réponse. Pour purifier leur conscience, ces pécheurs avaient à leur disposition les mêmes recettes que les pécheurs scan­daleux, à savoir les prières, l'aumône, les jeûnes. Et, du haut de la chaire, les évêques les pressaient vivement de recourir à ces remèdes. Mais ils n'allaient pas, ils ne pouvaient pas aller plus loin, attendu que ces moyens de pardon et de purification échappaient à tout contrôle. Pratiquement les pécheurs non scandaleux étaient donc laissés à eux-mêmes, ils faisaient ce qu'ils voulaient. En tout cas, ils restaient dans les rangs des fidèles et participaient à l'eucharistie. Notons pourtant que le jeûne de carême était observé par tous, et que l'on récitait nécessairement des prières quand on assistait à la messe.

Donc le jeûne et la prière étant des moyens de puri­fier la conscience coupable et ces moyens étant prati­qués par tous, on est autorisé à conclure que tous les pécheurs, soit scandaleux, soit non scandaleux, puri­fiaient leur conscience. Mais ils obtenaient ce résultat en dehors de tout contrôle. Quant à l'exclusion suivie de la réintégration après amendement constaté, cette discipline ne s'exerçait que pour les péchés scandaleux et elle n'atteignait pas les autres.

Jusqu'ici il n'a pas été question de la confession. Pourquoi ? Pour une raison péremptoire, qui est que la confession n'existait pas. La confession, c'est-à-dire l'aveu des fautes secrètes elles-mêmes à un prêtre, a fait son apparition soit au IVe siècle, soit au VIe, soit au VIIe comme on voudra. Ces trois dates sont toutes trois exactes, quoique dans un sens différent.

Ce qui est né au IVe siècle, c'est la confession des moines. Ce qui a attendu le VIe siècle pour paraître, c'est la confession des laïques dans l'église celtique. Enfin, ce qui n'est venu qu'au VIIe siècle, c'est la con­fession des laïques dans l'empire franc qui formait alors une partie importante de l'église latine et qui, un siècle et demi plus tard, absorba presque entièrement cette église.

Voici en deux mots comment les choses se sont passées. La confession, sous l'influence de Pacôme, fit, au IVe siècle, son entrée dans les monastères d'Egypte. De là, elle se répandit peu à peu dans les monastères de l'Orient, de la Gaule, de l'Italie et de l'église celtique. Mais, pendant deux siècles, les moines seuls la prati­quèrent. Elle fut un usage exclusivement monastique inconnu aux laïques, un usage que la plupart des évêques eux-mêmes ignorèrent et qu'aucun ne songea à faire sortir des monastères. Au vie siècle les moines celtiques qui, par exception, étaient en contact immé­diat avec les populations (partout ailleurs les moines vivaient séparés du monde) soumirent à leur régime leurs paroissiens qui se laissèrent faire docilement. L'église celtique accepta donc, au vie siècle, la confes­sion des laïques. Mais, comme cette église faisait alors schisme avec le reste du monde chrétien, son usage particulier ne paraissait pas devoir être contagieux.

Toutes les prévisions furent mises en déroute par le moine celte Colomban, qui, avec la fougue d'un apôtre, vint, dans les dernières années du vie siècle, prêcher la pénitence aux populations de notre pays. Il ne leur demandait que d'expier leurs fautes ; mais il leur im­posait l'expiation en usage dans les monastères et en Irlande, laquelle consistait à subir une pénitence spéciale pour chaque péché commis. Et, comme il ne pouvait fixer la somme des pénitences à accomplir sans avoir pris connaissance des fautes commises, chaque pécheur devait lui donner un compte détaillé de ses manque­ments, énumérer le nombre des fornications, des adul­tères, des meurtres, etc., dont ils s'était rendu coupable. C'est ainsi que, sous couleur de faire pénitence et d'ex­pier leurs fautes, nos ancêtres furent amenés, sans s'en apercevoir, à se confesser. Le but était de faire péni­tence, de pratiquer l'expiation. La confession se dissi­mulait et arrivait en sourdine comme le seul moyen de pratiquer l'expiation à la manière des moines et des populations de l'Irlande.

Les compagnons de Colomban continuèrent et déve­loppèrent son oeuvre. Le clergé franc, qui l'avait d'abord dédaignée, lui donna en 647 un témoignage de sym­pathie. Plus tard les Anglo-Saxons Boniface et Alcuin familiarisés dès leur enfance avec l'usage des moines celtes le propagèrent dans le monde franc. Enfin Charlemagne paracheva les travaux de ces missionnaires. A partir du ixe siècle, la confession, sous le patronage du puissant empereur, pénétra dans tout l'empire franc. Pourtant elle n'était pas encore obligatoire. Cette la­cune fut comblée par le concile de Latran de 1215 qui prescrivit aux chrétiens de confesser tous leurs péchés au moins une fois par an.

Revenons maintenant au catéchisme qui, premièrement, attribue au Christ l'institution de la confession, et qui, en second lieu, cite les oracles où le Christ procède à l'établissement de cette oeuvre. La première de ces assertions est condamnée solennellement par les écrits de tous les docteurs de l'Eglise où jamais la con­fession n'est mentionnée ; elle est condamnée par l'histoire qui nous dit à quelle date la confession apparut et qui nous fait suivre les phases de son évolution. Quant à la seconde, les docteurs nous en font toucher du doigt la vanité. Eux, ils citent fréquemment les paroles où le Christ est censé donner à ses disciples le pouvoir de remettre les péchés. Mais ils ajoutent aussi que ces oracles autorisent les évêques à exclure des réunions chrétiennes les pécheurs scandaleux et à les réintégrer dans les rangs des fidèles après amendement constaté. Ils ajoutent cela, ils n'ajoutent que cela. Ils légitiment par ces paroles du Christ le traitement dont, à leur époque, les pécheurs scandaleux sont l'objet. Mais jamais l'idée ne leur vient d'appliquer ces mêmes paroles à la confession dont ils ne soupçonnent pas l'existence. En sorte que le catéchisme, pour mettre la confession sous le patronage des oracles du Christ, est obligé de donner à ces oracles une interprétation inconnue des docteurs. Libre à lui d'agir ainsi. Mais, qu'il ne cherche pas à nous faire croire qu'il suit la tradition. Bien loin de la suivre, il la renverse ; il fait acte d'inno­vation (on a vu que les prétendus oracles du Christ ont été fabriqués au milieu du second siècle, quand les évêques confisquèrent à leur profit les pou­voirs exercés auparavant par l'assemblée des fidèles ; ce qu'on note ici, c'est que les auteurs de ces impostures ne songèrent pas à instituer la confession).

 

 

Indulgences.

 

 

La satisfaction est une pénitence imposée par le con­fesseur pour réparer l'injure faite à Dieu et racheter la pénitence temporelle due au péché pardonné.

 

Le confesseur impose aujourd'hui une pénitence au pécheur qui lui a fait l'aveu de ses fautes. Dans le haut moyen âge, l'aveu des fautes était aussi suivi d'une pénitence. Mais, entre la pénitence dont les péchés étaient frappés à l'époque du haut moyen âge et celle qui les atteint aujourd'hui, il y a un contraste que l'on doit connaître, car, sans cette connaissance, on ne comprendrait rien aux indulgences dont nous allons bientôt parler.

Ce contraste consiste dans une dégénérescence qui équivaut presque à un anéantissement. Dans les temps anciens, le pécheur qui avait confessé ses fautes n'était admis à la communion qu'après avoir accompli des jeûnes, des abstinences, des mortifications de toutes sortes qui pouvaient se prolonger pendant de longues années. Aujourd'hui, pour des fautes énormes et mul­tiples, le pécheur est condamné à réciter un chapelet, et pour qu'il soit autorisé à communier, il lui suffit d'avoir l'intention d'accomplir ultérieurement cette pénitence.

Voilà le contraste dans toute son étendue, D'où vient-il ? De diverses causes dont la principale est celle-ci. Autrefois l'accomplissement des peines infli­gées aux péchés passait pour être la cause du pardon accordé par Dieu et de la purification de l'âme cou­pable ; aujourd'hui, c'est à l'absolution donnée par le prêtre qu'est attribué le bienfait du pardon et de la purification. En deux mots, on n'explique plus au­jourd'hui le pardon comme on l'expliquait autrefois, et c'est ce déplacement dans l'explication du pardon, dans son interprétation qui a amené le contraste profond des pénitences d'autrefois avec les pénitences d'aujour­d'hui. Voici pourquoi. Quand l'accomplissement des peines infligées aux péchés était la cause du pardon et de la purification de l'âme, cet accomplissement devait nécessairement précéder la communion comme la cause précède son effet. De plus, chaque péché étant passible d'une peine spéciale, plus les péchés étaient nombreux, plus aussi les peines s'accumulaient, et plus il fallait de temps pour les accomplir. Mais, du jour où l'absolution acquit le monopole du pardon et de la purification de l'âme, les peines, dépouillées de leurs anciennes préro­gatives, n'eurent plus de raison d'être. Et l'on peut dire qu'en fait elles ont disparu, car la pénitence in­fligée aujourd'hui par le confesseur n'est qu'une fiction.

 

 

L'Eglise nous offre dans les indulgences un moyen de suppléer à l'insuffisance de nos satisfactions. - Une indulgence est la rémission faite par l'Eglise, en dehors de tout sacrement, des peines temporelles dues au péché pardonné. - Il y a deux sortes d'indulgences : l'indulgence plénière qui remet toute la peine temporelle due au péché, et l'indulgence partielle qui ne remet qu'une partie de cette peine.

 

L'indulgence plénière et l'indulgence partielle n'ont pas la même histoire et elles doivent être traitées sépa­rément l'une de l'autre.

Commençons par l'indulgence partielle.

 

I. - L'indulgence partielle a fait son apparition à l'époque où les pécheurs obtenaient le pardon de Dieu et la purification de leur âme par l'accomplissement des peines qui leur avaient été infligées. Voici comment : certains pécheurs (assassins, brigands, incestueux, adultères, etc.) condamnés à de longues années de jeûnes et de mortifications allèrent à Rome et deman­dèrent au pape d'alléger le fardeau qui pesait si lourdement sur leur épaules. Ils reçurent un accueil très sym­pathique. Le pape n'eut pas de peine à comprendre qu'un adoucissement apporté à la condition misérable des pécheurs accablés aurait le double avantage de rehausser sa puissance et de montrer sa bonté. Pour ces deux motifs il réduisit une partie plus ou moins grande de la pénitence sous laquelle le pécheur gémissait, sans pourtant la supprimer complètement. Encouragés par les succès de leurs aînés, de nombreux pécheurs prirent le chemin de Rome. Les évêques essayèrent, à diverses reprises, d'arrêter le courant. Sans s'occuper de leur opposition Rome continua de distribuer géné­reusement les faveurs qui lui étaient demandées. Sortie de l'initiative des pécheurs mais chaleureusement patronnée par Rome l'indulgence partielle entra dans les moeurs.

Tout commerçant étend le cercle de ses affaires quand elles marchent bien. Les papes firent de même. Après avoir attendu la demande des pécheurs, ils prirent les devants et offrirent eux-mêmes leur précieuse marchan­dise aux pécheurs, qui ne songeaient pas à la demander. Ils promirent des indulgences partielles à tous ceux qui, par leurs aumônes, collaboreraient à de pieuses entreprises. Les évêques s'empressèrent d'ailleurs d'imi­ter l'exemple de Rome et de lancer, eux aussi, des indul­gences partielles. Les affaires marchaient à souhait. Les papes remettaient couramment sept ans et sept quarantaines (c'est-à-dire sept carêmes) de peines. Les évêques, plus modestes, n'allaient pas d'ordinaire au delà de quarante jours. Les pécheurs, très friands de cette denrée si avantageuse, faisaient tous les sacri­fices voulues pour se la procurer. Naturellement, dans ces échanges de bons procédés, les vilains mots de vente, d'achat, de trafic, de commerce, n'intervenaient jamais. Rome mettait généreusement ses indulgences à la disposition des pécheurs, elle ne les vendait pas. Et les pécheurs ne les achetaient pas non plus ; seulement ils se faisaient un devoir de remplir les conditions néces­saires pour en devenir les acquéreurs.

On sait que la charge accablante des pénitences qui écrasaient les pécheurs disparut un jour et fut remplacée par des pénalités minuscules autant dire nulles. Les pénitences n'étant plus réellement infligées, les remises de pénitences n'avaient plus aucune espèce de sens. La disparition des pénitences du haut moyen âge était donc logiquement la mort sans phrase des indulgences partielles. Mais les lois de la psychologie n'ont rien de commun avec les lois de la logique. On va s'en rendre compte.

Quand le système des pénitences lourdes et intermi­nables disparut, Rome, sans s'embarrasser pour si peu, resta fidèle à ses bonnes coutumes. Depuis plusieurs siècles elle allégeait le fardeau des pécheurs qui appor­taient aux oeuvres pies le concours de leurs aumônes ; elle continua le cours de ses opérations lucratives. La machine aux indulgences fonctionna comme aupara­vant. Gardons-nous pourtant de croire qu'aucun chan­gement n'eut lieu. Il y en eut un considérable. Mais voici en quoi il consista.

Sous le régime des anciennes pénitences les indul­gences étaient utilisées par ceux à qui elles rendaient service, qui en avaient besoin, c'est-à-dire par les pécheurs. Chargés d'une lourde dette, les pécheurs étaient heureux, moyennant finances, d'obtenir un adoucissement. Du jour où les pénitences devinrent fictives, les pécheurs purifiés par l'absolution du prêtre se gardèrent bien de dépenser leur argent pour acquérir des remises de peines dont ils n'avaient nul besoin. Et les indulgences ne trouvèrent plus preneur dans leurs rangs.

La marchandise pontificale fut-elle donc mise au rebut ? Pas du tout. Et c'est ici qu'on peut voir combien sont merveilleuses les lois de la psychologie. A la place des pécheurs, qui n'avaient plus besoin de rien depuis que l'absolution leur était octroyée, une nouvelle clientèle se présenta. Laquelle ? Celle des âmes pieuses. N'ayant jamais commis de crimes, ces saintes personnes n'avaient rien à voir ni aux sanctions infligées à ces péchés, ni aux allègements accordés à ces sanc­tions. Elles restèrent donc étrangères aux indulgences tant qu'elles eurent sous les yeux le régime auquel ces indulgences portaient remède, c'est-à-dire tant qu'elles comprirent quelque chose aux indulgences.

Mais leur attitude changea quand, le régime des anciennes pénitences ayant disparu, elles ne comprirent plus rien aux remèdes accordés jadis à ces pénitences et qu'elles virent ces remèdes patronnés par Rome. Leur raisonnement fut celui-ci : « Nous ne savons pas ce que signifient ces indulgences de sept années et de sept quarantaines, ou d'autres semblables, qui sont mises à notre disposition si seulement nous consentons à coo­pérer par des aumônes à telle oeuvre pie. Mais notre Saint-Père le Pape, qui est la sagesse même, ne nous les offrirait pas si elles n'avaient une grande valeur et, en nous défiant de lui, nous ferions preuve d'un orgueil monstrueux. Nous devons donc en toute confiance remplir les conditions nécessaires pour nous les procu­rer. » En somme, quand les indulgences partielles devinrent inintelligibles, elles eurent l'attrait du mystère et elles furent recherchées avidement par les âmes pieuses, qui n'essayèrent pas de les comprendre mais firent confiance à Rome et laissèrent à Rome le soin de résoudre le problème.

Rome, de son côté, fit le raisonnement suivant : « En émettant des indulgences je fais ce que j'ai tou­jours fait, je n'innove pas. La nouveauté, s'il y en a, est du côté de la clientèle qui autrefois était fournie par les pécheurs et qui se compose aujourd'hui d'âmes pieuses. Mais je ne suis pour rien dans ce changement qui s'est accompli spontanément. Depuis quelque temps, sans demander mon consentement, sans même me consulter, on s'est mis à absoudre les pécheurs im­médiatement après la confession. J'ignore ce que vaut devant Dieu cette discipline. J'ignore aussi comment elle se concilie avec les indulgences que j'émettais au­trefois, que j'émets encore aujourd'hui. Je laisse à Dieu le soin de résoudre ce problème. »

Les âmes pieuses, en acceptant sans y rien com­prendre, les indulgences qui, après versement d'au­mônes, étaient mises à leur disposition, firent confiance à Rome. Rome, en continuant d'émettre ses indulgences après la disparition du système des péni­tences anciennes, fit confiance à Dieu. De part et d'autre on ferma les yeux, on renonça à comprendre, on agit à l'aveuglette.

Pour l'historien, qui a une fenêtre ouverte sur le passé, le résultat est celui-ci : les indulgences partielles remettent à ceux qui les reçoivent une partie des peines dues aux assassinats, aux brigandages, aux viols, aux adultères dont ils se sont rendus coupables. Les âmes pieuses seraient épouvantées, si elles savaient que l'Eglise leur attribue tous ces crimes. Mais elles l'igno­rent. L'Eglise d'ailleurs n'en pense pas plus long. Les âmes pieuses ne savent pas ce qu'elles reçoivent. La papauté ne sait pas ce qu'elle donne. Les indulgences sont du domaine de l'insanité. Seulement elles ne sont plus aujourd'hui des recettes commerciales comme autrefois. Depuis le XVIe siècle, la papauté a dû reculer devant l'indignation générale et renoncer au trafic des indulgences.

II. - L'indulgence plénière n'est séparée aujour­d'hui de l'indulgence partielle que par une différence de degré, puisqu'elle remet toutes les peines dues aux péchés pardonnés, tandis que l'indulgence partielle remet seulement une partie de ces peines. Mais, pen­dant longtemps, il n'en fut pas ainsi. L'indulgence plénière remettait alors les péchés eux-mêmes, de sorte qu'une différence de nature la séparait de l'indulgence partielle. Nous avons trois tâches à remplir : Premièrement, prouver que l'indulgence plénière remettait les péchés eux-mêmes. Deuxièmement, expliquer comment les papes se sont arrogé ce droit. Troisièmement, dire comment ils l'ont perdu.

1.     Nous avons un texte de Grégoire VII où il dit : « J'accorde à tous les partisans du roi Rodolphe l'absolution de tous leurs péchés. » Dans le concile de 1409 le pape Alexandre V donna une indulgence plénière de la faute et de la peine » à tous les assistants. Ces exemples et plusieurs autres prouvent que les papes ont bien eu pour objectif dans leurs indulgences de remettre les péchés.

2.     Les papes ont déclaré tenir de saint Pierre dont ils étaient les héritiers le droit supérieur de remettre les péchés à leurs partisans et de leur garantir le ciel. Ce droit ils l'ont exercé de deux manières différentes. Dans une première période, ils n'ont tenu aucun compte de la confession qui pourtant fonctionnait dans l'empire franc, mais qu'ils ont ignorée pendant longtemps. C'est ainsi qu'Etienne II accorda la rémission des péchés et le ciel à tous les Francs qui viendraient à son secours contre les Lombards. Vers le milieu du XIe siècle, ils firent connaissance avec la confession, et alors ils la mentionnèrent presque toujours comme une condition requise pour bénéficier du pardon qu'ils accordaient. Mais cette confession consistait dans la récitation du Confiteor. C'est ainsi que les choses se passèrent au con­cile de Clermont de 1095 où la première croisade fut inaugurée. Voici le témoignage d'un contemporain : « Un des cardinaux fit sa confession au nom de la foule prosternée. Tous se frappèrent la poitrine et ils ob­tinrent l'absolution de leurs péchés. » Le cardinal en question récita le confiteor. La foule le récita avec lui ou plutôt s'unit à lui. Tous surtout se frappèrent la poitrine. Et voilà ce que fut la confession des croisés à qui Urbain II donna l'absolution. C'est encore ainsi que les choses se passent aujourd'hui dans les cathé­drales les jours où l'évêque, dûment autorisé par Rome, donne l'indulgence pontificale. Un prêtre récite le Confiteor. Toute l'assistance s'unit à lui. Puis l'évêque donne l'indulgence qui remet les péchés. Tout le monde s'est confessé, puisque tous ont prié avec le prêtre qui récitait le Confiteor.

 

3. Les efforts des papes se sont heurtés à une opposi­tion irréductible qui a fini par les user. L'ennemi puis­sant qui a déclenché l'opposition est l'armée des théo­logiens. Voici ce qui s'est passé.

Pendant que Rome remettait les péchés à ses partisans et leur ouvrait l'entrée du ciel, les docteurs, après de longs tâtonnements et de laborieuses déductions, construisirent un système aux termes duquel le pardon des péchés était subordonné à la réception du sacrement de pénitence dans lequel entraient quatre pièces principales, à savoir la contrition, la confession, la satisfaction et l'absolution. Les papes, quand ils virent cet appareil se dresser devant eux, consentirent bien à ménager une place à la confession ; mais on vient de voir que leur confession n'en était en réalité pas une. Les deux puissances étaient en conflit. De part et d'autre les hostilités furent conduites avec une grande discrétion. Les théologiens se gardèrent bien de condamner les agissements de Rome. Les papes, de leur côté, ne crièrent pas à l'hérésie et ne firent pas monter leurs adversaires sur le bûcher. Mais chaque parti garda ses positions. Les papes mirent une sorte de coquetterie à se servir de leurs antiques formules et à remettre les péchés. Les docteurs, impuissants à faire disparaître le vocabulaire cher à Rome lui donnèrent une interpré­tation qui le rabaissait et le ramenait à une simple remise de peines. Et, aujourd'hui, cette interprétation est la seule que les fidèles connaissent. Rome, dans ses jubilés, dans ses indulgences pontificales, promet solen­nellement aux chrétiens la rémission de leurs péchés. Les âmes pieuses comprennent qu'on met à leur dispo­sition la rémission totale des peines dues à leurs péchés. Et, dans le nouveau code de droit canonique, Rome adhère officiellement à l'interprétation des âmes pieuses.

 

 

L'Extrême-Onction.

 

 

L'Extrême-Onction est un sacrement établi pour le soulagement spirituel et corporel des malades. Elle achève de nous purifier de nos péchés ; elle adoucit les souffrances des malades et leur rend même la santé quand Dieu le juge utile à sa gloire ou à leur salut. - Pour bien recevoir l'Extrême-Onction, celui qui est en état de péché doit se confesser s'il le peut et, s'il ne le peut pas, il doit s'exci­ter à la contrition.

 

L'Extrême-Onction qui, aujourd'hui, a pour but de nous procurer un soulagement spirituel et corporel, nous frappe avant tout de stupeur par les contradic­tions de sa liturgie. Pour se rendre compte de ce fait, il suffit d'entendre les paroles prononcées par le prêtre qui fait les onctions, et de voir les actes requis du malade avant la réception du sacrement. Le prêtre déclare faire les onctions pour qu'elles obtiennent de Dieu la rémis­sion de tous les péchés commis par les différents sens du malade. D'autre part le malade doit, avant de rece­voir le sacrement, se confesser ou, en tout cas, s'exciter à la contrition. L'objectif des onctions est d'effacer tous les péchés du malade. Or la confession et, à son défaut, l'acte de contrition antérieur au sacrement font que tous les péchés du malade sont déjà effacés quand il reçoit les onctions. Onctions qui effacent tous les péchés et qui supposent tous les péchés préalablement effacés : c'est l'incohérence complète, incohérence que les théo­logiens essaient vainement de dissimuler par les exercices de logomachie auxquels ils se livrent. Et, en tout cela, on n'a rien dit du soulagement corporel, de la santé même que l'Extrême-Onction peut éventuellement procurer.

L'histoire débrouille ce chaos en nous faisant connaître les étapes par lesquelles a passé ce qu'on appelle aujourd'hui l'extrême-onction, ce qu'on appelait au­trefois l'onction des infirmes.

Elles sont au nombre de trois principales :

Dans la première, l'onction des infirmes était une recette de médecine qui avait pour objectif de rendre la santé du corps au malade, et n'en avait pas d'autre. La dite recette consistait en onctions d'huile faites tantôt sur tout le corps, tantôt sur le membre souffrant, soit par le malade lui-même (quand il en était capable), soit par les personnes de son entourage. Seulement toute huile n'avait pas un pouvoir guérisseur. Seule était apte à ce rôle l'huile bénie par un personnage en renom de sainteté ou par le clergé, ou encore l'huile provenant d'un sanctuaire. En bref l'onction des infirmes était une recette de médecine surnaturelle.

Dans la seconde étape, l'onction des infirmes garde sur un point le contact avec l'étape précédente ; elle s'en différencie sur un autre. Ce qui ne change pas, c'est l'objectif. L'onction des infirmes de la seconde étape, comme celle de la première, se propose de rendre la santé des corps aux malades, elle n'a pas d'autre visée. Ce qui est nouveau, c'est la gérance. L'onction des infirmes cesse d'être aux mains des laïques ; elle devient le monopole du clergé. Les malades ne peuvent plus se l'administrer eux-mêmes ; les personnes de l'entourage n'ont plus le droit d'intervenir. Seuls les prêtres peuvent faire les onctions. Cette coutume, d'origine anglaise, fut introduite au VIIIe siècle en France par saint Boniface. Elle devint alors rapidement universelle par la raison que l'empire franc englobait à cette époque presque toute l'Eglise d'Occident.

Ce qui différencie la troisième étape des deux précé­dentes, c'est l'acquisition d'une nouvelle prérogative faite par l'onction des infirmes qui, sans cesser de procurer la santé aux malades, se mit à purifier aussi leur conscience. L'innovation parut pour la première fois au IXe siècle. Et il s'agit d'expliquer sa provenance. Voici ce que l'on peut dire :

La purification des consciences par l'onction fut l'effet d'un axiome aux termes duquel les maladies étaient le plus ordinairement des punitions du péché. L'axiome était vieux, et logiquement les laïques, à l'é­poque où ils avaient le droit de faire les onctions, auraient dû se mettre en règle avec lui. Mais ils n'avaient pas une foi suffisamment vive pour s'en embarrasser et, en présence d'un cas de maladie, ils allèrent au plus pressé qui était de rendre la santé au malade.

La situation changea quand l'onction des infirmes passa aux mains des prêtres et surtout des moines fervents. Ceux-ci se rappelèrent que les péchés du malade étaient presque à coup sûr la cause de sa maladie. La conséquence de ce principe. fut celle-ci : « Le pouvoir guérisseur de l'onction est incontestable, mais il ne peut s'exercer tant que l'âme est souillée par le péché. On doit donc commencer par purifier l'âme et ne procéder qu'ensuite à la guérison du corps. Le raisonnement était juste. Le tout était de le faire passer dans la réalité. Pour obtenir ce résultat, quelques doctrines dirent : « Puisque la confession est le moyen institué par Dieu pour effacer les péchés, on doit prescrire au malade de se confesser avant de recevoir l'onction des infirmes. » « Non, dirent les autres, le Seigneur qui a donné à l'onction la vertu de rendre la santé au corps, lui a aussi octroyé le pouvoir de purifier l'âme. Employons-la en demandant à Dieu qu'il la fasse servir à effacer le péché. Quand ce premier résultat sera obtenu, le second suivra. »

La première solution eut pour conséquence d'imposer la confession au malade prêt à recevoir l'onction des infirmes. La conséquence de la seconde fut de mettre dans la bouche du prêtre les paroles qui demandent à Dieu de faire servir l'onction à effacer les péchés. Les deux recettes, trouvées indépendamment l'une de l'autre et sans entente, furent accueillies simultanément dans la liturgie où elles se sont maintenues. Malheureusement elles sont inconciliables, et leur juxtaposition donne à l'extrême-onction l'incohérence que nous avons signalée.

 

 

L'Ordre.

 

L'Ordre est un sacrement qui donne le pouvoir de faire les fonctions ecclésiastiques et la grâce pour les exercer saintement. - On doit porter un grand respect au pape, aux évêques et aux prêtres, parce qu'ils représentent la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a dit, en parlant d'eux : « Celui qui vous écoute m'écoute ; celui qui vous méprise me méprise.

Le catéchisme enseigne ici que le sacerdoce a été institué par le Christ. Il traite ensuite du respect que l'on doit avoir pour les prêtres. On va examiner l'une après lautre ces deux assertions.

Parlons d'abord de l'origine du clergé.

Jésus, dont le programme consistait à relever le trône de David, et qui a été mis à mort avant d'avoir pu donner à son projet un commencement d'exécution, n'a institué ni le clergé ni quoi que ce soit d'approchant.

Le clergé, qui n'est pas l'oeuvre du Christ, n'a pas non plus fait son apparition dans les années qui ont suivi immédiatement la mort du Christ. Cela parce que les premiers chrétiens, convaincus que Jésus avait été recueilli par Dieu au ciel après sa mort, et qu'il allait en revenir incessamment pour mener à bien son entreprise de libération interrompue par le supplice de la croix, attendaient son retour d'un jour à l'autre. Le Sauveur devant paraître à tout instant pour les gouverner et assurer leur subsistance, ils n'avaient à s'occuper de rien. C'est seulement après plusieurs décades d'années que, tout en continuant d'attendre le retour tant désiré ils furent contraints de s'organiser pour ne pas tomber dans le chaos. C'est alors qu'un clergé fut institué. Il fut l'oeuvre des communautés chrétiennes qui le créèrent sous la pression de la nécessité. Ici, comme dans le monde de la vie, c'est le besoin qui a fait la fonction, laquelle a fait l'organe.

Un peu avant le milieu du second siècle, le christianisme, qui avait été jusque-là un mouvement de libé­ration nationale contre les Romains, s'orienta vers l'au-delà et entreprit de mener ses partisans au ciel. Le clergé subit naturellement le contrecoup de cette évolution et il se livra à des opérations mystiques dont on trouve l'exposé dans le présent livre.

Passons maintenant au respect que le catéchisme réclame pour le clergé.

Le prêtre se présente à nous sous trois aspects qui sont : l'homme, le ministre de la religion, et le fonction­naire de Rome.

L'homme, trompé par l'enseignement du séminaire où on lui a caché systématiquement la vérité, est d'une entière bonne foi. On ne doit donc pas le chicaner sur l'étrange métier qu'il exerce et qui est son gagne-pain. En dépit de ce métier il a droit, si sa conduite est digne, à la considération qu'on accorde à tous les hommes dont la vie est honorable.

Le ministre de la religion chrétienne entretient les fidèles sur la bible, sur les dogmes. Il leur enseigne que la bible est un livre inspiré par Dieu et où se trouve la source des dogmes. Il leur dit que les dogmes sont des vérités émanées du ciel, auxquelles une foi absolue doit être accordée sous peine de damnation.

Or la bible nous sert de nombreuses impostures. Dans d'autres endroits ce livre étale sous nos yeux des scènes immorales, barbares, ou qui excitent dangereusement les sens.

Quant aux dogmes, ceux d'entre eux qui sont inof­fensifs sont des produits d'une logomachie dont le principe est l'incohérence, l'ineptie (tels les dogmes de la Trinité, de l'union hypostatique, de la transsubstantia­tion). D'autres outragent la raison et font de Dieu un monstre horrible (tels le péché originel, le supplice éternel de l'enfer, la prédestination). Ajoutons que tous les dogmes primitifs du christianisme ont disparu depuis longtemps, et qu'aucun des dogmes actuels n'existait à l'origine du mouvement chrétien. Notons aussi que les apologistes, pour dissimuler les tares des dogmes chrétiens, recourent à de multiples roueries dont la principale est d'embrouiller les questions les plus claires. En bref, la religion chrétienne repose sur le néant. Le prêtre gave les fidèles et les enfants d'erreurs dont plusieurs sont monstrueuses. Tout en tenant compte de sa bonne foi, nous avons le droit d'éclairer nos frères, de les mettre en garde contre les enseignements du prêtre.

Le fonctionnaire de Rome exécute docilement, sous peine de destitution, les ordres dont il est chargé. Quels ordres ? Cette question nous amène à exposer le programme de Rome et ses méthodes de réalisation.

Programme et méthodes ont passé par deux phases : celle de l'application intégrale et celle de la restriction, on pourrait dire de la dégénérescence.

L'application intégrale a été en vigueur depuis le milieu du XIe siècle jusqu'aux temps modernes. Alors le programme était de faire la loi au monde entier. La méthode était le fer et le feu. Le fer, quand des pays entiers refusaient de se soumettre à la loi ; le feu, quand l'obstination dans l'indépendance ne se manifestait que chez des individus isolés ou faisant partie de groupes modestes. La méthode du fer fut appliquée successivement au Midi de la France, aux Vaudois, à la Bohême, à l'Allemagne. Tous ces pays furent affreusement rava­gés pendant plusieurs décades d'années et les armées qui les livrèrent au pillage marchèrent sur les ordres de Rome. La méthode du feu fut appliquée aux indi­vidus rebelles. Et, parmi ces rebelles, plus de cinquante mille furent (les sorciers et surtout des sorcières condamnés pour des crimes inexistants.

Depuis les traités de Westphalie (1648) les sociétés hérétiques ont obtenu par la fortune des armes le droit d'exister. Et, depuis plus d'un siècle, un droit nouveau s'est répandu, aux termes duquel la poursuite de l'hérésie n'est pas de la compétence des sociétés civilisées. Malgré ces déconvenues réitérées, Rome, au lendemain de la chute du pouvoir temporel (1870), entreprit de faire servir les armes de la France à reconquérir ses anciennes possessions, et elle poursuivit obstinément son projet qui devait allumer une guerre où l'Italie aurait été soutenue contre nous par l'Allemagne. Elle échoua. Depuis lors, plus de guerre contre les nations hérétiques, plus de bûchers ni de prisons pour les hérétiques. Rome n'est même plus en état d'enlever à des parents non chrétiens un enfant baptisé à leur insu, comme elle fit en 1858, à l'égard du petit Mortara. Rome doit renoncer aujourd'hui à régenter le monde par le fer et par le feu.

Renoncer ? Non. Mais renvoyer à des temps meilleurs la réalisation de ce programme et limiter provisoirement son objectif ainsi que ses méthodes d'action. Ses deux grandes préoccupations pour le moment sont, en dehors du domaine politique, premièrement de ne pas laisser parvenir à la connaissance des fidèles les résultats acquis par la critique au sujet de la bible et des origines chrétiennes, deuxièmement de conserver son emprise sur l'enfance. Ses moyens d'action sont de trois sortes. Avant tout elle surveille attentivement l'enseignement des séminaires ainsi que des universités catholiques, et elle destitue impitoyablement tous les professeurs dont l'orthodoxie ne donne pas pleine sécurité (ajoutons que les professeurs, éclairés par l'expérience, ont. soin de ne pas se compromettre). En second lieu elle interdit aux fidèles de lire les livres qui leur feraient connaître la vérité. Enfin elle lance le clergé à l'assaut des écoles laïques.

Dans le domaine politique, elle affecte un grand libéralisme et elle emploie toutes les industries qui lui concilieront la sympathie des gouvernements. Pourtant, quand les vrais problèmes se dressent devant elle et qu'elle ne peut les esquiver, elle est contrainte de flé­trir le droit moderne, celui qui oblige les sociétés à décliner toute compétence dans la recherche et la condamnation de l'hérésie.

Et le prêtre, fonctionnaire de Rome, condamne avec fracas l'hérésie, dénonce aux fidèles les livres hérétiques, combat dans la mesure de ses forces l'école laïque. En un mot, il collabore avec zèle au programme limité de la papauté. Mais, comme la papauté, il appelle de ses voeux le jour où les âmes se laisseront pénétrer par la foi et où Rome fera de nouveau la loi au monde entier. Le prêtre, si honorable que soit sa vie privée, est condamné à faire oeuvre de sectaire pour plaire à Rome. Son ministère est néfaste, parce qu'il continue l'oeuvre que Montalembert reprochait aux intransigeants de son temps en ces paroles toujours actuelles : « On dirait qu'ils traitent l'Eglise comme une de ces bêtes féroces que l'on promène dans les ménageries. Regardez-la bien, semblent-ils dire, et voyez ce qu'elle veut, ce qui est le fond de sa nature. Aujourd'hui elle est en cage, apprivoisée et domptée par la force des choses ; elle ne peut pas vous faire de mal quant à présent. Mais, sachez bien qu'elle a des griffes et des crocs, et si jamais elle est lâchée, on vous le fera bien voir. »

Le denier du culte est obligatoire ; car les fidèles doivent assurer le maintien du culte, par conséquent la subsis­tance du clergé.

L'Eglise, qui demande aux fidèles de payer le denier du culte, fait ce que font toutes les sociétés qui demandent à leurs membres de subvenir à leurs frais généraux. Que les catholiques s'éclairent, et alors ils quitteront l'Eglise parce qu'ils verront que ses préten­tions reposent sur le néant. Tant qu'ils conservent la foi de leur enfance, ils doivent se soumettre à la logique de leurs convictions. D'ailleurs l'Eglise proportionne sa demande à leurs ressources.

 

Le Mariage.

 

Le mariage est un sacrement qui établit entre l'homme et la femme une société sainte et inséparable. C'est Jésus-Christ qui l'a élevé à la dignité de sacrement.

Il y a, au sujet du mariage, une notable différence de point de vue entre l'Eglise et la plupart des sociétés modernes. L'Eglise, en effet, tient le mariage pour un sacrement institué par Jésus-Christ. Au regard de beaucoup de sociétés modernes, au contraire, le mariage, qui lie l'homme et la femme, est un contrat et rien de plus.

Ajoutons que cette divergence de point de vue de­vrait logiquement donner lieu à un conflit. Voici pourquoi : l'Eglise reconnaît qu'il y a dans le mariage un contrat en même temps qu'un sacrement. Mais elle enseigne que le contrat a sa source dans le sacrement lui-même, qu'il est constitué par le sacrement; d'où il suit qu'il n'y a pas de contrat là où il n'y a pas de sacrement. Et, comme le sacrement n'existe pas s'il n'est pas célébré en présence du curé de la paroisse ou de son délégué, l'Eglise déclare qu'aucun contrat n'existe entre conjoints qui ne se sont pas présentés devant le curé ou son délégué. Selon elle les conjoints en question ne sont liés par aucun contrat ; en d'autres termes, ils ne sont pas mariés. A l'encontre de l'Eglise, la société civile, notamment en France, s'inspire des principes suivants : Premièrement, le contrat est réalisé par l'engagement que l'homme et la femme prennent de­vant l'officier de l'état civil. Deuxièmement, interdiction est faite à l'Eglise d'administrer son sacrement avant que le contrat ait été passé devant l'officier de l'état civil.

Mais le conflit, théoriquement inévitable, est prati­quement évité. Il l'est parce que l'Eglise se soumet aux exigences de la société civile et attend, pour procéder à son sacrement-contrat, que les conjoints soient munis d'un certificat constatant qu'ils ont passé devant l'officier de l'état civil. L'Eglise, cela va sans dire, proclame fièrement que c'est son sacrement qui fait le contrat, et elle n'obéit qu'en maugréant aux injonc­tions de la société civile. Mais elle obéit. Cela suffit à la société civile qui, ayant obtenu satisfaction, laisse l'Eglise murmurer à son aise contre la tyrannie dont elle est victime.

Revenons au sacrement de mariage. C'est seulement depuis le me siècle que l'Eglise a inscrit le mariage sur la liste de ses sacrements. Avant cette date, le mariage était à ses yeux un contrat. Un contrat qu'elle bénissait souvent, comme elle bénissait les maisons nouvellement construites, mais qu'elle ne bénissait pas toujours, et qui liait les conjoints même quand aucune bénédic­tion n'était intervenue. L'Eglise est évidemment libre d'aménager ses sacrements comme elle veut, et nous n'avons pas le droit de nous immiscer dans ses affaires. Mais elle ajoute que ce sacrement a été institué par le Christ lui-même. Comment donc se fait-il que l'Eglise a ignoré pendant mille ans cette institution ? Elle a bien mal gardé le trésor confié à ses soins, puisque, pendant mille ans, elle n'en a pas soupçonné l'existence. La vérité est que son audacieuse prétention est un défi porté à l'histoire. Le sacrement de mariage est dans le cas de tous les autres sacrements dont aucun n'émane du Christ. Et l'Eglise, qui prétend le contraire, est obligée de recourir à l'imposture pour sauver la face.

Le mariage est indissoluble et il ne peut être rompu que par la mort d'un des époux. C'est pourquoi le divorce n'est pas permis. Il est formellement condamné par l'Eglise et par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même.

Le mariage est, pour ainsi dire, la porte qui ouvre à l'enfant l'accès de l'existence. A ce titre il a un droit absolu à notre respect. Mais il ne faut tout de même pas que la grandeur du lien conjugal nous fasse oublier la réalité qui est celle-ci : Il n'est pas rare que le ma­riage amène à sa suite des souffrances intolérables, et que l'unique remède à ces souffrances soit la rupture du lien conjugal, c'est-à-dire le divorce. Le divorce est toujours un mal ; mais un mal que l'on peut être con­traint de subir pour en éviter un plus grand. Ici s'ap­plique l'axiome aux termes duquel entre deux maux il faut choisir le moindre.

Le divorce est autorisé par la loi mosaïque. L'église romaine le condamne depuis les environs de l'an 800 ; mais, avant cette date, elle l'acceptait. Il a toujours été en vigueur dans l'église grecque. Les églises protestantes l'ont introduit dans leur législation. Admis dans la législation française par le Code civil, il en fut expulsé par la loi de 1816. Il y est rentré par la loi de 1884.

Le Christ ne s'est jamais occupé du mariage. Mais, parmi les oracles qui lui ont été attribués, il en est un où l'église grecque et, à sa suite, les églises protestantes ont pensé voir que le divorce y était autorisé en cas d'adultère. Cette interprétation est d'ailleurs rejetée aujourd'hui par l'église romaine. Mais, puisqu'elle est suivie par des fractions importantes de la religion chrétienne, et que l'église romaine elle-même l'a jadis admis, on doit taxer d'exagération le catéchisme quand il prétend que le divorce a été condamné par le Christ.

 

L'obligation la plus grave des personnes mariées est de respecter la fin première du mariage qui est de multiplier les enfants de Dieu.

 

Ces paroles du catéchisme évoquent le problème de la natalité, lequel met en présence l'intérêt de l'Etat, l'intérêt de la race, l'intérêt de la mère, l'intérêt du père, l'intérêt de la société. Et ces intérêts multiples ne sont pas toujours parfaitement d'accord. L'Etat a besoin de défenseurs qui assurent sa sécurité. Et, pour avoir des défenseurs, il lui faut des familles nombreuses. L'Etat pousse donc à la multiplication des naissances. Une pression dans le même sens est exercée par la race qu'obsède la crainte de disparaître. A l'encontre de l'Etat et de la race, la mère se rend souvent compte que des maternités trop réitérées la conduiront au tombeau, et cette prévision justifiée ne l'incline pas à multiplier les naissances. Le père est souvent amené à la même conclusion par la pensée que son salaire modeste le met hors d'état de nourrir une famille nombreuse. Et la société tient pour un fléau une procréation illimitée ; car elle sait que la loi malthusienne du doublement de la population par périodes de vingt-cinq années est exacte, et que les ressources ne peuvent doubler dans le même laps de temps.

On se borne ici à poser les termes d'un problème sin­gulièrement compliqué. Il est permis pourtant de signa­ler comme un commencement de solution les subven­tions accordées par l'Etat aux familles nombreuses.

 

L'état de virginité chrétienne est plus parfait que le mariage.

 

Le catéchisme préconise ici les congrégations reli­gieuses de femmes. Elles forment deux groupes princi­paux. A l'un appartient les ordres appelés contemplatifs, dont l'objectif est la louange de Dieu en latin, et la macé­ration de la chair. L'autre comprend les congrégations vouées aux oeuvres de bienfaisance. Les ordres contem­platifs sont foncièrement extravagants et se mettent, en outre, souvent à la charge du public. On ne peut que souhaiter leur disparition. Les congrégations bienfai­santes font oeuvre utile, et l'opinion publique ne leur ménage pas son estime. Mais nous aspirons au jour où nous serons à même de les remercier de leurs services. Et ce jour viendra quand le progrès des institutions aura achevé la laïcisation de la bienfaisance aujourd'hui amorcée. En tout cas, ce qui nous sert à mesurer la valeur d'une fonction, c'est la collaboration qu'elle apporte au bien social. Et, comme la bienfaisance n'est pas, même aujourd'hui, le monopole des congrégations religieuses, il nous est impossible d'attribuer à la virgi­nité chrétienne une perfection supérieure au mariage.

La religieuse bienfaisante est toujours à l'abri des difficultés matérielles ; elle n'a pas à faire face aux soucis, aux angoisses même qui quotidiennement assiègent la mère de famille. Et, puisque le mérite est en proportion de l'énergie déployée, c'est à la mère de famille qu'appartient la palme du mérite.